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La Trudeau mania s'abat sur le Canada

La victoire du Parti Libéral aux législatives canadiennes le 19 octobre dernier marque la fin d’une politique conservatrice qui aurait duré presque dix ans. C’est Justin Trudeau, le fils de Pierre-Elliott Trudeau, ce dernier ayant contribué à façonner une nation multiculturelle et bilingue, qui devient Premier ministre. Il est jeune ( 43 ans), il est beau et promet de mener une politique nouvelle dans un gouvernent libéral. La jeunesse, l’enthousiasme et le talent de communication sont des atouts qui ont été décisifs pour sa victoire et que Justin Trudeau a su mettre en scène dans une communication minutieuse et originale.
Un nom de famille qui véhicule une idée de progressisme
Trudeau est un nom bien connu dans l’histoire contemporaine du Canada. Le Père de Justin, qui a été Premier ministre, entre 1968 et 1979 puis entre 1980 et 1984, avait mené une politique de modernisation du pays, incarné par le « Bill Omnibus », qui légalisait le divorce et dépénalisait l’homosexualité et l’avortement en 1969. C’est aussi sous son mandat qu’est abolie la peine de mort et que des relations diplomatiques sont créées avec la Chine communiste et Cuba. Cette vague de progressisme est à l’origine de l’expression « Trudeau mania », et profite aujourd’hui à Justin. Le nouveau Premier Ministre n’a en effet pas hésité à imiter son père en s’exposant avec sa famille face aux photographes et aux caméras comme le faisaient ses parents Pierre-Elliott Trudeau et Margaret Sinclair, considérés encore aujourd’hui comme l’un des couples les plus glamour de l’histoire canadienne. Justin Trudeau, Sophie Grégoire et leurs trois enfants sont aujourd’hui un modèle pour les canadiens, qui voient en eux un exemple de famille soudée et unie qui apporte un souffle de jeunesse et de fraicheur à la vie politique et médiatique du Canada.
 

 

Cette pratique se rattache notamment à une tradition d’affichage et de discours people dans la mouvance anglo-saxonne, considérée comme un atout communicationnel pour aller droit à la victoire. Une étude de Jamil Dakhlia1 explique, cet exposition récurrente présente les avantages de stimuler sa popularité, son pouvoir de séduction et de créer avant tout un sentiment de proximité. Pour les hommes politiques Justin Trudeau en tête, jouer avec sa propre peopolisation revient à se fondre dans un discours de séduction afin de provoquer la fascination et donc l’admiration. Derrière cette démarche de dévoilement apparait l’idée selon laquelle un homme politique ne doit rien cacher de sa vie intime et familiale et donner les preuves d’un bon contrôle de sa vie privée. Conforme à la morale la plus rigoureuse, comme un signe qu’il sera capable de diriger le domaine public.
Le glamour et l’humour à la tête du pays
Epoux d’une animatrice de télévision, Justin Trudeau a appris à maîtriser minutieusement l’appareil médiatique, qu’il n’hésite pas à solliciter de manière humoristique. La preuve en 2012, lorsqu’il affronte le conservateur Patrick Brazeau lors d’un combat de boxe télévisé, organisé pour récolter des fonds destinés à la lutte contre le cancer. Le match, où chacun est vêtu aux couleurs de son parti, est retransmis en direct sur les chaines d’information, et se transforme en véritable évènement d’ampleur nationale. Trudeau l’emporte par KO au troisième round.

Malgré sa maitrise des médias, cet ancien sportif aurait pû être handicapé par son image d’athlète. Deux ans auparavant, son physique avantageux lui valait d’être sous-estimé et considéré comme trop creux et charmeur, inadapté à la vie politique. Pourtant, c’est aujourd’hui peut-être un des facteurs de sa réussite, sa jeunesse provoquant un espoir de renouveau et de dynamisme sur la scène géopolitique internationale.
Justin Trudeau s’illustre surtout par son utilisation massive des réseaux sociaux. Twitter apparait comme une tribune à travers laquelle il n’hésite pas à être lui-même et à partager des moments de son quotidien pour se montrer plus proche des électeurs. Le jour des élections, il poste sur son compte Twitter des images le représentant en train de voter en famille.

Cette proximité avec les canadiens, Justin Trudeau essaie de la maintenir en ne cessant jamais de les interpeller et de s’adresser directement à eux : il n’hésite pas à les pousser à l’action (ce que l’on désigne généralement comme étant la technique du « call to action » et qui a pour but de susciter l’engagement chez les électeurs). Justin ajoute une touche d’humour dans ses appels/ interpellations au public comme l’illustre cet autre tweet.

Sa visibilité politique a atteint son paroxysme lors de la création du hashtag #générationtrudeau.
Egérie glamour, nouveau souffle de jeunesse dans la vie politique canadienne et internationale, Justin Trudeau, grâce à une communication pointilleuse et dynamique, s’est forgé une image de renouveau. Il devra maintenant prouver sa capacité à tenir ses engagements sociaux et économiques.
Arianna Delehaye
Linkedin 
Sources :
https://questionsdecommunication.revues.org/2417
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20151020.OBS7955/boxeur-beau-gosse-et-pro-cannabis-la-trudeau-mania-deferle-sur-le-canada.html
http://www.liberation.fr/planete/2015/10/20/avec-justin-trudeau-une-touche-de-glamour-a-la-tete-du-canada_1407588 http://www.journaldemontreal.com/2015/10/22/8-raisons-qui-prouvent-que-justin-trudeau-est-un-pro-de-twitter http://www.rcinet.ca/fr/2015/10/29/et-vous-etes-vous-parent-avec-justin-trudeau/
Crédits photos: 
AFP / Goeff Robins 
Captures Twitter du compte de Trudeau 
PC/ Adrian Wyld 
 

JO Paris
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#JO 2024: le poids de la communication digitale

Elles sont cinq villes candidates: Budapest, Hambourg, Rome, Los Angeles et Paris. Chacune d’entre elles propose un projet en adéquation avec les nouvelles orientations éthiques du Comité International Olympique (CIO) : innovation, respect de l’environnement et abaissement des coûts. Au delà de la pertinence du projet, il est déterminant d’obtenir l’adhésion des populations. Puisque ce sont les jeunes générations qui feront les Jeux 2024 et qu’elles passent aujourd’hui beaucoup de temps derrière leurs écrans, quoi de mieux que la communication digitale pour obtenir cette adhésion ?
Sur la ligne de départ : 5 villes disparates
Avec un budget réduit, Budapest ne part pas favorite. C’est qu’elle a affaire à une concurrence rude. Hambourg présente un programme axé autour de l’écologie qui pourrait séduire le CIO, mais ce n’est pas une capitale et les infrastructures permettant d’accueillir les Jeux y sont quasi inexistantes. Rome mise quant à elle sur un patrimoine culturel imposant ainsi que sur la mise en place du recyclage des installations des JO de 1960. Mais la peur des dettes et une récente affaire de corruption viennent mettre à mal cette candidature. En effet le scandale « Mafia capitale », un réseau de corruption au sein de l’administration principale, secoue la ville depuis qu’il a été démantelé en décembre dernier. Le réel poids lourd face à Paris est donc Los Angeles. En tant que ville organisatrice des jeux de 1932 et 1984 elle est un adversaire sérieux. Seulement, après l’Amérique avec l’attribution des JO 2016 à Rio et l’Asie avec celle des JO 2020 à Tokyo, l’équilibre voudrait que les JO 2024 soient attribués à une ville européenne. Dans cet perspective, Paris pourrait prendre l’avantage. Un budget à « taille humaine » de 6,2 milliards partagé entre financements publics et privés et infrastructures existantes, profitant des chantiers du grand Paris : la ville a une longueur d’avance.

L’atout clé pour obtenir les Jeux reste cependant l’engouement des populations. A cet effet, de véritables stratégies de communication sont mises en place, à commencer par une intense web-communication.
La communication digitale comme tremplin des candidatures
Réseaux sociaux et sites officiels : la bataille commence. Et elle s’arbitre d’abord en nombre d’abonnés. Rome domine sur Facebook avec ses 26 000 fans mais sur Twitter c’est Paris qui écrase la concurrence avec 17 000 abonnés, laissant loin derrière les 2 239 de Los Angeles ou, moins brillant, les 11 de Budapest. Sans être l’unique objet de la course aux jeux, le nombre d’abonnés reflète toutefois les stratégies de communication digitale des villes : avantage à Paris, là encore. Au delà des chiffres, Paris est aussi la seule à s’adresser aux citoyens en les prenant à parti: « avec vous, Paris se lance dans la course ».
Si Paris a autant d’abonnés tandis que Budapest peine à convaincre, c’est que chaque ville n’a pas la même stratégie. En effet la ville de Paris, bien qu’elle ait beaucoup d’atouts dans la course aux Jeux, doit obtenir l’adhésion de ses citoyens. C’est pourquoi elle mise d’ores-et-déjà sur une web-communication dense, présente sur les réseaux sociaux les plus influents. Ce que ne fait pas, pour l’instant, Budapest, qui prend ainsi un train de retard. Hambourg attend quant à elle les résultats du référendum qui doit sonder l’engouement de sa population le 26 novembre. Peut-être lancera-t-elle alors une campagne de web-communication plus intense.
Deux écoles pour les sites officiels : Budapest et les autres. Los Angeles, Rome, Hambourg et Paris ont des sites modernes, épurés et attractifs. A la vidéo de campagne de la première page succède un simple scroll pour découvrir d’autres informations. Paris se démarque encore en proposant de cliquer sur un « participer » dès la page d’accueil. Le site de Budapest s’illustre lui par un design accumulant des informations visuelles diverses, bien moins attractif donc.

Le rêve Parisien
Le rêve est le thème phare de la campagne de communication de Paris. Le slogan « Je rêve des jeux » est véhiculé par les plus grands sportifs français, répété par des enfants dans les publicités télévisées et inscrit sur chacune des publicités de la candidature de Paris.

 
Sur le site éponyme, une communication originale : le crowdfunding. Le financement participatif repose sur une démarche habile : la mise aux enchères d’objets appartenant aux meilleurs sportifs français, dédicacés et utilisés lors de grands évènements. Cette semaine on s’est ainsi disputé le maillot de Thierry Omeyer, porté lors des qualifications de l’Euro 2016 et dédicacé par celui qui a été élu meilleur gardien de handball de tous les temps en 2010, finalement adjugé à moins de 200€. L’originalité de l’appel au financement ne s’arrête pas là. Vente de rubans « je rêve des jeux » à 2€ et envoi de sms à 0.65€ : chaque participation compte.
Cependant, bien qu’en avance sur celle des villes concurrentes, la web communication de Paris reste à améliorer. Elle peine par son manque de dynamisme et de cohérence. Le site « je rêve des jeux » ne figure qu’en page 3 des résultats d’une recherche google « Paris 2024 ». Rares seront ceux qui s’aventureront jusque là lorsqu’on sait qu’une page 2 de Google est déjà reconnue comme « l’endroit idéal pour cacher un cadavre », pour citer un même devenu viral sur tweeter. Très faible visibilité donc. Autre défaillance : les comptes des différents réseaux sociaux ne redirigent pas dans leur description vers le site officiel. Un problème d’unité difficilement concevable. Le compte Instagram, pour sa part, mérite un bon point pour son unité visuelle et ses graphisme épurés et ludiques.

La communication digitale pour remporter les Jeux ? Paris s’est dotée du meilleur atout en terme de communication en la personne de Mike Lee, celui qui a réussi à faire basculer quasiment chaque campagne en sa faveur. Le directeur du cabinet de communication Vero a déjà décroché Londres 2012, Rio 2016 et la Coupe du monde de football 2022 au Qatar. Un vrai guerrier, son cabinet est connu pour ses méthodes peu tendres, capable de déstabiliser chaque adversaire. Son rôle est de crédibiliser la candidature de Paris auprès du CIO. Pour cela, il va connaître les 102 membres de l’organisation sur le bout des doigts car ce sont eux qui éliront la ville des JO 2024. Le poids lourd de la communication réussira-t-il à porter Paris jusqu’aux Jeux ?
Adélie Touleron
LinkedIn
Sources : 
http://www.lexpress.fr/actualite/sport/jo-2024-les-points-forts-et-les-points-faibles-des-adversaires-de-paris_1716079.html
JO 2024 : Un mois après l’ouverture de la course, Rome vire en tête sur Facebook et Paris sur Twitter
http://abonnes.lemonde.fr/jeux-olympiques/article/2015/06/25/paris-2024-la-boite-de-com-qui-fait-gagner-les-jeux_4661244_1616891.html
http://tempsreel.nouvelobs.com/sport/20150623.OBS1362/jo-2024-mike-lee-le-roi-du-lobbying-qui-peut-faire-gagner-paris.html
Crédits : 
Captures des comptes officiels de la candidature de Paris aux JO: Facebook, Instagram, Twitter 
AFP 
Site officiel de la candidature de Budapest 

Les Fast

Caisse d'épargne : l'échec d'une stratégie digitale

 
La Caisse d’Épargne Auvergne-Limousin a fait parler d’elle, ces derniers jours, en détournant trivialement son animal emblématique sur sa page Facebook. Présenté les testicules coincés dans une mangeoire, l’écureuil-victime accompagne de manière sarcastique le slogan de l’enseigne : Parce que les accidents n’arrivent pas qu’aux autres, la Caisse d’Épargne prend aussi en charge les séquelles temporaires… 
Le message décalé qu’a voulu véhiculer l’institution n’a pas été apprécié par ses clients, qui ont associé cette ironie triviale à une preuve de médiocrité et à un manque de sérieux et de professionnalisme : Vous vouliez être drôle ? Mais alors que faites-vous avec notre argent ? Vous rigolez avec ? (1). Comment comprendre une telle consternation face à une opération de communication pourtant originale et audacieuse ? Suite à cet afflux de commentaires négatifs, la banque a supprimé son post et présenté ses excuses. Cette stratégie du mea culpa sonne comme l’aveu d’une erreur communicationnelle.
La dérision et le ton décalé sembleraient être en incohérence avec les codes communicationnels du secteur bancaire, à tel point que les internautes ont d’abord cru à un piratage du compte Facebook de la banque. L’image corporate de la banque semble se heurter aux codes particuliers du Web 2.0, marqués par des jeux de détournement et de second degré.
Au risque de se voir décrédibilisées, les institutions bancaires sont-elles vouées à conserver une posture communicationnelle sobre et minimaliste ? Sans l’humour, pilier de la créativité, comment peuvent-elles innover dans leur stratégie communicationnelle ?
 
 Alexandra Ducrot
(1) Un des commentaires sur le compte Facebook de la Caisse D’Épargne Auvergne-Limousin
Sources :

https://www.facebook.com/Caisse.dEpargne.Auvergne.Limousin?fref=ts
 
 
 
 

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Flops

C is for Cheeky

 
Il y a une petite semaine, Microsoft uploadait sur Youtube une énième vidéo parodique envers Apple et ses Smartphones : deux minutes de montage frénétique, faisant se succéder des réunions fictives où Tim Cooks et Jony Ive [1] recevaient les explications ridicules et humoristiques de deux designers sur les fonctionnalités controversées des nouveaux Iphones.
Car comme pour toutes les sorties attendues, la mise en vente des Iphones 5s et 5c était une occasion trop belle pour ne pas se fendre d’une pique, et certainement attirer l’attention sur un Windows Phone qui ne dépasse pas les 4% du marché. Après tout, la dernière image de la vidéo affiche un fringant « #timetoswitch ».
Qu’il ait été stratégique ou machinal, l’humour lesté de la vidéo n’aurait pas pu causer grand mal, si l’acteur choisi pour représenter Cooks de dos n’avait pas furieusement évoqué Steve Jobs. Or, il n’y a rien de plus vulgaire que d’entacher l’aura christique du regretté fondateur de la marque à la pomme.
Un enragement de la twittosphère et quelques émois journalistiques plus tard, Microsoft en était réduit à s’excuser et à retirer le clip de la chaîne Youtube du Windows Phone.
(Nulle crainte cependant, car de grandes âmes sont parvenues à la sauver et la garder en ligne) :

Il n’y a rien de surprenant à ce que le manque de tact de la référence ait causé une si vive réaction. Mais que dire de l’aveuglement de Microsoft ? Le support tenait certes plus du Community Management que de la publicité à proprement parler, mais il était légèrement naïf de penser que la réaction des fans de la marque éclipserait celle des internautes choqués.
Moralité : la diffusion sur Internet ne touche pas que les fanboys. Cette bête vérité semble pouvoir échapper même à des structures aussi rompues aux stratégies digitales que Microsoft, mais trahit une nouvelle fois un essoufflement intéressant dans la bataille infinie entre les deux géants. Outre une relative fébrilité de la part d’Apple dans ses choix de positionnement (les moqueries sur l’orientation résolument cheap – voire hypocrite – du Iphone 5c ne manquent pas), ce fail laisse à penser que Microsoft est lui aussi à court d’idées lorsqu’il s’agit de relancer l’intérêt autour de produits qui sont continuellement repoussés par Android.
Les imaginaires geeks, toujours friands d’anecdotes cocasses sur la rivalité médiatique entre constructeurs de Smartphones, en sont devenus suffisamment prometteurs pour que Microsoft risque l’hallali sur du simple contenu Youtube ; et ce dérèglement finit par créer une collision improbable entre communication digitale et marketing. Il y a toujours des leçons à tirer des plus grands.
 
Léo Fauvel
Sources :
Mashable
The Verge
Computer World.com
Comscore.com
 
[1] respectivement PDG et Vice-président du design de la compagnie