Société

VR et digital detox : les témoins d'une boulimie 2.0

Le temps, ce nouvel eldorado du XXIe siècle, semble recherché par tous. Je ne vous parle pas du temps qu’il faut transformer en argent, mais plutôt de celui à accorder à soi et à la réflexion. Face à la déferlante des informations, à la sur-sollicitation des médias et des réseaux sociaux, nous disons « stop ».
Néanmoins, une question demeure : comment analyser l’engouement pour la réalité virtuelle* parallèlement à l’envie de déconnexion ?
Infobésité et hyper-connexion : le nouveau mal du siècle
L’infobésité ne date pas d’aujourd’hui mais l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication accroît le phénomène pour créer une véritable saturation. David Shenk, auteur de Data Smog, ajoute même qu’« au milieu du XXe siècle, on a commencé à produire de l’information plus rapidement qu’on ne peut la digérer. Jamais cela ne s’était produit auparavant. »
Ce terme d’infobésité sous-entend qu’à force d’être confronté à trop d’informations nous nous dirigeons vers l’ignorance. Face à une masse d’information toujours plus grande, il faut sans cesse choisir quel journal lire, quelle radio écouter ou quel JT regarder. Mais paradoxalement, il faut être au courant de tout, alors nous lisons sans vraiment lire jusqu’à nous désinformer. On est ici face à un cas typique de FOMO, l’acronyme de « Fear Of Missing Out » c’est-à-dire la peur de rater quelque chose, une information ou une soirée meilleure que la nôtre par exemple. Alors on se doit de mettre sa vie en scène sur les réseaux sociaux et d’être au courant des dernières news pour paraître « in* ». Ce trouble compulsif de l’époque 2.0 est donc une conséquence directe de l’addiction aux réseaux sociaux et à Internet.
« Le monde est devenu invivable ; on n’a même plus le droit de ne pas être informé ! » Joseph Bonenfant

C’est à peine si nous survolons les grands titres des journaux, histoire « d’être au courant », mais sans connaitre le fond de l’article. Certains diront que faire illusion en société c’est déjà pas mal. D’après Edgar Morin, nous sommes dans « un nuage informationnel » qui nous rend aveugles. Face à la rapidité de la circulation des informations, nous n’avons plus le temps de prendre du recul sur les évènements et les informations délivrées par les médias.
Mais il y a une prise de conscience progressive de cette pression informationnelle dans la société. En effet, le droit à la déconnexion fait parler de lui dans les entreprises tandis que de plus en plus de services se créent autour de la notion de « digital detox » ou de désintoxication numérique, un concept né aux Etats-Unis où l’on se déconnecte de ses écrans pour mieux se reconnecter à soi-même.
Joël de Rosnay, « le grand luxe de demain ce sera d’être débranché… pour prendre simplement le temps de réfléchir. »
Une société de tous les paradoxes : digital detox VS réalité virtuelle
Le temps pour soi et pour la réflexion semble être devenu le véritable enjeu du XXIe siècle dans nos sociétés occidentales où il doit être rentabilisé. Paradoxalement, cette envie de déconnexion se confronte à la curiosité pour le progrès et les nouvelles technologies. Les annonceurs s’emparent du phénomène et quand certains proposent des digital detox, d’autres misent sur la réalité virtuelle (VR) pour satisfaire le consommateur, cet être de contradictions.
Côté déconnexion, les annonceurs rivalisent d’imagination pour réduire cette envie irrationnelle de consulter nos réseaux sociaux toutes les cinq minutes. Dans le secteur du tourisme, des gîtes proposent aux personnes « hyper-connectées » des « séjours digital detox » et même des cures thermales à Vichy. Tout cela bien sûr sans WIFI avec des séances de sophrologie et des coachings personnalisés. C’est un véritable coup marketing pour le secteur qui connaît des difficultés depuis quelques années.
D’autres encore développent des solutions plus radicales pour combattre cette addiction. Le dernier en date se nomme Deseat.me. Ce site internet créé en 2016 par deux suédois permet de disparaître d’Internet. Plus précisément, les utilisateurs peuvent se désinscrire de la plupart des sites et des services associés à leur compte Gmail. Un lien est proposé pour chaque service associé au compte pour permettre de se désabonner, voire de supprimer son compte.
Par ailleurs, les marques s’engagent aussi pour la déconnexion à travers leurs campagnes publicitaires et surfent sur un insight* fort qui parlent à une grande majorité d’individus. En ces périodes de fêtes, Nike rappelle qu’il ne faut pas gâcher son temps sur Internet car il est précieux. Prenez l’air, chaussez vos baskets et sortez courir, le bonheur commence par là.

Les annonceurs semblent avoir trouvé un véritable filon autour de l’envie de déconnexion sur lequel ils peuvent appuyer leurs discours et apparaitre crédibles : volonté sincère ou opportunisme ?
Mais parallèlement, l’engouement pour la VR ne cesse de croître et semble être la solution à l’ennui des consommateurs face à la publicité. Car on l’entend sans cesse, elle est scandée comme la voie à suivre : l’expérience utilisateur mais aussi cliente est posée comme le saint Graal. Quoi de mieux que la réalité virtuelle pour sortir les individus de leur quotidien et lever les freins à l’achat par le test ?
Samsung l’a bien compris en créant le Samsung Life Changer Park avec Magic Garden et Cheil France, un parc d’attraction en VR. Les millennials* sont invités à découvrir le Galaxy S7 et son écosystème du 16 décembre au 2 janvier 2017 sous la nef du Grand Palais. Samsung démontre encore une fois sa capacité à innover entre grand huit, descente en kayak et attaque de zombie à vivre en réalité virtuelle.

Rien ne change, l’individu demeure un être de paradoxes. Fasciné par cette nouvelle technologie tout droit sortie de Matrix, elle effraie aussi par son pouvoir de déconnexion à la réalité. Et si finalement les steaks virtuels étaient meilleurs que les vrais ?
Flore Voiry
Glossaire :
• Réalité virtuelle
La réalité virtuelle (en anglais, virtual reality ou VR) est une technologie qui permet de plonger une personne dans un monde artificiel créé numériquement. Elle ne doit pas être confondue avec la réalité augmentée
• Être « in »
Etre à la mode, vivre avec son temps.
• Millennials
Ils sont 16 millions en France et représentent un tiers de la population active. Nés entre 1980 et 1994, ils ont entre 15 à 34 ans et sont scrutés par les marques comme des consommateurs hétérogènes à toucher à tout prix.
• Insight
Opinion ou attente dominante présente et détectée chez les consommateurs d’un produit qui sert à orienter les discours publicitaires et la politique de commercialisation.
Sources :
• Caroline Sauvajol-Rialland, Infobésité, comprendre et maîtriser la déferlante d’informations, Vuibert, mai 2013
• Sylvie Le Roy « Quittez internet », ladn.eu ; 29/11/2016
• Agnès Rogelet « Suivre une cure de « digital detox » » Psychologies.com; avril 2014
• Cyrille Gandolfo « Vous perdez votre temps sur internet et Nike vous le rappelle », cdusport.com; 13/12/2016
• Marine Couturier « La digital detox, le nouvel attrape-touriste 2.0 ? » Rue89.nouvelobs.com; 30/07/2015
Crédits photo :
1 : digitaldetox.org
2 : VR headset shipments ‘to boom’ in 2016 , Reuters bbc.co.uk,  22 avril 2016
3 : FOMO: Fear of Missing Out, Ria Bakshi; Baysidejournal.com
4 : Gagnez votre Pass VIP pour le Samsung Life Changer Park au Grand Palais; Golem13.fr