Com & Société, Flops

Réseaux sociaux : bonjour le fisc, adieu vie privée !

Le Ministre de l’Action et des Comptes Publics, Gérald Darmanin, a annoncé dans l’émission Capital sur M6 l’expérimentation de la lutte contre la fraude fiscale en surveillant les réseaux sociaux. Oui vous avez bien lu ! Cette mesure devrait entrer en vigueur au début de l’année prochaine alors il est encore temps de faire le tri dans ses photos Instagram, Facebook et Twitter avant que le fisc ne vous pointe du doigt.

Médias

Twitter et les comptes parodiques malveillants : un moyen légal d'usurpation d'identité ?

Dans le monde virtuel des réseaux sociaux, les rapports de force reposent sur l’immédiateté et la dépendance au nombre de vues et de partages. Ce qui est mis en avant ne l’est qu’à cause de sa viralité et non de sa véracité. De plus, le fait que le réseau social Twitter soit mondialisé fragilise l’établissement de lois internationales, visant à contrôler l’apparition de comptes malveillants qui parviennent, à travers l’interprétation de la politique du site, à la contourner.
Les personnes engagées : une surveillance constante et nécessaire des comptes parodiques usurpateurs
Même nom, même avatar, mais contenus opposés, c’est le moyen choisi par des anonymes pour semer la confusion et parvenir à convaincre les « followers » (littéralement « suiveurs ») des militants à revenir sur leurs positions politiques. Ainsi, le militant Américain et anti-Trump Ryan Knight, connu sur les réseaux sociaux par le surnom « Proud Resister » (résistant fier), a été victime d’une usurpation d’identité parodique d’une personne pro-Trump. Avec plus de 86 000 abonnés, il publie régulièrement sur Twitter pour maintenir la résistance anti-Trump.

 
Ce tweet du militant anti-Trump dénonce le risque des faux-comptes qui se font passer pour lui de manière parodique : « Des comptes feignant la résistance apparaissent en ce moment dans le but de discréditer nos efforts. Le compte ci-dessous utilise ma photo, mon nom et tweet de la « désinformation » pour semer le doute et diviser. Cela recommence comme en 2016. @Twitter ne peut autoriser cela. S.V.P. partagez et encouragez Twitter à supprimer @the_ryan_knight ».
 

Ce tweet du compte parodique de Ryan Knight prétend avoir fait semblant d’être un militant anti-Trump : « Trump est quelqu’un de super. Cette affaire de #Résistance est une perte de temps. Il est temps pour moi de retourner à ma vie normale. ». Ce tweet étant une réponse à un compte qui défend lui aussi la résistance anti-Trump, on peut voir que l’usurpateur cherche à diviser la collectivité anti-Trump, et qu’il cherche ainsi à perturber la fluidité de sa communication. Le compte usurpateur a depuis été suspendu après une semaine de nombreux signalements.
L’ambiguïté de la politique et des règles d’utilisation de Twitter
L’équipe de Twitter est consciente des risques d’usurpation d’identité et écrit ceci :

La fragilité de cette politique d’utilisation est que la mention explicite de la dimension parodique du compte est légitime, dans le cadre de la liberté d’expression. Dans le cas de Ryan Knight, l’usurpateur a changé son nom de « proud resister » en « paid resister » (résistant payé), mais a aussi spécifié dans sa biographie « (parody) », que l’on ne peut voir que si on va sur le compte en question, et qu’on prend le temps de lire sa description. Ainsi, il ne peut pas être attaqué, car il n’a pas le même pseudonyme.
Ces parodies malveillantes sont dangeureuses, car les tweets circulent de manière autonome (nul besoin d’aller sur le compte du propriétaire), et qu’une lecture rapide et passive du contenu (associé à son avatar) influence le récepteur. Ce dernier ne voit pas nécessairement la différence de pseudonyme et la confusion s’opère. Le récepteur peut être surpris du changement radical des propos de la personne qu’elle pensait légitime de suivre, ou  peut être amené à analyser la situation du point de vue opposé à ses positions initiales et ainsi douter de  la pertinence de ses positions. Puisque Ryan Knight lui semble être revenu sur ses positions, peut-être devrait-il en faire de même ?
La compréhension de cette dimension parodique « par l’audience ciblée » n’est absolument pas certaine, et ne peut être vérifiée. D’autre part, l’utilisation de Twitter dans sa politique des termes « similaires » et « de manière ambiguë ou trompeuse », montre  un manque de précision qui permet justement de contourner cette règle, avec pour défense les possibilités d’interprétations.
Les dangers des réseaux sociaux naissent sans avoir été devinés par Twitter au préalable, ainsi les contours de sa politique d’utilisation ne sont pas assez clairs pour pouvoir les prévenir au mieux. En revanche, les comptes parodiques malveillants passent entre les mailles du filet, grâce au flou juridique existant.
Alors, quelles limites entre la liberté d’expression et la légitimation des comptes parodiques ?

 

 
Si la liberté d’expression est défendue dans la politique de Twitter, elle s’effectue pour les utilisateurs au prix d’une lutte virtuelle qui sonne comme la loi du plus fort. Cela s’exprime par le degré d’efficacité dans la communication des idées, l’influence (les partages post-publication), la fréquence des publications et des interactions avec de potentiels « followers » et les followers que l’on parvient à acquérir dans un laps de temps court. Le contenu est disgracié au profit de la viralité et de la notoriété. Le processus devient plus fort que le contenu,  cela repose sur la logique même des réseaux sociaux.
L’utilisation du terme « conflit » montre que cela est partie constituante du réseau social, que ce soit de manière visible lors de débats, ou que ce soit de manière cachée à travers les comptes parodiques malveillants. Ces derniers peuvent paradoxalement pousser les militants à s’engager plus encore dans la communication de leurs idées, car ils se retrouvent dans une situation de double opposition. A la fois dans la défense de leurs idéaux dans une situation donnée, mais aussi dans la lutte contre les moyens d’usurpation légitimes de leur identité à travers la surveillance constante.  Ils encouragent aussi leurs « followers » à signaler les comptes usurpateurs malveillants : la suspension d’un compte est aussi un combat du nombre.
Ce problème est délicat, car l’interdiction de comptes parodiques mènerait à un contrôle constant de Twitter, et donc porterait atteinte à la liberté d’expression, dans un contexte où une large partie des comptes parodiques ne sont pas malveillants. Le signalement reste l’issue de secours, mais la rapidité de la diffusion des tweets, par rapport à la réaction bien plus lente des autorités questionne les nouveaux moyens de prévention, plus efficaces dans la lutte contre l’usurpation malveillante.
 
Romane Pinard
Twitter @RomanePnd
 
Sources :

La politique d’utilisation de Twitter : Comptes parodiques et Usurpation d’identité
Le Twitter de Ryan Knight et tweet publié le 20 octobre 2017
Le Twitter du compte parodique (depuis suspendu), tweet publié le 19 octobre 2017

Com & Société, Politique

Vkontakte vs. Facebook, les enjeux politiques des nouveaux médias

Dans notre monde ultra connecté, il est aujourd’hui difficile d’échapper aux réseaux sociaux. Ils sont présents partout dans le monde et ont une influence de plus en plus importante dans le champ médiatique et politique. Avec ses 1,7 milliards d’utilisateurs, le géant américain Facebook semble être un leader indétrônable. Pourtant, s’il est le numéro 1 mondial, il n’est pas pour autant premier dans tous les pays. En Chine, le leader n’est autre que Sina Weibo, avec ses 309 millions d’utilisateurs, et en Russie, Ukraine et Biélorussie, il s’agit de Vkontakte (littéralement « en contact »), qui en compte plus de 100 millions. Ainsi, la maîtrise de l’information est devenue, au XXIème siècle, un enjeu essentiel pour les plus grandes puissances de notre monde.
Une concurrence Est-Ouest jusque dans les réseaux sociaux

Profil Vkontakte du fondateur de ce réseau, Pavel Durov

Profil Facebook du fondateur de ce réseau, Mark Zuckerberg

Vkontakte et Facebook semblent incarner une rupture symbolique, un fossé communicationnel entre la jeunesse de l’Est et de l’Ouest. Nous pourrions presque voir dans la création de ce réseau, deux ans seulement après celle de son homologue américain en 2006, la volonté assumée de se démarquer culturellement, en créant son propre modèle dans un contexte d’essor des nouveaux médias. Cette volonté de concurrencer coûte que coûte son rival historique n’est pas franchement un phénomène nouveau pour la Russie, bien au contraire.
Pourtant, et c’est bien là que réside tout le paradoxe de cette démarche, des similitudes troublantes existent entre les deux concurrents. Premièrement, le concept, puisque les deux sites sont destinés à la rédaction de messages publics comme privés, au partage de photos ou de vidéos, à la création de pages publiques, de groupes ou encore événements. La ressemblance réside aussi dans les couleurs dominantes et même dans l’agencement des sites et applications qui sont quasiment identiques.
Au-delà de la volonté de concurrencer le modèle américain, la création d’un réseau social national permet d’instaurer une forme d’autarcie communicationnelle, limitant ainsi l’influence culturelle extérieure.
Les réseaux sociaux, vecteurs de contestations politiques

Manifestations de décembre 2011 en Russie

Sur la scène internationale, la Russie est connue pour sa mainmise gouvernementale sur les médias. Ce contrôle s’exerce par exemple sur la production — la majorité des imprimeries sont propriété de l’État — mais aussi à travers la nomination de proches du gouvernement à la tête des principaux organes médiatiques, comme D. Kisselev, nommé par V. Poutine à la tête de Rossia Segodnia en 2013, et surtout par une forme de pression constante sur les journalistes.
Cependant, Internet et les nouveaux médias restaient des espaces de relative liberté, dont le contrôle échappait au gouvernement qui sous estimait sans doute le rôle potentiel de ceux-ci, du moins jusqu’en décembre 2011. À la suite d’élections législatives, aux résultats jugés frauduleux, la population décide de se rassembler dans la rue pour manifester. Dès lors, les réseaux sociaux, et notamment Vkontakte, sont montrés du doigt et accusés d’alimenter un esprit contestataire envers le régime, puisqu’ils ont le pouvoir de fédérer les masses, de rassembler la foule derrière certaines idées, mais aussi d’importer des principes et idéaux venus d’Occident; ils constituent par conséquent une menace envers l’ordre politique établi.
Vkontakte : Un espace de liberté ou un domaine contrôlé ?

Pavel Durov, fondateur de Vkontakte

Suite à ces événements, le gouvernement russe décide de resserrer l’étau autour d’Internet et des réseaux tels que Vkontakte. Cela se caractérise par exemple par la rédaction d’une loi « contre la calomnie », visant à éviter la diffusion de messages allant à l’encontre de l’ordre établi, limitant ainsi la contestation politique. De même, en 2014, Pavel Durov, le fondateur du réseau social russe est évincé au profit d’Igor Setchine et Alicher Ousmanov, deux proches de Vladimir Poutine. Son éviction a lieu dans un contexte bien particulier, celui du bras de fer avec l’Union Européenne et les États-Unis sur l’Ukraine. Ainsi, sur fond de conflit géopolitique, c’est bien une bataille communicationnelle qui se déroule et dont la clé semble être la maîtrise de l’information.
Pourtant, un problème demeure encore à ce jour pour le régime russe : l’impossibilité de censurer les contenus sur Internet, et donc sur Vkontakte. En effet, une forme de censure sur les journalistes restait possible tant que celle-ci s’exerçait de façon indirecte et ce, sur un nombre limité de personnes, et qu’elle ne nuisait pas à l’image du pays. Le problème des réseaux sociaux réside justement dans le fait que chacun peut produire du contenu, politique ou autre. Censurer les contenus sur Vkontakte reviendrait finalement à censurer une grande partie de la population elle-même, chose tout à fait impensable dans un État dont toute la communication étrangère est basée sur la volonté de véhiculer l’image d’une « démocratie » forte.
Aussi, la Russie – au même titre que les États-Unis et la Chine – semble avoir parfaitement compris les enjeux culturels, mais aussi politiques et stratégiques que représente la maîtrise de l’information à l’ère du numérique.
Lucille Gaudel
LinkedIn
Sources :
Chupin Ivan, Des médias aux ordres de Poutine ?, Savoir Agir, 2014, consulté le 27/12/2016 https://www.savoir-agir.org/IMG/pdf/SA28-ChupinIvan.pdf
Hénin Nicolas, La France Russe : Enquêtes sur les réseaux de Poutine, Fayard, 2016, 221370113X
Laroque Clémence, « Facebook, Vkontakte : quels dangers pour le gouvernement russe ? », Le Courrier de Russie , 20/01/2012, consulté le 26/12/2016 , http://www.lecourrierderussie.com/societe/gens/2012/01/vkontakte-facebook-dangersgouvernement
Lefilliâtre Jérôme, « Comment Poutine a mis la main sur Vkontakte, le Facebook russe », Challenges, Le 22/04/2014, consulté le 26/12/2016, http://www.challenges.fr/monde/ comment-poutine-a-mis-la-main-sur-vkontakte-le-facebook-russe_158593
« En Russie, Poutine accentue son contrôle sur les médias », Le Monde, 09/12/2013, consulté le 28/12/2016, http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/09/vladimir-poutineaccentue-son-controle-sur-les-medias-russes_3528033_3214.html
« Les médias russes entre contrôle interne et propagande externe », 20 Minutes, 2/11/2014, consulté le 28/12/2016
Crédits photos :
– Profil Facebook de Mark Zuckerberg
– Profil Vkontakte de Pavel Durov
– Profil Instagram de Pavel Durov
– Reuters Pictures, Denis Sinyakov