Communication humanitaire - médecin du monde
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Mea Culpa et course aux likes : les nouveaux ressorts de la communication humanitaire

 
Deux regards noirs, presque accusateurs. Voilà comment Médecins du monde s’associe à l’agence Meanings pour sa nouvelle campagne de communication lancée début décembre 2013. Des yeux qui nous fixent et un slogan évocateur – « Médecins du monde, médecins de tout le monde » – qui permettent d’interpeller le public, de l’inclure, de le faire se sentir concerné. Les ONG l’ont bien compris : la période des fêtes est un moment clé pour faire appel à la générosité des gens, en témoigne la présence massive des bénévoles les plus convaincants à la sortie des magasins dans lesquels on vient de se ruiner en cadeaux. Se servir de « la magie de Noël » pour stimuler les dons, une pratique certes efficace, mais aussi dérangeante.
A qui la faute ?
Dans le cas de la campagne de Médecins du Monde, il semble surtout que l’on cherche à nous rappeler à l’ordre, voire à nous faire culpabiliser. Or cette culpabilisation des publics paraît être un levier de mobilisation de plus en plus utilisé par les ONG, seul moyen d’escompter une réaction suffisante. Face à un public extrêmement sollicité, presque blasé, et pour répondre à des prérogatives financières de taille, on n’hésite plus à tomber dans le pathos quitte à perdre de vue l’objectif d’information sur l’action menée. De plus en plus minimaliste, cette partie purement indicative qui permet de comprendre le champ d’action d’une organisation est délaissée au profit de slogans laconiques sur fond d’images choc. C’est d’abord d’un point de vue éthique qu’il faut interroger ces méthodes de sensibilisation qui font d’un citoyen un acteur cynique transformé en « juge pénitent » à l’image de J.-B. Clamence (cf. La Chute, de Camus).
Cette question est d’autant plus délicate qu’elle amène à parler conjointement d’humanitaire et de « stratégie » marketing et communicationnelle, des termes qu’il semble malsain d’associer. Diabolisée et assimilée à de la manipulation pure, la communication est pourtant centrale pour les ONG qui existent grâce aux dons et qui sont donc tributaires de leur image. Nombreuses à intervenir dans l’urgence, elles sont obligées d’être réactives pour mobiliser rapidement (on pense à Haïti ou aux Philippines cette année).
L’humanitaire 2.0
Heureusement, les avancées technologiques font bien les choses, et les réseaux sociaux représentent aujourd’hui un terrain privilégié pour sensibiliser l’opinion publique. Ils permettent à la fois de donner une voix aux organisations dans l’instant, pour le cas des catastrophes naturelles par exemple, et de maintenir un lien permanent avec les utilisateurs qui « suivent » ou « aiment » leur page. Les ONG prouvent par là qu’elles sont dans l’air du temps et leur approche les rend plus susceptibles de capter un large panel de personnes, lesquelles sont par là très accessibles. En un simple « like », chacun peut affirmer son soutien, voire parfois même « donner » un euro à une cause. L’emploi des guillemets est bien de circonstance puisqu’on ne donne pas directement d’argent à titre individuel, comme on le voit pour le partenariat entre la Fondation de France et l’entreprise américaine de médicaments Vicks. Ici, à chaque « like », l’entreprise s’engage à verser un euro à la Fondation de France. On se doute que le geste du citoyen n’a pas de réelle incidence et que le partenariat financier est déjà scellé entre les deux protagonistes, qui se sont accordés sur la somme maximale de 30 000 euros (cf. en bas à droite de l’affiche). Cette campagne « participative » sert simplement de vitrine à ce mariage de courte durée (nous n’avons qu’un mois et demi pour cliquer !).

De l’activisme désengagé
Si elle permet de fédérer un plus grand nombre de personnes pour une cause, cette pratique achève aussi de dématérialiser l’action humanitaire. On en vient à réduire l’engagement à un simple « like », purement fictif donc quelque part futile. Ce militantisme exclusivement virtuel est désigné sous le nom de slacktivisme, contraction de « slacker » – comprenez « fainéant » en anglais – et d’activisme. Par le simple fait de publier une photo, de signer une pétition en ligne ou de re-tweeter, on peut se donner bonne conscience en se satisfaisant d’avoir fait un geste soi-disant solidaire. Déculpabilisé, l’internaute peut donc s’en retourner à sa vie réelle sans scrupules après avoir effectué sa BA du jour.
Le grand expert en la matière, c’est le site avaaz.org, ONG cybermilitantiste qui « permet aux citoyens de peser sur les décisions politiques » par le biais notamment de pétitions. Si la méthode peut effectivement se montrer efficace (Amnesty International l’a prouvé maintes fois), elle n’offre pas de réponse concrète aux populations en détresse, ce qui est peut-être la véritable priorité.
Cette course aux likes fait dévier les campagnes de sensibilisation vers une communication du vide, qui, passée l’émulation des débuts, pourrait finalement nuire aux ONG.
 
Elsa Becquart
Sources :
AVAAZ.org
Owni.fr – Gladwell, réseaux sociaux et slacktivisme
Cassandria.wordpress.com – Quand la com des ONG dessert les humanitaires
Meanings.fr
Crédits photos :
Campagne d’affichage Meanings (Nicolas Moulard)
Campagne Vicks « Soigner, soulager et accompagner les nouveau-nés, les enfants et les adolescents gravement malades ou en fin de vie »