Société

L'empire du VICE

 
          Alors que VICE NEWS a déjà rassemblé plus de 450 000 abonnés sur Youtube en mars dernier, le lancement de VICE NEWS FR sur les écrans francophones cet automne place son fondateur, Shane Smith, au centre d’une controverse médiatique où l’avenir du journalisme est fortement interrogé.
Interviewé par Télérama, Shane Smith entend assumer pleinement le succès de son média à la fois papier, numérique et audiovisuel. Or, c’est bien à partir de la culture underground qu’est né VICE au Canada en tant que fanzine gratuit en 1994 pour ensuite se délocaliser à Brooklyn et devenir une icône du mouvement Punk aujourd’hui globalisé.  
         Mais tout comme le mouvement punk aujourd’hui, cette originalité semble battre de l’aile à mesure que l’expansion du média continue, depuis le lancement de vidéos sur Youtube en 2007, jusqu’au rachat d’une part du média par Rupert Murdoch en 2013. Essuyant davantage de critiques, VICE choisit toujours, à travers son fondateur, Shane Smith, de répondre par la provocation, l’insolite et l’insulte parfois (Gawker). Ses contenus sont tantôt abhorrés par les autres médias, tantôt encensés pour le dispositif original qu’il propose. L’innovation de VICE à travers VICE NEWS semble toutefois faire office de seul système médiatique encore rentable dans une presse en crise.
      L’empire VICE qui ne cesse de s’étendre ne doit-il pas pourtant son succès à ses détracteurs qui lui construisent une identité controversée ? Mais dès lors que son emprise s’agrandit entre les mains des magnats des médias, peut-il précisément continuer à cultiver la controverse, clé de son identité ?
Un bruit  médiatique qui résonne par l’image
           Dès le début VICE propose un modèle médiatique en phase avec ses lecteurs, jeunes et décalés. La transition numérique était donc naturelle avec, en 2007, le lancement de vidéos sur Youtube. Toutefois, ce n’est qu’avec le lancement de VICE NEWS, en mars 2014, que les médias s’intéressent davantage au nouvel arrivant, racheté en partie par Rupert Murdoch en 2013. C’est, en effet, autour de l’image et du spectaculaire que VICE NEWS matérialise sa différence et fait résonner le bruit médiatique.
         Le dispositif s’articule autour de la terreur et de la fascination. Terreur par les sujets choisis : l’État islamique, la Corée du Nord ou encore Ebola. Les musiques sélectionnées renforcent d’ailleurs l’idée d’une scénarisation par le travail des percussions notamment. Dans le reportage effectué en Syrie sur l’Etat islamique, la caméra se concentre uniquement sur le groupe terroriste de sorte qu’aucun commentaire extérieur ne permet réellement de rompre avec l’environnement terrifiant pour apporter un éclairage informatif. En effet, c’est en téléspectateur qu’on assiste à l’immersion du journaliste au cœur de l’organisation de l’État islamique de sorte que la focalisation est constamment interne et qu’aucune mise à distance n’a lieu.

                 Mais c’est exactement cette immersion qui fait la force de VICE NEWS auprès du spectateur et sa faiblesse aux yeux de ses confrères. Ils s’interrogent sur les conditions de tournage et la position équivoque des journalistes comme celle de Medyan Dairieh sur le plateau de MTV. Interviewé sur son opinion au sujet de l’État islamique, Darieh n’a pas jugé utile de condamner l’organisation terroriste ou de nier leur légitimité en tant qu’État. Ce discours ambigu est largement en dissonance avec celui de Shane Smith qui considère que les images parlent d’elles-mêmes quant à la dénonciation du groupe.
        C’est dans ce double discours que peut effectivement s’identifier la cible première de VICE qui est la jeunesse. Il s’agit d’un flirt incessant avec l’interdit et le sulfureux qui permet à la rédaction de faire parler d’elle dans un buzz permanent entre critiques virulentes et admiration béates.
Ce sont ainsi plusieurs médias traditionnels qui s’intéressent aux nouveaux dispositifs mis en place par VICE, à commencer par France 4 prêt à relayer ses reportages. Mais ce sont aussi des critiques admiratives du Monde ou l’interview de Shane Smith dans Télérama où le PDG se présente comme un dangereux marginal face aux vétérans de la presse institutionnalisée.
             Une innovation compromise par son expansion mondiale
          Cependant, l’apogée de Shane Smith peut-elle s’inscrire dans la durée alors que l’identité du média s’est construite en marge de tout ce qui renforce VICE NEWS aujourd’hui ?
150 000 millions de visionnages sur sa chaîne Youtube, un partenariat en or avec HBO, VICE ne s’arrête pas de grandir.
Cette importance représente sa force puisqu’elle lui permet de développer le concept VICE NEWS ainsi que d’améliorer la qualité de ses reportages ou encore d’attirer une audience plus grande, moins jeune mais aussi des journalistes d’une presse plus traditionnelle.
En ce sens, le modèle originel de VICE semble compromis puisqu’il revêt les paramètres d’un grand média globalisé et présent sur tous types de supports. Ses collaborations avec la chaîne Al-Jazeera peuvent questionner son aspiration à l’imiter puisque cette chaîne qatarie est devenue rapidement un pilier de le la télévision dans les pays arabophones.
L’innovation de VICE qui a fait son succès pourrait être compromise puisqu’il s’agit désormais de conquérir des publics mondiaux en proposant des contenus adaptés à chaque culture comme avec VICE NEWS FR qui se veut francophone et non français. Dès lors, c’est moins sur l’originalité de la marque VICE que sur la sélection des contenus que son succès international sera décidé et éventuellement pérenne.
Marie VAISSETTE
Sources
Telerema.fr
Lemonde.fr
Gawker.com
franceinter.fr
news.vice.com
Theguardian.com
Slate.fr

The New york Times
Les Fast

L’information en italique

 
Nous ne lisons pas de la même manière sur le papier que sur l’écran, c’est pourquoi le développement des sites d’information en ligne, au détriment du journal, soulève de nouvelles réflexions quant à la mise en page du discours proposé. Une typographie ou une couleur influent sur notre interprétation finale d’un texte, et ces structures que nous ne voyons pas sont autant de voiles qui façonnent le discours et l’orientent.

La semaine dernière, le quotidien « The New York Times » modifiait certains éléments, discrets mais significatifs, de son site internet, ouvrant la voie à un questionnement sur ces structures invisibles qui conditionnent notre lecture à notre insu. Jusqu’ici était utilisée la police Georgia, en gras, qui ressortait avec d’autant plus de force qu’elle avait été créée pour l’écran. Désormais, il s’agit de Cheltenham, une police d’imprimerie, en rappel à l’édition papier — mais en italique. Plusieurs études ont été consacrées à l’utilisation de l’italique, qui serait à manipuler avec précaution : sa densité et son mouvement seraient apparemment plus difficiles à saisir, mais forceraient aussi le lecteur à une concentration supérieure, qui lui permettrait de mieux retenir les données en italique. Ian Adelman, le directeur de digital design du site explique ce changement par le désir d’insuffler au lecteur un sentiment d’urgence dans sa lecture, mais aussi de réaffirmer l’image du journal : moins désuet, mais toujours traditionnel.
 Ainsi, un élément aussi impalpable et fugace que la typographie d’un article porterait-il en lui le manifeste du journal tout entier, dans son rapport à l’information, au lecteur et au monde ?
Agnès Mascarou
Sources :
fastcodesign.com
slate.com
nytimes.com
Crédit photo :
nytimes.com