Flops

Which life matters ?

En avril 2017, le dernier spot publicitaire de Pepsi a très rapidement déclenché un « bad buzz » ou un « gros fail », pour reprendre les expressions utilisées par les titres de l’actualité à ce sujet. Le court-métrage de 2 minutes 40 mettait en scène l’instagrammeuse Kendall Jenner partageant une canette de Pepsi avec des policiers, au cœur d’une manifestation organisée par le mouvement afro-américain « Black Lives Matter » : militant contre la violence et le racisme systémique envers les Afro-Américains aux Etats-Unis. Il n’en a pas fallu pas davantage aux internautes pour déclencher une vague de critiques et pour faire comprendre à Pepsi que les suggestions de cette publicité ne sont pas acceptables.

Com & Société

Le combat des Amérindiens : touche pas à mon dialecte !

À l’heure où notre monde s’uniformise, le langage n’est malheureusement pas épargné. Si comme l’évoque le philosophe roumain E. M. Cioran « on n’habite pas un pays, on habite une langue », alors celle-ci est au cœur de l’identité culturelle de chacun. Triste constat pour les Amérindiens qui depuis des années, voient considérablement diminuer le nombre de locuteurs de leurs langues autochtones.
En 1992, le physicien américano-canadien Krauss, estimait que 90% des langues amérindiennes ne survivraient pas au XXIe siècle. Pour des peuples aux richesses linguistiques traditionnellement essentielles, il semble légitime de parler de catastrophe culturelle face à un tel phénomène. Malgré les démarches tâtonnantes de certains États d’Amérique latine et centrale, aujourd’hui l’alerte est lancée : S.O.S dialectes en voie de disparation ! Comment les préserver ?
Uniformisation rime avec disparition
Remontons un siècle et demi en arrière, lorsque les colons américains achevaient leur conquête territoriale en cloîtrant l’ensemble des tribus indiennes dans des réserves, lorsque la politique d’assimilation battait son plein, lorsque l’on imposait aux autochtones de renier leurs valeurs, leur spiritualité et bien sûr… leurs langues originelles. C’est à ce moment-là que l’uniformisation des langues a commencé.
« Un bon Indien est un Indien mort » : cette règle d’or, énoncée par le général américain Philip Sheridan, enclencha les politiques d’acculturation et d’assimilation. Ainsi, les jeunes de chaque tribu étaient emmenés dans des pensionnats où on leur interdisait de parler leur dialecte maternel, où on leur inculquait une éducation et une religion chrétienne, et où on effaçait toute trace culturelle de leur appartenance au peuple amérindien.

Il y eut bien sûr des conséquences immédiates, mais c’est aujourd’hui que l’on peut réellement parler de communautés linguistiques en voie de disparition. Le schéma est simple mais fatal : diffusés avant tout oralement, les dialectes ne restent gravés que dans la mémoire de ceux qui les parlent ; la plupart étant exclus du système éducatif, seule la transmission intergénérationnelle peut encore les faire perdurer. Celle-ci, ne tenant qu’à un fil, est fragilisée par l’évolution des formes linguistiques actuelles, qui tendent à se simplifier et à se rassembler autour d’une langue prédominante. En somme, quand le langage se limite à une fonction d’« utilité », la tradition, la diversité et l’ethnicité ne sont plus les mots d’ordre.
Les dialectes amérindiens : la Communication avec un grand C
Bien plus qu’un simple moyen de communication, un dialecte construit l’identité d’un peuple, et c’est tout particulièrement vrai chez les Amérindiens. Fondée sur le respect de la terre ancestrale, la spiritualité de la nature et son apport à l’homme, cette identité s’exprime par une communication atypique où prédominent la gestuelle, l’oralité, les symboles… En cela, chaque mot possède une empreinte sémiologique et historique considérable dont dépend la culture amérindienne. Or, de nombreux dialectes amérindiens ont déjà disparu, et avec eux l’identité et l’histoire d’un peuple.
 

Loin des textos, tweets et chats, les formes du langage des Autochtones se différencient nettement des moyens de communication qui prévalent dans nos sociétés actuelles. Les valeurs traditionnelles au cœur de l’identité de ces peuples, s’opposent à une communication de plus en plus désincarnée et indirecte. Dès lors, la fin de ces dialectes est-elle la conséquence inéluctable de l’évolution des formes du langage ? Ne sommes-nous pas en train de perdre l’essence même de la communication ?
La solution pour sauver ces langues menacées serait alors d’unir deux champs intrinsèquement opposés : allier tradition, diversité et portée culturelle des dialectes, aux moyens de communication modernes et universalisés. Des armes douteuses et fragiles, un combat qu’il est décidément difficile de mener à bien.
Les derniers mots des condamnés ?
Ne fermons cependant pas les yeux sur les démarches engagées par certains États latino-américains visant à revitaliser les langues autochtones des tribus encore majoritairement présentes (comptant encore aujourd’hui des dizaines de millions d’Indiens) sur ces territoires. Prévues dans le cadre du droit démotique (qui implique la prise en compte des minorités, des communautés linguistiques et religieuses dans l’ordre juridique), de nouvelles législations voient le jour ; comme par exemple celle de l’aménagement linguistique dont l’objectif est soit de reconnaître les divers dialectes comme des langues officielles, soit de réglementer leur pratique par la création d’académies dédiées.
Cependant, un manque de volonté à double facette ralentit le processus. D’une part, l’enseignement public n’est pas encore prêt à s’investir juridiquement et économiquement parlant. Hésitante et superficielle, cette politique de revitalisation des langues autochtones qui impose un enseignement bilingue obligatoire, n’est pas systématiquement respectée. Pourtant, des études sociolinguistiques mises en place, notamment par le Groupe de travail des Nations-Unies sur les populations autochtones, montrent que ce sont les enfants ne recevant pas un enseignement dans leur langue maternelle, qui connaissent les résultats scolaires les plus faibles.
D’autre part, tel que le montre Fernand de Varennes dans son article Language, Rights and Opportunities : The Role of Language in the Inclusion and Exclusion of Indigenous Peoples, un réel manque d’implication des populations autochtones elles-mêmes se fait sentir. En effet, certains Amérindiens ne voient pas d’utilité à la pratique de leur dialecte, puisque c’est la langue dominante qui est associée à l’insertion professionnelle et sociale.
Dès lors, la question se pose : à quoi bon se battre si les Amérindiens eux-mêmes ne croient plus en l’importance de leurs traditions ? Le mouvement doit provenir des membres de ces communautés pour que le combat ne s’essouffle pas de lui-même.
Byron Shorty, un Navajo qui ne donne pas sa langue au chat
Créateur du site « Navajo Wotd », Byron Shorty, originaire de Winslow en Arizona et proche d’une branche gouvernementale de la nation Navajo, est un jeune issu de la réserve. Empreint de l’histoire de son peuple, il semble proposer une alternative intéressante à la question de la revitalisation des langues autochtones. Un espoir, un tremplin, une innovation ? Son concept est simple, original et attrayant : il poste tous les jours sur son site un mot en Navajo, dont il donne la traduction, la définition et la prononciation.
L’universalité d’Internet permet alors une redécouverte ludique de la tradition Navajo et en assure la perpétuation. C’est d’ailleurs le but premier de Byron Shorty : « Ce qu’il y a de mauvais dans les techniques d’apprentissage du Navajo aujourd’hui, c’est que ça n’excite pas les gens. Ils le vivent comme une gigantesque obligation, mais ça ne leur apporte pas une grande satisfaction. En utilisant les nouveaux médias et quelques éléments de design, je me disais, pourquoi ne pas commencer avec le truc le plus basique ? Un mot. »

Un début certes, mais un début innovant, original et prometteur. En prônant les valeurs traditionnelles de son peuple, Byron Shorty souligne discrètement mais fermement, l’importance majeure de la préservation des langues et de leur diversité ainsi que l’ampleur du danger culturel encouru. Si la bataille n’est pas encore perdue, on est loin d’entendre s’élever le cri de la victoire.
Madeline Dixneuf
Sources:

Sens public, La revitalisation des langues amérindiennes en Amérique Latine, Sabine Lavorel – Publication : 2 mars 2015 – Consultation : 6 novembre 2016
L’Obs, avec rue 89, L’Homme qui fait vivre le Navajo sur internet, Kim McCabe –  Publication : 10 juillet 2015 – Consultation : 2 novembre 2016
Atlas des langues en danger dans le monde, projet UNESCO – Publication : 2011 – Consultation : 6 novembre 2016
Le temps, Navajos les guerriers des mots, Xavier Filliez – Publication : 5 juillet 2016 – Consultation : 6 novembre 2016
Les langues amérindiennes : états des lieux, Colette Grinevald, Lyon2 SDL & CNRS – Publication : 4 juillet 2005 – Consultation : 13 novembre 2016
Language, Rights and Opportunities : The Role of Language in the Inclusion and Exclusion of Indigenous Peoples, Fernand de Varennes – Publication : 17 février 2012 – Consultation : 13 novembre 2016

Crédits photos :

Brulé War-Party. © Taschen, Edward Curtis
Little goguette, carnet de voyage pour famille intrépide
Blog, le langage des signes des indiens des plaines, WICASA SIOTANTKA
Portrait de Byron Shorty