Welcome to New York
Société

Welcome to New York : une histoire Kahnoise

 
Pendant que certains festoient la fin du Festival et la remise de la Palme d’or à Nuri Bilge Ceylan et que d’autres quittent la croisette les mains vides, déçus de ne pas avoir su trouver leur place au palmarès, il y en a qui s’en vont avec le sourire. Sont-ils satisfaits des résultats de la présentation de leur long-métrage dans la compétition ? Non… Leur film ne faisait même pas partie de la sélection, il ne sortira d’ailleurs pas au cinéma. Et pourtant, producteurs et distributeur rentrent ravis. Pari réussi.
Le buzz, entretenu depuis longtemps, était savamment orchestré autour d’un dispositif communicationnel colossal. Welcome to New York, on peut le dire, fait office d’OVNI dans le paysage cinématographique actuel – une belle occasion pour revenir sur une opération marketing sans précédent, empreinte d’un nouveau commencement dans la législation du circuit de diffusion des films en France.
Trois festivals de Cannes, trois coups de buzz
Il y a trois ans, pendant qu’Amour remportait la Palme d’or, l’affaire DSK éclatait au grand jour, donnant à Wild Bunch une bonne idée pour s’en mettre plein les poches. En quelques jours seulement, Cannes est pris d’assaut par des rumeurs indiquant le commencement de l’écriture d’un scénario s’inspirant de l’affaire.
L’année suivante, en plein tournage du film, la croisette est cette fois-ci marquée par la fuite mystérieuse d’une bande-annonce de travail. Le distributeur se défend alors d’avoir instrumenté une quelconque opération marketing, déclarant que le chef-opérateur du film ignorait tout simplement que ces images étaient confidentielles. On y croit vraiment ?
C’est toutefois cette année que le distributeur a eu l’idée de génie : présenter le long-métrage pendant le festival et sur place, sans y être invité. Le film a en effet été donné à voir en avant-première mondiale dans un cinéma de quartier, s’attirant facilement la médiatisation environnante et l’impact qui s’en suit.

Entre raisons officielles et officieuses…
L’œuvre bénéficie d’une sortie pour le moins atypique et qui demeure, aujourd’hui encore, assez obscure. En effet, Wild Bunch a délibérément fait le choix de priver Welcome to New York d’une sortie en salles en le reléguant à un direct-to-VOD. Généralement, ceci est réservé aux films ayant un très faible potentiel de succès. Ici, ce n’est pas le cas : s’inspirant d’un des scandales les plus médiatisés de cette décennie, réalisé par un réalisateur de renon, Abel Ferrara, et avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre, Welcome to New York avait tout pour attiser la curiosité.
Le distributeur déclare avoir pris cette décision en raison de plusieurs facteurs bancals. Premièrement, avec une intrigue de cette envergure, Wild Bunch dit craindre qu’une sortie en salles n’accroisse le piratage massif du film. À ce premier argument, il suffit d’objecter que la VOD facilite la piraterie, et dans une qualité supérieure – notons que le film est disponible sur les plateformes de téléchargement illégal depuis le lendemain de sa sortie, le tout en haute définition. Puis, c’est la campagne de promotion onéreuse pour une exploitation du film en salles qui aurait posé problème au distributeur. Pourtant, qui n’a pas vu ces immenses panneaux publicitaires ventant la sortie du film ? La communication autour de Welcome to New York s’est révélée tout aussi chère que celle d’un long-métrage lambda, à la différence qu’une telle dépense n’avait jamais été organisée pour une sortie en VOD.
Il semblerait donc qu’officieusement, le distributeur ait craint que les inévitables poursuites judiciaires ne nuisent à la sortie du film, qui aurait pu être censuré s’il était sorti en salles. En effet, le direct-to-VOD présente l’avantage d’exposer un film sans que quiconque ne puisse le voir avant sa sortie. Ainsi, personne n’a été en mesure de porter plainte avant le 17 mai ; et si une plainte est déposée, cela n’affectera désormais pas le distributeur : le film est d’ores-et-déjà disponible et regardé. « S’ils veulent nous faire de la publicité, ils sont les bienvenus », déclare ironiquement Vincent Maraval, producteur.
Vers une mutation de la distribution cinématographique ?
À l’heure où de nombreux cinémas ferment leurs portes, l’alternative d’une sortie en VOD est alléchante pour les sociétés de distribution. Wild Bunch, en misant sur ce film en tant que test, a pu vérifier si ce modèle économique était viable et a cherché à répondre à une interrogation pour le moins terrifiante : un film attendu peut-il se délester d’une sortie en salles coûteuse sans que les profits n’en soient minorés ?
Malheureusement, le succès de Welcome to New York semble concluant, même s’il faut souligner que l’ampleur du projet en fait un cas à part : 48 000 locations ont été recensées en moins d’une journée, « un chiffre énorme », assure Wild Bunch. Si l’on est encore loin de la cessation de l’activité des cinémas en France, il n’empêche que le succès de cette opération remet en question la chronologie des médias telle qu’elle est appliquée. En effet, le délai de quatre mois entre la sortie d’un film en salles et son exploitation sur d’autres supports (DVD, Blu-Ray ou VOD) paraît désormais obsolète car décidée à une époque où le numérique était inexistant.
En définitive, si l’on attend avec impatience les procès palpitants de DSK et de ses comparses, il ne devrait plus manquer beaucoup de temps avant que cette rigidité législative ne soit amendée, faisant entrer le monde de la distribution cinématographique dans une nouvelle ère.
 
David Da Costa
Sources:
Franceculture.fr
Ecran Total : le quotidien des professionnels de tous les écrans, n°2260, jeudi 15 mai 2014.
LeMonde.fr
Crédits Photos :
Propriété de Wild Bunch.

Société

Jacques a dit : « j'accuse, tu accuses, il accuse…» : rhétorique de l'insulte et victimisation

 
Gérard Depardieu a claqué la porte du territoire et enclenché, par la même occasion, chez diverses personnalités, une salve de diatribes verbales à son égard. De son pied de nez spectaculaire au fisc français – spectaculaire car donné à voir en spectacle – surgit un enjeu de taille pour le phénoménal Cyrano : son fameux panache. « Je ne demande pas à être approuvé, je pourrais au moins être respecté ! » insiste-t-il dans la lettre ouverte adressée au Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Cette prise de parole accusatrice se trouve à l’origine d’un chassé-croisé d’injures et d’indignations véhémentes au sein de l’espace médiatique de la presse.
Le poids de l’injure
Le Premier ministre a été invité à s’exprimer le 12 décembre sur le cas Depardieu : « Je trouve cela minable (…) C’est une grande star, tout le monde l’aime comme artiste. Payer un impôt, c’est un acte de solidarité, patriotique ». L’acteur, blessé, ripostait dans le journal du JDD au moyen d’une lettre ouverte. Le commentaire de M. Ayrault a fait mouche. Sa botte secrète : l’emploi d’un seul petit mot, « minable », pourtant lourd de sens. C’est bien pour cela qu’il est préférable, afin d’éviter des ennuis, de peser ses mots, qui plus est en politique et a fortiori sur une chaîne publique de télévision. Tout bon orateur sait déguiser la vindicte directe, facilement répréhensible, par quelques habiles détours. De fait, le mot n’est rien sans le contexte qu’on lui donne, et c’est précisément ce que M. Ayrault a tenu à souligner pour sa défense. À droite on lui reproche d’avoir été insultant le 12 décembre. L’injure serait-elle donc un faux pas de la communication ? « Je n’ai pas traité de minable M. Depardieu », dixit M. Ayrault, « j’ai dit que ça avait un côté minable effectivement » d’établir sa résidence en Belgique pour payer moins d’impôts. Le qualificatif visait donc davantage le comportement de l’exilé fiscal que l’homme-même. Or voilà bien le centre de cette effusion polémique, à laquelle ont ensuite participé Philippe Torreton, Catherine Deneuve, Brigitte Bardot et tant d’autres encore : l’argument ad hominem, cher aux pamphlets et autres coups de gueules engagés depuis la nuit des temps.
Une tradition historique
La polémique sur la fuite des exilés fiscaux est donc déplacée, puis supplantée par la question de l’honneur. Il s’agit même d’un code de l’honneur, qui réactualise dans l’écriture pamphlétaire la tradition des duels entre gentilshommes. Plus généralement, l’argument ad hominem a pour but de décontenancer l’adversaire. Il discrédite sa position au regard de sa personnalité, ce qui est le propre de l’attitude sophiste. Repérer ces piques verbales permet parfois de redécouvrir la violence rhétorique de certains évènements cruciaux dans l’histoire contemporaine de la France. Zola, en son temps, avait provoqué, en « accusant », une folle farandole d’insultes lors de l’affaire Dreyfus. On pense également aux termes ouvertement antisémites, utilisés par les opposants à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), à l’endroit de la ministre Simone Veil en 1974. Sans aller aussi loin dans l’insulte, le sarcasme est réputé pour être un excellent outil de sape, dans le champ politique en particulier ; et ce, du célèbre « Napoléon le Petit » lancé par Victor Hugo le 17 juillet 1851 au tacle plus récent d’un Charles Pasqua : « Monsieur Fabius est au Premier ministre ce que le Canada Dry est à l’alcool ».
Argument ad hominem, communication abominable ?
La meilleure illustration de cette stratégie rhétorique, dans la polémique qui nous occupe, est la tribune publiée par Philippe Torreton, « Alors Gérard, t’as les boules ? », dans Libération. À la lettre ouverte répond la tribune : même type de mise en scène. Il s’agit bien d’un exercice oratoire, puisqu’ il se livre au public. Philippe Torreton apostrophe directement son confrère du septième art et lui rentre littéralement dans le lard. « Tu voudrais qu’on te laisse t’empiffrer tranquille avec ton pinard, tes poulets, tes conserves, tes cars-loges, tes cantines, tes restos, tes bars, etc. (…) Nous faire avaler (…) que l’homme poète, l’homme blessé, l’artiste est encore là en dépit des apparences… » C’est tendre le bâton pour se faire battre, car la méthode est peu orthodoxe. L’attaque personnelle risque d’être contre-productive, puisque l’assaut mène à la victimisation de l’adversaire. Catherine Deneuve monte ainsi au créneau : « Ce n’est pas tant Gérard Depardieu que je viens défendre, mais plutôt vous que je voudrais interroger. Vous en prendre à son physique ! A son talent ! ». Et Brigitte Bardot d’insister que M. Depardieu est « victime d’un acharnement extrêmement injuste ».
Jeter l’opprobre publiquement, c’est prendre le risque paradoxal qu’on vous renvoie l’ascenseur, en vous collant l’étiquette du bourreau. C’est un risque communicationnel que M. Hollande a bien compris, lui qui a ainsi préféré les félicitations au blâme, en soulignant le patriotisme fiscal de ceux qui demeurent en France.
 
Sibylle Rousselot
Sources :
Stéphane Lembré, « Thomas Bouchet, Noms d’oiseaux. L’insulte en politique de la Restauration à nos jours », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2010, mis en ligne le 22 mars 2010, consulté le 21 décembre 2012.
Libération, ici et là.
U-Bourgogne.fr