Le flashmob : rite tribal dans un village planétaire?
« Il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude: jouir de la foule est un art; et celui-là seul peut faire, aux dépens du genre humain, une ribote de vitalité, à qui une fée a insufflé dans son berceau le goût du travestissement et du masque, la haine du domicile et la passion du voyage.» Charles Baudelaire, «Les Foules», Le Spleen de Paris.
Le bain de foule peut se révéler pour le poète un véritable voyage, une démarche artistique, comme s’il était poussé par une volonté de mêler sa solitude à la multitude.
Si je cite Baudelaire pour entamer mon article, ce n’est pas que pour faire une jolie captatio, tentant ainsi d’éveiller l’attention des littéraires. C’est parce que j’ai décidé d’écrire à propos du phénomène des flashmobs et que je trouve, aussi discutable cela soit-il, qu’il a une dimension éminemment poétique.
En effet, le flashmob (entendez: mobilisation éclair) se veut être un rassemblement de personnes dans un lieu public, effectuant d’un même élan des actions préétablies, avant de se disperser rapidement. Oui, une mobilisation éclair, quoi. Pour être antichronologique, je parlerai d’abord de la plus connue, datant du 8 septembre 2009.
Pour célébrer le lancement de la 24ème saison de son émission, Oprah Winfrey accueillait les Black Eyed Peas, interprétant leur nouveau titre «I Gotta Feeling» devant plus de 20 000 personnes. Jusque là, rien d’étonnant… Sauf qu’au son de ce tube voulu entraînant, une seule personne danse, au premier rang. Et là, dans un effet de cascade, le flashmob se met en route, avec d’abord dix autres personnes qui se déhanchent, puis cent. Puis mille. Jusqu’à ce que des milliers de gens dansent en rythme, coordonnant leurs mouvements devant une Oprah Winfrey plus qu’abasourdie. Je défie qui que ce soit de ne pas frissonner devant un tel exploit.
Mais qu’importe l’effet, la cause en est d’autant plus intéressante; car ce sont bien les réseaux sociaux qui sont à la base des flashmobs. Or, si nous sommes des êtres solitaires derrière les écrans, il est curieux de voir comment les réseaux peuvent amener les individus à se rassembler et, l’espace d’un court instant, à ne former plus qu’un seul et même mouvement. De la solitude à la multitude, c’est là que se situe le voyage.
Mais derrière cette poésie du rassemblement se lit une problématique communicationnelle forte. En effet, à moins que je ne sois obsédé par le cours de «Réseaux» que nous avons eu l’occasion d’avoir ce lundi au Celsa; il y a selon moi comme un écho au fantasme du «village planétaire» que l’on retrouve chez McLuhan. Selon cette théorie, les médias de masse auraient le pouvoir de fondre les micro-sociétés en une seule, constituant ainsi un «village global», une communauté partageant une même culture. Or prenons un nouvel exemple de flashmob, ayant cette fois-ci eu lieu en juin 2009 à l’occasion de la mort de Michael Jackson. Un grand nombre de mobilisations éclairs ont eu lieu dans des grandes villes du monde à l’instar de Chicago, Paris, Stockholm, Montréal ou encore Taipei; où la chorégraphie de «Beat It» a été réalisée simultanément par bon nombre de participants. Une telle démarche se veut en réalité être un «hommage» rendu à un défunt, faisant partie de notre culture à tous.
Dans cet exemple précis, on passe donc d’un réseau dit «social», dans lequel des communautés se sont mises d’accord sur Internet, à un réseau physique, où des gens rendent hommage à une même personnalité, en même temps, aux quatre coins du monde. N’est-ce pas là l’exacerbation de l’âge néo-tribal qu’observait déjà Marshall McLuhan avec la télévision; cette fois-ci rendu concret par la mise en pratique d’une «danse» commune?
Un nouvel exemple de ce déploiement d’une culture commune, plus récent cette fois, est la célébration du nouvel an chinois… à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, ce lundi 23 janvier.
C’est en effet l’agence W&Cie, à la tête de cet évènement, qui a permis de voir des danseurs en tenue de soirée exécuter un charleston autour d’un couple unifiant une chinoise et un français. Mélange des cultures à travers la danse, donc, la portée communicationnelle du flashmob n’a pas échappé aux agences.
Concluons que, par sa consistance poétique et communicationnelle, le flashmob est un pas de plus vers un brassage des cultures, par la danse.
D’ailleurs, n’oubliez pas de réviser les pas du prochain flashmob qui se déroulera au Parc Botanique de Bruxelles le 2 février prochain à 16h30, sur le rythme de la «Danse des canards»!
Lucas Vaquer
Crédits photo : ©Grenier aux nouvelles