Culture

Les Revenants, tout un symbole

 
Entre réel et fantastique, les Revenants parviennent à créer un entre-deux grâce à certaines interfaces symboliques. Découvrez lesquelles avec Sibylle Rousselot et Clara Iehl.
 
Quand le fantastique s’invite dans la chair
En premier lieu, on peut dire que la série des Revenants s’inscrit, par définition, dans une dialectique fondatrice : celle de la rencontre entre l’ailleurs et l’ici-bas.
La corporalité humaine imprègne fortement les huit épisodes : cette odeur forte de la vie, celle du sang, se mêle simultanément à l’odeur de la mort, de la décomposition.
Il s’agit d’une chair bien réelle, et là repose l’intrigue de la série : cette chair est partagée tant par les vivants que par les morts … vivants. Dès le premier épisode, Jérôme Séguret souligne le cœur du problème : c’est bien beau de vouloir briser la mort, mais encore faut-il que la vie ait les moyens de recoller les morceaux. Avec ce regard psychologique sur l’intégration des revenants, la série prend le parti d’une fiction incarnée.
Elle accentue ainsi les postures des corps, immortalisés sur les photos de Léna ou du  bar local, blafards sous l’éclairage anxiogène de cette ville où les morts reviennent. Qui dit résurrection, dit corps. La première chose que font tous les revenants quand ils le peuvent, c’est manger, excessivement. Les revenants sont bien des plus-que-vivants. Cette accentuation de la corporalité se traduit par la focalisation de la caméra sur la peau. Les peaux de Victor, Simon, comme Camille, qui voient leur nouveau corps se nécroser, et partir en lambeaux. La peau du dos de Léna, où surgit une cicatrice grandissante, blessure inconnue que seule une mixture végétale parvient à soigner.

La mort s’incarne elle aussi au sein de la série. Outre l’enterrement de M. Costa au début, la mort apparaît sous une lumière plus crue encore, dénudée et sans pudeur, lorsque le cadavre de Simon est refourgué dans les tiroirs de la morgue. Elle rôde comme une menace à la nuit tombée, en la personne de Serge qui incarne la grande faucheuse cannibale, tout en endossant le rôle du chasseur de bêtes sauvages.
A la chair souffrante, marquée par les lésions et l’action putride de la mort, répond  la chair de désir, brûlante de vie : sexualité bestiale, chasse, cannibalisme. L’insatiable appétit de vie provoque l’instinct de mort, mais surtout le sursaut de sur-vie, avec le retour des défunts. Il s’agit presque d’un éternel cercle vicieux – ou vertueux ? Nous n’avons que le fin mot du début – dans laquelle la vie se mord éternellement la queue.

La série s’ancre non seulement dans la chair, mais aussi, plus généralement, dans l’espace et la matière : il y a l’eau, thème si puissant de la série (abordé plus loin dans l’article) que l’on veut contenir, les bois environnants que Serge débite avec rage, la pierre tombale violée par des vivants incrédules, et même le cuir du déguisement de Julie, lacéré au moment de son agression. La matière semble transgressée, aussi bien que la chair. Sur un plan global, la spatialisation de l’histoire apporte sa propre pierre à l’édifice corporel de la série. Les habitants  évoluent dans des lieux forts, typiques, à l’identité marquée. Le site internet insiste ainsi sur les lieux-dits : « place mairie », « tunnel », « le chalet des Costa », « la Masure », « le barrage », « the Lake Pub », « l’abribus ». Les montagnes prennent le village en étau, de sorte que le décor agit en vase clos, comme l’enveloppe charnelle dont on ne peut s’échapper… même en mourant !
La tentative de fuite et le déchaînement sont la conséquence de cette vie exacerbée, principe même de l’hybris que les Grecs dénonçaient en leur antique sagesse. Le barrage s’est rompu et les morts reviennent.
Cette fracture de la réalité, de l’entendement, invite à lever les yeux vers le ciel, du moins questionner le sur-réel. Et la série d’assaisonner son intrigue de re-venants avec une spiritualité du tout-venant.
Il y en a pour tous les goûts en effet, le motif commun étant la recherche du lien entre l’ici et l’au-delà. La religion, parce que son but premier, sémantique, est de « relier », se retrouve dans la traditionnelle église de village avec son curé, que les personnages ne manquent pas de venir chatouiller sur le sujet épineux de la Résurrection. Les allusions bibliques et mystiques émaillent elles-aussi la série. On note par exemple les expressions de « brebis égarée » et d’« ange », la focalisation sur les crucifix, les prénoms de Simon et Pierre, ou même le chiffre 7 (lors des analepses 7 ans en arrière), celui des 7 péchés capitaux ou des 7 dons du Saint-Esprit, généralement considéré comme un chiffre plénier et parfait.

Surgit également un questionnement d’ordre purement méta-physique, chez Julie notamment, qui ne croit en rien si ce n’est qu’elle a survécu pour une raison surnaturelle. Cette raison lui apparaît sous les traits d’un revenant, Victor ; entre les deux se développe une sorte d’alchimie magique que Victor synthétise avec ses croyances d’enfant. Elle est sa fée protectrice.
Et comment aborder le sujet de l’au-delà sans faire allusion à la voyance et au spiritisme ! C’est le personnage de Lucy qui intervient sur ce point, personnalisation même du passage entre la chair et l’esprit puisqu’elle communique avec les morts au moyen de relations … sexuelles. L’atmosphère vaporeuse de la série, saturée de miroirs, de bougies et de voiles ou tentures, ancre davantage encore l’intrigue dans cette ouverture au surnaturel. Le hameau constitue d’ailleurs un terreau d’imaginaires propice aux fantasmes. L’indice du journal de presse sur le site internet l’écrit clairement : ce sont des gens qui aiment interpréter ce qu’ils voient. Il brouille cependant les pistes, au risque de noyer la série dans un bain de mystère, en comparant les survivants de la catastrophe du barrage à des fantômes… A moins qu’effacer toutes frontières entre réel et sur-réel ne soit précisément le but de la série. Elle se hisse ainsi avec force sur la crête du fantastique, avec le risque de chuter dans l’abîme des questions sans réponses. La curiosité de l’audience veut qu’on lui rende des comptes.

Le lien humaniste, quant à lui, remplace sur le terrain une religion un peu trop éthérée (cf. les réponses psycho-gazeuses du prêtre), sous les traits caritatifs de l’association La Main Tendue. D’un No Man’s Land initial elle devient le cœur même de l’intrigue, lors de l’ultime épisode. La Main Tendue concrétise l’effort des habitants pour faire face à l’imprévu, depuis l’accueil bienveillant proposé à tous, y compris les revenants, à la posture de citadelle assiégée face à la horde finale de zombies. Ce revirement paradoxal souligne combien ténue est la relation établie avec l’au-delà.
La dimension surnaturelle s’immisce dans la fracture du réel. On ignore l’origine-même de cette fracture, si c’est l’étrange qui s’impose ou la normalité qui dysfonctionne. Or la réponse surgit précisément dans l’interstice. Il existe une troisième dimension, celle de l’entre-deux.
L’entre deux, l’interface, la dualité
Les doubles
Présents à foison dans la série, on les trouve dans les reflets de miroirs, de vitres, ainsi que dans l’eau, mais également dans la gémellité, les couples de personnages, et au niveau technique, dans les séparations de plan. Les reflets dans les miroirs et vitres sont omniprésents. Dès le premier épisode, lorsque Camille entre chez elle, on la voit en double du fait du miroir à côté de la porte. La première fois que Simon voit Adèle, on a même un double reflet : dans la vitre et dans le miroir d’Adèle.

Ces reflets ont d’abord une fonction pratique. Dans les premiers épisodes surtout, ils sont multipliés afin de montrer que ces revenants sont bien réels. En effet, dans les légendes de fantômes, sorcières, vampires, zombies et autres personnages légendaires, ceux-ci n’ont pas de reflet dans les miroirs – c’est même un moyen d’élimination de sorcière ou de vampire. Ces reflets semblent donc appuyer la réalité des revenants, en les rendant plus concrets, plus réels, plus palpables. Voir son propre double dans un miroir est également une façon de prendre conscience de soi.
Les vitres et miroirs représentent aussi des séparations entre vivant et revenant : Victor et Julie sont séparés par la vitre de l’abribus ; Simon rencontre d’abord Julie, et de même, il est séparé d’elle par une vitre. Ainsi, les vitres prennent une autre dimension : celle de  l’entre-deux.

La gémellité est incarnée dans les personnages de Camille et Léna, mais également dans le fait que les personnages fonctionnent souvent par deux. On pourrait dresser une longue liste de tous les « couples », dont certains seraient plus évidents que d’autres. On pense évidemment à Julie/Victor, Simon /Adèle, Camille/Léna, mais on peut aussi considérer les duos Lucy/Simon, Léna/Jérôme (son père), Camille/Claire (sa mère), etc. On retrouve cette dualité dans le générique, lorsqu’on aperçoit deux personnes qui s’embrassent allongés dans l’herbe à côté de deux tombes (on remarque d’ailleurs la présence d’un papillon, dont on reparlera plus loin) et dans les affiches de la série.
Cette dualité est accentuée par une technique cinématographique : la division dans les plans. Par exemple, lorsque Claire revoit Camille pour la première fois, celle-ci est dans la cuisine tandis que la mère est en bas des escaliers : elles se voient, s’entendent et peuvent se parler et sont pourtant dans deux pièces différentes. Cet effet particulier est créé par l’architecture très ouverte de la maison des Séguret.
Enfin, les reflets dans l’eau (comme par exemple dans le générique, on voit une petite fille tourner autour d’une colonne, un ballon rebondir, or le reflet dans la flaque d’eau est différent) sont d’autant plus importants que l’eau est un élément central dans Les Revenants.
L’eau
En effet, le lien de transition entre le réel et le fantastique, c’est l’eau. Entre surface et profondeur, comme un miroir qui ouvre à une autre dimension.
On y revient sans cesse. L’eau est omniprésente, du générique au décor ambiant : elle alimente en électricité, et représente donc la raison d’être du village, qui est venu s’installer au bord du lac. Cette eau–énergie se transforme ainsi en fluide électrique, comme le montre la tension des lignes de l’usine dans le générique. Symbole de vie, elle est au cœur du questionnement que pose la série : les revenants sont-ils des vivants à part entière, malgré le fait qu’ils sont censés être morts ? Bien des exemples nous laissent penser que les revenants seraient mêmes plus vivants que les vivants. (On pense à Victor et son sourire impassible face à la nervosité de Julie, ou à l’innocence de Camille dans les premiers épisodes face au mal-être évident de Léna). L’eau, et plus généralement cette interface de miroirs et de vitres, est le lieu à proprement parler d’une révélation. Elle dévoile de fait la présence des personnes, à travers les judas ou les portes vitrées, jusqu’à ramener à l’air libre tout un village englouti.
Le thème de l’eau se fait l’essence-même de la série. Les affiches sont ainsi constituées autour de ce motif du double, dans la photographie comme la typographie. Elles jouent de l’inversion et de l’imparfaite symétrie entre le réel et son reflet, le binôme du vivant et du revenant ; ce n’est pas un jeu de miroir exact puisque la série se construit autour de l’étrange et de l’anormal, avec le retour de ces morts. Quant à la typographie du titre, elle se fixe justement autour d’une ligne de brisure qui décale le haut et le bas, reproduisant l’effet d’optique propre à l’eau.
Cette eau est même source de vie spirituelle, puisqu’elle est symbole de renaissance et de purification. Le journal de Serge, un des indices laissé sur le site, insiste sur cet aspect salvateur de l’eau, quasi-baptismal. Sa mère l’enjoint en effet d’y laver ses péchés. Il se sent lui-même attiré par le lac, comme hypnotisé, attiré par cette énergie fluide. Le pouvoir de celle-ci demeure cependant ambigu : eau qui sauve, eau qui noie. Car elle est aussi celle qu’il faut contenir par le béton du barrage, celle qui a détruit tout un hameau, des centaines de vies, animales comme humaines.

Le papillon
Enfin, le papillon, symbole de renaissance, ou plus exactement de métamorphose, de changement, est omniprésent dans la série. Dans la mythologie grecque, le papillon est même symbole d’immortalité (or, on sait que les revenants ne peuvent pas être tués une deuxième fois). C’est le papillon qui vient à la vie le premier, comme s’il annonçait les phénomènes étranges à venir. Il semble vouloir s’échapper, fuir peut-être. Il est souvent associé à une vitre ou un miroir (notamment des les  épisodes 1 & 8), ce qui rappelle le symbole de l’entre deux, de l’interface. Le papillon est également associé à la lumière dans les épisodes 1 & 5.

Le papillon, avec ses ailes aux couleurs vives, contraste avec les « ternes teintes de la désolation » (indice n°4 sur le site, journal sur la catastrophe), ce qui en fait une figure rassurante, tout comme Lucy vis-à-vis des autres personnages de la série. Elle n’est pas forcément un personnage rassurant pour les téléspectateurs, mais elle est incontestablement douce et sa présence semble apaiser les personnages de la série, que ce soit Jérôme ou Simon avec lesquels elle a un rapport sexuel afin de connaître leur passé, ou Alcide qui veille sur elle lorsqu’elle est à l’hôpital et qui lui écrit une lettre (indice n°3 sur le site).

Une étrangeté latente
La surface de l’eau comme les miroirs révélateurs ne sont que l’expression de la profondeur, d’une réalité autre. Le genre fantastique repose sur la dynamique de l’étrange, dont le sens premier est ce qui est extérieur, étranger.
La prégnance d’un trouble croissant, ici, est évidente. Le mal qui ronge, qui corrode, est un ressort typique des films de zombie. Un mal qui hante, en définitive.
On ressent tout d’abord la tension de l’eau. Elle est palpable dans sa décrue, au fil des épisodes, et notamment sur le visage ainsi que dans les conversations des ingénieurs du barrage. La tension se traduit d’ailleurs concrètement en énergie, grâce à l’usine.  Puis la sur-tension intervient avec la coupure d’électricité, manifestation d’une perturbation étrangère, tout comme cette eau boueuse qui surgit des lavabos.
On peut aussi relever la tension humaine. La peur est évidemment présente, mais ce sont surtout les diverses violences qui en témoignent, dans les blessures tout comme les agressions physiques et verbales.
Enfin, l’atmosphère même de la série laisse suinter, avec brio, une sourde inquiétude. De nombreux commentaires ont été faits sur l’esthétique peaufinée de cette première saison,  soulignant par exemple le rôle signifiant des jeux de lumière ou l’intervention d’une musique identitaire. Les affiches concentrent quant à elles tout l’esprit de la série, à savoir la rencontre de l’étrange. Miroir d’eau emblématique et constitutif de l’image, duos morts/vivants, surface/profondeur, teintes grises et verdâtres…
Ce mal qui ronge se définirait presque comme une perversion, si l’on tient compte par exemple de la perte d’innocence des enfants. La fille d’Adèle, ou le petit Victor se trouvent plongés au coeur de drames. Ils voient la mort en face, et cette perturbation de leur ingénuité ressort dans l’expression-même de l’occupation enfantine : le dessin. Point de charmantes princesses ou de bonhommes souriants, mais des gribouillis monstrueux et sanguinolents, ainsi que des portraits de suicidaires.

Le sentiment de sécurité est lui aussi perverti : la menace ne vient plus de là où on l’attendrait. Ainsi l’église n’est plus un refuge, ce que Simon apprend à ses dépens lorsque les gendarmes viennent l’y arrêter. Ainsi la maison d’Adèle qui voudrait cacher les amants se révèle-t-elle truffée de caméras. Ainsi le barrage semble-t-il ne plus remplir sa fonction.
L’homme semble totalement démuni devant le cours de la vie parce que l’étrange surgit dans son intimité. Il n’est plus rien alors, car il est en prise au déterminisme du temps et de l’espace, du passé qui régit le présent, du lieu-prison dont la fuite est impossible. Par delà l’empreinte de la désagrégation et de la finitude, la peau dont on a déjà vu l’importance, va jusqu’à concrétiser chez les défunts revenus la marque de l’étrange. En effet, il s’agit bel et bien d’une nature périssable, et ce même après la mort. Non moins dérangeante est l’intrusion de l’étrange au sein même du corps, dans les blessures, voire dans le ventre d’une femme (cf. le bébé d’Adèle, fruit de son union avec le revenant Simon).
Finalement, on assiste à l’aboutissement d’une intrigue où tout est renversé : psychologie devenue action, familles écartelées, hameau déserté, menace généralisée.
Cependant tous les repères ne sont pas bouleversés. Ces repères-clefs sont ainsi davantage mis en exergue,  tels des piliers résistants à la dévastation. Le motif du double se révèle en effet être un lien, et ce entre Victor/Julie, Camille/Léna, Camille/la mère, Léna/le père, Lucy/Simon, Adèle/Thomas. Des points d’ancrage sont enfin repérables dans l’atmosphère de flou et d’inconnu : la musique, lancinante, inquiète mais rassure en même temps, parce qu’on la reconnaît. La métamorphose qui réside dans la présence du papillon, s’exerce dans l’évolution psychologique des personnages, souvent positive. Le sacrifice de certains vivants pour leurs morts, inversion ultime, symbolise finalement la victoire de la vie, parce qu’ils croient en la renaissance.
 
Sibylle Rousselot (pour « Quand le fantastique s’invite dans la chair » et « Une étrangeté latente »
Clara Iehl (pour « L’entre-deux, l’interface, la dualité » et « Une étrangeté latente, bouleversante »)

Société

Penser la déconnexion ou ramer

 
Plus de 60% des français ont « envie de se déconnecter », c’est une des conclusions d’une étude réalisée par Metrix Lab pour Havas Media ce mois. Cela a fait du bruit. Stratégies a notamment titré cette semaine : « la France des déconnectés », expliquant : « à la précédente fracture numérique est en train de substituer un fossé entre les surconnectés est les déconnectés volontaires. » Si raisonner en typologies est souvent intéressant, ce ne nous semble cependant pas être la méthode idoine ici.
En effet, quand plus d’un français sur deux exprime la même peur ou la même envie sans que cela ait été vu auparavant, il s’agit certainement de s’interroger de manière différente, et donc d’admettre qu’il y a sans doute un problème plus large et général avec Internet. La même enquête MetrixLab informe en effet que 74,8 % de ceux qui se déconnectent le font « car ils se trouvent trop sollicités, reçoivent trop de messages, de publicités ». Cette donnée nous semble être particulièrement intéressante. Qui, en effet, ne s’est jamais senti épuisé, ou du moins fatigué, face à la déferlante d’information et de sollicitations sur la toile ? Personne, ou presque, probablement.
Les communicants et publicitaires ne sont évidement pas seuls en cause, les phénomènes de saturation se produisant très bien sans eux, sur les réseaux sociaux notamment. Toutefois, ils doivent désormais s’efforcer de la jouer fine s’ils veulent marquer des points. C’est d’ailleurs une des conclusions de Dominique Delport, PDG de Havas Media France, qui préconise une communication digitale « subtile et travaillée » pour rattraper les déconnectés volontaires. En fait, ce conseil est probablement valable pour la quasi-totalité des internautes, les déconnectés volontaires étant sans doute des pionniers, dont la réaction exprime un malaise largement ressenti, ce que tend à prouver le chiffre, déjà mentionné ci-dessus, de 60 % de français envisageant de se déconnecter.
Internet et le Web sont très jeunes, les réseaux sociaux le sont encore plus. Tout est à apprendre et tout y évolue sans cesse. Les hommes et femmes politiques le savent d’ailleurs bien. Ils se souviennent du lynchage de Frédéric Lefebvre à son arrivée sur Twitter, ou des difficultés de Cécile Duflot à construire un positionnement adéquat sur le même réseau social à ses débuts au Ministère de l’Égalité des territoires et du Logement. Il s’agit donc d’admettre en premier lieu toute la difficulté de la réussite d’une communication digitale, tant du point de vue de l’émission que de la réception. Si Internet et le Web sont des outils très excitants, il est aussi tout à fait possible d’y gâcher son temps, son argent, voire sa réputation.
D’où l’intérêt de la recherche et de l’enseignement en communication. Loin des faiseurs de How-to books en tous genres, les chercheurs tentent d’appréhender les phénomènes de communication dans toute leur complexité, notamment sur Internet. C’est clairement la seule voie crédible dans ce métier, comme dans beaucoup d’autres. Si l’on imagine mal un ingénieur ou un médecin se montrer compétent et digne de confiance sans un bagage théorique solide et une mise à jour fréquente de ses connaissances, on a également du mal à penser qu’un communicant puisse réussir durablement s’il se contente de courir après les concepts à la mode, sans connaissances ni véritable compréhension de son métier.
Cette connaissance et cette compréhension font bien voir leur nécessité dans un cas comme celui de la déconnection volontaire des internautes. Alors que sont chantées depuis plusieurs années les louanges du numérique, que l’on annonce une révolution de la communication et du marketing toutes les deux semaines, et que certains font fleurir des concepts à une vitesse inversement proportionnelle à la densité de leurs réflexions, on se trouve soudain face à un problème qui renverse le tout et rend inévitable un vrai travail intellectuel. Seuls ceux qui seront en mesure de le faire, c’est-à-dire d’affronter la complexité des choses, seront en mesure d’apporter les réponses adéquates. Les autres ? Ils peuvent d’ores et déjà se mettre en quête d’un canot de sauvetage.
Romain Pédron