Elles arrivent petit à petit en France, et commencent doucement à se faire reconnaître du grand public : les conférences TED n’ont pas fini de fasciner, en témoigne la littérature prolixe qui fleurit sur le web à leur sujet. Fondées d’abord aux Etats-Unis en 1984, les TED (Technology, Entertainment, Design) avaient un objectif simple et loin d’être révolutionnaire : partager des points de vue nouveaux (leur slogan est “ideas worth spreading”) en faisant intervenir des spécialistes dans des conférences ouvertes au grand public. L’avènement et la démocratisation d’Internet a évidemment dopé leur développement puisque toutes les conférences (1400 à ce jour) sont publiées sur leur site, parfois même sous titrées par des volontaires, le tout gratuitement. Le succès fut sans précédent. TED a réussi à créer une véritable communauté sans être taxé d’élitisme, à intéresser un public qui dépasse celui des seuls habitués aux conférences. Communauté qui d’ailleurs ne cesse de s’agrandir, TED se disséminant peu à peu dans d’autres pays ; son arrivée en France date de 2009, et depuis septembre 2012, ce ne sont pas moins de trois TEDx (nom donné aux évènements TED) qui ont occupé de grands lieux de Paris, tels que la Gaîté Lyrique ou le Panthéon de la Sorbonne.
Comment expliquer cet engouement ?
Les TED ont parfaitement su s’adapter au nouveau régime de la consommation du savoir mis en place par l’arrivée d’Internet. Lorsqu’un internaute navigue sur le web, chacune de ses fenêtres affiche un contenu différent, il peut, en un clic, passer d’un diaporama sur des photos édifiantes à un article scientifique surprenant, en passant par une chronique amusante ou touchante. C’est un peu ce que proposent ces conférences. En « live », une dizaine d’intervenants se relaient, en ne dépassant que rarement les vingt minutes de parole. Il en va de même lorsque l’on se rend sur le site où l’on nous dit « browse by subject, length, or rating (inspiring, jaw-dropping, funny…) » : tout est à la demande, et si l’on ne créé pas la vidéo qu’on veut voir, on n’en a jamais été aussi près, puisque nous sommes les seuls décideurs de sa durée, son sujet, son ambiance, sa qualité. Les TED sont en quelque sorte le microcosme d’Internet, ou du moins de l’image idéalisée que l’on peut s’en faire : un lieu où l’éclectisme, comme le savoir, est à portée de main.
Mais proposer du contenu intelligent ne suffit pas à soulever l’enthousiasme, et il serait quelque peu ingénu de croire qu’il a alimenté à lui seul la gloire de TED.
En effet l’autre clef de la réussite de TED, la différenciant des traditionnelles conférences, est l’utilisation du fameux concept de storytelling. Regardez ne serait-ce que trois vidéos et vous verrez que le commencement est toujours le même : des applaudissements, les saluts de l’invité, puis une brève narration de sa vie et de l’élément qui l’a bouleversée et explique sa présence ce soir. Tous ces gens ont une histoire à raconter, bien spécifique, dont ils ont tiré des conséquences, un certain savoir ainsi que des règles qui désormais dictent leur vie et qu’ils se doivent de nous transmettre. Rien n’est plus efficace que ce procédé. Raconter un fait personnel et parvenir à le lier à un propos abstrait le rend palpable et humain, ainsi qu’intéressant, car il mobilise nos émotions voire crée un processus d’identification. Tout le monde aime les gens qui « ont une histoire ».
C’est ainsi que TED a institutionnalisé ce moyen de communication qui se retrouve désormais dans tous les discours de marques : on se souvient de ceux de Steve Jobs, on écoute encore ceux de Marc Zuckerberg. Les TED sont cet intermédiaire entre la conférence scolaire et la communication d’une marque : ses intervenants sont souvent des entrepreneurs, les conférences sont parrainées par de grandes marques (Canal + et Orange sponsorisent la prochaine). Le storytelling devient même une pratique à part entière ; à la dernière TEDxSorbonne, un des intervenants a parlé pendant 20 minutes de rencontres qu’il avait faites au cours de sa vie, et je dois avouer que j’étais très perplexe sur le fond de sa pensée, jusqu’à ce que je voie un tweet disant qu’il faisait une superbe démonstration de storytelling.
Le storytelling, pilier de TED et de la communication désormais, est donc à double tranchant. Il a l’avantage de pouvoir nous intéresser à presque tout et n’importe quoi, mais ne risque-t-il pas de réduire le discours a un simple exercice rhétorique, que, finalement, nous oublions dès que l’émotion qu’il a nous a procurée est passée ? (Ne finit-il pas par desservir le partage du savoir ?) C’est en tout cas ce qu’illustrent les flops de l’opération Kony 2012 ou de la publicité pour Facebook, les deux vidéos commençant presque par les mêmes images et le même texte, leur message étant pourtant totalement différent.
Virginie Béjot
Sources :
TED : http://www.ted.com/pages/about
TEDxParis : http://tedxparis.com/
Retrouvez également le live tweet de la dernière conférence TED à la Sorbonne sur le fil twitter de @FastNCurious_