fondation Abbé Pierre
Société

Com’ des gens normaux

 
La Fondation Abbé Pierre a dévoilé le 22 novembre lors d’une conférence de presse le thème et les visuels de sa nouvelle campagne d’hiver de sensibilisation au mal-logement. Elle a eu recours une nouvelle fois à l’agence BDDP & Fils : le résultat met clairement l’accent sur l’indifférence des passants qui croisent chaque jour le chemin des quelques 140 000 sans domicile fixe qui vivent en France.
La nouvelle campagne humanitaire, composée de trois prints « Le barbecue » « L’anniversaire » et « La plage », sera affichée sur 12 000 panneaux et abribus pendant tout le mois de décembre en métropole et sur l’île de la Réunion. D’autres médias seront mobilisés pour véhiculer le message : un spot sera diffusé à la télévision et des messages radio complèteront également la campagne hiver 2014.

« Ils ont eu un passé. Aidons-les à retrouver un avenir », voilà le message fort de cette campagne. L’apposition de ces deux phrases simples en blanc qui se détachent des tons ternes de la photo, met en lumière l’absence d’un lien logique qui met mal à l’aise : « Ils n’ont pas de présent ». Rendre aux mal-logés les parts d’humanité et de respect qu’on accorde à tous ceux qui ne dorment pas à même le sol dans la rue, là est clairement posé l’objectif de cette campagne. Le message est d’autant plus fort que les photos sont justes : ce sont des scènes familières et non des caricatures. En effet, le présupposé de la campagne qui n’est pas mis en avant dans le texte -sûrement par délicatesse- n’est pas nouveau : la condition d’un sans domicile fixe s’accompagne, au-delà d’une perte de biens, d’une perte d’estime du reste des gens, qui lui ôtent son statut de « semblable ». C’est dans l’image que le photographe et vidéaste freelance Hervé Plumet choisit de souligner ce fait. Il crée un contraste visuel saisissant entre les vieilles photos de famille colorées, chaleureuses, et les clichés de la condition actuelle, morne, froide et solitaire de l’individu. Il nous met face à la réalité : ce sont des gens comme nous, nous pourrions être semblables à eux. Le sous-titre de la campagne achève de nous unir à leur sort : « Plus de 140 000 d’entre nous sont sans domicile. Agissons ! »
 Les ressorts du pathos de cette campagne sont par ailleurs classiques mais efficaces : le contraste des couleurs, la vieille photo de famille écornée comme si elle était un souvenir que la personne conservait contre elle en tout temps, sont autant de rappels violents d’un présent solitaire. Les trois confrontations visuelles de la campagne sont symboliquement fortes. La femme autrefois étendue lascivement sur le sable de la plage est à présent « à terre » ; l’enfant qui fêtait son anniversaire entourée de cadeaux est dans les bras d’une mère qui ne peut rien lui offrir, exposée aux dangers ; le père de famille qui entretenait le barbecue est réduit à chercher des restes de nourriture dans les poubelles. La typographie, de façon plus subtile et originale, arbore un léger effet « sale », qui mime les conditions de vie dégradantes de la rue.
 Le spot, centré sur l’errance et la détresse touche juste : la caméra prend le contrôle de notre regard et l’oblige à rester focalisé sur le vieil homme qui erre quand nous passons justement notre temps à regarder ailleurs. De courts plans des photos de son passé scandent la vidéo, comme si nous percevions plus ce qui nous rapproche de lui à mesure que nous le regardons. Enfance, joies, vacances, mariage, travail, autant de clichés que l’on a tous chez soi dans un vieil album de famille.

Cependant, quelle est l’efficacité de cette campagne ? Elle est touchante, dirige le regard vers ceux que l’on évite et invite à rendre plus humain notre rapport aux personnes sans domicile, mais pousse-t-elle vraiment à agir ? Montrer du doigt le problème va peut-être augmenter le malaise chez des passants qui, en réalité, sont déjà bien conscients de la précarité des sans domicile fixe. Certes, il sera bien plus difficile de détourner le regard quand, en passant dans une station de métro, on verra un SDF installé en dessous d’une telle affiche, mais va-t-on pour autant se précipiter sur son téléphone pour faire un don ? De plus, on ressent bien souvent une sorte de soulagement coupable quand un autre dit ce qu’il est de bon ton de dire : c’est comme si être d’accord avec la campagne déculpabilisait de ne rien faire.
 Néanmoins cette campagne adresse comme chaque hiver un message de soutien fort aux personnes sans-abris qui ne sont pas vraiment les cibles classiques des publicités affichées dans la rue. Dans une société où l’on tend à cacher la misère, afficher de telles photos partout dans les villes est en soi une forme d’engagement que l’on se doit de féliciter. Les sans domicile fixe ne manifestent pas, n’ont pas de revendications, n’ont pas de pouvoir d’achat et ne sont donc pas représentés médiatiquement et politiquement. A l’heure où le fait divers d’un SDF qui aurait agressé un nonagénaire puis mangé son cœur déchaîne plus les passions que le chiffre affolant de 140 000 personnes à la rue, ça change.
 Avec l’arrivée de la vague de froid, les enjeux de cette campagne sont d’autant plus urgents. Des moyens sont actuellement mis en place pour aider les sans-abris : il est possible de faire des dons aux associations humanitaires comme La Fondation Abbé Pierre ou La Croix Rouge qui organise de plus régulièrement des maraudes pour renouer le lien social avec les personnes en détresse. Les Restos du Cœur ou La Chorba, associations humanitaires qui distribuent des repas gratuits dans Paris, ont aussi besoin de dons.
 Malgré les moyens supplémentaires mobilisés en début d’année grâce au Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, le secteur de l’accueil et de l’hébergement est en crise et ne peut faire face à la demande croissante. Bien que le problème reste avant tout politique (logements vacants à utiliser, retraites insuffisantes, gestion économique et sociale du pays), cette campagne nous rappelle que nous détenons tous le pouvoir d’agir et d’être réellement utiles pour ces personnes en détresse. En soi, s’exclamer « Monsieur vous êtes mon égal » à la manière de Baudelaire («Assommons les Pauvres », Le Spleen de Paris) n’a pas de grande utilité.
 Espérons qu’avec Noël la charité revienne à la mode.
 
 Rimond Leïla
Sources :
Fondation-abbe-pierre.fr
Lareclame.fr
Lexpress.fr

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