Eclatée en divers endroits de Paris de la Cité du Design aux Arts déco jusqu’à envahir les rues, pour sa première édition, la fête du graphisme se répand dans la ville en ce début d’année, à l’image du sujet qu’elle défend : omniprésent et insaisissable. Nous côtoyons en effet le graphisme au quotidien, dans notre rapport aux objets et au monde, sans pour autant être capables de segmenter clairement sa présence. Néanmoins, il serait temps de donner ses lettres de noblesse à ce qui, en réinventant les codes de communication traditionnels, alimenté par un souffle artistique irréfutable, tente de questionner des notions d’ampleur politique, voire philosophique.
Nous choisissons pour étudier ces enjeux le cas de l’affiche, comme le lieu de la rencontre entre l’émetteur et le récepteur, le premier contact entre le passant et le message qu’on cherche à lui transmettre. Pour maximiser son effet, l’affiche se doit d’être le plus percutante possible, d’où le recours aujourd’hui quasi-systématique au graphisme, qui serait le fer de lance de la communication visuelle : le désir de donner du sens à des signes, pour qu’ils soient appréhendés, avant toute tentative d’intellection, d’une façon qui soit la plus favorable à la réception du message. Il se présente donc comme une réflexion sur les rapports de force entre texte et image, vide et plein, positionnement du sujet devant l’objet mais aussi dans le mouvement de la lecture, présence de l’émetteur ou au contraire sa disparition au profit du sujet traité. Ces questions qui mettent en cause, dans le cas d’une affiche, la place du sujet dans la ville au milieu de la foule, mais considéré comme individualité déterminée à laquelle on s’adresse personnellement, se dessinent dans la construction sémiotique de l’affiche. La mise en page, autour d’une ou plusieurs images, le choix de la typographie, le mouvement insufflé au texte sont autant de marques de la recherche d’une mise en scène du message, d’une architecture de la communication. L’exposition consacrée à Philippe Apeloig au musée des Arts déco (« Typorama », jusqu’au 30 mars) met en lumière les différents moyens d’action du graphisme affiché. Ainsi, on remarque qu’il se fait souvent le lieu d’un transfert entre le support et le message, allant parfois jusqu’à la fusion du discours dans le média. C’est le cas par exemple d’une affiche du théâtre du Châtelet pour un opéra de Kurt Weil qui se déroule sur le perron d’un immeuble new-yorkais. Apeloig a découpé des lettres en papier et les a façonnées à la manière d’un escalier, faisant de l’affiche, qui semble éclairée par un réverbère, un accès direct à la salle de théâtre, dans laquelle le passant se retrouve projeté, au premier rang. L’utilisation d’outils graphiques permet donc de donner un aperçu empirique du spectacle proposé, transmis dans sa force vivante et mouvante.
Doter un message d’une identité visuelle, c’est donc démultiplier sa force de frappe en proposant un objet qui peut rentrer dans l’imaginaire de tout un chacun. Le graphisme permet de s’insinuer dans les esprits et d’en infléchir le cours ; c’est pourquoi il est nécessaire de l’identifier et de proposer, en 2014, de le mettre en lumière pour découvrir ce métier qui produit un art caché, discret, mais qui n’en n’a pas moins une grande valeur. A l’heure du numérique, il en devient d’autant plus pertinent, puisque la photographie, la typographie et la codification colorée sont devenus des incontournables supports du discours. Selon Michel Bouvet, le commissaire général de la fête du graphisme, il s’agit d’ « éduquer le regard », mais aussi de considérer le graphisme selon les relais que sont « l’Etat et les médias. » Méconnu en France, le graphisme a besoin d’un coup de pouce des institutions pour gagner sa légitimité : qu’elles le mettent en avant, mais que bien loin d’y être aveuglement soumis, il les remet en question à sa manière. Les nombreux graphistes exposés mettent en avant l’aspect militant de leur démarche, la délicate position face à des commandes qui n’adhèrent pas à leur éthique. Pourquoi magnifier un message que l’on rejette soi-même ? Comment faire évoluer les mentalités sans rien dire, par un simple alliage de signes sur un écran, une feuille de papier ? La confiance actuelle en les vertus du graphisme devrait permettre d’irriguer d’un sang neuf la communication visuelle, tandis que d’autre part d’un point de vue artistique, une des revendications premières du graphisme, cette fête permet de découvrir un art que nous traversons sans le voir, qui habite pourtant nos vies (et ne serait-ce pas le plus touchant, le plus beau, que l’on puisse se évoluer dans un art qui nous appelle à lui, qui orne notre vie sans la déformer ?). Apeloig définit le rôle du graphisme comme la volonté de « réinterpréter la société, se fondre en elle et communiquer avec le plus grand monde » : une posture de poète moderne, en somme ?
Agnès Mascarou
Sources :
Arts magazine
Fetedugraphisme.org
apeloig.com