Dakota access pipeline à l'ère des signaux de fumée
Alors que les médias signalent de plus en plus les dangers que représentent les énergies fossiles pour l’environnement, un scandale écologique et idéologique éclate aux États-Unis dans l’État du Dakota du Nord. Et presque personne n’en entend parler.
La guerre des mondes
Tout a commencé en 2014. La compagnie Energy Transfer Partners, spécialisée dans l’industrie pétrolière, obtient l’autorisation de construire un pipeline reliant le Dakota du Nord à l’Illinois en passant par le Dakota du Sud et l’Iowa. Un projet de près de 2 000 km, et d’un montant de 3,7 milliards de dollars.
Le problème ? Le pipeline est censé traverser la réserve indienne de Standing Rock, située dans le Dakota du Nord. Une terre sacrée, habitée par quelques 8 250 habitants, des Sioux pour la plupart. Mais le fait est que, si les réserves indiennes sont des territoires réservés aux peuples amérindiens, elles restent la propriété des États qui continuent officiellement de les administrer. L’État du Dakota du Nord a donc accepté que ce pipeline passe par Standing Rock, et ce malgré les dangers environnementaux que représente une conduite de pétrole dans un tel lieu habité (d’autant qu’aucune évaluation environnementale approfondie n’a été effectuée).
En avril 2016, des mouvements de protestations pacifiques, menés par l’ainé LaDonna Brave Bull Allard de la tribu Sioux, voient le jour. Organisés autour de trois camps, ils attirent quelques milliers de personnes, amérindiens, dans le but de retarder la construction de l’oléoduc. Une résistance à la fois physique et spirituelle, contre ce qui pourrait être une métaphore du capitalisme américain. Le genre de mouvement qui, dans la ligne de Gandhi et Rosa Parks, séduit et fédère. Quelqu’un qui répond de manière pacifique à une violence manifeste semble toujours plus sympathique que son agresseur. C’est simple, manichéen, vendeur. Pourtant, la couverture médiatique n’est pas au rendez-vous. Étrange, quand on sait que ce genre de sujet suscite souvent l’attention du public.
Cependant, l’État et Energy Transfer Partners ne sont pas prêts à renoncer à leur projet – ni à laisser une poignée de manifestants menacer les matériaux et le chantier de l’oléoduc. Commence alors une phase de répression et de violences à peine réfrénées, contre les manifestants pacifiques : jets d’eau glacés, menaces physiques et morales, surveillance digitale et physique, drones, fils barbelés… Les officiers de l’État semblent avoir sorti le grand jeu. Les affrontements s’enchaînent, se radicalisent, jusqu’à l’arrestation brutale de 141 manifestants et à la mise à feu de l’un de leurs camps. On est en octobre 2016. Peu de temps après, les forces de l’ordre bloquent l’accès au ravitaillement des manifestants.
Il y a quelques jours à peine, le projet de Dakota Access Pipeline a été mis en stand-by par le gouvernement Obama. Une intervention fédérale venant récompenser des mois de protestations silencieuses. La nécessité d’effectuer une véritable estimation des risques environnementaux – chose jusque-là négligée par le Corps des ingénieurs de l’armée des États-Unis – a enfin été affirmée. Mais le president-elect Donald Trump, plus libéral et climato-sceptique, pourrait à nouveau faire pencher la balance en faveur du pipeline.
#NoDAPL VS Energy Transfer Partner
Le cas du Dakota Access Pipeline soulève par ailleurs une autre question – celle de l’absence de couverture médiatique de l’évènement. Il est vrai que les protestations se sont cantonnées à un périmètre bien précis, inconnu du grand public. Mais tout de même, on parle ici de violences policières lors de manifestations pacifiques de minorité défendant son territoire, son lieu de vie. Que ces évènements soient presque passés sous silence remet sur le devant de la scène le comportement ambigu des États-Unis envers les Amérindiens.
Les réserves indiennes sont souvent des endroits isolés, c’est-à-dire des lieux où la couverture réseau est faible et l’accès à Internet jamais garanti. Difficile, dans ces conditions, d’informer le grand public via les réseaux sociaux — pratique devenue courante lors de l’organisation de manifestations. Difficile, certes, mais pas impossible. Alors que les grands médias faisaient le dos rond et détournaient le regard, la communauté amérindienne et ses sympathisants se mobilisaient.
Le hashtag #NoDAPL (No Dakota Access Pipeline) voit le jour sur Twitter afin d’appeler à la protestation, mais surtout pour informer du déroulement des évènements, qui sans les réseaux sociaux seraient probablement restés dans l’ombre. Des activistes amérindiens, à l’image du Docteur Adrienne Keene, se font les porte-paroles de leur peuple via des blogs, des articles sur des sites spécialisés, et d’autres réseaux comme Facebook ou Tumblr. Jusqu’à, enfin, se voir reconnaître par l’armée américaine elle-même, qui leur consacre un communiqué sur son site officiel. Pour la première fois depuis le début des protestations, un véritable relais officiel semble avoir été mis en place pour soutenir les habitants de Standing Rock.
#NoDAPL finit par devenir la signature des manifestants et la preuve d’une nouvelle forme de résistance – celle qui s’organise et se répand à travers le prisme des réseaux sociaux, comme autant de signaux de fumée.
«Representation matters »
L’absence de reportages et d’articles sur ces protestations est symptomatique de deux autres problèmes. Tout d’abord, le sentiment persistant pour les minorités que l’histoire se répète. On a souvent tendance à oublier que les États-Unis se sont construits sur les ruines de centaines de camps de tribus indiennes, et que celles-ci n’ont jamais véritablement été rétribuées pour leurs pertes. Au contraire, souvent mal intégrés, victimes de l’isolement et de l’alcool, les Indiens sont pour la plupart cantonnés dans des réserves, comme s’ils ne faisaient pas vraiment partie du peuple américain. Comme si on ne voulait pas reconnaître leur culture. L’absence de couverture médiatique concernant le Dakota Pipeline Access semble en être un exemple frappant.
Les Amérindiens sont souvent passés sous silence dans les médias – on l’a vu avec l’affaire du Dakota Access Pipeline. Mais leur présence dans les médias est-elle véritablement avantageuse ? Comme toutes les minorités, les Indiens semblent souvent limités à quelques traits de caractère – en un mot, à des clichés. La majorité des Américains ne voient les peuples natifs que sous l’image de Chief Wahoo, le logo de l’équipe de baseball, Cleveland Indians. Ou comme le vieux chef de Pocahontas, taciturne, visage fermé, parlant à peine anglais. Les Amérindiens ne sont donc pas vus comme un peuple civilisé – au contraire. Et leur absence de représentation – de représentation juste et réaliste – dans les médias tels que la télévision, les journaux ou même le cinéma — n’est-elle pas aussi responsable de l’indifférence du reste de la population américaine ?
Margaux Salliot
Twitter
Sources :
• Adrienne KEENE, Native Appropration, « #NoDAPL: Updates, resources, and reflections », publié le 1 novembre. Consulté le 5 décembre.
• Site du camp Sacred Stone, , « DAPL Easement Denied, But The Fight’s Not Over », Publié le 5 décembre. Consulté le 5 décembre.
• « The U.S. Army Cannot Evict Us From Treaty Lands ». Publié le 27 novembre. Consulté le 5 décembre.
• Bethania PALMA, « Army Corps Denies Easement and Blocks the Dakota Access Pipeline ». Publié le 4 décembre. Consulté le 5 décembre.
• Camille SEAMAN, « Gallery: Portraits from the Standing Rock protests ». Publié le 9 novembre. Consulté le 5 décembre.
Crédits :
• Camille Seaman pour le site Idea.ted.com, « Gallery, portraits from the Standing Rock protests », 9 novembre 2016
• Adrienne Keene pour le site Native Appropriations, « #NoDAPL: Updates, resources, and reflections »,
1 novembre 2016
• Jason Miller/Getty Images pour le site Business Insider, « MLB Commissioner Rob Manfred to meet with Cleveland Indians owner over use of controversial ‘Chief Wahoo’ logo », 25 octobre 2016
• Matika Wilbur, page Facebook du Sacred Stone Camp, 8 septembre 2016