Culture

Le buzz aveugle, c’est risqué. La preuve.

 
Le titre vous aura probablement aiguillés. Le sujet du jour est l’honnie vidéo virale « Ça sent le sapin », mise en ligne par Cuisinella le mercredi 12 Décembre.
Qu’y voyait-on ? Une fausse caméra cachée (enfin, si l’on ne se fie pas au message d’ouverture) dépeignant d’innocents quidams frappés sans crier gare par un sniper, en pleine rue. Les balles du tireur n’étaient que des paint balls, mais alors que les victimes criaient leurs grands dieux qu’elles n’étaient pas blessées, une équipe urgentiste venait les enlever. Quelques plans – et une séance d’électrochocs bien sentie – plus tard, elles étaient jetées dans un cercueil, livrées à une panique mollement jouée avant de bondir de leur prison soudainement déverrouillée. Tout ça pour se retrouver face à un poster clamant « N’attendez pas pour en profiter », les « piégeurs » surgissant pour applaudir une victime finalement assez amusée par la situation. Vous je ne sais pas, mais personnellement je n’aurais pas exactement souri.

Tout cela visait évidemment à générer un buzz instantané, et buzz il y eut. L’ennui fut qu’en quelques heures, Twitter se mit à bruisser de condamnations abondantes et variées. Les consommateurs potentiels dénonçaient l’aspect sordide du clip tandis que les professionnels sautaient sur l’occasion pour expliquer à quel point leur propre approche aurait été meilleure. Un fail de l’ordre du cas d’école, en somme, que l’on a immédiatement comparé à l’homme nu de La Redoute déjà mis à l’honneur sur FastNCurious.
L’opération était donc tout à fait désastreuse. Mais rien n’empêchait d’élaborer une communication de crise. Rien, sauf peut-être l’inexistence de Cuisinella sur les réseaux sociaux. La marque a opté pour la solution la plus radicale, et a tout bonnement rendu sa vidéo privée, sans grand effet comme en atteste le lien ci-dessus. Cette reculade vite ridiculisée était accompagnée d’un mea culpa guilleret dont le smiley final devait ajouter au tollé général. Reconnaissons cependant une certaine bravoure à la marque, qui a pris le risque le 20 Décembre d’être de nouveau mise en scène dans une vidéo. Il s’agissait cette fois-ci d’une interview d’Anne Leitzgen, PDG de la marque, par le blogueur Cédric Deniaud. La présidente y justifiait la mise en ligne de « Ça sent le sapin » sans beaucoup changer la ligne de défense déjà établie. Mais elle se démarquait en osant revenir sur un bad buzz qui était pourtant presque retombé, et en assurant que  la communication de Cuisinella n’en serait pas plus timorée en 2013.
Mais quelle fut la véritable erreur de Cuisinella et de son agence, Change ? Comme le communiqué le souligne, les publicités de la marque (presque uniquement télévisuelles jusqu’ici) avaient toujours affiché un goût certain pour le décalage. Lequel était parfois douteux, ici en ce qui concerne l’image de la Femme. Le plan global était également mûrement réfléchi : au clip coupable, inspiré selon Change par l’imaginaire des digital natives (entendons un mix de Call Of Duty, Dexter et The Walking Dead) devaient succéder deux autres, respectivement inspirés du SAV d’Omar et Fred et de Bref, avec le fameux « N’attendez pas pour en profiter » comme fil conducteur.
La marque comptait donc faire une entrée fracassante dans la communication digitale, touchant au gros des centres d’intérêts des internautes français et installant au passage un slogan qui aurait peut-être pu servir de base déclinable à l’avenir. La première faille dans cette logique était évidemment le risque pris. Il s’agissait ici de buzzer pour buzzer, sans disposer, comme nous l’avons vu, d’une présence virtuelle suffisante pour amortir l’impact d’un échec. En outre, aussi provocantes soient-elles, les publicités habituelles de Cuisinella montrent toujours… une cuisine, et se raccrochent à tout le moins à la thématique du couple pour évoquer la vie de famille. L’évidence dicte que toute marque communique en premier lieu sur des valeurs connues et familières. La tentation de les abandonner à l’occasion de ce saut numérique est compréhensible, puisque les cibles étaient ici les fameux digital natives. Et en particulier les vingt-trente ans, logiquement peu sensibles au thème de la famille. Mais voilà, le reste de la population dispose également d’une connexion Internet.
Second pied-bot : la perception des digital natives eux-mêmes. Certes, la violence et les scènes de pure terreur sont monnaie courante dans la majorité des fictions que nous consommons quotidiennement. Mais elles ne sont que cela. Des fictions. Les publics de Cuisinella ont précisément rugi parce que la « réalité » du clip annihilait le recul moral que chacun concède en regardant un film ou une série. La soudaineté de la scène a causé l’effet de surprise voulu, mais son contenu a donné la nausée.
Et de manière plus pragmatique, ces mêmes publics se sont certainement un peu sentis pris pour des cons. La caméra cachée est une recette efficace, mais elle a comme impératif de mettre immédiatement le spectateur dans la confidence. Or Cuisinella a menti sur la réalité du piège lui-même, trahi par un jeu d’acteur trop peu poussé – peut-être intentionnellement, justement pour ne pas aller trop loin dans le choquant.
A titre d’exemple, rappelons le « Push to add drama » de la TNT Belge, qui avait exploité presque exactement les mêmes voies en évitant chacun des écueils vus ici. Peut-être que tout cela manquait simplement de motardes en bikini.
 
Léo Fauvel
Sources :
Huffington Post
Le Plus – Le Nouvel Observateur, ici et là
BugsBuzz
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