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Desigual, original vous dites ?

 

En matière de publicité, le sous-entendu est roi. C’est ce que nous prouve la dernière campagne publicitaire Desigual, qui met en scène, dans de courts spots télévisuels, quatre femmes dans leur routine matinale. Censuré par l’ARPP pour son contenu jugé « inapproprié », la version diffusée sur M6 et TF1 se passe de scènes trop explicites, la vue d’un sein, et floute celle d’un sextoy. Décision marginale dans le paysage télévisuel européen qui ne voit rien à redire dans le comportement des représentantes de la marque (Espagne, Allemagne, Italie diffusent le spot dans son intégralité). Le hashtag de la campagne, #faislelematin, lui non plus ne cache pas sa connotation sexuelle. A vrai dire, il ne comporte pas réellement d’autre sens que celui-ci.

Qui est Desigual ? Adepte du street-marketing, la marque est connue en Espagne, et depuis peu en France, pour son goût du buzz. Sa communication se veut profitable et à bas prix, ainsi son ancien PDG, Manel Adell, se targue de n’allouer que 4% de son budget global à la publicité, un record pour une marque qui explose depuis quelques années. Son succès peut en partie s’expliquer par une identité forte : la marque se veut légère, originale et affirmée, selon le principe du « simplifying luxury » (ressemblance avec des grands créateurs).
Un discours parfait pour incarner cette femme moderne ; un savant mélange d’héroïne de sitcom et de bienséance consumériste qui envahit les écrans. La précédente campagne, #jaiunplan, nous faisait déjà partager l’intimité de trois femmes, une homosexuelle prête à se déclarer, une working girl qui veut séduire son boss et une autre qui lâche tout pour partir « vivre en liberté comme les sauvages » en Thaïlande. Le message est clair, la femme Desigual est libérée, indépendante et prête à tout.
Pour #faislelematin, le message reste le même, mais sans le texte. Pas de narration, mais toujours cette même femme, calibrée. Elle est jeune, mince, blanche et hétérosexuelle. La condition de modernité de cette image passe alors exclusivement par une sexualisation poussive, symbole d’une indépendance à la frontière de la pudeur. La vida es chula (« la vie est chouette »), c’est avant tout un « je fais ce que je veux ». Car la femme Desigual n’a pas de contraintes, elle envoie tout en l’air, les tabous comme les billets de banque. Le message d’origine est positif, mais son traitement laisse sceptique. Après tout, la femme Desigual existe-t-elle ? Probablement pas, d’autant que la communication tente de recentrer la marque sur son cœur de cible, les 25-35ans, tout en constatant que les ventes concernent plus largement les 15-55ans.
#faislelematin provoque une douce polémique sur ce qu’il convient de montrer au grand public, mais aussi finalement sur l’image de la femme qui est véhiculée dans ce spot.
Est-il possible de construire une représentation moderne de la femme qui n’en appelle pas au sexe et à l’affirmation autocentrée ? Plus seulement mère ou épouse, la femme de publicité devient alors un corps libéré et hyper-sexualisé, au nom de l’indépendance et de l’affirmation de soi. En cela, la campagne « desigual » n’a malheureusement rien de « différent ».
 
Clémentine Malgras
Le site de la marque :
Un article décodage : http://www.womenology.fr/fr/reflexions/desigual-la-feminite-exuberante/
Une interview du PDG (en anglais) : http://www.fashionfromspain.com/icex/cda/controller/pageGen/0,3346,1549487_5857812_5857549_443078_1,00.html