Flops, Politique

La récupération politique

S’il y a un domaine où le recyclage n’a pas la côte, c’est bien en politique. Pour preuve le tollé médiatique, à la suite des attentats de Bruxelles, des tweets de Robert Ménard ou encore Bruno Le Roux. Ce dernier s’est empressé de poster un tweet fustigeant l’attitude de la droite sénatoriale dans le débat sur la déchéance de la nationalité, et ont vu l’ensemble de la twittosphère lui tomber dessus malgré des tentatives détournées de faire oublier son tweet.
Mais en quoi consiste vraiment la récupération politique ? Il s’agit d’un procédé qui consiste à se servir d’un événement survenu dans l’actualité pour servir son parti, sa campagne ou ses idées politiques, tout en se parant du voile des bonnes intentions, et en se mettant dans une posture moralisatrice presque prophétique sur le mode du « je vous avais prévenu ».!

Déplacer un événement de la sphère publique pour l’arrimer à la sphère politique ?
La première question qui se pose face aux régulières vagues d’indignation que suscitent les interventions de tel ou tel personnage politique est de distinguer, dans une perspective presque harendtienne, ce qui relève du politique de ce qui n’en relève pas. Cela nous renvoie à la notion d’espace public développée par Habermas. Si l’espace public relève de la souveraineté populaire, en bannit-il pour autant le politique ? Philippe Chanial, dans son analyse L’éthique de la communication : une politique des droits démocratiques ? résume la pensée d’Habermas par le fait que « si la réalisation de la démocratie exige une extension toujours inachevée et toujours menacée de la discussion publique à un réseau sans cesse plus large de relations sociales, ce projet, parce qu’il doit faire face à la réalité des rapports de pouvoir, à la dynamique de répressions systématiques des intérêts universalistes, doit bénéficier de garanties institutionnelles ».
Réguler l’intervention du politique dans l’espace public
Mais qu’est-il reproché au politique ? Intervenir en tant que citoyen pour exprimer ses émotions, ou utiliser l’événement pour soutenir son propos ? La faute serait-elle de faire de la politique du fait divers, de se servir d’un événement particulier pour en faire une généralité ? Alors que dans le même temps les médias incitent les citoyens à interpeller personnalités politiques (bien que ces interpellations soient parfois refusées, à la manière de Christiane Taubira, qui dans l’émission « Des paroles et des actes » dit faire silence face aux victimes (DPDA, jeudi 5 septembre 2013). Pourquoi alors les politiques font-ils part de leurs états d’âme quand ils savent pertinemment que cela va se retourner contre eux ? Les mêmes politiques qui, entre eux, « récupèrent la récupération », la considérant comme une arme facile pour décrédibiliser un adversaire.
La phénoménologie du politique
Louis Queré voit l’espace public comme un espace tampon entre état et société civile. Il essaie d’aller au-delà des analyses d’Habermas en faisant appel à la perspective phénoménologique d’Harendt. Il insiste en effet sur la scénarité de l’espace public et du jugement que peuvent en porter les individus.
Vollrath, qui analyse la pensée harendtienne, en déduit que « le mode de pensée politique de Hannah Harendt considère les thèmes du champ politique non pas comme des objets mais comme des phénomènes et des apparitions. Ils sont ce qui se manifeste soi-même, ce qui apparaît aux yeux et aux sens. Les phénomènes incluent ceux à qui ils apparaissent, de même que l’espace dans lequel ils adviennent, qui détermine la relation qu’il y a entre les phénomènes et ceux qui les perçoivent ». « l’espace dans lequel surviennent les phénomènes politiques est créé par les phénomènes eux-mêmes » Ou, pour le dire plus précisément, il est créé par les personnes dont les actes constituent les événements politiques.
Ainsi, la récupération politique ne serait donc qu’une sorte d’invention journalistique pour justifier les interventions de telle ou telle personnalité sur un événement qui n’a pas forcément de lien direct avec elle(comme Jacques Chirac et la coupe du monde de football 1998). Il semble cependant que le phénomène de récupération soit encore plus malvenu lorsqu’il concerne des situations dramatiques.
Serions nous-arrivés dans ce que Pierre Le Coz appelle « le gouvernement de l’émotion » ?
L’émotivité de l’espace public
Les politiques doivent faire face à un espace médiatique schizophrène qui, d’un côté les dissuade d’intervenir, et de l’autre organise à la télévision ou encore à la radio, des lieux propices à l’échange où se mêle intérêt particulier et général. C’est ainsi que dans les matinales de radio les questions des auditeurs ont pour but d’apporter à un cas personnel une réponse globale. De même à la télévision, lorsqu’un citoyen interpelle un politique, il y a bien confusion entre ce qui est privé et ce qui ne l’est pas. Faire entrer le privé dans la sphère publique n’est en fait permis que lorsque cela est fait par la personne concernée, une sorte de « récupération citoyenne » en somme. Les médias sont en quête de sensationnel, et ont bien compris le caractère hyper-sensible de la société lorsque le politique s’en mêle.
Jérémy Figlia
Sources : 
http://www.francetvinfo.fr/sports/foot/coupe-du-monde/les-politiques-francais-champions-de-la-1 recuperation-du-foot_463304.html 
https://www.youtube.com/watch?v=_Q1_VcxweHE2
http://www.scienceshumaines.com/le-gouvernement-des-emotions_fr_33546.html3
http://www.persee.fr/doc/quad_0987-1381_1992_num_18_1_972
https://basepub.dauphine.fr/bitstream/handle/123456789/8767/Ethique%20de%20la%20communication.PDF?sequence=1

Oiseaux pris en photo en contre-plongée volant tous ensemble
Société

Twitter, la parole qui fourmille

Jeudi soir, Marine Le Pen était invitée de l’émission politique de France 2 orchestrée par David Pujadas et intitulée « des Paroles et des Actes ». Cette émission a pour but de faire passer les candidats face aux mêmes chroniqueurs pour qu’ils puissent expliquer et défendre leurs propositions de manière équitable. Ainsi, comme c’est l’usage dans cette émission, la candidate du Front National a fait face aux différents chroniqueurs (Nathalie St Cricq, François Lenglet et Fabien Namias) et à deux contradicteurs (Henri Guaino et Jean-Luc Mélenchon). Jusqu’à 5,9 millions de téléspectateurs[1] ont assisté à cette somme d’échanges plus ou moins instructifs.
Parallèlement, sur Twitter, le hashtag[2] « #dpda » a été très employé. Plus de 11.000 twittos sévissaient sur la toile et plus de 42.000 tweets avec le hashtag de l’émission ont ainsi été postés. Ces Tweets étaient de natures très diverses. Certains étaient émis par des journaux et renvoyaient à des articles en ligne relatifs à ce que disaient les protagonistes du débat pour permettre de mieux comprendre ce qui se disait. D’autres étaient émis par des journalistes ou des acteurs politiques et apportaient une analyse sur le fond ou sur la forme du débat. Enfin, une bonne quantité de tweets provenaient de simples téléspectateurs à la culture politique plus ou moins fine qui regardaient le débat en attendant l’arrivée de Mélenchon avec une excitation pareille à celle que l’on ressent quand on attend le début d’un match de foot. A cause du petit nombre de caractères possibles pour chaque message (140), certains sonnaient comme des maximes politiques ne pouvant souffrir d’aucune objection. Il y avait aussi beaucoup de messages pour commenter la prestation de David Pujadas ou la chemise à carreaux d’une fille dans le public.
Twitter s’est ainsi présenté comme un prolongement de l’émission. Une plateforme interactive où chacun peut donner son avis immédiatement à tout le monde. Pas de hiérarchie ni d’encadrement des twittos, juste un fourmillement de paroles. Mais tellement de tweets qu’on ne peut en aucun cas tous les voir. Quelqu’un suggérait de faire comme dans l’émission qu’animait Marc Olivier Fogiel sur France 3 il y a quelques années : mettre en place un bandeau en bas de l’écran de France 2 pour diffuser les tweets à tous les téléspectateurs. Imaginez la vitesse de défilement des tweets ! Et si on sélectionnait les meilleurs ? C’est contraire à l’idée de Twitter qui consiste à réduire les asymétries de parole… Et d’ailleurs cela poserait des problèmes de réalisation.
 
Thomas Millard

[1] Francetv.fr

[2] Thème du tweet précédé du symbole « # » pour en faire un mot clé. Ainsi, en un clic, on peut consulter tous les messages émis par les twittos du monde entier qui se rapportant à ce thème.