Société

La motion de censure : un duel institutionnel

 
« Délibérer est le fait de plusieurs. Agir est le fait d’un seul. » écrit le Général de Gaulle dans ses Mémoires de Guerre. En déposant une motion de censure à l’Assemblée Nationale le 15 Mars dernier, JF Copé, Président de l’UMP, ne contredit pas l’ancien chef de l’État, le seul dont le gouvernement avait dû démissionner après une motion de censure votée contre lui en 1962. A l’époque, une majorité de députés s’opposaient au référendum pour valider l’élection du président de la République au suffrage universel direct.
Cette initiative, parfaitement symbolique, permet à Jean-François Copé d’affirmer son autorité à la tête d’une opposition dont la cohésion et la force ne sont pas encore tout à fait évidentes. Mercredi dernier, le Président de l’UMP s’est exprimé dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, s’offrant ainsi une tribune pour sa « reconquête » tout à la fois personnelle et électorale. Bien entendu, la motion a été rejetée, seuls 228 députés ayant voté pour (tous de la droite, de l’extrême droite et du centre), alors que la majorité requise était de 287 voix. Aussi, il semble évident de traduire cette critique du gouvernement officialisée au moyen de cette motion de censure comme la volonté de l’opposition de mettre en scène une parole subversive contre l’exécutif, soutenue par une rhétorique apocalyptique. En témoignent les termes employés par JF Copé lors de son discours lorsqu’il évoque la situation actuelle de la France : « la défaite de notre pays », « message d’alerte », « spectacle insupportable », « sentiment de gravité », « déclin économique et social de la France ». Il n’avait pas été plus nuancé lors de son intervention télévisée au JT de TF1 le dimanche 17 mars pour évoquer la motion de censure, dénonçant un « gouvernement aux abois », responsable de « la ruine du pays ». Il propose d’ailleurs de résoudre cette catastrophe politique et économique par un « big-bang économique », pour rester dans la métaphore apocalyptique.
Une motion de censure, sous la Ve République, c’est un peu comme un drame au théâtre : les rôles et les péripéties sont déterminés, la fin de l’histoire est connue de tous. Cette mise en scène de l’action de l’opposition, plus symbolique que réelle, invoquant une dramaturgie héroïque, est un message de communication politique plus qu’un geste patriotique. Et cela, même si M. Copé en appelle au devoir de désapprobation civique et morale pour dénoncer le gouvernement, en souhaitant « faire de ce débat un moment démocratique, un moment de vérité, l’une de ces circonstances rares ou il est donné à l’exécutif si puissant dans nos institutions à nos jours d’écouter l’opposition ». La gauche détient en effet la majorité à l’Assemblée Nationale, et jamais les Verts ni les partis de gauche auraient accepté de former une coalition avec la droite pour déroger le gouvernement actuel. Une seule issue était donc possible : celle d’une parole politique suspendue et sans effet, suite à un affrontement entre Copé et Ayrault. La majorité a donné raison au gouvernement, même si celui-ci avait été fragilisé la veille par la démission de Jérôme Cahuzac.
Mais ce drame classique se transforme au fil des ans en boulevard redondant : la motion de censure, tente-cinq fois déposée sous la Ve République, devient une tradition politique dont la légitimité s’effrite à mesure qu’elle perd le sens de sa finalité réelle : la dissolution du gouvernement. Or, en cas de présidentialisme absolu, c’est-à-dire en cas de concordance des majorités présidentielle et législatives, cette menace ne peut être que symbolique et se réduit à un coup de communication incroyable pour l’opposition (au même titre que les amendements qu’elle dépose). Impossible de blâmer cet opportunisme politique : il est la conséquence de nos institutions et des rapports de force politiques qui s’en dégagent. Les retombées médiatiques de cette motion de censure ne sont pas négligeables pour l’UMP : interview du Président de l’UMP au JT de Claire Chazal et à la matinale de France Inter avec Patrick Cohen, une retransmission intégrale du débat parlementaire sur LCI, des articles quotidiens dans la presse écrite depuis le 15 mars. D’autant que cette motion de censure arrive au moment de la défaite de la candidate PS aux élections législatives partielles et d’un mini remaniement ministériel improvisé.
 
Une dyarchie grammaticale et politique
Cette motion de censure a également été l’occasion de rappeler la confusion qui règne autour de l’exercice du pouvoir de l’exécutif, confusion parfaitement retranscrite dans le langage politique et médiatique. En effet, on a pu remarquer la critique très virulente de JF Copé contre François Hollande, le Président de la République, lors du JT de TF1 : « François Hollande a pris deux décisions qui sont à mes yeux irresponsables et que je veux dénoncer à l’AN. » Or, la motion de censure concerne l’action du gouvernement et pas celle du Président, comme le précise l’article 49 de la Constitution  : « L’assemblée nationale met en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d’une motion de censure. » Ainsi, c’est le premier ministre, chef de la majorité parlementaire, qui est venu défendre l’action et la politique de son gouvernement. « Je sais où je vais, je sais comment y parvenir, et je sais ce que doit être la France à la fin de ce quinquennat, et c’est à cela que depuis le premier jour je me suis attaqué » a affirmé fermement Jean Marc Ayrault mercredi dans l’hémicycle, avec une détermination qui a été le seul coup de théâtre de ce rituel politique. Ayrault a défendu avec éloquence son gouvernement dans un discours dominé par le « je » qui remplaçait le « nous » (nécessaire dans son rôle de chef de file de la majorité parlementaire). Les références au Président de la République se sont raréfiées. M. Ayrault semble enfin assumer sa fonction ainsi que ses choix politiques. Et pourtant, le premier ministre s’est fait indirectement l’avocat du Chef de l’Etat mercredi, en n’ayant pas d’autre possibilité que de défendre la politique et les actions de François Hollande dans cette plaidoirie vigoureuse, sous couvert de l’emploi du « je » plutôt que du « il ». Cette motion de censure aura au moins eu le mérite d’interroger la responsabilité de la politique de la nation. « Le président fixe le cap, le Premier Ministre dirige le gouvernement », avait révélé Ayrault sur le JT de David Pujadas en mai dernier.
Au travers d’une confusion grammaticale non-intentionnelle, la motion de censure aura révélé la confusion institutionnelle de l’exercice d’un pouvoir exécutif bicéphale.
 
Margaux Le Joubioux
Sources :
LCI replay : le débat parlementaire du Mercredi 22 mars
« Ayrault s’efforce de reprendre sa majorité en main » Le Monde
« Copé mise sur sa motion de censure pour relancer l’UMP » Les Echos
« À l’UMP, la motion de censure « ne fait pas l’unanimité » » Le Figaro
« Motion de censure : l’opposition quasi-unie face à Ayrault » Le Jdd

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Invités

Les Umpardonnables

 
Désunion. Immobilisme. Guerre des chefs pour le pouvoir.
Voilà l’exact contraire d’une union pour un mouvement populaire. Et pourtant c’est bien l’image que véhiculent les prétendants à la présidence de l’UMP depuis maintenant plus d’une semaine et demie.
Une semaine et demie où la communication a montré plus que jamais son importance vitale, puisqu’au fond, c’est un enchaînement de faux pas, d’actions, et de déclarations hasardeuses qui met en péril l’avenir politique de Jean-François Copé, François Fillon, et de leur parti. Comment l’image d’un parti qui a gouverné la France durant les dix dernières années a-t-elle plus voler en éclats en quelques jours à peine ? Et surtout quels enseignements en tirer ?
La crise était prévisible : du fait des tensions internes travaillant l’UMP depuis des mois et aiguisées par les défaites cumulées des présidentielles et des législatives, du fait de la guerre d’influence qui avait déjà lieu entre Messieurs Copé et Fillon par le biais des motions, du fait enfin de l’ombre de Nicolas Sarkozy qui plane toujours au-dessus du parti.
Du reste, face aux multiples sondages réalisés auprès de sympathisants UMP donnant à penser une large victoire de François Fillon (prenons en exemple le sondage BVA publié le 16 novembre, annonçant que  67% des sympathisants UMP préféraient Fillon à Copé pour diriger l’UMP), les fins observateurs n’étaient pas dupes : tout simplement parce que les sympathisants ne sont pas les militants.
Les scores s’annonçant serrés, des deux côtés, on jouait la carte de la confiance : l’un pouvant s’appuyer sur de « bons » sondages, et l’autre sur la force de frappe de ses militants et ses réseaux d’influence. Aussi la soirée électorale du 18 novembre commençait bien : on avait tous en mémoire des scrutins indécis, comme l’élection présidentielle américaine de 2000, ou plus récemment le congrès de Reims du PS en 2008. Quand tout à coup, peu avant minuit Jean-François Copé prend la parole : « Les militants et militantes de l’UMP viennent aujourd’hui de m’apporter la majorité de leurs suffrages, et ainsi de m’élire président de l’UMP ». Alors, c’est l’engrenage : quelques minutes plus tard François Fillon prend la parole et revendique à son tour la victoire !  S’en suit un jeu où par seconds couteaux (on parle en communication de crise de « fusibles ») interposés le but consiste à renvoyer la balle dans le camp de l’autre à coup d’accusation de fraudes par ci, de magouille par là. Tout ceci pour apprendre que la Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales (COCOE) aurait oublié de prendre en compte les voix de l’Outre-Mer… La Twittosphère et les internautes se déchaînent, faisant de l’UMP la tête d’orage de tous les nuages de tags.
Superbe exercice de démocratie dans un contexte où le désaveu des Français pour le système politique atteint déjà un seuil alarmant : 60% disent que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout ; 52% ne font confiance ni à la droite ni à la gauche pour gouverner le pays (CEVIPOF–Baromètre confiance en politique – Octobre2011).
La violence de ce combat de personnes – qui a, vous le noterez, annihilé tout semblant de débat d’idée – aura au moins eu le mérite de mettre à nu François Fillon et Jean-François Copé : on a rarement l’occasion de voir les responsables politiques poussés à ce point au bout d’eux-mêmes, de leurs doutes, de leurs ambitions.
Mais qu’avons-nous découverts au bout du compte ? Des « présidentiables » prêts à tout sacrifier, y compris la démocratie, pour conquérir un pouvoir en lambeaux.
La proposition d’un référendum pour savoir s’il faut revoter, un « vote sur le vote » ironise Libé le 28 novembre, ne peut même plus donner l’illusion des bonnes intentions. Le mal est fait. Les cotes d’avenir de Fillon et Copé sont en chute libre (au 28 novembre, ils perdent six points chacun par rapport au mois dernier), et certains responsables de l’UMP commencent à lorgner du côté de l’UDI…
Un accord en amont pour une communication unie, transparente, et surtout prudente était pourtant possible.  Il aurait permis à l’UMP de donner une remarquable image d’unité, d’assurer sa survie, de garantir à son président la légitimité nécessaire, et de se prémunir contre le risque d’une élection façon « congrès de Reims ».
Au lieu de ça, nous avons vu les leaders de l’opposition devenir les meilleurs alliés du gouvernement.
 
Grégoire Noetinger