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Manger du Nutella c'est pas bien

 
La commission des Affaires sociales du Sénat a adopté le 7 Novembre dernier un « amendement Nutella », présenté dans le cadre du projet sur la sécurité sociale. Cet amendement vise à taxer à 300 % l’huile de palme. L’argument écologique est avancé pour justifier les 40 millions d’euros qui entreraient dans les caisses de l’Etat. Ferrero, inventeur et distributeur de la fameuse pâte à tartiner, monte alors très vite une cellule de crise. Le 16 Novembre, il publie dans divers journaux un communiqué de presse sous le titre « Nutella, parlons-en » accompagné d’un site internet. Le 21 Novembre, on apprend que l’amendement est  refusé mais qu’il sera réexaminé dans le cadre d’un projet de loi sur la santé en 2013. Pourtant la campagne papier de Ferrero continue. Un compte Twitter est ouvert le 2 Décembre. Le communiqué continue d’être publié, comme dans le Libération du 3 Décembre augmenté d’un lien vers le compte Twitter.
Le fait que l’entreprise continue sa campagne alors que l’amendement a été refusé intrigue. Comment expliquer la réaction de Ferrero à un bad buzz relativement faible comparé aux moyens mis en œuvre pour le contenir ? Le danger est là : à force de vouloir le contenir, la marque attire l’attention du consommateur occasionnel qui aurait pu passer à côté du débat.
Il sera ici question d’analyser cette campagne pour soulever un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur : le lobbying orchestré directement vers les consommateurs.
Le publi-communiqué
Ce communiqué semble s’adresser aux consommateurs, qui seraient directement touchés par la taxe. Sur le ton de la transparence, Ferrero clarifie la situation en répondant point par point au débat « injuste et opportuniste » dont il se clame victime.
En somme, la marque rassure les consommateurs autour d’un communiqué qui se veut simple, explicatif, transparent (ce qui est d’autant plus surprenant de la part de Ferrero, entreprise réputée pour son opacité) et scientifique, comme le prouvent les deux renvois en bas de page et le graphique nutritionnel. Le tout rédigé sur un ton bienveillant : le consommateur est rassuré. Et Ferrero se positionne en tant que victime d’un débat illégitime. Il est curieux de voir que la marque décide de se tourner vers les consommateurs au lieu de toucher directement le gouvernement. Au-delà de la volonté de rassurer les consommateurs, nous assistons ici à une véritable campagne de lobbying d’un nouveau genre, tournée vers les clients.
Un lobbying d’un nouveau genre
Par lobbying, j’entends une action visant à se positionner comme victime et à appeler un groupe de personnes à créer un collectif de soutien à la marque. Dans notre cas, le groupe est le client. Et la victime Ferrero. Dans le communiqué, les mots « injuste », « idées reçues », « opportuniste » et « communication opportuniste » sont employés. Les écologistes et dans une certaine mesure l’Etat Français feraient un abus de pouvoir, illégitime et infondé face à une marque transparente contre laquelle on ne peut alors plus adresser de reproches.
Ainsi, au-delà des arguments visant à redorer l’image de la marque, Ferrero joue la carte du digital. Grâce à ce communiqué et à sa stratégie digitale, la marque tente de créer un lien direct avec les consommateurs. Cela entre dans la stratégie plus globale de transparence caractérisant cette gestion de crise.  Est-ce que ça marche ?
Le résultat est contrasté. Quatre jours après la création du fil Twitter on compte 195 Followers. En revanche sur Facebook, un groupe de clients s’est formé sous le nom « touche pas à mon pot ». Ce groupe, très actif, reprend systématiquement l’actualité relative au Nutella, en France et en Belgique. On y trouve des débats entre les « pro »-Nutella et ses détracteurs. Le groupe compte 1 984 fans. Cependant, l’argument central n’est pas une préoccupation environnementale ni nutritionnelle, mais budgétaire. C’est contre l’augmentation en elle même que ce groupe se positionne. L’approche du groupe Facebook est clairement ego-centrée : ce qui compte c’est le prix en augmentation de ce produit tant chéri, ce n’est pas la marque ni son image. Même si elle ne sera que de 5 centimes pour un pot familial de 850 grammes.
On peut cependant discerner une seconde cible : les journalistes. Le publi-communiqué insère des informations facilement réutilisables par les journalistes. Le fil Twitter, lui, semble être exclusivement dirigé vers eux. Il suit des comptes de grands journaux et tweet à chaque fois qu’un article est publié sur ce sujet. Ainsi, Ferrero montre qu’il est actif dans le débat, prêt à répondre à toutes accusations. Cette présence réduit fortement les critiques des journalistes dans la mesure où ils savent qu’ils devront nécessairement répondre de leurs publications.
On assiste donc à une forme de double lobbying, de plus en plus fréquente. Séphora et son communiqué à propos de l’heure de fermeture de son magasin des Champs Élysée en est le plus récent exemple. Dans notre cas, Ferrero tisse un lien ténu avec les consommateurs qu’il touche directement grâce à une logique fondée sur la bienveillance. Cependant l’effort de transformer le bad buzz en quelque chose de positif semble vain : il y a une certaine passivité chez les clients, uniquement concernés par l’augmentation du prix. La marque touche aussi les journalistes, auxquels elle fournit une ligne d’informations et un suivi systématique des articles, leur laissant peu de marge de manœuvre pour répondre.
 
Arthur Guillôme
Sources :
Rue89
Paroles De Géographes – Le Monde
Huffington Post
France TV Info