Culture

Lolita et la culture du voyeurisme

En 1955, Vladimir Nabokov trouve enfin une maison d’édition qui veuille bien prendre en charge la publication de son roman Lolita après le refus de 6 éditeurs américains qui craignent des poursuites judiciaires et morales. Censuré en France jusqu’en 1958, Nabokov sait qu’il tient entre ses mains une bombe, tant son récit est sulfureux et choquant. Écrit à la première personne du singulier, l’ouvrage se construit comme la confession de Humbert Humbert, pédophile de 37 ans qui nourrit une relation incestueuse avec sa belle-fille de 12 ans, Lolita. A la levée de la censure, le roman de Nabokov s’exporte dans le monde entier : 180 j​ours en tête des ventes aux Etats-Unis avec 100 000 exemplaires vendus en trois semaines, Lolita s’est aujourd’hui écoulé à 15 millions d’exemplaires à travers le monde et figure dans la majorité des classements des meilleurs romans du XXe siècle. Acclamée pour son style littéraire, l’œuvre continue néanmoins de susciter d’importants débats moraux et philosophiques. Car la figure de Lolita a dépassé les cadres de la littérature pour devenir une icône sexualisée, souvent déconnectée de son statut de victime dans le récit de Nabokov. Cette réduction en objet de désir reflète une tendance culturelle plus large ou les questions d’abus et de consentement sont occultées au profit d’une fascination pour le scandale et l’interdit qui passe notamment par une sexualisation des jeunes femmes dans les médias. Le mythe de Lolita devient ainsi celui d’une tentatrice, transformant une histoirie d’abus sexuel en une fable ambiguë, voire glamour, qui nourrit la fascination voyeuriste du public.  Lolita, le regard voyeur du spectateur à l’épreuve.  Le voyeurisme est un élément central du roman de Vladimir Nabokov et l’histoire tout comme le processus de lecture en permettent l’exploration inconfortable. Par voyeurisme, on entend caractériser la personne qui tire un plaisir et une excitation sexuelle de la vue de la nudité et des rapports sexuels d’autrui. Ainsi, Humbert Humbert est le portrait type du voyeur. Au détour d’un parc, “assis sur un banc dur”, il observe des “nymphettes folâtrer en liberté”. Ces moments de solitude sont l’occasion de rêveries extatiques comme lorsqu’il observe cette “petite beauté antique parfaite vêtue d’une robe en tartan” qui devient le moteur imaginaire de son excitation : elle “posa avec fracas sur le banc à côté de moi son pied lourdement armé pour aussitôt plonger en moi ses minces bras nus et resserrer la courroie de son patin à roulettes, et je fondis sous le soleil, avec mon seul livre pour feuille de vigne, tandis que ses bouclettes châtain retombaient partout sur son genou écorché, et l’ombre des feuilles que je partageais palpitait et se dissolvait sur son membre radieux tout près de ma joue caméléonique”. Rappelons qu’il s’agit d’une enfant. Comme Lolita, elle est moins perçue aux yeux du narrateur comme une personne à part entière que comme un simple objet de désir, un agencement de traits physiques. Ce regard déshumanisant illustre la dynamique de pouvoir et d’exploitation inhérente au voyeurisme : il n’existe pas de consentement et Humbert Humbert reconnaît lui-même “une multitude de ces menues idylles à sens unique”.  Plus tard, il émigre aux Etats-unis où il rencontre Charlotte Haze, mère de Dolorès, sa fille de 12 ans surnommée Lolita. Pour se rapprocher de celle qu’il désire plus que tout, il se marie avec Charlotte avant de la voir mourir, devenant le beau-père de sa bien-aimée, Lolita. Son regard précédemment voyeur devient alors le moteur d’une domination physique sur la jeune fille de 12 ans. Nabokov écrit : “Elle resta blottie contre moi, à regarder la télévision, tandis que je me rongeais les sangs pour savoir comment et quand je pourrais l’avoir”. À une autre moment, il relate : “Il m’a fallu des heures pour la calmer, pour lui expliquer que ce que les adultes faisaient n’avaient rien de mal, en soi, si personne ne l’apprenait.” avant d’écrire “Ce n’était pas de l’amour, comme elle me l’a dit bien plus tard. Elle pleurait parfois la nuit, et j’étais son bourreau”. Mais si Humbert Humbert à travers ses propres aveux reconnaît son rôle de voyeur puis d’agresseur, la brutalité de ses actes est souvent masquée par une prose complexe souvent qualifiée de poétique et qui fait du lecteur un voyeur à part entière.  Ainsi, le récit à la première personne place le lecteur dans une position embarrassante et inconfortable qui se retrouve malgré lui plongé dans l’esprit du narrateur. En nous faisant lire ses pensées, il nous rend dans une certaine mesure complices de ses atrocités. La lecture du roman devient une expérience intrinsèquement transgressive car le récit brise tous les carcans et les tabous sociaux et moraux. La prose poétique caractérisée par la multiplication des images et métaphores contraste avec la noirceur des actes décrits qui ne sont jamais clairement formulés. Nabokov force par cette manière le lecteur à ressentir un mélange d’attirance et de répulsion rendant la lecture inconfortable mais profondément introspective. Ainsi, Lolita nous invite à réfléchir sur la manière dont nous consommons des récits de transgression et sur notre propre rôle dans la perpétuation de certaines formes de voyeurisme. Nabokov nous pousse dans nos retranchements, nous force à examiner nos instincts et nos propres biais en tant que lecteurs. Le voyeurisme littéraire que le roman nous impose n’est pas une fin en soi mais un outil critique pour interroger la manière dont nous regardons le monde et les autres.  “Lolita, méprise sur un fantasme” On emprunte ici le titre à un excellent documentaire éponyme réalisé par Olivia Mokiejewski et diffusé sur Arte en 2021. Il y est question de la genèse du chef-d’œuvre de Nabokov et de sa lecture actuelle. Car la trajectoire de Lolita depuis sa parution est déconcertante : orpheline de 12 ans violée par son beau-père et fantasme pédophile de ce dernier, Dolores Haze est devenue une icône pop mondiale, perçue comme le fruit défendue qui ne demanderait qu’à être croqué. Pour preuve, l’expression ‘’être une Lolita’’ renvoie davantage à une jeune fille aguicheuse qu’au statut de victime. Cette transformation en dit long sur le caractère voyeur de nos sociétés contemporaines qui tendent à hypersexualiser la jeune fille légitimant ainsi la pédophilie et l’inceste dans ce qui est parfois considéré comme la plus belle histoire d’amour du XXè siècle.  Difficile en effet de rapprocher la Lolita de Stanley Kubrick de celle de Vladimir Nabokov. Avec le film, en salle dès 1962, l’histoire est grandement épurée : les problématiques de pédophilie sont très largement édulcorées, la relation entre Dolores et Humbert devient plus ambivalente et la nymphette de Nabokov devient même provocante et complice. Les affiches de promotion qui accompagnent le film participent de ce contresens (Figure 1) : on y voit Lolita, une sucette à la bouche en train de nous regarder derrière ses lunettes de soleil en forme de cœur. Ce traitement visuel participe de la transformation d’une histoire d’abus sexuel en fable ambigue, voire glamour. Rappelons tout de même que Lolita a 12 ans quand elle est violée par son beau-père. Cette hypersexualisation, outre ce qu’elle a de profondément choquant, reflète un voyeurisme collectif totalement décomplexé qui se traduit notamment par la consommation et la sexualisation de jeunes femmes dans les médias au cœur de récits intimes et transgressifs. Le film de Kubrick cimente l’image de Lolita dans la culture populaire et en fait une ‘’tentatrice’’ plus qu’une victime comme le rappelle Nabokov lui-même en 1975 : “Lolita n’est pas une jeune fille perverse” avant d’ajouter “c’est une enfant que l’on débauche et dont les sens ne s’éveillent jamais sous les caresses de l’immonde monsieur Humbert”.        Figure 1 : Affiche du film Lolita de Stanley Kubrick. Il faut dire que dès la publication de son roman, le récit de Humbert Humbert est malmené et transformé, dans les représentations tout au moins. Ne trouvant aucune maison d’édition qui daigne publier son roman, Vladimir Nabokov s’en remet à Olympia Press, spécialisé dans l’édition d’œuvres sulfureuses, ce qu’ignore alors l’auteur. Au milieu des livres ‘’qui ne se lisent qu’à une main’’, Lolita passe alors pour un roman pornographique. Encore aujourd’hui, les éditions les plus récentes prêtent à confusion : la jeune femme représentée sur le couverture du roman aux éditions Folio se rapproche davantage de la Lolita de Kubrick que de celle de Nabokov. Mais le film du réalisateur américain n’est pas à mettre à la poubelle et les choix de Kubrick accentuent le rôle du voyeurisme en tant que thème central : le spectateur est placé dans une position inconfortable, observant une relation inappropriée sans que les abus soient ici clairement dénoncés. La caméra devient par moment le prolongement du regard de Humbert Humbert, impliquant directement le spectateur qui participe de la transformation de gestes innocents de Lolita (mangeant une sucette ou jouant au tennis) en objet de désir. En ce sens, le film renforce l’ambiguïté morale de l’œuvre et rend le spectateur encore plus complice que le lecteur. Le regard d’Humbert, celui de la caméra et du public se croisent, transformant Lolita en une réflexion sur la puissance destructrice du voyeurisme, à la fois individuel et collectif.  De sa publication à son adaptation cinématographique jusqu’à ses éditions littéraires les plus contemporaines, Lolita a ainsi profondément bouleversé notre manière de voir et de lire des récits transgressifs. Devenue une icône pop et glamour très largement sexualisée, la trajectoire du récit de Nabokov est le symbole d’un voyeurisme collectif et individuel mais aussi un outil de réflexion pour comprendre les mécanismes de consommation et de valorisation de l’intimité. Miroir tendu à notre société, Lolita révèle notre complicité dans la consommation d’intimités volées. L’œuvre et ses adaptations confrontent le lecteur et le spectateur à ses propres désirs, tout en dénonçant les conséquences destructrices de ce regard. Dans un monde saturé d’histoires et d’images personnelles, Lolita est une mise en garde contre la banalisation du voyeurisme et la réification des individus. Enfin, à ceux qui militent pour sa suppression ou sa censure, Vanessa Springora rappelle : “Il ne s’agit pas d’un récit autobiographique, il n’y a aucune apologie de la pédophilie, je ne vois aucune raison de ne pas le publier. Passer à côté d’un chef-d’œuvre littéraire de cette nature, ce serait une folie.” Pour aller plus loin et poursuivre une réflexion qu’on sait incomplète, on conseille la lecture hautement pertinente, intéressante et grandement enrichissante de l’œuvre de Nabokov, Lolita. On conseille également l’excellent documentaire mentionné ci-dessus de la journaliste Olivia Mokiejewski disponible dans plusieurs bibliothèques. La lecture du récit de Nabokov par Stanley Kubrick peut aussi faciliter la mise à jour des mécanismes élucidés dans cet article. Enfin, pour étoffer et étayer notre réflexion, on conseille ces articles plus ou moins exhaustifs et qui ont servi à la fabrication de cette rétrospective : “Lolita, méprise sur un fantasme”, sur Arte : l’histoire d’un désastreux contresens (Le Monde) ; “Lolita”, histoire d’une “méprise” (Philosophie magazine) ; “Lolita, méprise sur un fantasme” : la folle histoire du roman incompris de Vladimir Nabokov (Femme Actuelle). Martin Clavel
Culture

Angélica Liddell et son jardin d’Eden profane, la provocation comme une arme discursive ? Aperçu sur Dämon, El funeral de Bergman

Source : sceneweb.fr – Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon Liddell, une artiste polémique  Angélica Liddell, qui ne cesse de faire parler les théâtreux depuis quelques années, est une comédienne, metteuse en scène, auteure et performeuse espagnole. À travers ses spectacles entre performance et théâtre, elle fait vivre une forme d’ expérience limite à son public en lui proposant des œuvres sombres et révoltées. Exposant sa souffrance intérieure, elle s’insurge contre les spectateurs et leur présente des images crues, mettant en scène la violence du monde. Seule face à la salle, prise dans une logorrhée enflammée à leur égard, voilà peut-être le moyen d’illustrer le rapport d’A. Liddell à son public. Tandis que certains admirent le geste artistique, d’autres le trouvent scandaleux et allument la mèche à leur tour. Les critiques à propos de l’artiste sont contrastées et ne trouvent que peu de compromis. Le Monde constate : un « avis critique nuancé est par avance disqualifié à son sujet ». Connue pour sa radicalité et son esthétique du dérangement, Liddell divise et fait couler l’encre autant en louanges qu’en injures.  Une esthétique du choc Prônant l’esthétique du choc, l’artiste metteuse en scène prend le parti de secouer son public et de le confronter à une provocation quasi incessante. Cette dernière peut être vue comme un moyen de questionner des tabous, des non-dits passés depuis longtemps dans l’oubli du silence ou bien des thèmes sur lesquels on ferme souvent les yeux. Ses actions sont souvent théâtralement outrancières : elle n’hésite pas à se laver le sexe au centre du plateau, avant de jeter des gouttes d’eau du lavage sur les murs du Palais des Papes d’Avignon ou bien en direction des gradins. Son penchant pour les images fortes, brutales et provocantes fait parler d’elle, peut-être en suivant une stratégie de communication polémique mais qu’en est-il de ce qu’elle donne au public ? La provocation, lancée comme un défi, pousse à la réaction, ce qui explique le manichéisme des retours. Si le but d’A. Liddell est de réveiller le spectateur assagi, son succès est au rendez-vous. Cette esthétique du choc permet définitivement de ne laisser personne de marbre, ce qui est un premier accomplissement au vu de la violence de l’actualité qui semble parfois perdre de son retentissement.  Bien qu’elle soit décrédibilisée par certains et vue comme une sorcière tourmentée ressassant les mêmes formats de spectacles, elle trouve chez d’autres une caisse de résonance. Elle reprend elle-même le terme de « sorcière » employé par des journalistes critiques pour se qualifier lors d’un réquisitoire impétueux dans son dernier spectacle, Dämon, El funeral de Bergman.  Dämon, El funeral de Bergman Elle ouvre presque ce spectacle par une lecture de son carnet de scène où elle a noté des citations de critiques virulentes issues de médias divers ; cette lecture étant ponctuée de sa réponse à ces journalistes. Ce retour théâtral sur les articles critiques est surprenant et inverse le processus habituel, mettant les auteurs de la presse sous le feu des projecteurs médiatiques. Cette provocation initiale donne le ton à la suite du spectacle. Si ces irrévérences parfois obscènes et profanes apparaissent pour tous ceux qui s’en offusquent comme étant gratuites, les images scénographiques proposées par A. Liddell sont réfléchies et convoquent un univers quasi inconscient touchant directement le cœur sensoriel de nos perceptions. Son corps nu de femme qui n’est plus dans sa première jeunesse, enveloppé dans une robe de chambre blanche et exposé sur fond rouge, n’est pas le corps parfait qui est d’habitude exposé. Les corps des personnes âgées ou les parties génitales d’hommes ne sont pas des objets considérés comme esthétiques par la majorité mais Liddell incorpore ces éléments dans un tableau parfaitement agencé qui en appelle à la fois à la beauté mais aussi à une sphère plus intellectuelle. Le plateau de la metteuse en scène agit à la manière de la « machine cybernétique » théorisée par R. Barthes à propos de la théâtralité, comme une épaisseur de signe, une polyphonie informationnelle dont le signe est l’agrégat réalisé par le spectateur de tous les éléments dispersés.  Sémiotique de la scène Source : Les Echos Le rouge du deuil papal habille les murs et le sol de la salle, faisant écho dans un même mouvement au sacré de la papauté et aux enfers. Couleur du sang, couleur de la passion, couleur à double-tranchant, l’espace déjà est signifiant. À la manière de la théâtralité barthésienne, le théâtre n’est plus texte mais devient acte. La scène s’instaure en espace de jeu et de sens, se définissant comme une épaisseur de signes et de sensations. À ce titre, les éléments scéniques sont à analyser dans l’ensemble qu’ils forment pour vivre pleinement l’expérience sémiologique que propose l’artiste. Angélica Liddell crie, chante, n’hésite ni à utiliser toutes les tonalités qu’elle peut atteindre, ni à monter le son de la musique au plus fort, obligeant presque son auditoire à prendre en considération ses sensations et à ouvrir sa sensibilité. Au-delà de la dimension haptique, Liddell fait appel à une mythologie puisant ses racines dans la religion chrétienne, permettant une compréhension de ses images à un niveau au moins ouest-européen. Un avatar de Pape est présent sur scène, bien vite rejoint par une figure du diable et des femmes nues. Entre les corps de ces femmes nues, des hommes croquent des pommes. Bien qu’anecdotique dans le déroulé du spectacle, ce détail ne manque pas de suggérer une lecture revisitée du péché originel. Un spectateur réceptif remarquera que, plongée dans une sacralité manifeste et qu’elle revendique, A. Liddell profane le sacré de l’Église au prix d’un sacré scénique. En effet, cette mise à mal du sacré par un prosaïque cru place les deux sur un plan d’égalité, leur conférant une valeur particulière sur l’espace de la scène. Dans un autre tableau, un ballet de fauteuils roulants mêle vieux et jeunes acteurs, offrant une image du cycle de la vie et surtout de son éphémérité, plaçant le vieillissement et la mort au cœur du spectacle. Bien que cela ne soit jamais explicitement dit, chacun le comprend et les critiques tirent tous cet axe de son spectacle. A. Liddell ne semble pas avoir besoin des mots, qu’elle utilise d’ailleurs très peu, pour parler. Elle choque les sensibilités pour s’assurer que son travail n’est pas reçu passivement mais bien interprété sensoriellement et intellectuellement.  En demandant à ses acteurs en costard de venir sur le devant de la scène baisser leurs pantalons et bouger leur sexe ou se claquer les fesses, Liddell met sous les feux de la rampe des choses intimes que l’on regarde comme un tabou. Elle questionne ainsi son public : pourquoi ces images vous choquent-elles ? La provocation de Liddell permet l’interrogation, jusqu’à peut-être se demander pourquoi payer si cher pour venir voir des hommes se dénuder de manière grotesque. Son approche provocatrice repose sur la démarche d’exposer les conventions, les absurdités et les stéréotypes ancrés dans nos idiomes internes. Angelica L. pousse à bout les stéréotypes afin de mettre en scène leur violence : un aveugle peint en rouge joue le diable tandis qu’une naine prend la figure du freak. Ces choix d’acteurs hors-normes placent les spectateurs en face de la violence des mots ou des comparaisons qu’ils peuvent employer au quotidien. Elle redonne ainsi une visibilité à des violences oubliées sous forme directe de provocation, réalisant elle-même le cliché contre lequel elle lutte. Elle incite dès lors son spectateur à faire comme elle, briser les normes implicites et les images stéréotypées pour entrer en confrontation avec le monde, la provocation appelant la provocation.  Choquante, dérangeante, impertinente, la provocation de Liddell propose des images franches qui amènent son public à sortir de sa passivité et à chercher le sens de l’œuvre qu’ils regardent. Angélica Liddell force la réaction et, par là, qu’elle soit acceptée ou refusée, il est possible de dire que cette forme de dialogue est efficace dans la mesure où elle obtient une réponse.  Pour aller plus loin :  Roland Barthes, « Littérature et signification », Essais critiques. 1963 Le Spectacle expliqué par l’Odéon : https://www.theatre-odeon.eu/fr/damon-24-25 Rendez-vous au prochain spectacle pour en découvrir plus sur Angelica Liddell… Sources : Articles critiques  : Le Monde. « Dämon. El funeral de Bergman », au Festival d’Avignon : le don de soi vengeur d’Angelica Liddell. https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/06/30/damon-el-funeral-de-bergman-au-festival-d-avignon-le-don-de-soi-vengeur-d-angelica-liddell_6245537_3246.html L’oeil d’Olivier. « Dämon », L’egotrip auto-suicidé d’Angelica Liddell. https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&opi=89978449&url=https://www.loeildolivier.fr/2024/06/damon-angelica-liddell-avignon/&ved=2ahUKEwj8icXt4eCJAxVhTaQEHRUIDicQFnoECBwQAQ&usg=AOvVaw3cjfpQwovkYuqNrKUvaert ArtCena. « DÄMON » : Angélica Liddell incendiaire du Palais des Papes. https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&opi=89978449&url=https://www.artcena.fr/magazine/critiques/damon-angelica-lidell-incendiaire-du-palais-de-papes&ved=2ahUKEwj8icXt4eCJAxVhTaQEHRUIDicQFnoECCIQAQ&usg=AOvVaw1_m5_rTsoIGGXnH6AA3-EM Sceneweb. Dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, les redites amères d’Angélica Liddell. https://sceneweb.fr/damon-el-funeral-de-bergman-dangelica-liddell/ Héloïse Durand
Société

Emily in Paris: abuser des clichés pour mieux buzzer ?

Paris ville lumière, Paris ville de l’amour, de la culture, de la gastronomie et de la magnificence architecturale. Si la série Emily in Paris, sortie en octobre 2020 sur Netflix, semble à première vue une énième production américaine à l’eau de rose, elle est aussi représentative d’un imaginaire collectif de Paris et de ses habitants, entretenu à l’étranger. Des stéréotypes qui ont poussé la rédac’ de FastN à penser ce fossé culturel entre la France réelle et l’image qu’on s’en fait à l’étranger. En quoi la stéréotypisation est-elle efficace dans ce genre de production culturelle ? Et comment Emily In Paris contribue-t-elle, non pas à casser les codes, mais à abuser des clichés pour faire réagir ?
Publicité et marketing

Dolce & Gabbana devient l’ennemi public n°1 de la jeunesse chinoise

Raciste, dégradant, sexiste, offensant : ce sont tous les adjectifs qui sont en mesure de décrire la série de courtes vidéos de promotion de « The Great Show », un défilé organisé par Dolce & Gabbana à Shanghai. En effet, pour promouvoir l’événement, la marque à succès en Chine a diffusé sur les réseaux sociaux une série de petits films humoristiques nommée « chopsticks eating » (manger avec des baguettes). Contrairement à l’effet escompté, une vague de haine a frappé les joues luxueuses des deux fondateurs, Domenico Dolce et Stefano Gabbana. Image dégradée, boycott et messages haineux, dans quel état va donc finir la grande marque de luxe italienne ?

Société

Blanc sinon rien

Votre peau de couleur vous dérange ? Pas de problème ! Grâce aux comprimés Snowz de Seoul Secret, votre peau sera blanche comme neige. Plus rapide encore, rendez-vous sur l’application FaceApp qui vous fait un ravalement de façade en quelques secondes. Quant à Nivea, il y avait de quoi affoler la Toile en mars dernier avec son slogan « White is purity ». Entre badbuzz, incompréhension culturelle et véritable tendance — le blanchiment de la peau inquiète.
 
« Être blanc, c’est être un gagnant »
Avoir une peau claire est un critère de beauté répandu depuis des siècles parmi les aristocraties japonaise et française qui se distinguaient ainsi des paysans travaillant en plein air. Aujourd’hui encore, les ombrelles se multiplient en Asie dès les premiers rayons de soleil. Le culte de la blancheur est aussi visible dans certains pays d’Afrique depuis le XVIIIème siècle, période où les colons ont diffusé les canons de beauté européens. Ce symbole de succès et de beauté pousse les femmes à éclaircir leur peau au plus grand plaisir des marques et de leur portefeuille.
La marque Snowz a fait beaucoup de bruit lors de la sortie de son spot publicitaire en janvier 2016 avec le slogan “Être blanc, c’est être un gagnant”. Cette publicité jugée raciste par les internautes et qui a fait scandale en France semble en revanche n’avoir pas fait de vague en Thaïlande, pays d’origine de l’égérie de Snowz. Certes, les critères de beauté sont différents d’une culture à l’autre, mais aller jusqu’à dire qu’avoir la peau noire relève d’un manque d’hygiène, cela ne relève plus seulement de spécificités culturelles mais de racisme. Il y a ici de véritables enjeux sociétaux et sociaux relatifs au respect de soi et d’autrui dans un monde globalisé où toutes les différences sont des richesses.

 
“White is purity”
Le 31 mars 2017, on a pu penser – peut-être à tort – que Nivea voulait s’emparer de la tendance du blanchiment de la peau avec sa dernière promotion sur Facebook. Néanmoins, on s’interroge sur la véritable intention de la marque au vu du slogan plus qu’explicite « White is purity ». En voulant promouvoir son déodorant « Invisible for Black & White » au Moyen-Orient, la marque Nivea a fâché nombreux consommateurs qui se sont indignés sur les réseaux sociaux jusqu’à accuser la marque de racisme.

Ce sont les suprématistes blancs qui ont salué la publicité en commentant la publication par des images d’Hitler ou de Pepe the frog.
 
Nivea has chosen our side and the most liked comments are glorious. »
Nivea a choisi notre bord et les commentaires les plus aimés sont glorieux. »
 
Cela dit, contrairement à Snowz, Nivea s’est empressée de retirer la publicité en présentant ses excuses pour cette publication « trompeuse ».
“Nous sommes profondément désolés que quiconque ait été choqué par ce post. Après avoir compris que ce post était trompeur, nous l’avons immédiatement retiré. La diversité et l’égalité sont des valeurs fondamentales de Nivea.” Porte-parole de Nivea, site de la BBC.
 
Plus beau, plus blanc
Dans un autre registre, l’application FaceApp tout juste lancée en janvier 2017, a aussi été accusée de racisme. Elle devait simplement rendre les utilisateurs “beaux” en les faisant sourire, vieillir ou rajeunir mais l’ajout d’un filtre “hot” (sexy) a fait le buzz puisque ce dernier blanchissait la peau. La blancheur de peau a effectivement été assimilée par l’application comme un signe naturel de beauté.

Le fondateur de FaceApp, Yaroslav Goncharov, s’est excusé face aux médias et a qualifié l’incident de « problème sérieux ». Pour apaiser les tensions en vue d’une rectification de l’application, le filtre a été renommé « spark » (étincelle).
 
Oups, je n’ai pas fait exprès, …
Ces exemples font état d’une tendance inquiétante qui continue de croître et où le type caucasien devient la norme de beauté dans le monde. Des femmes vont même jusqu’à enduire sur leur visage des préparations maison contenant de l’eau de javel.
Des marques comme Seoul Secret, Nivea, FaceApp et bien d’autres qui suivent cette tendance essaient de répondre à un besoin alimenté par la mondialisation et l’industrie audiovisuelle mais cautionnent par la même occasion ces pratiques contre nature et racistes.
Les marques sont de plus en plus proches de leurs consommateurs et ont donc, par leur pouvoir d’influence et de prescription, une véritable responsabilité notamment en matière de santé. Ainsi, les followers des blogueuses beauté n’hésitent pas à se couvrir le visage de produits conseillés par les youtubeuses. Néanmoins, en octobre 2015 les fans d’EnjoyPhoenix ont fait les frais d’un masque recommandé par la blogueuse, à base de cannelle qui causait des brûlures. Suite à ce scandale, beaucoup de youtubeuses ont pris conscience de cette responsabilité qui les incombe envers leurs fans, qui sont pour la plupart des adolescent(e)s.
Par ailleurs, au vu des valeurs de Nivea, qui promeut toutes les formes de beauté féminines, il était très étonnant de retrouver la marque au cœur d’un pareil scandale de racisme. Lapsus ou réelle erreur de communication? La question demeure car ce n’est pas la première fois que Nivea est accusée de la sorte. En 2011, la marque de cosmétiques incitait déjà les américains à se « reciviliser » en abandonnant barbe et coupe afro.

Buzz ou badbuzz, on parle des marques et elles s’en réjouissent. De plus, il semble que, dans ce contexte d’alerte permanente, la véritable catharsis a lieu à travers le scandale. Celui-ci devient le défouloir de toute une société avide de mouvement, d’intolérable et de diversion face au morne quotidien. Les foules peuvent prendre les marques comme boucs émissaires de leur violence et surtout de leur liberté d’expression quand elles ne les considèrent pas comme leurs plus proches amies.
Le badbuzz est généralement craint par toute entreprise, cependant on se demande parfois s’il n’est pas voulu. Dans certains cas, cette exposition médiatique semble même révéler les fantasmes cachés des marques. Chassez le naturel, il revient au galop.
 
Voiry Flore
 
Crédits :
http://nofi.fr/2015/09/le-blanchissement-de-la-peau-un-complexe-dinferiorite/23216
Capture d’écran compte Twitter Nivea
Capture d’écran compte Twitter FaceApp
Publicité Nivea
 
SOURCES :
• LEFRANÇOIS Carole
Publié le 02/03/2016
“Sur les docks” : la mode du blanchiment de la peau auscultée par France Culture »
 
• DUVAL Jean-Baptiste
Publié le 20/04/2017
Comment les grands groupes se transforment en machines à bad buzz malgré eux »
 
• BAPAUME Virginie
Publié le 16/03/2017
« Beauté noire : les dangers du blanchiment de la peau »
 
• La rédaction de France TV
Publié le 06/04/2017
« »Le blanc, c’est la pureté » : accusé de racisme, Nivea retire une publicité »
 
• La rédaction Il était une pub
Publié le 12/01/2016
« Scandale : la pub thaïlandaise raciste pour Snowz »
 
• La rédaction Le Monde
Publié le 25/04/2017
« L’application à succès FaceApp, qui rend les gens « sexys », accusée de racisme »
 
• LORRIAUX Aude
Publié le 19/08/2011
« Nivea retire une publicité accusée de racisme »

1
Culture

"Nazi chic" ou la réappropriation d'une iconographie

En Asie, le marketing s’est largement emparé de l’ iconographie du IIIe Reich et la culture pop a souvent exploité l’image d’Adolf Hitler. Il est assez aisé d’y trouver des t-shirts à l’effigie du dictateur. La Corée du Sud, l’Indonésie et la Thaïlande font régulièrement les frais de cette dérive commerciale. La ré-appropriation de l’esthétique nazi par pure provocation ou simple ignorance semble, en tout cas, de mauvais goût pour les occidentaux.
D’un symbole – le swastika – vers des interprétations diverses
La logique d’un symbole est de véhiculer des idées avec un simple signe, de créer une identification. Le nazisme, a détourné le swastika en l’associant à une idéologie contraire. En effet, la signification originelle de cet ancien symbole de l’Inde continentale est emplie de beauté et d’espoir. Cette croix est sacrée pour l’Hindouisme, le Bouddhisme et le Jainisme qui prônent la non-violence. Le swastika vient du Sanskrit : « Sva » signifiant soi, « Astika » le fait d’exister et « Ka » dénote un genre neutre. Ainsi, le véritable sens de ce symbole est « un soi existant » ou « une existence de soi ». En d’autres termes, selon le Ganesha Purana : « Pas né et directement originaire de l’éternité depuis le temps éternel ».

Pour célébrer l’anniversaire de leur établissement le 23 décembre 2016, des lycéens taïwanais ont choisi de défiler en uniformes nazis. Un char en carton où prône un étudiant, le bras tendu, déguisé en Hitler, mène le cortège d’élèves portant des drapeaux à croix gammées. Cette parade est organisée par le lycée taïwanais Kuang Fu, à Hsinchu City. Photos et vidéos d’élèves souriant, chantant et dansant ont été postées sur internet. Le proviseur du lycée, dépassé par la polémique, a tenté en vain de dissuader les élèves d’aller au bout de leur projet, et a finalement dû démissionner. Le ministère de l’Éducation a présenté ses excuses.

Le relativisme culturel, entre ignorance et provocation
Ce phénomène est dû à une perception différente de l’uniforme nazi par les jeunes asiatiques. Selon le chercheur Elliot Brennan, membre du think-tank suédois Institute for Security & Development Policy : « Pour les pays de l’Asie de l’Est, la Seconde Guerre mondiale ne concernait pas les nazis et Hitler, mais plutôt les forces de l’Empire japonais. De manière comparative, peu de temps est consacré à l’enseignement de la Seconde Guerre mondiale dans les pays d’Asie, par rapport à l’Europe ou aux États-Unis ». Le chercheur nous met aussi en garde face au danger du relativisme culturel. Ainsi, cette surprenante tolérance de l’Asie vis-à-vis du nazisme s’expliquerait par une méconnaissance de l’histoire.
Un bloggeur politique, Micheal Turton, confie à CNN qu’au cours des vingt années passées à Taiwan, il a eu l’occasion de voir, à de nombreuses reprises, des locaux arborer leurs véhicules d’accessoires nazis.
Selon lui, la culture occidentale fait la même chose : « Combien de personnes ont des t-shirts du Che Guevara ou des chapeaux de Mao Zedong ? ». M.Turton a demandé à des étudiants pourquoi il était « ok » de porter des costumes nazis mais pas ceux de Mao : « Les enfants m’ont expliqué qu’Hitler avait échoué. C’est pour ça que c’est ok. ». Ce qui ne veut pas dire que cela n’a choqué ou blessé personne. En effet, le Bureau économique et culturel d’Israël à Taipei, a dénoncé l’événement « révoltant ». Il appelle les autorités taïwanaises à initier un programme scolaire introduisant le sens de l’Holocauste et à enseigner son histoire et son sens universel.
De l’Inde à la Chine en passant par la Thaïlande
Cet incident n’est pas unique en son genre en Orient. Il semblerait que l’uniforme nazi soit davantage utilisé comme un symbole anticonformiste que dans un sens idéologique. C’est ce que ces acteurs, principalement des adolescents, appellent la mode du « Nazi-chic ». Cette mode est ordinaire en Asie et choque régulièrement les occidentaux. En effet, il y a moins de deux mois les japonaises du groupe Keyakizaka46 ont fait polémique en portant des capes noires et des chapeaux reprenant le style SS lors d’un concert. Sony Music, leur producteur, s’est évidemment excusé.

Mais ce n’est pas un cas isolé, ces dernières années, beaucoup de groupes musicaux asiatiques ont prouvé la récurrence de cette mode. Fin 2014, le groupe pop sud-coréen Pritz, s’est vêtu de chemises noires et de brassards rouges à croix noire dans un de ses clips. Le groupe a déclaré qu’il n’avait aucune intention de ressembler à des nazis avec ce look.
Toutefois, c’est en Thaïlande que les outrages se font les plus récurrents. Il est facile d’y trouver des vêtements et autres objets dérivés du IIIe Reich et d’Adolf Hitler dans les zones commerciales. Déguisé en panda, en Teletubies ou en Ronald McDonald, le dictateur et sa célèbre moustache sont repris sur de nombreux t-shirts. Hut, le propriétaire du magasin Seven Star à Bangkok, a fait des statuettes de « McHitler » son fond de commerce. Hut insiste : « Je n’aime pas Hitler. Mais il a un air drôle et les t-shirts sont très populaires auprès des jeunes. ». Le professeur roumain Harry Soicher qui enseigne à Bangkok explique que « c’est dû au manque d’exposition à l’Histoire », avant d’ajouter : « Si on ne vit pas en Thaïlande, on peut trouver cela dur à croire qu’ils [les thaïlandais] ne veulent aucun mal ». Abraham Cooper, le doyen associé du Simon Wiesenthal Centre à Los Angles, surveille les activités néo-nazies au niveau international et confirme que c’est dû à une simple ignorance. La tendance va si loin qu’en Chine, certains couples ont eu la bonne idée de se marier en apparat du IIIe Reich. Et face à ce phénomène, rares sont les journalistes qui semblent être allés au- delà de leur ethnocentrisme. La réponse est toujours la même, mais l’ignorance est-elle une excuse ? Cela semble tout de même bien facile.

De plus, l’utilisation de l’iconographie nazie n’est pas qu’asiatique. C’est pour choquer, provoquer et indigner l’Establishment anglais que, véritablement, la réutilisation de cette esthétique est devenue populaire avec la culture punk pendant les années 1970. Pour ne citer que le plus emblématique, le chanteur des Sex Pistols, Johnny Rotten, porte un t-shirt avec le swastika dans le clip Pretty Vacant. Les musiciens punks, pour la plupart, s’habillaient de la sorte plus pour moquer les valeurs de la vieille génération de la Seconde Guerre mondiale que par sympathie pour des quelconques idéologies fascistes. Toutefois, jusqu’où ces dérisions, symboles de fossés culturels Est/Ouest, peuvent-elles aller ?
 
Ulysse Mouron
LinkedIn

Crédits  :
Photo 1 (Une) : techno-science
Photo 2 : Vice
Photo 3 : smart list
Photo 4 : theblaze.com
Photo 5 : Les inrocks
Sources :
• Time Asia: ““They dressed well” a troubling fascination with Third Reich regalia elevates the Nazi look to what’s chic in South Korea.” de Macintyre Donald 05/2000
• Travel CNN: “Bangkok’s “Hitler chic” trend riles tourists, Israeli envoy”. Tibor Krausz, 27/02/2012
• Les Inrocks : “Pourquoi se déguiser en nazi ne choque pas la population en Asie”. 23/12/2016
• CNN: ““Nazi-chic”: Why dressing up in Nazi uniforms isn’t as controversial in Asia” Ben Westcott 28/12/2016
• Ganesha Purana, texte sur la déesse Ganesh

Culture

Princesse au chômage recherche célébrité précaire

Le marketing genré s’affiche comme la formule magique des marques pour doubler les ventes. Cependant, face aux nombreuses critiques, notamment concernant les Disney Princesses, les marques tentent d’adapter progressivement leurs stratégies publicitaires, à l’image de Vaiana, nouveau film d’animation de Disney, au succès impressionnant. Actuellement, le marketing genré est-il toujours justifié ?
L’empire Disney Princesses
Créée en 1999, Disney Princesses, franchise de Walt Disney Company, vend toutes sortes de produits dérivés à l’effigie des princesses Disney, allant du simple dentifrice à la robe de mariée. Les héroïnes de ce clan très select – Blanche-Neige, Cendrillon, Aurore, Ariel, Belle, Jasmine, Pocahontas, Mulan, Tiana, Raiponce, Mérida et enfin Elsa – sont l’une des principales sources de rentabilité pour Disney.
La Reine des Neiges, film d’animation au plus grand succès, fait la fortune de Disney avec une licence à prix d’or, la plus chère sur le marché du jeu du jouet français en 2015. Mais quelle est la formule magique qui se dissimule derrière ces contes de fées ?
Top 5 des licences en valeur sur le marché du jeu et du jouet français en 2015

Mais quelle est la formule magique qui se dissimule derrière ces contes de fées ? Le marketing genré, formule magique ?
Exploitant le désir des femmes de se faire belles et d’exposer leur identité sexuelle, Disney le transforme en addiction. En témoigne l’omniprésence du mot « princesse » dans l’univers des petites filles grâce des techniques de marketing genré.
Le marketing genré ou gender marketing consiste à adapter la politique marketing en fonction du caractère masculin ou féminin de la cible, selon Bertrand Bathelot, professeur agrégé de marketing.
Très employé pour cibler enfants et adolescents, il permet de doubler les ventes au sein d’une même famille. Par exemple, pour une famille comportant un garçon et une fille, les parents n’achèteront plus un seul vélo mais un vélo « pour fille » et un vélo « pour garçon » !
Afin de marquer des jouets désormais sexués, la couleur rose n°241, paillettes et princesses sont au rendez-vous. Bienvenue sur la planète rose !
La culture girly (1) a pour objectif de fidéliser le consommateur dès son plus jeune âge. Couplée aux techniques de marketing genré, Disney effectue un marketing par âge. La culture girly ne s’arrête donc pas à l’arrivée de l’adolescence avec des célébrités comme d’Hannah Montana, Violetta ou Soy Luna.
À chaque âge son personnage ! Ainsi, le parcours du consommateur type commence avec Winnie L’Ourson suivi de Mickey. Le marketing genré apparaît vers 3 ans chez les filles avec les poupées Animator’s, à 5 ans avec les Disney Princesses, puis c’est les W.I.T.C.H et les programmes télévisés au début de l’adolescence.
Cette poupée, ce cadeau empoisonné
Déjà évoqué par Roland Barthes dans ses Mythologies, le jouet ou jeu d’imitation (2) – la dinette – permet à l’enfant d’intégrer certains rôles sociaux et de renforcer les stéréotypes de sexe.
Même si chacun est libre de dicter à Cendrillon sa destinée dans la cour de récré, son rôle premier, celui qui est fixé à l’écran, reste cependant déterminant dans la construction de l’imaginaire. Dans la plupart des cas, la poupée se transforme en jouet d’imitation, d’où l’importance capitale des rôles donnés aux princesses et actuellement très controversés.
Coupez-lui la tête !
Le rôle réducteur des princesses est fortement remis en question.
Très souvent, le mariage avec le prince charmant apparaît comme seul moyen d’épanouissement. Leurs activités sont peu modernes voire sexistes : travail obsessif sur leur apparence, taches ménagères et attitude passive.
Les relations interféminines sont souvent stéréotypées, conflictuelles et manipulatrices. Les femmes de pouvoir sont les « méchantes » : qui ne se rappelle pas la reine de Blanche Neige et d’Ursula de la Petite Sirène ? Même Elsa, traitée de sorcière, renforce le stéréotype attaché au lien entre pouvoir et féminité.
Leur physique, qui leur permet d’être repérées par le prince charmant, est conçu selon des standards inatteignables (minceur extrême, grands yeux, petits pieds). Loryn Brantz, graphiste américaine montre l’écart entre leur physique et une allure plus « normale », accusant Disney de participer à la création de complexes chez les jeunes filles.

À ces critiques s’ajoutent celles concernant la couleur de peau, l’absence d’ handicap ou de membres de la communauté LGBT. En mai 2016, les internautes s’étaient d’ailleurs mobilisés, via le hashtag #GiveElsaaGirlfriend pour qu’Elsa devienne la première princesse lesbienne.
Un vent d’ouverture apaise les tensions
Depuis quelques années, de nombreuses marques ont entrepris des initiatives innovantes, plus adaptées et à l’écoute des changements sociaux.
Ainsi, Mattel a modifié cette année ses Barbies en proposant des morphologies plus diversifiées et réalistes. GoldieBlox, entreprise américaine de jouets, propose aujourd’hui des jeux de construction pour filles. Et l’année dernière, les Magasins U ont lancé un catalogue de jouets sans distinction de sexe, avec des petits garçons jouant à la poupée ou une petite fille bricolant.

Parallèlement, une vague pro-féminine s’est emparée de certaines marques. À l’instar de Dove, Pantene, ou Always, la tendance est à l’empowerment, comme la campagne communicationelle d’Always « #CommeUnefille ». Certes, il s’agit toujours d’un marketing genré pour des produits s’adressant exclusivement aux femmes.

S’agit-il alors d’une avancée, ou seulement d’une régression déguisée sous des airs de « girl power » ?
Bientôt une nouvelle collection Disney Aventures ?

Le dernier film d’animation produit par Disney, Vaiana, est d’un tout nouveau genre. Pas de prince charmant à l’horizon, Viana n’a qu’un seul amour, l’Océan. Elle s’agrippe à ses rêves, prenant de nombreux risques pour vivre sa passion. Au physique bien plus « normal », Vaiana est authentique, franche et assumée.

Dans la même veine, le film franco-canadien Ballerina confirme cette tendance en mettant en scène une petite fille qui rêve de devenir danseuse étoile.

L’ambition est enfin à l’écran et cela plaît. Seulement quelques jours après sa sortie, Vaiana atteint déjà les 15.9 millions de dollars de recettes, devançant les résultats de la Reine des Neiges.
Avec ce virement stratégique prometteur, à quand une nouvelle collection Disney, avec de véritables métiers, pour que les petites filles d’aujourd’hui puissent se rêver en aventurières, astronautes, journalistes, avocates ou médecins ? Affaire à suivre….
Flore DESVIGNES
LinkedIn

(1) Culture girly : mouvement de mode, apparu au début des années 2000 qui désigne une attitude que les jeunes filles aiment se donner, obsédée par leur apparence et ultra féminine. C’est la culture du rose et des couleurs vives, des strass, des paillettes, de la fausse fourrure2, des jupes etc. Le mouvement girly se retrouve dans les séries de télévision, le cinéma, le maquillage, la musique, la mode, les blogs avec par exemple Hello Kitty, Katy Perry, Lolita, Disney Princesses.

(2) Jeu d’imitation : selon le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le jeu d’imitation s’appuie sur la reproduction différée de scénarios de la vie courante.

Sources :

• DENJEAN, Cécile, “Princesses, pop stars & girl power”, Arte. Paru en 2012. Consulté le 29 décembre 2016.

• Princesses Disney, Wikipédia, Consulté le 29 décembre 2016

• L.D. “La Reine des Neiges ou : quand Disney avance d’un pas et recule de trois.”, Le cinéma est politique. Paru le 23 décembre 2013. Consulté le 29 décembre 2016.• SOTINEL, Thomas, “Chez Disney, la princesse a du mal à s’émanciper”, Le Monde. Paru le 19 novembre 2013. Consulté le 28 décembre 2016.

• LUCIANI, Noémie, “« Vaiana, la légende du bout du monde » : l’héroïne de Disney qui préfère la mer au prince charmant”, Le Monde. Paru le 25 novembre 2016. Consulté le 28 décembre 2016.
• HARRIS Aisha, “«Vaiana» ou la fin (tant attendue) des contes de fées chez Disney”, Slate. Paru le 30 novembre 2016. Consulté le 28 décembre 2016.

• LE BRETON, Marine, “Vaiana, la nouvelle héroïne Disney qui fait du bien aux petites filles”, Le Huffington Post. Paru le 27 novembre 2016. Consulté le 28 décembre 2016.

• CHARPENTIER, Aurélie, “Disney, le grand manitou du divertissement”, E-marketing. Paru le 1er avril 2007. Consulté le 28 décembre 2016.
• « Girly », Wikipédia. Dernière modification le 26 octobre 2016. Consulté le 7 janvier 2017.

Crédits:

• Alexsandro Palombo, Life is not a fairytale

• Top 5 des licences en valeur sur le marché du jeu et du jouet français en 2015, source panel Epsos, lsa-conso

• Loryn Brantz, graphiste et journaliste chez Buzzfeed

• Les Magasins U, Catalogue de Noël 2015

• GoldieBox

• Le Huffington Post, 27 novembre 2016

 

1
Culture

Prix Nobel de littérature : Bob Dylan souffle le chaud et le froid

Le 13 octobre dernier, pour la remise du prix Nobel de littérature, le bâtiment de la Bourse de Stockholm débordait de reporters venus du monde entier, impatients de connaître le nom de l’heureux élu. C’est alors que Sara Danius, secrétaire de l’Académie suédoise, fit son entrée et prit la parole. : « Bob Dylan ». Un silence de plomb s’empara de la salle. Chacun comprit que la nouvelle ferait sensation dans son pays. Et la secousse fut bien réelle…
Fierté de millions de fans aux quatre coins du monde, félicitations de grandes figures politiques et artistiques, doutes et agacement chez plusieurs pontes de la littérature mondiale — cela faisait longtemps qu’un prix Nobel de littérature n’avait pas autant fait « jazzer ». Tous en ont parlé, excepté le principal intéressé qui resta muet pendant deux semaines, irritant ses détracteurs.
Bob Dylan est définitivement une personnalité atypique du monde de la culture : il a conservé durant toute sa carrière une indépendance dans sa communication, comme en atteste ce feuilleton particulier. À travers son silence, puis des remerciements tardifs dans un entretien au Daily Telegraph, et enfin un communiqué de l’Académie nous apprenant son absence à la remise des prix, la légende continue de cultiver sa distance, au risque de perdre son monde…
Une nomination controversée
Une chose est sûre, le prix de l’audace revient à l’Académie suédoise. En choisissant Bob Dylan, légende folk des sixties, porte-drapeau du mouvement des droits civiques aux États-Unis, poète du rock ’n’ roll adulé par des générations de mélomanes, elle s’attendait à créer une onde de choc bien supérieure à celles des années précédentes. Le ton était assumé : le prix Nobel serait médiatique. Elle savait que choisir une grande figure de la musique du XXème siècle pour un prix littéraire de premier plan était osé et que le débat sur les frontières des genres serait forcément abordé, tandis que des rangées de dents grinceraient chez les intellectuels conservateurs.
Comme souvent aujourd’hui, l’œil du cyclone fut sur les réseaux sociaux. Twitter était en ébullition : dans le camp des supporters, bon nombre de personnalités politiques y sont allées de leurs hommages (toujours utiles pour montrer leur fibre culturelle) et de nombreux artistes et figures littéraires ont tenu à défendre le choix polémique de l’Académie. Ci-dessous par exemple, les tweets d’Obama et celui de l’écrivain britannique Salman Rushdie, auteur du best-seller mondial, Les Versets sataniques.

 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
En face, la fronde n’était pas en reste. En France comme à l’étranger, ce choix populaire a été fustigé, considéré comme dégradant pour la littérature — c’est ce que laisse entendre le ton cynique de l’écrivain américain, Gary Shteyngart. Le critique littéraire suédois, Per Svensson a même qualifié le prix de « populiste » et « trumpifié ». Les motivations de l’Académie ont aussi été au cœur des critiques, Irvine Welsh, auteur écossais de Trainspotting, en était même venu à traiter les membres de l’Académie de « vieux hippies séniles ».
Cette levée de boucliers peut s’expliquer de plusieurs manières. Elle relève d’abord de l’attachement à une définition conservatrice et scripturale de la littérature. Un autre aspect est aussi à prendre en compte : la nomination du compositeur interprète a une vocation d’ouverture du monde de la littérature sur celui de la musique et de reconnaissance de la communication entre les arts. Cela s’avère problématique si on considère la littérature comme un champ délimité, comme l’entendait Pierre Bourdieu, avec ses propres acteurs, les écrivains se partageant le réservoir de prestige propre au champ.
Un grand levier de distinction, le prix Nobel de littérature, dans les mains d’une personnalité de la musique. C’est un corps étranger qui prend sa part du gâteau, la menace d’une nouvelle concurrence, celle des compositeurs et paroliers qui pourraient à l’avenir encore éclipser les écrivains et faire décroître leur emprise sur le champ. Il apparaît aussi en filigrane, un certain mépris pour la figure du chanteur de 75 ans, illégitime car trop populaire, trop vedette, trop showbusiness, à la différence des écrivains discrets qui préféreraient l’érudition aux projecteurs.
« Why try to change me ? »
Bob Dylan est pourtant loin d’incarner ce stéréotype. Depuis toujours, il a semblé fuir les contraintes de la société pour garder sa liberté d’homme et d’artiste. Pour preuve, après sa nomination, ce silence-radio face aux médias ainsi que sur sa ligne téléphonique, à en croire Odd Zschiedrich, chancelier de l’Académie suédoise, qui n’aurait pu joindre que son agent et le responsable de sa tournée. Seule réaction (pour peu qu’elle soit interprétée ainsi) : le mystérieux chanteur a terminé chacun de ses concerts avec une chanson de Frank Sinatra, intitulée « Why try to change me ? ».
Il est vrai qu’on lui a toujours connu une grande discrétion, parfois déroutante pour les fans et leurs attentes. Celles-ci sont en effet élevées de nos jours, surtout en matière de communication. La figure du chanteur « hyper-communicant », qui élargit et fidélise sa fanbase sur les réseaux sociaux, et multiplie les coups de promotion et les interviews à chaque sortie d’album, est devenue un must. On peut objecter que Dylan est un chanteur de l’ancienne école, nombre de ses fans ne sont donc pas aussi connectés que ceux des pop stars actuelles, et lui-même n’a plus à faire ses preuves. Il demeure cependant, que sur un épisode comme celui du Prix Nobel, la médiatisation qui entoure les grands chanteurs impose une communication publique minimale que Bob Dylan a mise en évidence en ne la respectant pas.
Est-ce là un signe d’impolitesse ou d’arrogance, comme on l’en accusa ? Le chanteur français et son ami de longue date, Hugues Auffray, confia à L’Express : « Ce silence est conforme à sa personnalité. Il ne cherche pas du tout à plaire. C’est un type discret depuis toujours. (…) Il parle à peine, n’a pas un mot pour son public, mais les gens reviennent toujours car ils se trouvent en face de quelque chose qui les dépasse ».
Le 16 novembre dernier, l’Académie suédoise annonçait que Bob Dylan ne se rendrait pas à la remise des prix, à cause « d’autres engagements ». Un nouveau rebondissement donc, qui n’étonne qu’à moitié.
Pouvait-on vraiment imaginer l’énigmatique Bob Dylan au milieu de cette cérémonie, sous les grands lustres de l’Hôtel de Ville de Stockholm, délivrant son discours devant tout un monde institutionnel avec lequel il n’a rien à voir ?
Aux dernières nouvelles, la secrétaire de l’Académie, Sara Danius, affirmait que Bob Dylan envisageait de venir chercher son prix à Stockholm seulement au printemps prochain. L’affaire laisse donc une impression singulière, celle d’un feuilleton dommageable pour Bob Dylan, qui aurait mérité d’être fêté pour l’ensemble de son œuvre, comme l’histoire avait commencé, et non critiqué pour son manque de clarté sur cet épisode particulier.
Hubert Boët
Sources :
– Hermance Murgue, « L’intrigant silence de Bob Dylan après son prix Nobel » L’Express.fr, rubriques Actualité> Culture> Musique, publié le 25/10/2016, consulté le 18/11/2016.
– Claire Fallon, « 27 Tweets That Perfectly Capture How Baffling Bob Dylan’s Nobel Prize Win Is » TheHuffingtonPost.com, rubrique Arts & Culture, publié le 13/10/2016, consulté le 21/11/2016
– Stéphane Koechlin, « Bob Dylan, toujours dans le vent », ANousParis.fr, rubrique Musique> Artistes, publié le 4/11/2016, consulté le 18/11/2016
– Bruno Lesprit, « Bob Dylan, pris par « d’autres engagements », n’ira pas
chercher son prix Nobel » LeMonde.fr rubrique culture, publié le 16/11/2016, consulté le 18/11/2016
– Culturebox (avec AFP) « Prix Nobel : Bob Dylan se rendra à Stockholm… au printemps » Culturebox.francetvinfo.fr, rubrique musique, publié le 18/11/2016, consulté le 21/11/2016,
Crédit image : 

Une : Illustration de Zep
Image des tweets : screenshots de Twitter, 24/11/2016

CROWDFUNDING LOUVRE
Culture

Le crowdfunding investit (dans) le musée du Louvre

« Tous mécènes de l’Amour ! ». C’est le mot d’ordre de la 6ème campagne d’appel aux dons du musée du Louvre. Le projet : en appeler aux aficionados des Beaux-Arts pour réunir une partie de la somme nécessaire au musée pour acquérir L’Amour essayant une de ses flèches, une œuvre commandée par la marquise de Pompadour, la célèbre favorite du roi Louis XV, au sculpteur français Jacques Saly.
Ainsi, le crowdfunding ou financement participatif n’est plus l’apanage de l’industrie musicale ou des nouvelles technologies. En effet, ce mode de financement sans intermédiaire, qui permet à chacun de soutenir un projet précis, est en train de devenir une réponse au manque de moyens de l’Etat dans le domaine de l’Art et de la culture. Bien plus, cette tendance apparaît comme une stratégie communicationnelle qui semble payer pour les institutions culturelles, et notamment pour le musée du Louvre.
L’art et la manière de dépoussiérer les musées
Fini le temps où les grands chefs d’entreprise philanthropes et amateurs d’art tenaient le premier rôle dans le renouvellement et la restauration des collections des musées. L’heure est aujourd’hui au crowdfunding. En optant – en partie – pour ce mode de financement innovant, le musée du Louvre se positionne comme un acteur culturel en voie de modernisation. Qui plus est, l’opération de communication qui enrobe l’appel aux dons, fait entrer le musée dans l’ère numérique. Un site, épuré, renseigne le public sur l’œuvre, la campagne et « comment devenir mécène », sans pour autant le noyer sous un flot d’informations inutiles. Une vidéo animée retraçant l’histoire de la sculpture est diffusée sur les réseaux sociaux et permet de capter l’attention de l’internaute – comme en témoignent les nombreux commentaires élogieux qu’elle a recueillis sur Facebook.

 
On retrouve également un clin d’œil au sujet de l’œuvre (L’Amour sous les traits de Cupidon) dans la date de clôture de la campagne : le 14 février 2016, jour bien connu des amoureux. Une campagne digitale plutôt bien rodée pour cette vénérable institution qu’est le Louvre.
Enfin, les modalités de don se trouvent élargies à l’occasion de cette nouvelle édition : au don en ligne ou au paiement par chèque s’ajoute la possibilité de payer via son smartphone ou sa tablette. De quoi achever de convaincre les plus sceptiques que le musée peut encore se révéler in.

Crowdfunding, a crowd-puller ?
Si le musée a bien conscience qu’avoir recours aux grands mécènes est plus avantageux, plus lucratif que cet appel aux dons, comment expliquer que «  Tous mécènes ! » en soit déjà à sa sixième édition et que les donateurs continuent d’affluer ? Il faut donc souligner qu’au-delà de la recherche de fonds, ces campagnes sont l’occasion pour le musée du Louvre d’élargir et de fidéliser un public. En effet, tout au long de l’année, des onglets – plus ou moins discrets – sur les sites des musées, invitent l’internaute aux dons. Cependant, des projets concrets tels que l’acquisition de L’Amour essayant une de ses flèches, sont réellement fédérateurs dans le sens où le donateur se sent devenir « un acteur à part entière de la vie des collections » (Eléonore Valais-de Sibert, anciennement chef du service du mécénat individuel du musée du Louvre). Cela fait prendre conscience au citoyen qu’il participe à la constitution d’un héritage culturel. De plus, il semble qu’un investissement – même minime – dans un tel projet de valorisation du patrimoine, incite le mécène à se rendre plus régulièrement au musée pour contempler l’œuvre qu’il a soutenue. Un hommage sera également rendu aux souscripteurs, comme cela avait été le cas lors de la campagne pour l’acquisition des Trois Grâces de Lucas Cranach en 2010, où les noms des 7000 donateurs avaient été inscrits sur la cimaise accueillant l’œuvre.

Le crowdfunding apparaît ainsi comme un instrument efficace pour approfondir la relation entre le public et l’institution muséale. Toutefois, cette méthode ne répond que partiellement à la désaffection que connaissent l’art et la culture, car si elle renforce le lien avec des catégories socio-culturelles déjà acquises, elle n’en crée pas nécessairement avec des publics moins réceptifs à son objet.
Juliette Bonnet
Sources :
« Quand le Louvre en appelle aux Français pour acheter un trésor national », L’Obs, le 06/10/2015, http://tempsreel.nouvelobs.com/l-histoire-du-soir/20151006.OBS7199/quand-le-louvre-en-appelle-aux-francais-pour-acheter-un-tresor-national.html
Dounia Hadni, « Crowdfunding : une stratégie payante pour les musées », Les Echos, le 10/10/2015, http://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/021389158567-crowdfunding-une-strategie-payante-pour-les-musees-1164155.php
« Le crowdfunding, nouvelle solution de financement pour les musées ? », Good Morning Crowdfunding, le 08/10/2014, http://www.goodmorningcrowdfunding.com/le-crowdfunding-nouvelle-solution-de-financement-pour-les-musees-0810144/
« Tous mécènes ! Quand le musée du Louvre se finance par le crowdfunding », Regards Sur Le Numérique, le 30/11/2012, http://www.rslnmag.fr/post/2012/11/30/Tous-mecenes-!-Quand-le-musee-du-Louvre-se-finance-par-le-crowdfunding.aspx
Crédits images :
Mathieu Ferrier, Agence Photo F. et Antoine Mongodin
Musée du Louvr

METRO BOULOT PHOTO
Non classé

Métro, boulot, photo

Ceux qui ont récemment pris la ligne 4 à Saint-Michel ont sûrement remarqué les portraits de Marilyn Monroe, Salvador Dalí et d’autres encore accrochés au-dessus des tourniquets. Il s’agit là d’une des nombreuses manifestations à l’initiative de la RATP (Régie Autonome des Transports Parisiens) sobrement intitulée « La RATP invite… ». Depuis octobre 2013, des photographies en grand, voire très grand format tapissent les murs de certains arrêts du métro parisien selon des thématiques constamment renouvelées. Et posent une question ancienne sous un angle inédit, celle du rapport entre l’art et le(s) public(s).
La tentation de l’art
La RATP met à disposition des espaces d’affichage sur son réseau ferroviaire pour y exposer des photographies. Elle s’associe à de grandes manifestations du monde de la photographie comme Photoquai, à de grands musées de photographie tels que le Musée du Jeu de Paume ou la Maison Européenne de la Photographie et à de grands noms : Guerogui Pinkhassov ou Bruce Gilden, tous deux membres de l’agence Magnum. Ces choix prestigieux permettent à l’entreprise de se positionner sur le terrain de la photographie d’art.
Elle va même plus loin en s’arrogeant un rôle de mécène. Les deux premières éditions de « La RATP invite… » se sont faites en partenariat avec Photoquai, dont le but est de présenter tous les deux ans 40 photographes du monde entier dont on estime qu’ils méritent d’être connus, et le festival Circulation(s), dont le but était de servir de tremplin à la jeune garde. En se faisant le relais de ces manifestations et en augmentant la visibilité des artistes, la RATP a affirmé sa volonté de servir la « cause » artistique, autrement dit de se faire mécène d’un nouveau genre.
Grâce à l’étendue de son réseau, son quasi-monopole en termes de transports urbains et à une régie publicitaire efficace, la RATP peut proposer un mécénat inédit à l’impact fort : la mise à disposition de lieux d’exposition au plus près du public. Les galeries souterraines du métro deviennent galeries d’art.
Nouvel espace pour une nouvelle vie ?
 

Ce qui se joue là est un rapport d’immédiateté dans lequel l’art va chercher le public et non l’inverse, comme dans un musée traditionnel. Il y a à la fois un phénomène de « descente de l’art dans les rues » et de sanctuarisation de nouveaux lieux publics. A cet égard, le choix de la photographie est extrêmement parlant. Isabelle Ockrent, directrice de la communication de la RATP au moment du partenariat avec Circulation(s), l’explique ainsi : « pourquoi la photo ? La photo c’est un art qu’on peut prendre à plusieurs niveaux, c’est un art populaire, c’est un art accessible et c’est aussi un art qu’on peut diffuser dans nos espaces ». La photographie serait donc la forme d’art qui se prêterait le mieux à l’hybridation des lieux d’exposition.
Par ailleurs, les galeries du métro se prêtent particulièrement bien à l’exercice. De longs couloirs où les gens peuvent déambuler, des cadres gigantesques, sobres ou même ornés, une culture de l’image ; le cadre ainsi décrit pourrait être celui d’une galerie d’art traditionnelle. Cet espace du quotidien de milliers de personnes présente ainsi les caractéristiques idéales pour créer un nouveau lieu d’exposition. Peut-être même est-ce le lieu ultime de démocratisation de l’art : accessible à tous, à tout moment, pour presque rien, ne demandant pas d’effectuer une démarche supplémentaire.
« Une image vaut mieux que mille mots » (c’est Confucius qui l’a dit !)
Il ne suffit pourtant pas de démocratiser pour rendre accessible. Le regard est une véritable problématique dans le métro. Le passant est habitué à la présence de publicités dans presque tous les lieux publics, il est dans le métro au plus près d’affiches aux formats énormes et au nombre conséquent. Tout en développant donc, chez les usagers une véritable culture de l’image, les publicités créent de la lassitude. On voit, plus qu’on ne regarde, les images qui tapissent les murs du métro. Dans ce contexte une image sans texte, dont le but est simplement d’être et non de servir, dans un cadre où on ne s’attend pas à la voir, constitue une respiration et pose une question. Xavier Canone, directeur du musée de la photographie de Charleroi, l’exprime ainsi : « il y a quelque chose là qui est non seulement de faire descendre des formes d’expression culturelle dans des lieux où tout le monde passe mais en plus d’avoir des photographies qui sont sans messages, des photographies sans mots ça oblige, je pense, à avoir une réflexion sur l’image. » S’exprimerait là une vocation d’éducation du regard de la part de la RATP.
Quand l’entreprise parle d’elle-même sans dire un mot

Les années 1980 ont vu l’ouverture de deux musées, dédiés respectivement aux télécommunications et à l’électricité, sous la houlette des deux grandes entreprises françaises France Télécom et EDF. Depuis, l’Espace Fondation EDF a accueilli un grand nombre d’expositions d’art. Plus récemment, la fondation Louis Vuitton a fait construire un musée extravagant dédié à l’art contemporain au Bois de Boulogne. En s’associant à la culture, les entreprises se construisent une image de bienfaiteurs de la société. D’une part, ils ne s’intéressent pas uniquement à l’argent, d’autre part, ils apportent la culture au plus grand nombre.
Une des dernières expositions met en lumière le rôle de moteur de la société que la RATP veut également prendre. Du 24 novembre au 7 décembre 2015, des photographies de Salvador Salgado ont envahi les murs du métro. Elles étaient tirées de la série Genesis pour laquelle le photographe a parcouru pendant 8 ans le monde à la recherche des plus belles manifestations de la nature. Le thème ainsi que les dates de l’exposition ont été choisi pour faire écho à la tenue de la COP 21 à Paris. La mobilisation de la société civile a été le phénomène marquant de cet événement et la RATP y a participé par le biais de son exposition.
La force de la communication de la RATP réside pourtant ailleurs. En effet, le nouveau lieu de culture et de mobilisation coïncide avec les espaces exploités par l’entreprise. Cette superposition des espaces est inédite et particulièrement puissante : ce qui est promu et le dispositif ne font qu’un. Symboliquement la RATP va même plus loin. En remplaçant les publicités par des photographies d’art elle affirme son indépendance vis à vis de considérations « bassement matérielles ».
La force de frappe de cette initiative est donc double : elle est peut-être le lieu d’une nouvelle muséologie tout en étant une démonstration par l’exemple de la puissance de l’entreprise RATP.
Sophie Miljkovic
Sources :
Le site de la RATP qui propose des fiches sur toutes les expositions traitées ci-dessus
Benjamin, Walter, « Petite histoire de la photographie », Études photographiques,1 Novembre 1996, [En ligne], mis en ligne le 18 novembre 2002, URL : http://etudesphotographiques.revues.org/99. consulté le 28 décembre 2015
Davallon Jean, « Le pouvoir sémiotique de l’espace. Vers une nouvelle conception de l’exposition ?», Hermès, La Revue 3/2011 (n° 61) , p. 38-44, URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-3-page-38.htm
Rasse Paul, Girault Yves, « Introduction. Regard sur les arts, les sciences et les cultures en mouvement, à travers les débats qui agitent l’institution muséale…», Hermès, La Revue 3/2011 (n° 61) , p. 11-16, URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-3-page-11.htm
Wolton Dominique, « Les musées. Trois questions. », Hermès, La Revue 3/2011 (n° 61) , p. 195-199, URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-3-page-195.htm
Crédits photos :
La RATP (le nom du photographe n’apparaît pas)
La RATP une fois encore (aucune indication n’est donnée dans la vidéo)
La RATP, une dernière fois