Flops

Sims en déroute

 
Il n’y a pas cinquante arguments à avancer pour vendre un jeu vidéo. Lorsque la réussite technique ne peut pas servir de cheval de bataille, les éditeurs se rabattent sur des variations du genre « nous avons fait exactement ce que vous attendiez » ou « notre seul souci est de créer un jeu sur lequel tous nos fans peuvent s’amuser ».
C’est avec ce type de gentilles formules, assez peu efficaces lorsqu’elles sont censées répondre à des critiques, qu’Electronic Arts a choisi d’affronter la petite tempête soulevée par la sortie du dernier SimCity.
Bad move EA, bad move…
L’ire des joueurs s’était déchaînée dès la toute fin 2012, lorsque Maxis, le studio chargé du développement de SimCity, avait eu le malheur d’organiser un chat sur Reddit pour annoncer les fonctionnalités du jeu aux fans de la série. Il y avait été précisé que SimCity ne disposerait d’aucune forme de mode Offline, et donc que le jeu serait proprement inutile sans connexion Internet.
Âge du tout-connecté ou pas, il reste nombre de situations dans lesquelles un ordinateur est incapable d’accéder au Net, surtout s’il dépend des réseaux wifi adjacents. Mais la rage des joueurs tenait moins à cette agaçante contrainte qu’à ce que l’annonce sous-entendait. Car généralement, la principale raison pour laquelle un éditeur décide d’empêcher l’activation Offline de sa production est la recherche d’une forme de DRM (Digital Rights Management).
En clair, un moyen d’empêcher l’utilisation de copies piratées du jeu en maintenant actifs un certain nombre de protocoles d’authentification, dépendants des serveurs de l’éditeur.
Le 5 Mars, EA lançait officiellement SimCity après une courte période d’essai (ou Beta). Relançant au passage les plaintes exaspérées des joueurs, qui se retrouvaient incapables d’utiliser leur copie en raison de serveurs surchargés. Au principe même de la connexion obligatoire, toujours vue avec une extrême méfiance par la communauté gamer, s’ajoutait l’échec de la marque à faire fonctionner son propre système.

Résultat : un dégoût si grand qu’Amazon a prévu de rembourser ceux qui ont obtenu SimCity via sa plate-forme, pour ensuite se retrouver dans l’impossibilité de l’activer en raison des insuffisances de l’éditeur.
L’événement est depuis considéré comme l’une des pires releases de l’histoire du jeu vidéo et ce malgré la qualité exceptionnelle de SimCity lui-même. Et pour le coup de grâce : une double pétition de consommateurs, extrêmement suivie, fut présentée auprès de Whitehouse.gov et Change.org, à laquelle Maxis ne put répondre qu’en proposant un jeu gratuit du catalogue EA aux joueurs floués.
EA réagit rapidement au niveau technique en doublant la capacité de ses serveurs. Mais l’argument communicationnel ne changea pas de ce qui avait été martelé depuis le chat désastreux : l’obligation du Online n’était qu’un choix désintéressé. Essentiel dans le développement du titre, il ne visait qu’à créer une expérience nouvelle et communautaire pour les joueurs et ce sans aucun pensée mesquine ayant trait au DRM. Une justification difficile à avaler par des fans qui ne voyaient là qu’une énième tentative de l’éditeur pour instaurer un contrôle autoritaire sur l’utilisation de sa production. En outre, ils devaient réaliser assez rapidement qu’il était possible de faire revenir SimCity au Offline en ne supprimant qu’une seule ligne dans le code du jeu.
Ce n’est pas au vieux singe que l’on… Ah ben si tiens
Cette problématique n’est nouvelle ni pour EA ni pour le marché du jeu vidéo en général. Lors de la sortie l’année dernière du très attendu Diablo III, Blizzard Entertainment avait essuyé des critiques semblables. La série Diablo avait pour elle l’excuse d’être en partie vouée au jeu en ligne, là où les précédents SimCity étaient des jeux Offline avant tout. Mais cela n’avait guère joué sur le lancement, qui avait été immédiatement boycotté par des joueurs trahis par les serveurs de Blizzard. En France, l’association UFC-Que Choisir avait même été jusqu’à porter plainte contre le développeur pour avoir distribué un produit inutilisable.

Notons cependant que tous les éditeurs ne tombent pas dans le piège, ainsi Ubisoft qui avait eu la bonne idée d’affranchir ses titres d’une connexion obligatoire quelques mois avant la sortie du remarqué Assassin’s Creed III fin 2012. Il évitait ainsi des déboires semblables tout en s’assurant quelques temps plus tard de diffuser des extensions qui, elles, ne pouvaient être jouées en Offline sur des copies piratées. Le contrôle sécuritaire de la diffusion était maintenu, mais sans que les joueurs aient eu l’impression d’acheter quelque chose « qui n’était pas vraiment à eux ».
DRM is the new Fun
Ces anecdotes ne se répètent pas pour rien. Elles trahissent un enjeu grandissant pour les éditeurs de jeux vidéos, qui sont rattrapés par la démocratisation du piratage. Si l’industrie vidéoludique y réagit aussi tardivement (par comparaison, entre autres, aux labels musicaux), c’est essentiellement grâce à la popularité des jeux fondamentalement Online et donc relativement aisés à contrôler, tels Call Of Duty ou les MMORPG (jeux de rôle en ligne).
Mais c’est la vision des consommateurs qui change le plus par résonnance et en vient à admettre dans des cas comme ceux de Diablo ou de SimCity qu’une copie piratée a au moins le mérite de satisfaire immédiatement son utilisateur, là où les versions officielles sont comme on l’a vu tributaires de manquements logistiques. La méfiance vis-à-vis du tout-Online mène même parfois à considérer que le développement d’un MMORPG (prenant place dans un monde persistant, qui n’admet par définition pas de mode Offline) n’est plus autre chose pour les éditeurs qu’un moyen de s’assurer un DRM inviolable.
Et les faits ne manquent pas pour conforter les joueurs dans leurs opinions, ainsi avec la rumeur grandissante selon laquelle la Xbox 720 (prochaine console de Microsoft) ne pourra fonctionner sans connexion au service Xbox Live, ce qui permettrait de tuer le marché de l’occasion des jeux Xbox en même temps que le piratage ou le simple prêt entre amis : chaque copie de chaque titre ne pourra être utilisée que par un unique utilisateur du service, ayant dûment payé pour ce droit.
Le Flop retentissant d’Electronic Arts est donc le symptôme d’un phénomène qui ne semble pouvoir être endigué que par la mutualisation de la diffusion. Rares sont les alternatives autres que les plates-formes telles que Steam, de Valve. Car Steam encourage ses utilisateurs à passer par lui pour acheter des jeux, et à lancer ces derniers en restant connecté au service. Ceux qui ont fini par apprécier ce fonctionnement et notamment les nombreuses interactions sociales qu’il permet de conserver tout en jouant, sont ainsi moins tentés de simplement quitter la plate-forme. La mort du Offline n’étant à l’évidence pas un changement que les gamers sont prêts à accepter, les éditeurs de jeux vidéos ne semblent pouvoir sauver leur industrie autrement qu’en développant un discours d’escorte de plus en plus tentaculaire, irrigué de services corollaires au gaming lui-même et justifiant une connexion constante.
C’est ça, ou se faire insulter sur Reddit.
 
Léo Fauvel
Sources :
Journaldugamer.com
Forbes, ici, là et là.
Rue89