Société

Le fait divers : fascination malsaine pour le morbide

Xavier Dupont de Ligonnès, le petit Grégory, Michel Fourniret, Nordahl Lelandais… Des noms ancrés dans l’imaginaire collectif et qui nous ramènent directement aux affaires criminelles les plus marquantes de ces cinquante dernières années. Ces histoires morbides, parfois mystérieuses, ont suscité et suscitent encore une grande curiosité et de nombreux questionnements. Depuis les débuts du genre, le public amateur de faits divers criminels ne cesse de croître. On retrouve ce genre dans tous les médias et sous tous les formats, contribuant à la construction d’une fascination malsaine par rapport à ces récits sanglants. Les origines du fait divers criminel Le 19e siècle invente les faits divers, une rubrique journalistique qui devient une véritable stratégie éditoriale pour capter le lectorat. À l’origine c’est la presse qui conçoit et s’empare du fait divers en relatant une histoire horrifiante. En septembre 1869 à Pantin, 6 cadavres d’une même famille sont retrouvés poignardés, l’affaire prend le nom du meurtrier : Jean-Baptiste Troppmann. C’est la première histoire criminelle si marquante, en raison de son retentissement et de son succès inédit. Le jeune quotidien intitulé Le Petit Journal va tout miser sur cette affaire. Pendant 4 mois, à partir de la découverte des corps et jusqu’à la mise à mort du mort meurtrier, ils vont rédiger un feuilleton judiciaire. Le journal fait sa fortune sur cette affaire. Au lendemain de l’exécution de Troppmann, Le Petit Journal est tiré à plus de 594 000 exemplaires. Le propriétaire du média, célébrera d’ailleurs ces ventes record par une kermesse tenue sur les lieux du crime. Un franchissement indéniable des limites de l’entendement et de la bienséance. L’évolution du genre  Le fait divers, notamment criminel, devient une rubrique et un sujet qui contribue grandement à l’attrait du public pour la presse. On voit alors se développer le leadership des titres à grands tirages : Le Petit Journal, Le Journal, Le Petit Parisien, Le Matin. Des périodiques qui vont avoisiner le million de lecteurs chacun. Dès la fin du 19e siècle, une presse spécialisée dans les faits divers voit le jour avec des titres, tels que L’Oeil De La Police, qui connaissent un succès considérable. Des écrivains se sont ensuite approprié la matière du fait divers. Des grands noms tels que Flaubert, Dumas, Balzac ou Zola, s’y sont intéressé puisque ce genre offre au récit et aux personnages un ancrage dans la réalité. La récente popularité du True Crime Le fait divers criminel fait vendre, ainsi le genre, au fil des années, s’est vu décliné sous tous les formats possibles : émissions de télévision, bandes dessinées, podcasts, chroniques radiophoniques, documentaires, vidéos YouTube, séries… Toujours en pleine mutation, le fait divers suscite depuis quelques années, un intérêt nouveau à travers le true crime, étant la réécriture d’un crime réel pour en faire un récit, mis en son ou en image sous forme de podcast ou de série principalement. Le genre des faits divers s’actualise avec la promesse de donner plus de sens aux histoires, et s’adapte aux nouveaux modes de communication en vogue. Netflix est la plateforme reine pour les amateurs de true crime, adaptant les plus grandes affaires criminelles pour en faire des mini-séries. En 2019, deux des dix documentaires du géant du streaming les plus vus en France étaient consacrés à ce type d’histoires sordides : Grégory et Dont’t f**k with cats : un tueur trop viral. Les producteurs ont conscience de l’intérêt que suscite le genre et tentent ainsi de mettre à profit le voyeurisme des potentiels spectateurs. Un genre parfois trop captivant  Depuis ses débuts, on constate une réelle fascination, entendue comme une curiosité excessive, pour les faits divers criminels. Un voyeurisme morbide se rapprochant parfois de l’obsession malsaine.  Un grand nombre de justifications existent pour expliquer le succès, qui ne diminue jamais, des faits divers criminels. Certains de ces arguments paraissent sains et rationnels. Ainsi, la consommation de faits divers relèverait parfois d’une “vigilance protectrice”. Les gens se serviraient des histoires, de l’observation des mécanismes des criminels et des réactions des victimes pour éveiller leurs sens, et se préparer à identifier des personnes dangereuses dans la société en voyant comment ils vivent au quotidien. Ils voient les faits divers comme une manière de s’informer sur le danger pour mieux s’en prémunir. Pour certains il s’agit également d’un moyen de mieux comprendre le fonctionnement de la société. En effet, à travers le récit d’histoires criminelles, on se rend compte qu’elles sont susceptibles de toucher chacun d’entre nous, sans distinction de classe sociale.  De plus, les affaires criminelles passionnent en raison de leur capacité à refléter les transformations de l’époque. Elles sont un miroir des changements de notre appréhension du temps. Jusqu’à peu, plus nous nous éloignions du moment où le crime avait été commis, plus les chances de le résoudre diminuaient. Cependant, avec la prolifération des indices génétiques, cette dynamique s’est inversée : plus le temps passe depuis le crime, plus les chances de le résoudre augmentent.  Ainsi, les faits divers les plus fascinants sont ceux qui restent non élucidés. Pour nous fasciner, les histoires criminelles vont au-delà du simple acte délictueux, impliquant une énigme qui remet en question la possibilité d’atteindre une vérité quelconque. Mais les faits divers sont aussi captivants puisqu’il s’agit d’une curiosité naturelle chez les humains d’après de nombreux psychologues, puisque ces histoires portent sur des problèmes fondamentaux, permanents et universels : la vie, la mort, l’amour , la haine, la nature humaine, la destinée… Ainsi ce sont des sujets auxquels chacun d’entre nous peut se raccrocher en trouvant des points de comparaison. Le fait divers vient également combler notre incommensurable et éternel besoin d’histoires. En effet, dès le plus jeune âge, nous sommes bercés par les récits et, tous autant que nous sommes, ils nous passionnent par leur inventivité, et les rebondissements qu’ils contiennent. Les histoires criminelles, bien que non-fictionnelles, sont les récits parfaits pour satisfaire nos désirs. Mais ce genre est aussi captivant pour des raisons qui révèlent des parts sombres de la nature humaine. En effet, il permet de nous rassurer du fait que nos actions dans la société relèvent de nos choix et ne sont pas contraintes. Les consommateurs du genre ne sont pas attirés par le mal en soi, mais sont intéressés par celui qui le perpètre. Les délinquants et criminels captivent parce que leur transgression offre une forme de réconfort. Leurs actions démontrent la possibilité de désobéir aux normes morales et sociales. Par conséquent, en respectant ces normes de notre côté, il semble que nous ayons fait le choix opposé, indiquant ainsi que nous nous conformons de manière volontaire plutôt que par obligation. Cela réduit le poids des diverses formes de contrainte sociale qui pèsent sur nous. L’attrait pour les faits divers criminels s’explique aussi par le fait de ressentir, à distance, un malheur dont on est épargné. On est soulagé de ne pas l’avoir vécu personnellement. Ainsi on se réjouit en quelque sorte que le malheur soit celui d’un autre que nous. Mais si être intrigué et captivé par les faits divers criminels se justifie de manière saine, ou plus discutable, il n’y a qu’un pas entre curiosité et voyeurisme. Effectivement, qui n’a pas ressenti le désir d’explorer minutieusement tous les aspects d’un homicide dès sa découverte, y compris les détails les plus macabres ? Le compte Instagram américain de l’entreprise Spaulding Decon, pousse ce voyeurisme à l’extrême et vient nourrir la curiosité déplacée de ses 710 000 abonnés. Ce compte d’une entreprise de nettoyage, illustre à travers des photos explicites les scènes de crimes avant leur nettoyage. Les risques de la “romantisation” des criminels Les faits divers ne sont pas toujours accueillis de la bonne façon par le public, leur diffusion à travers les séries va parfois contribuer à leur romantisation. En effet, les séries basées sur des histoires criminelles, vont parfois livrer une image permettant de créer de l’empathie, de la sympathie, ou de l’amour dans certains cas, pour le meurtrier chez les spectateurs. Ainsi les tueurs en séries deviennent une tendance malsaine, des objets de la pop culture, retirant toute gravité à leurs actions, faisant oublier les souffrances des familles des victimes. L’ajout fictionnel des séries aux faits divers vient amplifier la fascination que ressentent certains spectateurs. En donnant vie à ces personnages et en les idéalisant, elle ne fait que renforcer l’attrait qui les entoure. Ainsi, la série Dexter a réussi à conférer au tueur en série éponyme une aura quasi-sympathique : son charme provient de son absence de morale et de son code éthique qui le guide. Du personnage de M Le Maudit à ceux de Seven et Psychose, le tueur en série est devenu une figure récurrente du cinéma.  La réalité offre une version bien plus crue des tueurs en série que la fiction : une version brute exposant les faits sans tentative de pénétrer la psyché des dits tueurs pour comprendre leurs motivations ou leurs traumatismes, et ainsi leurs potentielles justifications et axes de défense.  Avec la série Dahmer, produite pour Netflix, le réalisateur, Ryan Murphy, voulait conter l’histoire des meurtres de celui qu’on surnomme le « monstre du Milwaukee », un meurtrier multirécidiviste et cannibale, mais du point de vue des victimes. Comme un hommage à leur mémoire. Sauf que, l’effet a été inverse, et nombreux sont ceux à avoir développé de la compassion pour lui. C’est bien le problème des films et des séries true crime : le personnage central est un tueur en série. Donner le rôle titre à Evan Peters, icône et sex symbol, a aussi contribué à la romantisation du personnage de Jeffrey Dahmer. Ce sont des productions qui se situent à mi-chemin entre le journalisme et la fiction, car des enquêtes approfondies ont été menées pour narrer de manière précise les diverses histoires, qui sont simultanément adaptées pour la télévision ou les plateformes de streaming. Le problème ne réside pas tant dans le concept de la série en question, mais dans la manière dont elle est exécutée, et aussi la façon dont elle est reçue. Revenir sur les meurtres commis par Jeffrey Dahmer en mettant en avant le point de vue des victimes est effectivement intéressant. Certains peuvent également être captivés par la compréhension du mécanisme de réflexion d’un tueur en série et de ses motivations. Cependant, bien que Ryan Murphy ait contacté une vingtaine de proches des victimes avant le tournage, comme il l’a mentionné lors d’une projection à Los Angeles, il aurait peut-être dû attendre leur consentement et leurs témoignages. Sans ces autorisations, la série peut être perçue comme du voyeurisme, car elle fouille dans la vie des personnes impliquées et expose des détails à l’origine de la souffrance des familles des victimes. Un genre à appréhender avec prudence En somme, produire des faits divers criminels, quel que soit le format, n’est pas un problème. Lorsqu’on raconte des histoires aussi sombres, tout est une question de point de vue, de mise en scène, et surtout d’interprétation. Il est tout à fait normal de vouloir les regarder et s’informer, cela s’explique de manière rationnelle et saine. Cependant certains comportements et types de réceptions s’apparentent à du voyeurisme et de fascination malsaine, sur laquelle jouent les producteurs de contenus de ce genre puisqu’ils maximisent ainsi leur audience et leurs profits. Il est important de prendre de la distance face à ce type de contenu pour ne pas adopter de comportements excessifs et pouvant mettre en cause l’intégrité des victimes et de leurs familles. Sources et références pour aller plus loin : Articles universitaires :  Hd., J. (1994). Kalifa (D) — Petits reporters et faits divers à la « Belle Époque ». Population, 49, 826-827. . Vidéos :  France Culture. (2021, 2 juillet). Faits divers : l’obsession du réel [Vidéo]. YouTube. France Culture. (2023, 7 avril). Ce que le fait divers dit de nous [Vidéo]. YouTube. France Inter. (2020, 24 septembre). À l’origine : les faits divers # CulturePrime [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=-h6Q2oeQXpE Articles de presse en ligne : 20minutes, J. (2011, 22 avril). Pourquoi les faits-divers nous fascinent-ils autant ? www.20minutes.fr. https://www.20minutes.fr/societe/712209-20110422-societe-pourquoi-faits-divers-fascinent-ils-autantBeauchet, G. (2020, 28 mai). Pourquoi les faits divers nous fascinent-ils autant ? Marie Claire. https://www.marieclaire.fr/,pourquoi-les-faits-divers-nous-fascinent-ils-autant,845914.aspDe Sousa, C. (2022, 20 mars). Pourquoi sommes-nous tant fascinés par les faits-divers ? Le Dauphiné. https://www.ledauphine.com/magazine-sante/2022/03/17/pourquoi-sommes-nous-tant-fascines-par-les-faits-diversGratien, A. (2023, 25 juin). L’avis de l’expert : pourquoi sommes-nous tant fascinés par le crime ? Konbini – Musique, cinéma, sport, food, news : le meilleur de la pop culture. https://www.konbini.com/pepite/lavis-de-lexpert-pourquoi-sommes-nous-tant-fascines-par-le-crime/Malaure, J. (2023, 30 avril). Le goût pour les affaires criminelles est-il (forcément) un plaisir coupable ? Le Point. https://www.lepoint.fr/societe/le-gout-pour-les-affaires-criminelles-est-il-forcement-un-plaisir-coupable-30-04-2023-2518343_23.php#11Mourani, M. (2022, 26 octobre). Le voyeurisme morbide, un mal qui nous touche tous. Le Journal de Montréal. https://www.journaldemontreal.com/2022/10/25/le-voyeurisme-morbide-un-mal-qui-nous-touche-tousRopert, P. (2017, 20 novembre). De Jack L’Eventreur à Charles Manson, pourquoi les tueurs en série fascinent. France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/de-jack-l-eventreur-a-charles-manson-pourquoi-les-tueurs-en-serie-fascinent-9779102 Pages Internet :  L’irrésistible attraction du fait divers | BNF Essentiels. (s. d.). BnF Essentiels. https://essentiels.bnf.fr/fr/societe/medias/2976bcba-5115-409a-8191-d1e925cfea5a-genres-presse-presses-genre/article/d3e0053d-0acb-4f7f-a1f0-1352a5fd5a8b-irresistible-attraction-fait-diversZiani, A. (2020, 10 décembre). True Crime, le renouveau du fait divers – stratégies. Stratégies. https://www.strategies.fr/etudes-tendances/tendances/4049111W/true-crime-le-renouveau-du-fait-divers.html Marie Desforges
Politique

Les discours de Newtown

 
La fusillade de Newtown du 14 décembre 2012 relance le débat autour des armes à feu aux Etats Unis et en fait l’une des préoccupations majeures de la politique d’Obama. La surmédiatisation de l’évènement entraîne de nombreuses analyses qui mettent en avant les chiffres effrayants des victimes d’armes à feu (selon demandaplan.org, 33 personnes meurent chaque jour sous le coup d’une arme à feu aux États-Unis).
Cependant il semble que le traitement médiatique en lui-même échappe aux réflexions, tant il s’insère dans la construction généralisée du fait divers. En tant qu’objet d’étude, celui-ci a été établi depuis longtemps comme la résultante d’un besoin primaire du public, agissant sur les foules comme un catalyseur d’angoisse et d’empathie. Pourtant une brève analyse du traitement médiatique de la tuerie de Newton et de ses effets sur le public nous conduit à penser les limites possibles de ce storytelling de l’information.
À l’instar des fusillades de Columbine, Virginia Tech ou Aurora, le traitement de la figure du tueur devient le centre névralgique du récit construit autour de la tragédie de Sandy Hook. Son identité et son passé sont longuement commentés et alimentent une fascination bien connue du public pour les figures transgressives. Cette prise de position des médias peut néanmoins s’avérer problématique : d’une part, elle reflète souvent l’ambition du tueur de sortir de l’ombre, et de l’autre elle peut entrainer des mouvements pervers. Ainsi dans le cas du meurtre commis par Luka Rocco Magnotta, la révélation de l’identité du meurtrier à entrainé la naissance de nombreux blogs de fans lui vouant un culte. Mieux encore, il a été nommé fin décembre “NewsMaker of the Year 2012” par The Canadian Press. Cette distinction a provoqué de vives réactions, obligeant les jurés à justifier leur choix par l’omniprésence du tueur dans les médias et le traitement médiatique dont il a bénéficié. Ce prix ne serait que l’illustration de choix éditoriaux qui, dans la course à l’audience, misent sur les ressorts passionnels du fait divers plutôt que sur l’analyse raisonnée, qui est alors relayée au second plan.
Face à ce triste constat, force est d’admettre la puissance marchande du fait divers et son impact émotionnel sur le public. Nécessaire donc, mais dans une certaine limite. Si elle n’est pas précisément encadrée, l’exposition des faits divers les plus violents comme la tuerie de Newton, présente un risque fort pour le public comme pour les médias. Il peut conduire à une désensibilisation des publics, mais aussi à un effet de défiance pour l’appareil médiatique.
Dans le cas de Sandy Hook, l’attention est détournée des problèmes sociaux au profit d’une lutte d’influence politique, menée de front par la NRA. En proposant de poster des policiers armés dans chaque école, Wayne LaPierre élude le problème des motivations psychologiques du tueur. L’inquiétante porosité des frontières entre fiction et réalité n’entre pas dans le combat politique. Ainsi, la fusillade et le discours d’Obama ont eu pour conséquence une hausse notable de la vente d’armes à feu et la prolifération des discours “pro-guns”. La vision ironique d’Art Spiegelman, représentant des enfants armés pour aller à l’école sur une couverture du New-Yorker en 1993, pourrait devenir réalité.

Pour s’opposer à cette spirale infernale 800 maires américains ont constitué l’association demandaplan.org, qui souhaite obtenir de l’administration Obama un contrôle plus règlementé de la vente d’armes à feu. Cette campagne bénéficie d’une large médiatisation, en partie due au soutien d’Hollywood. Dans un clip qui dépasse les 6 millions de vues, acteurs et entertainers nous invitent à rejoindre leur action contre la violence des armes. Dans cette lignée, comment ne pas proposer une réflexion « de l’intérieur » sur l’influence des produits culturels, qui font le succès d’Hollywood, auprès des jeunes générations. Une telle vidéo n’en serait que plus pertinente.
Cette question cruciale nous renvoie ainsi au rôle des médias dans notre manière d’appréhender les événements comme celui de Newton. Phénomène récent, le commentaire du fait divers s’émancipe de la sphère médiatique officielle et gagne les réseaux. Face à la prolifération de ces discours anonymes, la police d’État du Connecticut menace de poursuivre les utilisateurs qui répandraient volontairement de fausses informations concernant la tuerie. Le citoyen, par tous les biais, cherche à s’approprier ces récits.
L’intense médiatisation de la tuerie de Newton donne à cet évènement tragique un poids politique fort, susceptible d’influencer le vote citoyen. Ancré dans une société, le fait divers en révèle bien souvent les pires travers, et finit peut-être par l’incarner s’il occupe une place trop grande dans notre hiérarchie de l’information.
 
Clémentine Malgras
Sources
Sandy Hook Shooting: The Speculation About Adam Lanza Must Stop
http://www.demandaplan.org/
http://www.newyorker.com/online/blogs/hendrikhertzberg/2012/12/guns-in-banks-are-not-like-guns-in-schools.html
Howard Kurtz and Lauren Ashburn weigh in on the media's coverage of the Newtown shooting

Casse de bijouterie, photo de 20 minutes
Société

Le fait divers, conte moderne.

Le 26 novembre 2011 à 18h, une bijouterie de Cannes est braquée par quatre individus lourdement armés. Le gérant de la boutique est abattu d’une balle dans la tête et les quatre braqueurs prennent la fuite.
Si je suis au courant de cette affaire et qu’elle a retenu mon attention, c’est tout simplement parce que ma mère habite en face de cette bijouterie. Cela fait un choc qu’un événement particulièrement violent soit survenu tout près de chez soi alors même qu’on a passé pour sa part une journée tout à fait banale. Lors d’un diner familial, un mois plus tard, j’ai été frappée par le fait que chaque membre de ma famille avait quelque chose de personnel à raconter par rapport à l’affaire. Ma mère était dans cette même bijouterie vingt-quatre heures plus tôt, ma belle-sœur est passée en voiture devant la boutique avec sa fille cinq minutes auparavant. Enfin, mon cousin trouvait que le frère de la victime – le co-gérant de la boutique – était plutôt « antipathique » et n’avait pas l’air assez triste de la mort de son frère lorsqu’il le croisa, une semaine plus tard, dans la rue …
S’il reste assez concevable que ce fait divers ait pu avoir sa place dans un diner à Cannes ; le fait qu’il ait été relayé par le journal de BFM TV, de RTL, dans plusieurs articles du Figaro et encore plus dans le Parisien (1er quotidien national d’information qui assume par ailleurs accorder une place centrale au fait divers dans ses colonnes-NDLR) m’a beaucoup plus surpris. On a ainsi pu retrouver à plusieurs reprises cette affaire dans la rubrique « Société » du Figaro, et encore ce Mercredi 25 janvier, son site internet publiait une « flash-actu » sur cette affaire. Pourtant le Figaro déclare lui même que se sont produits quasiment un braquage de bijouterie par jour en France en 2011 …
De nombreux observateurs critiquent les médias pour la grande importance qu’ils donnent à ces informations jugées sordides. Néanmoins, selon Philippe Madelin, «la presse est née de la fascination du récit du mal ». A tous ceux qui ont l’impression que les faits divers prennent de plus en plus d’importance dans le paysage médiatique, l’ancien journaliste et blogueur de Rue89 rappelle qu’à ses débuts, la presse faisait ses plus grosses ventes sur les scandales et faits divers à sensations, en scandant à la criée les titres les plus racoleurs possibles.
Seulement, les temps ont changé. La mise en ligne de contenu journalistique sur le web, la multiplication de brèves ou « flash-actus » et donc la possibilité de choisir l’information qui nous intéresse et de la commenter nous ont fait passer d’une consommation médiatique unilatérale à l’ère du consommateur-acteur. Ainsi, on aurait pu croire que la préoccupation du public pour le fait divers allait décroitre. Or, il n’en est rien. Les enquêtes de satisfaction le prouvent, le fait divers intéresse toujours autant les gens. Pourquoi ?
Le fait divers, conte pour adulte ?
 
Au delà des poncifs souvent avancés pour expliquer ce phénomène (le voyeurisme naturel de l’être humain, le public qui se sentirait conforté dans le bonheur de sa propre existence au regard des drames qui touchent autrui) ; un des éléments de réponse peut être apporté par l’expression d’« émotion démocratique » théorisée par Christine Chevret. En effet, en informant du fait divers, les médias répertorient les écarts commis par certains par rapport aux normes sociétales. Les histoires tragiques de braquage, d’enlèvement, de viol, de meurtre relatées par les médias – qui répètent d’ailleurs souvent un même schéma – parlent toujours de la déviance d’un individu par rapport à la Loi. Au delà de la notion de crime, le fait divers brille par son caractère extraordinaire : il s’écarte de la banalité.
Derrière la fascination pour ce qui est inexpliqué, qui nous dépasse ou qui rappelle la fragilité et l’absurdité de la condition humaine, l’intérêt du public pour ce qui le choque pourrait être, en plus d’une catharsis médiatique, un besoin inconscient de moralisation. Le fait divers revêt en ce sens les mêmes oripeaux que le conte pour enfants. Choquer pour mieux instruire ; les personnages ne sont plus de jeunes adolescents mais bel et bien des adultes. Tout comme le conte, les faits divers abondent de personnages types : la jeune adolescente écervelée, le mari jaloux, la femme volage, le grand-père détraqué, etc..
Un miroir de la société
 
Ainsi, certains faits divers passionnent tellement l’opinion publique qu’ils finissent par aboutir à de véritables débats sociaux et nous incitent à mener une réflexion collective sur des thématiques souvent taboues, comme les violences conjugales (affaire Marie Trintignant en 2003) ou encore l’euthanasie (affaire Chantal Sébire en 2008).
A ce titre, la passion du public français pour le feuilleton DSK cet été 2011 a soulevé de nombreuses réactions sur la nature des relations hommes-femmes et la représentation de l’agression sexuelle dans la société. Une affaire d’une telle ampleur, lorsqu’elle est commentée et analysée par toute la société devient alors un véritable miroir de nos interactions sociales.
Finalement, il n’y a pas lieu de moraliser les médias en cherchant à déterminer si exposer les faits divers est une démarche bonne ou mauvaise. Ces affaires sont le reflet de notre société, autant pour l’événement qui se produit, que pour le choix de leur exposition par les médias. Les faits divers alimenteront toujours les médias, car ils font partie de notre humanité.
«Avec le fait divers, on est dans l’humain, le trop humain. » – Patrick Eveno, professeur en histoire des médias.
 
C.P
 
Crédits photo : ©20 minutes – ©BFMTV – ©Le Parisien

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