Flops

Objectif Mars

 

Lancée le 26 Novembre 2011 et atterrit le 6 Août 2012, la sonde Curiosity chapeautée par la NASA est surtout l’écrin rêvé d’une stratégie de communication de la part de l’agence. Cependant, elle en dit long sur les dérives de la médiatisation des affaires scientifiques. Analyse.
Redevenir un des symboles du soft-power Américain.
 
La NASA, créée en 1958 est l’agence Étasunienne en charge du développement spatial du pays. Elle est financée par le budget fédéral, voté annuellement par le Congrès. En perte de notoriété depuis le début des années 2000, elle joue actuellement son avenir même avec la mission Curiosity. En effet, le programme spatial coûte très cher. Les États-Unis ont déboursé 2,5 milliard de dollars pour cette mission. Or, dans cette période de coupes budgétaires, c’est 900 000 millions de dollars qui pourraient lui être retirés. C’est donc l’avenir même de l’agence dont il est question ici.
L’enjeu pour elle est donc de légitimer l’octroi de subventions. Pour cela, la NASA tente de redevenir un des fers de lance des États-Unis, une vitrine diplomatique montrant que le pays garde une certaine hégémonie sur les affaires spatiales.
Une stratégie de communication inspirée de la publicité
 
Pour que Curiosity ne soit pas sa dernière mission, la NASA orchestre toute une stratégie de communication autour de la sonde. Dans le but de rajeunir son image, elle occupe les réseaux sociaux et étaye l’actualité médiatique d’annonces sensationnelles, dans le but d’entretenir l’intérêt général soulevé par la mission.
Un compte Twitter a été lancé pour Curiosity en 2008, mais ce dernier a vraiment explosé lors de l’atterrissage en Août dernier. Sa particularité ? Les tweets sont à la première personne, ponctués de références culturelles plus ou moins destinées aux internautes de moins de quarante ans.

Pour 1 317 225 followers, on peut dire que c’est un succès. Créer un intérêt pour un sujet a priori poussiéreux, attirer et fidéliser des Internautes en instaurant des liens de connivence, savamment entretenus par un ton humoristique… Autant d’indices d’une stratégie de communication qui n’a rien à envier aux publicités classiques. C’est dans cette logique qu’il faut analyser la médiatisation d’un des scientifiques de la mission, le directeur de vol Bobak Ferdowsi. Ce jeune scientifique à la carrière brillante s’est fait remarqué par sa coiffure excentrique. Arborant une crête teintée en rouge et des étoiles taillées à la tondeuse, il est rapidement devenu un mème Internet. Voilà un moyen efficace de montrer la NASA sous un nouveau jour, constituée d’équipes jeunes, dynamiques, bien loin des clichés habituels.
Mais ces deux éléments paraissent bien anecdotiques à côté des annonces sensationnalistes effectuées par l’agence pour occuper l’espace médiatique. Car pour attiser l’intérêt, la NASA n’hésite pas à produire des communiqués présentant les avancées de Curiosity comme des révolutions scientifiques. Début Novembre, la NASA a effectué un teasing sur une annonce qui allait « entrer dans les livres d’histoire » (John Grotzinger, responsable de la mission Mars Science Laboratory) dans le but évident de créér un buzz. L’agence précise très vite que cette découverte sera révélée durant une conférence, le 3 Décembre. Pendant plus de deux semaines, l’agence entretient le buzz, avec, par exemple, ce tweet et cette délicieuse vidéo (ponctuée de références geek)

Très vite, cependant, les scientifiques tentent de calmer le jeu, et déçoivent ceux qui croyaient qu’on avait, enfin, découvert les petits hommes verts. Au lieu de cela, la découverte de quelques molécules organiques « d’origine inconnue » sera annoncée lors de la conférence. Or, elles proviennent sans doute d’une contamination terrestre des instruments de Curiosity. Le buzz est alors tué dans l’oeuf, et l’information très peu reprise dans les médias. Cependant, ce fut pour l’Agence l’occasion de vanter la précision des instruments et de rappeler que la mission, qui était alors prévue pour durer deux ans [1], allait apporter bon nombre de découvertes. On peut alors déceler un certain opportuniste dans ce buzz puisque le budget pour la NASA est fixé fin Décembre… Se montrer indispensable, faire preuve de ses avancées et de sa légitimité scientifique était donc, à ce moment là, absolument nécessaire. Et cette stratégie de communication fut loin d’être un flop.
Des annonces reprises médiatiquement sans recul, jouant sur l’imaginaire spatial
 
En revanche, c’est bien dans le traitement médiatique de ces annonces que se situe le problème. Début Mars, la NASA a récidivé. Dans un courrier envoyé à des journalistes, elle a annoncé la tenue d’une conférence de presse le 12 Mars. Dans cette conférence, elle a annoncé en grande pompe que les conditions nécessaires au développement de la vie étaient présentes sur Mars. Annonce largement reprise dans les médias, présentée comme révolutionnaire.
Or, comme le démontre Pierre Barthélemy sur son excellent blog, cela fait des années que c’est un fait scientifique. Elle surf avec cette « non annonce » sur les imaginaires spatiaux. C’est ici la clé de voûte de toute sa stratégie : par l’usage des mots, des divers communiqués publiés, par les tweets de Curiosity, elle laisse sans cesse présager de la découverte des martiens. C’est, bien sûr, le but de la mission : mais l’agence utilise sans cesse l’intérêt que susciterait une telle découverte pour communiquer et se légitimer.
Le bât blesse dès le moment où ces annonces sont reprises dans les médias. Car ceux-ci suivent, les yeux fermés, ces annonces sensationnalistes sans vérifier les antécédents, sans prendre de recul. Les médias utilisent ces annonces pour justement faire du bruit en jouant sur les imaginaires et faire vendre. Car l’astronomie nous fascine toujours autant. Et ça, la NASA l’a bien compris, c’est bien pour cela qu’elle a ici prévenu les journalistes et non la communauté scientifique. Ce traitement journalistique est bien révélateur de la tendance actuelle des journaux à vouloir publier une information pas forcément vérifiée, mais qui fera grand bruit, dans le but de créer le buzz et de vendre ou d’attirer du trafic sur Internet. En attendant de se trouver un modèle économique viable, elle se réfugie dans un sujet sans risque, facile à traiter et suscitant un grand intérêt.
 
Arthur Guillôme
 
[1] : elle a ensuite été allongée pour une période indéfinie
Sources :
http://web-tech.fr/curiosity-une-decouverte-revolutionnaire-annoncee-par-la-nasa/
http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/astronomie/d/curiosity-des-molecules-organiques-mais-dorigine-inconnue_43175/
http://web-tech.fr/succes-de-curiosity-la-nasa-prepare-deja-la-prochaine-mission/
http://sciencesetavenir.nouvelobs.com/curiosity/20121122.OBS0238/curiosity-speculations-autour-d-une-vraie-fausse-annonce-de-la-nasa.html
http://www.huffingtonpost.fr/2012/08/30/bobak-ferdowski-nasa-punk-curiosity-mars_n_1842095.html
http://www.thethreesheep.com/1/post/2012/08/sticking-the-landing-nasa-launches-a-superb-communications-strategy-for-mars-curiosity.html