Culture alternative, indé, expérimentale, élitiste dirait-on même, rebelle parfois… Ce qu’on a pu un jour désigner comme « underground » concentre une multiplicité de mouvements à contre-courant de la tendance culturelle et sociale principale ou traditionnelle. Ceux-ci se présentent ainsi eux-mêmes comme des déviants qui construisent leur propre identité culturelle en marge de la culture dite « mainstream », qui, elle, est associée aux médias de masse, diffusant des normes au plus grand nombre.
Parmi les mouvements underground les plus connus, on peut citer le punk, le mod, le gothique, le skinhead ou encore le techno, apparus successivement à partir des années 1950.
Si ces subcultures se sont toujours données des codes visuels bien particuliers afin de se distinguer de la « masse » (modifications corporelles, bijoux…), il n’est pas certain que ceux-ci soit encore perçus comme tels aujourd’hui.
Force est de constater que bon nombre de ces codes ont été repris et détournés au détriment de leur élitisme initial, pour se faire une place au sein de la culture « mainstream ». Observez donc votre entourage ou tout simplement les inconnus croisés dans la rue : combien de personnes tatouées, piercées, portant des vêtements déchirés ?
Si cette démocratisation d’éléments issus de mouvements indépendants est le résultat de plusieurs années de fermentation, il ne serait pas exagéré d’affirmer que l’on touche à son apogée et paradoxalement, à la banalisation de ce qui se voulait autrefois être rebelle.
En 2010, monsieur Lagerfeld introduit, dans son défilé pour la collection prêt-à-porter printemps/été de la prestigieuse maison Chanel, d’étranges bijoux qui se révèlent en réalité être des décalcomanies trompe-l’œil. Ce qu’il faut retenir de ce coup de maître, c’est la déviation d’un usage qui paraissait soit puéril (on se souvient des tatouages Malabar) soit non conforme, l’introduisant ainsi dans le monde du prêt-à-porter de luxe, géniteur des tendances qui vont se propager ensuite dans l’ensemble de la société.
Pour le printemps 2012, défilé haute couture cette fois, Riccardo Tisci fait porter des piercings nasaux d’une taille démesurée à ses mannequins pour la maison Givenchy. La machine est définitivement en route.
Les maisons de création ne sont sans doute qu’un des multiples agents influençant cette démocratisation de l’underground au sein d’une population massive. La normalisation des piercings et tatouages est presque aboutie aujourd’hui et ainsi l’argument du « Je ne trouverai jamais de travail » perd de son importance dans la mesure où le tatouage lui-même a gagné de plus en plus d’adeptes. L’image du salon de tatouage s’est, quant à elle, bien modifiée : à l’encontre du shop sombre et douteux de Bastille ou Châtelet se développent des lieux qui tiennent davantage du salon de beauté voire du cabinet de chirurgie esthétique et s’adressent à ce titre surtout à la population féminine (on peut citer Marty Tatoo, dans le 10ème arrondissement, plébiscité par des journaux tels que L’Express ou Elle).
Outre la mode, les événements culturels sont de très influents tremplins de tendances et se valorisent d’ouvrir à un public souvent peu initié les portes d’une subculture généralement vue à travers des clichés.
On peut ainsi citer l’exposition « Punk : Chaos to Couture » du Metropolitan Museum au printemps dernier ou encore « Europunk », actuellement à la Cité de la Musique. On ne peut s’empêcher de relever une certaine ironie à voir le punk, mouvement si contestataire et enragé, enfermé dans des cadres et vitrines de musée. Surtout lorsqu’on sait que des t-shirts déchirés ou cloutés, siglés Dolce & Gabbana, Rodarte ou encore Moschino, étaient vendus entre $150 et $750 à la boutique souvenirs du Met…
Cette exposition n’a, par ailleurs, sans doute pas été innocente au processus créatif du nouveau directeur artistique de la maison Saint Laurent Paris, Hedi Slimane, qui, pour sa collection automne/hiver 2013-2014, a concocté une silhouette que les journalistes mode se sont empressés de qualifier de « punk » ou encore de « grunge ». Non seulement l’analogie entre ces deux subcultures peut paraître incongrue dans une certaine mesure, mais on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’en dirait Sid Vicious ou Kurt Cobain, pour ne citer qu’eux…
Que tirer de cette vague de pseudo-rébellion sur les pratiques vestimentaires et de manière générale sur l’esthétisme des silhouettes de cette fin 2013 ? Rangers cloutées, crête colorée, bas résilles et chemise à carreaux, le dit « grunge/punk » actuel semble dénuer de symbolisme ces visuels autrefois porteurs d’une odeur de soufre, au mieux pour les banaliser, au pire pour les offrir en pâté aux reproductions et réinterprétations diverses des chaînes vestimentaires, le géant Zara en tête. Forte des phénomènes de mode et de leur diffusion médiatique, la culture de masse aurait-elle tué la culture underground ?
Charlene Vinh
Crédits photos :
Vogue Paris octobre 2010
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