Politique

Les discours de Newtown

 
La fusillade de Newtown du 14 décembre 2012 relance le débat autour des armes à feu aux Etats Unis et en fait l’une des préoccupations majeures de la politique d’Obama. La surmédiatisation de l’évènement entraîne de nombreuses analyses qui mettent en avant les chiffres effrayants des victimes d’armes à feu (selon demandaplan.org, 33 personnes meurent chaque jour sous le coup d’une arme à feu aux États-Unis).
Cependant il semble que le traitement médiatique en lui-même échappe aux réflexions, tant il s’insère dans la construction généralisée du fait divers. En tant qu’objet d’étude, celui-ci a été établi depuis longtemps comme la résultante d’un besoin primaire du public, agissant sur les foules comme un catalyseur d’angoisse et d’empathie. Pourtant une brève analyse du traitement médiatique de la tuerie de Newton et de ses effets sur le public nous conduit à penser les limites possibles de ce storytelling de l’information.
À l’instar des fusillades de Columbine, Virginia Tech ou Aurora, le traitement de la figure du tueur devient le centre névralgique du récit construit autour de la tragédie de Sandy Hook. Son identité et son passé sont longuement commentés et alimentent une fascination bien connue du public pour les figures transgressives. Cette prise de position des médias peut néanmoins s’avérer problématique : d’une part, elle reflète souvent l’ambition du tueur de sortir de l’ombre, et de l’autre elle peut entrainer des mouvements pervers. Ainsi dans le cas du meurtre commis par Luka Rocco Magnotta, la révélation de l’identité du meurtrier à entrainé la naissance de nombreux blogs de fans lui vouant un culte. Mieux encore, il a été nommé fin décembre “NewsMaker of the Year 2012” par The Canadian Press. Cette distinction a provoqué de vives réactions, obligeant les jurés à justifier leur choix par l’omniprésence du tueur dans les médias et le traitement médiatique dont il a bénéficié. Ce prix ne serait que l’illustration de choix éditoriaux qui, dans la course à l’audience, misent sur les ressorts passionnels du fait divers plutôt que sur l’analyse raisonnée, qui est alors relayée au second plan.
Face à ce triste constat, force est d’admettre la puissance marchande du fait divers et son impact émotionnel sur le public. Nécessaire donc, mais dans une certaine limite. Si elle n’est pas précisément encadrée, l’exposition des faits divers les plus violents comme la tuerie de Newton, présente un risque fort pour le public comme pour les médias. Il peut conduire à une désensibilisation des publics, mais aussi à un effet de défiance pour l’appareil médiatique.
Dans le cas de Sandy Hook, l’attention est détournée des problèmes sociaux au profit d’une lutte d’influence politique, menée de front par la NRA. En proposant de poster des policiers armés dans chaque école, Wayne LaPierre élude le problème des motivations psychologiques du tueur. L’inquiétante porosité des frontières entre fiction et réalité n’entre pas dans le combat politique. Ainsi, la fusillade et le discours d’Obama ont eu pour conséquence une hausse notable de la vente d’armes à feu et la prolifération des discours “pro-guns”. La vision ironique d’Art Spiegelman, représentant des enfants armés pour aller à l’école sur une couverture du New-Yorker en 1993, pourrait devenir réalité.

Pour s’opposer à cette spirale infernale 800 maires américains ont constitué l’association demandaplan.org, qui souhaite obtenir de l’administration Obama un contrôle plus règlementé de la vente d’armes à feu. Cette campagne bénéficie d’une large médiatisation, en partie due au soutien d’Hollywood. Dans un clip qui dépasse les 6 millions de vues, acteurs et entertainers nous invitent à rejoindre leur action contre la violence des armes. Dans cette lignée, comment ne pas proposer une réflexion « de l’intérieur » sur l’influence des produits culturels, qui font le succès d’Hollywood, auprès des jeunes générations. Une telle vidéo n’en serait que plus pertinente.
Cette question cruciale nous renvoie ainsi au rôle des médias dans notre manière d’appréhender les événements comme celui de Newton. Phénomène récent, le commentaire du fait divers s’émancipe de la sphère médiatique officielle et gagne les réseaux. Face à la prolifération de ces discours anonymes, la police d’État du Connecticut menace de poursuivre les utilisateurs qui répandraient volontairement de fausses informations concernant la tuerie. Le citoyen, par tous les biais, cherche à s’approprier ces récits.
L’intense médiatisation de la tuerie de Newton donne à cet évènement tragique un poids politique fort, susceptible d’influencer le vote citoyen. Ancré dans une société, le fait divers en révèle bien souvent les pires travers, et finit peut-être par l’incarner s’il occupe une place trop grande dans notre hiérarchie de l’information.
 
Clémentine Malgras
Sources
Sandy Hook Shooting: The Speculation About Adam Lanza Must Stop
http://www.demandaplan.org/
http://www.newyorker.com/online/blogs/hendrikhertzberg/2012/12/guns-in-banks-are-not-like-guns-in-schools.html
Howard Kurtz and Lauren Ashburn weigh in on the media's coverage of the Newtown shooting

Casse de bijouterie, photo de 20 minutes
Société

Le fait divers, conte moderne.

Le 26 novembre 2011 à 18h, une bijouterie de Cannes est braquée par quatre individus lourdement armés. Le gérant de la boutique est abattu d’une balle dans la tête et les quatre braqueurs prennent la fuite.
Si je suis au courant de cette affaire et qu’elle a retenu mon attention, c’est tout simplement parce que ma mère habite en face de cette bijouterie. Cela fait un choc qu’un événement particulièrement violent soit survenu tout près de chez soi alors même qu’on a passé pour sa part une journée tout à fait banale. Lors d’un diner familial, un mois plus tard, j’ai été frappée par le fait que chaque membre de ma famille avait quelque chose de personnel à raconter par rapport à l’affaire. Ma mère était dans cette même bijouterie vingt-quatre heures plus tôt, ma belle-sœur est passée en voiture devant la boutique avec sa fille cinq minutes auparavant. Enfin, mon cousin trouvait que le frère de la victime – le co-gérant de la boutique – était plutôt « antipathique » et n’avait pas l’air assez triste de la mort de son frère lorsqu’il le croisa, une semaine plus tard, dans la rue …
S’il reste assez concevable que ce fait divers ait pu avoir sa place dans un diner à Cannes ; le fait qu’il ait été relayé par le journal de BFM TV, de RTL, dans plusieurs articles du Figaro et encore plus dans le Parisien (1er quotidien national d’information qui assume par ailleurs accorder une place centrale au fait divers dans ses colonnes-NDLR) m’a beaucoup plus surpris. On a ainsi pu retrouver à plusieurs reprises cette affaire dans la rubrique « Société » du Figaro, et encore ce Mercredi 25 janvier, son site internet publiait une « flash-actu » sur cette affaire. Pourtant le Figaro déclare lui même que se sont produits quasiment un braquage de bijouterie par jour en France en 2011 …
De nombreux observateurs critiquent les médias pour la grande importance qu’ils donnent à ces informations jugées sordides. Néanmoins, selon Philippe Madelin, «la presse est née de la fascination du récit du mal ». A tous ceux qui ont l’impression que les faits divers prennent de plus en plus d’importance dans le paysage médiatique, l’ancien journaliste et blogueur de Rue89 rappelle qu’à ses débuts, la presse faisait ses plus grosses ventes sur les scandales et faits divers à sensations, en scandant à la criée les titres les plus racoleurs possibles.
Seulement, les temps ont changé. La mise en ligne de contenu journalistique sur le web, la multiplication de brèves ou « flash-actus » et donc la possibilité de choisir l’information qui nous intéresse et de la commenter nous ont fait passer d’une consommation médiatique unilatérale à l’ère du consommateur-acteur. Ainsi, on aurait pu croire que la préoccupation du public pour le fait divers allait décroitre. Or, il n’en est rien. Les enquêtes de satisfaction le prouvent, le fait divers intéresse toujours autant les gens. Pourquoi ?
Le fait divers, conte pour adulte ?
 
Au delà des poncifs souvent avancés pour expliquer ce phénomène (le voyeurisme naturel de l’être humain, le public qui se sentirait conforté dans le bonheur de sa propre existence au regard des drames qui touchent autrui) ; un des éléments de réponse peut être apporté par l’expression d’« émotion démocratique » théorisée par Christine Chevret. En effet, en informant du fait divers, les médias répertorient les écarts commis par certains par rapport aux normes sociétales. Les histoires tragiques de braquage, d’enlèvement, de viol, de meurtre relatées par les médias – qui répètent d’ailleurs souvent un même schéma – parlent toujours de la déviance d’un individu par rapport à la Loi. Au delà de la notion de crime, le fait divers brille par son caractère extraordinaire : il s’écarte de la banalité.
Derrière la fascination pour ce qui est inexpliqué, qui nous dépasse ou qui rappelle la fragilité et l’absurdité de la condition humaine, l’intérêt du public pour ce qui le choque pourrait être, en plus d’une catharsis médiatique, un besoin inconscient de moralisation. Le fait divers revêt en ce sens les mêmes oripeaux que le conte pour enfants. Choquer pour mieux instruire ; les personnages ne sont plus de jeunes adolescents mais bel et bien des adultes. Tout comme le conte, les faits divers abondent de personnages types : la jeune adolescente écervelée, le mari jaloux, la femme volage, le grand-père détraqué, etc..
Un miroir de la société
 
Ainsi, certains faits divers passionnent tellement l’opinion publique qu’ils finissent par aboutir à de véritables débats sociaux et nous incitent à mener une réflexion collective sur des thématiques souvent taboues, comme les violences conjugales (affaire Marie Trintignant en 2003) ou encore l’euthanasie (affaire Chantal Sébire en 2008).
A ce titre, la passion du public français pour le feuilleton DSK cet été 2011 a soulevé de nombreuses réactions sur la nature des relations hommes-femmes et la représentation de l’agression sexuelle dans la société. Une affaire d’une telle ampleur, lorsqu’elle est commentée et analysée par toute la société devient alors un véritable miroir de nos interactions sociales.
Finalement, il n’y a pas lieu de moraliser les médias en cherchant à déterminer si exposer les faits divers est une démarche bonne ou mauvaise. Ces affaires sont le reflet de notre société, autant pour l’événement qui se produit, que pour le choix de leur exposition par les médias. Les faits divers alimenteront toujours les médias, car ils font partie de notre humanité.
«Avec le fait divers, on est dans l’humain, le trop humain. » – Patrick Eveno, professeur en histoire des médias.
 
C.P
 
Crédits photo : ©20 minutes – ©BFMTV – ©Le Parisien

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