Société

Golden Globes : La guerre médiatique est déclarée

Le 8 janvier dernier ont eu lieu les Golden Globes, cérémonie qui récompense les meilleures prestations d’acteurs, d’actrices ainsi que les meilleurs films et séries de l’année. Un parterre de célébrités, des discours de remerciement par dizaines… au premier regard, rien qui ne sorte des sentiers battus dans le monde de l’entertainment américain. Pourtant, les enjeux allaient bien au-delà de savoir qui avait la plus belle robe entre Kerry Washington et Amy Adams. L’enjeu était, contre toute attente, politique.
Avatar du politainment

Le discours de Meryl Streep n’a échappé à personne. Il était présent sur tous les réseaux sociaux, dès la seconde où il a été prononcé. Dans ce qui devait être sa séquence de remerciements après avoir gagné le prix du meilleur premier rôle dans un film musical (Florence Foster Jenkins de Stephen Frears), Meryl Streep a décidé de ne pas se restreindre à de simples formalités. L’actrice qui a, tout au long de sa carrière, accumulé de nombreuses récompenses, a ouvertement critiqué Donald Trump, en faisant bien attention à ne jamais le nommer. En effet, à quelques jours de l’investiture, les Golden Globes se présentaient comme le dernier cri d’alerte de l’Amérique progressiste, et alarmée.
Meryl Streep n’a évidemment pas été la seule à faire allusion à l’élection de Donald Trump, et à exprimer ses inquiétudes. En effet, dès les premières minutes de la cérémonie, Jimmy Fallon, présentateur vedette du Tonight Show et présentateur de l’édition 2017 des Golden Globes, a ouvert le feu en faisant référence à l’élection qu’il, comme beaucoup d’autres, pense faussée par le système du collège électoral. Le présentateur-comédien débute son monologue avec cette phrase : « This is the Golden Globes, one of the few places left where America still honors the popular vote. » (Bienvenue aux Golden Globes, l’un des derniers endroits en Amérique où le vote populaire est encore pris en compte). La couleur est alors annoncée. La soirée a donc été ponctuée d’interventions du genre qui mettaient en avant le rejet général du 45ème président des États-Unis par la caste hollywoodienne.
Le paradoxe réside en cela. Voilà la couche de la société américaine la plus éloignée de la réalité, qui n’est que divertissement pur, qui ramène les téléspectateurs au monde concret qui les attend, à la fin de ces deux heures de « show ». Assistons-nous à l’expression paroxystique de ce que l’on appelle le politainment ? Depuis l’avènement de la « screen era » (l’ère de l’écran) dans les années 1960, porté par la figure du jeune et beau John F. Kennedy, la politique dans les médias a glissé vers le monde de l’entertainment. Barack Obama est l’exemple parfait de cette mise en scène spectaculaire de la politique. On se rappelle de son apparition dans le Tonight Show en juin 2016 et de cette séquence mythique durant laquelle le président du monde libre s’adonne à un jeu musical dont le principe est de slammer l’actualité.

Les stars en politique, les politiques stars
Il semblerait que la revendication politique des stars hollywoodiennes soit le résultat de cette transformation de l’image de la politique dans les médias. Au beau milieu d’une émission dont l’unique vocation est de divertir et de glorifier des célébrités dont le quotidien est très éloigné de celui des Américains moyens, Meryl Streep s’est sentie légitime de livrer un discours politique.
Au pays où un milliardaire, magnat de l’immobilier peut devenir président, pourquoi pas imaginer une actrice hollywoodienne en meneuse d’un mouvement de révolte politique ? Au fond, qu’est-ce qui oppose une star hollywoodienne à Donald Trump ? Ils sont tous les deux riches, vivent dans un tout autre univers. Avec l’élection présidentielle de 2016, c’est la notion de légitimité en politique qui a été bouleversée. En effet, même Reagan, qui avait été acteur avant de devenir président, a effectué un mandat de gouverneur de Californie avant de prétendre au plus haut poste du pays. L’homme ou la femme politique est désormais un ou une « entertainer » avant tout. Il s’agit plus de divertir que de produire une réflexion sensée. Les meetings de Donald Trump en sont l’exemple. Il harangue la foule à coup de slogans vides de sens, comme « Build a wall ! », en référence à l’érection d’un mur plus grand et plus long que celui qui a déjà été construit par George W. Bush à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, ou encore « Lock her up ! », en référence aux accusations de corruption dont Hillary Clinton a fait l’objet durant la campagne.

https://www.youtube.com/watch?v=NaDE-YqT09E

La figure de l’homme politique a perdu ses repères et ses normes. Meryl Streep devient alors aussi légitime que Donald Trump et peut se permettre de livrer un discours ouvertement partisan et de s’afficher en tant que leader d’un mouvement anti-Trump aux yeux du monde entier.
Une nouvelle tribune pour la lutte politique
La plateforme utilisée est d’autant plus intéressante qu’il s’agit d’un show retransmis à la télévision à une heure de grande audience. En livrant son discours aux Golden Globes, Meryl Streep savait qu’elle toucherait un public large, international, pas forcément politisé, à travers un média traditionnel. En effet, la cérémonie a attiré environ 20 millions d’Américains devant leur poste — ce même média qui a été l’outil privilégié de Donald Trump pendant sa campagne. L’actrice décide donc de l’attaquer sur son propre terrain. La réponse du futur président a été envoyée via Twitter, devenu maintenant son réseau de prédilection. Le septuagénaire a compris que Twitter lui permettait de contrôler son image et de s’exprimer de manière univoque et unilatérale.

En 140 caractères, le businessman reconverti en président a exprimé son mécontentement. Le fait qu’il ait utilisé Twitter pour répondre à une attaque à son encontre à la télévision illustre également la dimension de cette nouvelle guerre qui s’engage sur tous les terrains médiatiques : les médias traditionnels VS les nouveaux médias.
Les cérémonies de récompenses sont tout ce qu’il y a de plus traditionnel à la télévision américaine. Les Oscars ou les Grammy’s, qui existent depuis respectivement 1929 et 1958, sont de véritables institutions de l’entertainment américain. Il est intéressant de voir à quel point la politique s’immisce dans ces créneaux télévisés, normalement réservés exclusivement au divertissement. On peut citer par exemple la controverse #OscarsSoWhite, lancée sur Twitter en janvier 2016, qui accuse l’Académie des Oscars d’ignorer les performances des acteurs et actrices noir(e)s. Là aussi, la polémique opposait l’opium du peuple contre le tout jeune réseau social Twitter. De la même manière, en juin 2016, à l’occasion des BET Awards (BET, Black Entertainment Television), l’acteur Jesse Williams a livré un discours poignant traitant de la condition des Noirs aux Etats-Unis, et invitant tous les Afro-Américains à la résistance et à la résilience, en référence au hashtag #BlackLivesMatter, devenu un véritable mouvement civique pour l’égalité.

Dans un monde où une star de la téléréalité milliardaire peut diriger le pays le plus puissant de la planète, on peut certainement imaginer que les cérémonies d’awards, le lieu du « show américain » le plus typique, pourraient bientôt devenir le lieu de la revendication politique la plus convaincante.
Mina Ramos
@Mina_Celsa
Sources :
– DEGBE Esther, « Donald Trump omniprésent dans les discours aux Golden Globes », Huffington Post, publié le 9/01/2017, consulté le 14/01/2017 http://www.huffingtonpost.fr/ 2017/01/09/donald-trump-omnipresent-dans-les-discours-aux-golden-globes/
– BARNES Brooks, « At the Golden Globes, a New Culture War Erupts Onstage, The New York Times, publié le 9/01/2017, consulté le 10/01/2017 https://www.nytimes.com/2017/01/09/movies/ golden-globes-donald-trump-meryl-streep.html?smid=fb-nytimes&smtyp=cur&_r=0
– DE MONTALIVET Hortense, « Le discours indigné de Jesse Williams aux BET Awards », Huffington Post, publié le 27/06/2016, consulté le 14/01/2017 http://www.huffingtonpost.fr/ 2016/06/27/le-discours-indigne-de-jesse-williams-aux-bet-awards/
– O’CONNELL Michael, « TV Ratings : 2017 Golden Globes Climb to 20 Million Viewers », The Hollywood Reporter, publié le 9/01/2017, consulté le 14/01/2017 http:// www.hollywoodreporter.com/live-feed/tv-ratings-golden-globes-up-2016-early-numbers-962326
Crédits photos :
Twitter / Golden Globes Awards
Twitter / @realDonaldTrump

VLOGGING
Société

Une vidéo de moi, par moi, sur une idée originale de moi

Le vlogging, à l’origine, désigne un phénomène très vaste : des gens de tout type et de tout âge qui « font des vidéos » dans lesquelles ils apparaissent et parlent d’une multitude de sujets différents – cuisine, musique, culture, beauté… Depuis plusieurs années, un nouveau phénomène se développe et commence à toucher la webosphère française : des gens se filment en train de vaquer à leurs occupations ou de raconter ce qu’ils ont fait dans la journée. A titre d’exemples, allez voir la chaîne Youtube de Zoella (pour les plus bilingues anglais d’entre vous) ou celle de Marie sur EnjoyVlogging.
Créer du lien
Le vlogging a besoin de deux éléments : une caméra et une plate-forme qui servent d’interface entre le vlogger et son public. Car l’essence du vlogging reste le partage et le but, la création d’une communauté. Une grande partie des vloggers commencent leur vidéo par un « hey guys » ou son équivalent français « bonjour à tous ». Cette petite phrase introductive qui connaît autant de variations qu’il y a de vloggers a la vertu d’instaurer une relation simple, presque amicale, avec le spectateur croisé au détour de ses pérégrinations sur Internet. Elle permet également de convoquer non pas un seul mais toute une communauté de spectateurs, réunissant par cette formule magique le vlogger, la personne qui le regarde et toutes celles qui ont regardé ou vont regarder la vidéo.
Cette impression de lien est renforcée par le fait que le vlogger se montre : là où le blog permettait la distance par le biais de l’écriture, le vlog exige de s’exposer davantage pour créer l’illusion d’une conversation instantanée. C’est ainsi que s’instaure une relation plus immédiate avec une personnalité d’autant plus dense qu’on la voit, qu’elle est là. La matérialisation du lien avec le vlogger appartient ensuite au spectateur qui peut suivre activement la chaîne – donc augmenter ses vues et sa popularité –, s’abonner ou commenter. Ces actions donnant lieu à des réactions de la part du vlogger, une discussion s’installe.
Une logique spectaculaire
L’échange semble pourtant biaisé. D’une part, l’authenticité revendiquée par les vloggers est à remettre en question, d’autre part le rapport de force entre ceux-ci et leur public est déséquilibré. Les vloggers font en effet acte de création dans leurs vidéos. Ce qui apparaît comme une intervention spontanée s’obtient par un véritable travail et passe par une grande quantité de filtres. Du sujet au titre de la vidéo en passant par le texte, le cadre, les prises et le montage, un certain nombre d’éléments peuvent ainsi faire l’objet de choix qui influent sur la composition finale. Celle-ci ressemble donc moins à une prise de parole informelle et beaucoup plus à une performance, propulsant les vloggers du statut de meilleur ami virtuel à celui d’artiste. Un exemple extrême d’acte créatif assumé en tant que tel : Nothing much to do qui adapte « Beaucoup de bruit pour rien » de Shakespeare en série-vlog.
 

 
Le rapport des spectateurs à ces vidéos semble le confirmer en s’inscrivant dans une logique du spectacle. Le vlogger s’expose, le public dispose. Il peut en effet décider d’un grand nombre de paramètres dans cette discussion d’un nouveau genre. C’est lui qui choisit avec qui elle aura lieu (« j’aime pas du tout Untel, je vais regarder Untel »), quand (« je me ferais bien un épisode de Untel avant de me mettre à bosser »), combien de temps (« en fait c’est pas si intéressant, je vais fermer la vidéo alors qu’Untel est au milieu de sa phrase ») et surtout, si elle aura lieu (« finalement je vais regarder Orange is the New Black »). Pour poursuivre la métaphore du spectacle on peut dire que c’est l’adhésion du public et ses commentaires positifs qui décident de la réussite d’un vlog. Dans un second temps, lorsque le vlog est un succès, c’est l’existence-même de ce public qui impose aux vloggers un certain rythme de création. Il n’est ainsi pas rare d’entendre un vlogger promettre une vidéo pour une certaine date ou parler de son rythme de publication (en moyenne une vidéo par semaine). Le public semble donc dominer dans une relation qu’il définit par sa présence ou son absence.
Vers une nouvelle télé-réalité ?
D’une semaine à l’autre le public suit un vlogger comme il suit une série, impatient de voir ce que ce dernier lui réserve. Certains vlogs reprennent même les codes de la série en insérant, par exemple, un générique au début de la vidéo (voir theschuermanshow). Des prix ont même été créés pour récompenser les meilleurs vlogs, leur conférant une reconnaissance semblable aux contenus primés aux cérémonies du genre des Golden Globes. Ils marquent également la tendance à la professionnalisation de certains vlogs. Cette logique a atteint son sommet avec la mise en place de cérémonies spécialement dédiées aux contenus en ligne.
Mais on peut aller plus loin et inscrire le phénomène du vlog dans le cadre que la télé-réalité a imposé au paysage du divertissement. L’idée de montrer des vrais gens en guise d’« entertainment » s’est peu à peu déclinée : sont apparues des émissions de réalité scénarisée comme « Petits secrets entre voisins », des émissions de télé-réalité dont disparaissent les présentateurs et dont les commentaires sont de plus en plus pris en charge par les participants – voir « Les reines du shopping » et autres « Quatre mariages pour une lune de miel » … Le vlog semble en être une évolution logique parce qu’il montre des personnes dans leur quotidien commentant eux-mêmes ce qu’il se passe. Étant donc à la fois acteur, producteur, réalisateur et présentateur du contenu, les vloggers proposent une nouvelle forme de divertissement, plus proche d’eux et plus proche de leur public.
Sophie Mikovitch
Sources :
O’Neill, Megan. « The Top 5 Youtube Vloggers And Why People Love Them. » Social Times.  13/04/2010. Consulté le 10/11/2015. http://www.adweek.com/socialtimes/top-youtube-vloggers/11285
Samuelson, Kate. 25 « Vloggers Under 25 Who Are Owning The World Of Youtube », The Huffington Post UK. 26/12/2014. Consulté le 10/11/2015. http://www.huffingtonpost.co.uk/2014/12/17/25-vloggers-under-25-who-are-owning-the-world-of-youtube_n_6340280.html
Leloup, Damien. « Les « Family vlogs », ou la téléréalité faite maison », Le Monde.fr. 09/10/2015. Consulté le 10/11/2015. http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/10/09/les-family-vlogs-ou-la-telerealite-faite-maison_4786496_4408996.html#sZIUdBPgyzdfOtbH.99
Crédits photo :
MacEntee, Sean. Tyler Parker. Random Thoughts From My Random Mind. Consulté le 12/11/2015.
http://blog.tylerparker.ca/?cat=38