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Zoo humain : le racisme pour l'art

 

Cette semaine, les travaux subversifs d’un artiste sud-africain se sont introduits entre les murs d’un grand centre culturel et artistique parisien. Du 7 au 14 décembre 2014, le Cent Quatre accueille l’exposition Exhibit B de Brett Bailey. L’exposition propose aux visiteurs la reproduction d’un zoo humain du 20ème siècle. A travers une douzaine de tableaux vivants, des noirs sont exhibés et mis en scène dans des situations de domination raciale historiques et contemporaines.
Ce spectacle déambulatoire fait l’objet de polémique, notamment en raison de son caractère potentiellement raciste. L’intention artistique de Brett Bailey est d’établir un parallèle entre l’histoire coloniale et la situation actuelle des immigrés noirs, de déclencher des réactions pour mieux dénoncer l’horreur.
En dépit de sa bonne volonté, l’exposition reste un zoo humain, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, notre société permet toujours de voir des individus exposés comme des animaux, des noirs qui se donnent à voir aux blancs. Sans distanciation, la violence symbolique est réelle, actualisée. Un zoo humain qui illustre l’atrocité de la domination blanche est mis en scène pour en faire une expérience. L’argument artistique est dégainé, mais aurait-il été tout aussi artistique, pertinent et tolérable de mettre en scène des camps nazi pour dénoncer les actes antisémites contemporains ?

La blancheur hégémonique
De plus, Exhibit B constitue un exemple plus de l’hégémonie du « mâle blanc cishétéro », la catégorie des individus socialement dominants de la société à l’heure actuelle, celle qui dispose du plus de « privilèges » au sein de la société moderne, dont fait partie Brett Bailey. Ainsi, quelle sorte de légitimité sociale peut-on lui attribuer pour exprimer la voix des noirs opprimés du 20ème siècle et d’aujourd’hui ? Exhibit B, c’est un homme blanc qui tient au nom des noirs et de leur souffrance un discours sur l’oppression et la servitude : l’illustration même du monopole de la parole blanche dans l’espace public et social, de l’appropriation culturelle.
Pourtant, l’artiste ne prend pas en compte sa propre couleur de peau (ce qui est demeure logique, puisqu’elle n’a jamais été objet de revendication) : « Je ne pense pas qu’elle soit importante. On m’a demandé pourquoi moi, un blanc, je racontais des histoires de personnes noires. Mais Exhibit B est une pièce sur l’espèce humaine. La déshumanisation concerne les deux parties. Je suis simplement un homme blanc qui parle. »
La couleur de peau, pas si importante que cela ? C’est une idée paradoxale lorsque ses travaux artistiques et réflexifs traitent des questions coloniales et raciales, qu’il a lui-même vécu dans le camp social des dominants, notamment à travers l’expérience de l’Apartheid. Son parti pris esthétique est de mettre en scène uniquement des noirs bâillonnés et muets. Quelque soit l’intention de Brett Bailey, il s’agit d’une reproduction, d’une duplication des objets racistes sans détournement ni démarquage.

Un dispositif performatif
Les partisans qui luttent en faveur du spectacle de Brett Bailey se refusent presque à parler « d’exposition » pour qualifier cet événement vivant, il s’agirait alors davantage d’une « performance », notamment en raison de la présence de comédiens noirs qui se tiennent immobiles durant une centaine minutes. Lors de ce spectacle, l’artiste insiste sur la partie prenante que constitue le public. En déambulant près de ces douze tableaux, les spectateurs sont contraints à choisir : voir ou ne pas voir ce qui se déroule sous leurs yeux.
Ce spectacle présente alors une certaine forme de performativité, mais ce dispositif est-il réellement nécessaire pour dénoncer ? En soi, la réalité historique, qu’il s’agisse de zoos humains ou d’autres abjections de l’histoire de l’humanité, et son archivage suffisent d’ores et déjà à dénoncer la cruauté humaine. Cependant, Brett Bailey a jugé nécessaire de la réactualiser dans une perspective d’art engagé. Cela dit, peut-on parler d’ « engagement » en considérant l’absence de vecteur émancipateur de ce dispositif ?
Depuis quelques semaines, le collectif Contre Exhibit B manifeste pour son interdiction. Pour ces manifestants, cette performance artistique demeure essentiellement une forme d’exploitation et chosification délibérée du corps noir. En réalité, la censure n’a pas lieu d’être mais la question de la légitimité doit se poser.
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources :
altermondes.org
104.fr
slate.fr
Crédits photos :
Franck Pennant / AFP
Jane Barlow

Les Fast

Le Google Lab, une nouvelle étape dans la domination du géant américain de la sphère culturelle ?

 
Plus de 32000 oeuvres dans 46 musées : c’est ce que propose le Google Art Project et son ambition de « démocratisation de la culture ». Tout un chacun peut désormais avoir accès numériquement aux collections du monde entier, se déplacer dans leurs salles et zoomer au plus près des pigments des peintures. Google a ouvert deux autres projets culturels dans le cadre de son Institut : le World Wonders permettant de visiter en Street View les sites du patrimoine international  et des vidéos et photos reconstituants des évènements historiques.
Une étape supplémentaire a été réalisée en décembre dernier : l’ouverture du Lab à Paris, où plus de 300m2 sont consacrés à la rencontre d’artistes et de directeurs d’institutions culturelles avec des ingénieurs du géant américain. Si ce Lab est aussi une résidence d’artistes, Google peut désormais trouver sa place dans la maîtrise de l’art contemporain, en offrant notamment aux résidents la possibilité de traiter avec les dernières technologies.
La marchandisation de la culture et du patrimoine mondial est-elle la visée à long terme de ce projet ? Ou est-ce la mise sous égide de l’art par Google, depuis l’époque médiévale jusqu’à l’art contemporain en train de se faire ou de s’inventer ? Cette « passion de l’art » selon le fondateur de l’Institut, Amit Sood, a un coût qui s’élève à 36,8 Millions d’euros. Si les questions restent ouvertes quant à la place désormais incontournable de Google dans le secteur culturel, pourquoi ne pas envisager une véritable collaboration de cette structure avec les musées, les galeries, les fondations, afin de leur donner l’occasion de trouver de nouveaux publics et des idées pour construire l’avenir du monde de l’art.
 
Joséphine Dupuy Chavanat