Une affiche un peu gourde
En vous promenant récemment dans la rue vous aurez peut-être remarqué l’affiche du Ministère des droits des femmes. Cette affiche représente une gourde rouge, sur laquelle on peut d’ailleurs lire « gourde », accompagnée de la légende « Ceci n’est pas une femme ».
Référence directe à l’œuvre de Magritte intitulée « La Trahison des images », où l’on voit un dessin de pipe avec en dessous cette fameuse légende « Ceci n’est pas une pipe », cette affiche se révèle assez troublante, et ce pour une multitude de raisons.
Tout d’abord voici les deux œuvres :
Ma première réaction fut un froncement de sourcil.
Malgré son esthétique et le logo du Ministère du droit des femmes, l’affiche m’a agacée et, quelque part, agressée. Probablement parce qu’il m’a semblé qu’un tel message avait quelque chose de dégradant en soi. Comme si cette affiche obligeait la société à revenir de nombreuses années en arrière et que la lutte féministe recommençait tout depuis le début? comme si en 2014 pour un défenseur du droit des femmes l’objectif majeur était encore de contrecarrer un préjugé qu’on pourrait croire totalement dépassé, celui que « la femme est une gourde ».
Ce retour en arrière semble nier tous les progrès sociétaux qu’a connus la femme – et l’image de la femme – depuis plus de soixante-dix ans. Si l’affiche tente de démontrer qu’une femme n’est pas une « gourde » cela revient à partir du principe que c’est la doxa. plutôt : cela revient à partir du principe que, pour la doxa, la femme reste une gourde.
Une caricature qui génère plus de pessimisme que d’optimisme donc, tout en rabaissant insidieusement la femme.
Mais revenons plutôt à la référence à Magritte. En effet, il est troublant de remarquer à quel point la première impression de malaise se conforte après une analyse plus poussée du sens de l’affiche.
L’œuvre de Magritte tend à mettre en exergue la différence entre l’objet matériel – l’objet réel pour l’artiste – et la représentation de cet objet. Ainsi la pipe de son œuvre n’est pas une vraie pipe, mais seulement une représentation d’une pipe. Une œuvre qui, sous ses airs faussement naïfs, invoque de grands questionnements philosophiques. Elle invite à réfléchir afin de saisir la subtilité et le bon sens qui naît du dépassement d’une double contradiction-opposition : celle entre signifié et signifiant ; entre une image et sa légende.
Or l’affiche du Ministère des droits de femmes reprend exactement les mêmes codes visuels et langagiers que l’œuvre de Magritte. La personne qui la regarde se retrouve donc implicitement invitée à appliquer la même gymnastique intellectuelle que requiert l’œuvre de référence.
Si « ceci n’est pas une femme », c’est parce que c’est seulement une représentation de femme… La femme est donc une gourde. L’opposition entre texte et image invite à réfléchir, mais elle n’atteint pas le résultat espéré. L’affiche se révèle alors contre-productive et dessert sa cause.
En pleine période de débat autour sur la théorie du genre et sur l’existence même d’un tel ministère cette affiche ressemble finalement a une opération… Qui tombe légèrement à côté. L’affiche avait pourtant tout pour elle : une esthétique irréprochable et un clin d’œil intéressant. Trop de maladresses annihilent la portée du message que le Ministère du droit des femmes cherche à véhiculer à travers cette affiche, qui avait pourtant le mérite d’être originale.
Retrouvez ici une gourde pas si gourde… ou un exemple de campagne particulièrement réussie.
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Maud Espie