Com & Société

Les eldorados contemporains : voyage en terre inconnue

À l’ère de l’abolition de la notion de distance, voyager est une activité facile. Grâce à Internet, réserver un billet d’avion ou un logement devient un jeu d’enfant. Mais qu’est-ce que voyager après tout ? Du simple séjour touristique à l’expatriation prolongée, tout un imaginaire du voyage se déploie, jusqu’à doter certains pays étrangers d’une aura particulière, en les hissant presque au rang d’eldorados. Certaines destinations semblent pourvues d’une réelle force d’attraction touristique, jusqu’à devenir le graal du voyageur.
Le voyage est mis en scène, non plus comme une simple activité touristique mais comme mode de vie, véritable catharsis du monde contemporain. Cette communication autour de destinations prétendument rêvées est incontestablement un appel à partir. Proposition de vie meilleure ou e-tourisme ?
 
Voyager avec les yeux
En tant qu’internautes, nous sommes sans arrêt sollicités par de nombreuses images. À l’heure de l’hypermédiatisation, le partage des photos de vacances est une pratique courante. Les réseaux sociaux sont l’écrin parfait pour cela : par exemple, Instagram, en tant que média de l’image, permet de raconter photographiquement une aventure vécue. S’instaure alors une sorte de storytelling du voyage : il s’agit de montrer l’ailleurs pour sortir de son quotidien, tout en magnifiant le lieu photographié et ainsi effectuer un voyage d’abord visuel. De nombreux bloggeurs partagent leurs périples sur les réseaux sociaux, devenus les guides touristiques 2.0.

Les réseaux sociaux sont alors les instigateurs d’invitation au voyage virtuel. Des sites web spécifiques au voyage font leur apparition, afin de partager un imaginaire commun. C’est le cas du site web « Topito Voyage », qui se présente sans prétention avec la formule « L’expertise de Topito pour parler aux voyageurs. Des listes pour sourire, découvrir, et tuer le temps dans le train (dans l’avion, ce n’est pas prudent) ». Le mouvement de scroll voulu par le principe de la liste permet de faire défiler toutes les destinations éventuelles et ainsi d’ouvrir le champ des possibles. Le site web nous fait voyager en 10 ou 20 points, et toujours avec humour. Topito Voyage n’a pas de vocation touristique mais adopte un autre ton pour parler à tous les férus de voyage.

Voir c’est bien, mais faire c’est mieux. Quand on est invité à voyager virtuellement, comment passer de l’image à la réalité ?
 
L’expatriation enchantée
La communication autour de destinations lointaines n’est pas seulement affaire de quelques photographies : c’est un appel au rêve, et parfois à l’exil. Les paysages présentés dans les photographies des agences de voyage, dans les guides touristiques, ou encore sur les réseaux sociaux, sont souvent idylliques. On nous glisse sous les yeux des paysages grandioses, épurés et souvent sans signe de présence humaine. Cette situation contraste grandement avec nos cadres de vie, urbanisés, désenchantés par la quotidienneté. Au centre du discours, la photographie parle d’elle-même et suscite un fort désir d’évasion.

Cette photo vous fait rêver ? Ce paysage vous dit quelque chose sans jamais y avoir mis les pieds ? C’est normal. Cette photographie reprend tous les codes de la destination idéale : éloignement géographique, pureté du paysage, couleurs resplendissantes, sans aucune trace de passage humain. En outre, certains pays ont la côte, et pour cause : leur situation souvent littorale en fait des lieux paradisiaques dans l’imaginaire commun et participe de notre représentation de l’exotisme. Considérées comme idylliques de par leur décor, certaines destinations prennent une dimension d’idéal dans l’inconscient collectif. Ainsi, cette idéalité visuelle façonne un imaginaire de l’expatriation positive et même bénéfique. L’expatriation apparaît alors comme enchantée, bénéfique pour le voyageur. Celui-ci est appelé à partir, et à vivre une expérience unique.
C’est ce sur quoi Airbnb s’appuie pour communiquer : en promettant une « expérience » singulière, le site web prône des valeurs de partage et de solidarité en dépouillant presque son discours de valeur marchande. Le voyageur n’est plus un consommateur ni un touriste mais un jeune explorateur de type « backpacker » en quête d’expériences de vie. Airbnb dépasse la notion de tourisme pour proposer des savoir-faire individualisés, petits morceaux de vie partagés généreusement.

Expériences de vie narrées, témoignages, tout est réuni pour appeler le voyageur à s’expatrier pour son bien. Quand certains rêvent de tout plaquer et partir, d’autres le font réellement.
 
Pourquoi pas vous ?
Certaines destinations, comme la Nouvelle-Zélande, semblent idéales pour s’expatrier. La force d’attraction touristique de ce pays vient du fait qu’il semble éloigné des problèmes politiques et sociétaux contemporains que nous vivons aujourd’hui. L’émission 66 minutes s’est concentrée sur les expatriés français en Nouvelle-Zélande dans un reportage intitulé « Grand format : Auckland, Nouvelle-Zélande, le nouveau rêve français ». Par le biais de récits de reconversions réussies et de nouveaux départs féconds, le pays apparaît comme un renouveau pour les Français venus s’y installer.
Rien n’y semble difficile et tout y semble possible. À travers différents profils tels qu’une jeune fille d’une vingtaine d’années, un couple qui attend un enfant, une famille nombreuse, le reportage dévoile un programme de vie dont le slogan pourrait être « un nouveau pays pour une nouvelle vie ». Ces personnes lambda démontrent qu’au-delà de l’image d’eldorado de la Nouvelle-Zélande, une autre vie vous attend peut-être ailleurs.
L’imaginaire du voyage est prégnant sur Internet et les réseaux sociaux. Entre rêve et réalité, le voyage apparaît comme un moyen de se détacher de son quotidien désabusé et d’embrasser la diversité qu’offre le monde. Comme le dit le dicton « L’herbe est toujours plus verte ailleurs ».
 
Diane Nivoley
https://www.linkedin.com/in/diane-nivoley/
 
Sources :
http://www.6play.fr/66-minutes-p_825/grand-format-emission-du-09-avril-c_11674396
Crédits :
Compte Instagram de « travelmehappy »
Photographie de Promovacances
Topito Voyage
Airbnb

Com & Société

Tout ce que l’on peut rater en lisant le journal…

 
Les journaux sont-ils toujours aussi puissants ? Le public est-il toujours aussi réceptif à la presse écrite ? Que penser de l’essor des versions numériques face aux versions papier ? En réalité, où en est la presse écrite aujourd’hui ?
Alors que le monde consomme de plus en plus d’écrans, une vidéo voit le jour sur Youtube, le 20 décembre 2012, pour tenter de raviver la flamme et l’importance de cette presse écrite dans les consciences : « 6 things you can miss while reading a newspaper ».
Elle est le résultat d’une alliance entre Newspapers Work et Duval Guillaume Modem – élu Agence de l’année 2012 – qui se sont fixés pour but de prouver de quoi les journaux sont capables. La campagne a démarré à la rentrée, dans le sillage de la publication des chiffres du Centre d’Information sur les Médias, et tente progressivement de nous convaincre par des actions concrètes. L’objectif est clair, donner encore plus de puissance à la presse quotidienne.
A l’origine, il y a cet accord commun des éditeurs de journaux belges qui se sont réunis pour créer cette plate-forme marketing, Newspapers Work, afin de promouvoir les valeurs et les forces de leur média en général et des éditions papier en particulier. Leurs missions et leur ligne éthique sont explicitement présentées :

Prouver le pouvoir de la presse écrite
Voir un homme en feu perturberait-il votre lecture ? Quid de votre chauffeur enlevant son pantalon ?
C’est autour de ce type d’exemples que cette vidéo se construit pour illustrer la puissance des journaux imprimés et leur effet sur leurs lecteurs. Dès les premières secondes, le cadre et la question sont posés : « Les journaux sont-ils capables de retenir l’attention de leurs lecteurs ? »

Pour tester cette hypothèse, trois publicitaires ont reçu une voiture avec chauffeur et un journal : Sigrid Van Den Houte de Telenet, Walter Torfs de BNP Paribas et Yves de Voeght de Coca-Cola. Malgré la série de situations improbables à l’extérieur de la voiture, comme un homme en costume d’ours au volant d’une décapotable, un astronaute qui traverse la rue, ou encore un motard déguisé en indien, le trio ne lève pas les yeux du journal…
« Attirer l’attention des gens et la retenir ? C’est ce que font les journaux. » conclut la vidéo, fière d’avoir démontré la capacité unique de la presse écrite à capter et maintenir la concentration de tous. Sur le site, le propos est affiché noir sur blanc : « Promettre, c’est bien. Prouver, c’est mieux. Beaucoup mieux. Voilà pourquoi Newspapers Work, ne veut pas EXPLIQUER la force des journaux, mais bien la PROUVER. »
Alors que toute l’introduction de l’œuvre Que sont les médias ? de Rémy Rieffel tente de relativiser la mythologie qui existe autour du « pouvoir des médias » tant décrié qu’admiré, la presse écrite belge sort ici ses griffes et s’impose sur la scène virale pour défendre cette fameuse force des quotidiens…
La forme de mini documentaire est ici très pertinente et offre une illustration du concept de dépublicitarisation : à l’instar de la télé-réalité, voire d’une caméra cachée, avec toute sa dimension intimiste et son impression d’images « volées », voire « dévoilées », qui parle au public, le message n’en est que plus clair. Dans la continuité de son succès viral avec « Unlock the 007 in you » ou « A dramatic surprise on a quiet square », l’agence Duval Guillaume utilise le théâtre de la rue pour s’adonner à ses expériences presque sociales et démontrer son propos. Il s’agit bien de faire la promotion – de manière subtile et quasiment niée – d’un objet de culture qui, dans les consciences collectives, est habituellement détaché du monde économique de la publicité.
Un coup de maître
A l’heure du grand débat sur le financement des médias, particulièrement de la presse écrite, quoi de mieux qu’une alliance avec le monde du marketing pour se redonner un petit coup de peps ?
Lorsque des journaux subissent la crise de manière radicale, à l’image du quotidien espagnol El Pais et son plan social foudroyant, ou encore la disparition de France-Soir, des partenariats et projets originaux voient le jour, comme cette campagne. Malgré le paradoxe que peut susciter l’union entre les lois du marketing et l’univers de la presse, cette vidéo semble vouloir prouver que l’un peut soutenir l’autre, par le concept de Newspapers Work mais aussi par l’alliance avec Duval Guillaume. Il ne s’agit plus de commenter cette illusion que les médias ne s’inscrivent pas dans une logique économique ni de critiquer l’interdépendance entre les journaux et la publicité, mais bien de revenir à l’essence même de la presse. Car Newspapers Work défend une approche qui coupe court au débat en dédiabolisant le rapport aux annonceurs : les quotidiens offrent finalement bien plus qu’une grande audience, ils renforcent l’impact qualitatif des campagnes publicitaires elles-mêmes.
Est-ce vraiment crédible ?
L’argument principal est critiquable : n’existe-t-il aucun autre moyen de capter l’attention des gens de manière aussi efficace ? Nos trois publicitaires ne seraient-ils pas tout autant captivés par un film par exemple ? Ou plus encore, seraient-ils tout aussi attentifs au même journal sur une tablette numérique ? Avec l’essor de cette numérisation de la presse, il y a la question du contenu face à la forme : est-ce le fond et sa qualité qui retiennent l’attention ou bien le rapport avec cette presse papier ? L’exemple des journaux gratuits, qui captivent tout aussi bien leurs lecteurs le matin dans le métro, légitime la réflexion sur la relation particulière avec la presse écrite alors que le contenu est largement critiquable en matière de qualité.
Un autre débat est soulevé par de nombreuses critiques sur Internet, autour d’une mise en scène beaucoup trop tirée par les cheveux pour être crédible. De plus, le choix des sujets de l’expérience accentue l’impression de fausseté : ce sont des publicitaires, qui semblent plus aptes à être concentrés sur des journaux de par leur environnement, leur métier et leurs centres d’intérêt… Un lecteur lambda dans les mêmes conditions serait-il toujours aussi fasciné par un quotidien ?
 
Laura Lalvée
Sources :
Newspaperswork.be
Telerama
Business Insider