Toujours en quête de vecteurs d’identifications dans un mode de relation avec le consommateur en mutation accélérée, les marques sont de plus en plus nombreuses à user du retour à l’enfance comme dispositif symbolique, des campagnes média d’envergure aux opérations plus ponctuelles de brand experience.
L’enfance, un Eldorado pour les marques
A bas la crise ! Les manifesto, les baselines et les buzz se succèdent, une tendance émerge : en affirmant des valeurs de simplicité, de tendresse ou de fun sans entrave, toutes corollaires de l’enfance, les marques se posent de manière affirmée en remède contre la morosité, dans un contexte d’instabilités multiples.
Dans une société en proie au jeunisme, que l’imaginaire de l’enfance soit un imaginaire perçu comme positif et ayant des vertus aspirationnelles n’a rien d’étonnant. Cependant, l’affirmation explicite du retour à l’enfance et à ses valeurs que l’on constate est bien plus qu’une simple référence : c’est une mécanique qui permet aux marques de s’approprier un univers commun, qui nourrit un discours rassurant et pertinent en période de crise. Pour se positionner en antidote à la morosité ambiante – confirmée par toutes les études d’opinion – les marques se veulent des acteurs enthousiastes, spontanés et optimistes.
Le refus du quotidien exprimé par Monoprix, ou les Evian babies servent un double objectif. D’une part, sortir d’un discours purement fonctionnel sur le produit, forcément boring, pour trouver un dénominateur commun avec le consommateur sur un terrain plus porteur : celui d’une enfance idéalisée, où l’acte d’achat dédramatisé devient un acte ludique, émancipateur et festif.
Le recours à l’enfance est donc un moyen pour les marques de se rapprocher du consommateur sur un territoire à forte charge symbolique et émotionnelle.
Evian et ses Roller-Babies par Euro RSCG, un phénomène viral qui date de 2009, réadapté en 2013 avec la campagne Baby and me.
Il s’agit dans un second temps d’esquiver une autre tendance : celle de l’exigence grandissante d’une responsabilité économique, sociale et écologique des marques du quotidien à l’ère du soupçon, elles que l’on accuse de vendre une viande de bœuf à la traçabilité pas franchement établie ou dont la production de jeans n’est plus depuis longtemps localisée sur le territoire national, ce qui pourrait faire désordre en période de glorification du made in France.
Dans ce retour à l’enfance réside un contrat tacite, un deal gagnant-gagnant, où le consommateur diverti et déresponsabilisé, accorde – par consentement ou par omission – à la marque entertainer le droit à l’oubli. Infantilisé, le consommateur cesse d’être un consommateur-citoyen.
Une dimension expérientielle.
En se rendant chez Monoprix, le père de famille urbain (au hasard) cesse d’assumer une responsabilité contraignante mais utile au fonctionnement du foyer, il entre dans une aire de jeu investie de signaux colorés, de formules humoristiques plaquées façon pop-art sur des packagings enfin fun. Pour lui l’acte de consommation n’est plus une corvée ou ne devrait plus l’être, c’est maintenant une expérience-échappatoire réalisée sous le patronage des marques-amies, toujours promptes à soulager l’individu adulte de ses responsabilités lors de courtes fugues symboliques.
La promesse d’un film publicitaire produit par Rosapark pour Monoprix et sorti en mars 2013 sur les plateformes de partage vidéo résume bien cette mécanique du retour à l’enfance dans sa dimension expérientielle : Vivez un moment qui fait splash, boum, ouaaa.
La bataille d’eau – Rosapark pour Monoprix, 2013.
Au delà du discours et des éléments constitutifs de l’identité des marques, le consommateur est invité à entrer dans un mode de relation plus instinctif et sensoriel par le biais de dispositifs dits de brand experience.
Ces opérations de brand experience sont vues comme le moyen de créer un lien durable avec le consommateur en suscitant un engagement fort de sa part, elles ont aussi une dimension évènementielle et un objectif viral.
Ces dispositifs expérientiels de plus en plus courants sont parfaitement adaptés à la déclinaison du retour à l’enfance comme axe de communication : quoi de plus efficace pour infantiliser le consommateur que de le replonger dans un contexte d’apprentissage et de découverte sensorielle, pédagogique et ludique ?
A l’image de l’opération Día del Niño réalisée par McDonalds en janvier 2014 à Lima au Pérou, où l’enseigne de fast-food infantilise de façon explicite ses clients, en surélevant les comptoirs et en sur-dimensionnant tables et chaises du restaurant. Le site DesignTaxiqui relaie l’opération conçue par l’agence Farenheit DDB Lima, la résume ainsi : « With a simple, but nicely executed idea like this, McDonald’s was able to recreate a childhood experience for adults, bringing joy to many as adults jumped and giggled as they were handed balloons. » Bon enfant.
Dia del Niño, Farenheit DDB pour McDonalds, 2014, Lima, Pérou.
Alors, qui serons-nous demain ? Consommateurs-citoyens conscients du rôle social et économique de l’acte d’achat, ou consommateurs infantilisés aux bras d’industries paternalistes ?
Alexis Mattei
Sources :
Petite théorie du fun, Guillaume Anselin dans INfluencia « La Jeunesse » janvier/mars 2013
Designtaxi.com
Lareclame.fr