Société

Jacques a dit : les nuages s'assombrissent

 
Nul ne peut ignorer l’ampleur qu’ont pris les réseaux et les données. On reconnaît aujourd’hui le Big data comme l’un des enjeux majeurs de la société numérique et de son économie. Les utilisateurs manipulent, s’échangent et créent des données mais celles-ci sont essentiellement traitées et détenues par des sociétés privées américaines à l’instar des géants que sont Google et Facebook.
Cette nouvelle économie est aussi vaste qu’elle est complexe. De nombreux acteurs aux profils bien différents s’y croisent. Google et Facebook, par exemple ont tous deux dû diversifier leurs activités de moteur de recherche et réseau social pour correspondre et s’adapter à ce nouvel univers dont ils ont aussi contribué à façonner les contours. Traitement, stockage, partage, transfert… L’industrie des données ouvre sur une multitude de métiers et d’acteurs que nous ne percevons qu’à travers de grands noms comme ceux qui viennent d’être cités mais dont il n’est pas aisé de saisir l’étendue.
La France et plus globalement l’Europe sont en retard dans cette industrie. À la rentrée 2012, deux géants des télécoms, SFR et Orange, annoncent qu’ils vont investir sur le marché du cloud. Une réaction qui se veut un peu tardive mais qui a le mérite de créer un bond de notoriété à ce marché qui prend de l’ampleur depuis déjà quelques années.
 
Le cloud : du schématique à l’abstrait

Le cloud est un service de stockage de données en ligne qui désigne un contenu dématérialisé rendu accessible depuis plusieurs ordinateurs et smartphones.
Le mot cloud est d’abord un terme graphique qui vient de la forme utilisée par les diagrammes pour représenter un ensemble disparates d’éléments. Ici, ces éléments sont les nombreux services du cloud computing.
Dans la pratique, il existe depuis très longtemps. À partir du moment où nous sauvegardons un document en l’envoyant sur une boîte e-mail par exemple nous faisons du stockage en ligne. Mais il ne s’agit que de l’un des multiples services compris dans ce nuage.

Depuis un moment l’image du cloud semble être activée à nouveau. Popularisée par l’iCloud d’Apple, la symbolique remotivée renvoie aujourd’hui à une autre dimension où pourraient être stockées nos données en toute légèreté. Les tablettes et autres smartphones seraient comme les fenêtres qui donnent sur cet univers souvent illustré par un ciel bleu, paisible malgré quelques petits nuages dans lesquels sont parfaitement bien rangés nos fichiers qui nous suivent en permanence.
 
L’ envers du cloud
Cet imaginaire qui est développé par les professionnels de l’image sont autant d’indicateurs des incertitudes qui règnent face à ce cloud dont on parle tant.
Le mot fait le buzz, l’image est claire, mais ne représente que très peu la réalité. Les datacenters, le lieu physique où se trouvent les données sont bien moins sympathiques et médiagéniques que le cloud. Le stockage prend de la place, le stockage coûte beaucoup en énergie, le stockage implique de faire confiance à l’entreprise qui traite les données, le stockage signifie la perte des données… Toutes ces inquiétudes justifiées ne sont que très rarement prises en compte par les acteurs dominants sur le marché. Il y a un véritable manque de transparence qui ne laisse aux consommateurs français que le choix de faire confiance et d’accepter les offres existantes les yeux fermés.

Avec le lancement de Numergy, une infrastructure fournissant de « l’énergie numérique » et de SFR business team, la première offre de service de cloud française pour les entreprises, SFR innove en intégrant ces inquiétudes grandissantes.
On parle de « cloud maîtrisé », de « cloud souverain » ou de « cloud à la française ». Cela traduit un effort remarquable pour redonner un cadre à ces limbes numériques. Des infrastructures françaises, un opérateur français, une entreprise française et le soutien financier de l’État français.
Esther Pondy

Les Revenants
Culture

Le marketing version Revenants

 

 Pour le premier dossier sur Les Revenants de la semaine, Flora Trolliet, Esther Pondy et Sabrina Azouz nous proposent leurs interprétations des stratégies marketing entourant la série. Si l’agence BETC a conduit Canal+ à adopter une stratégie que l’on peut situer entre celles communément adoptées au cinéma et celles des séries américaines, on peut aussi se demander si le succès des Revenants n’est pas aussi dû en partie aux particularités de la chaîne.
 
 
Un positionnement paranormal
Il y a des productions audiovisuelles dont on devine aisément le genre. Bienvenue chez les Ch’tis est une comédie, Paranormal Activity un film d’horreur, aucun doute là dessus. Cette classification par genre est l’une des composantes essentielles de l’analyse stratégique d’objets culturels, notamment audiovisuels. Dans le cadre d’une démarche marketing, elle permet en effet d’identifier le positionnement d’un film sur le marché et par conséquent de définir sa segmentation, c’est-à-dire la clientèle susceptible de s’y intéresser.

Les Revenants nous confronte à une analyse stratégique complexe. Alors que son format (8 épisodes de 52 min) et son mode de diffusion (télévision, prime-time…) ne laissent aucun doute sur le fait qu’il s’agit d’une série télévisuelle (made in Canal+), son dispositif de création (réalisation, scénario, production) et la création en elle-même (thématiques abordées, interprétation, choix esthétiques) rendent ce positionnement plus ambivalent. Sous différents aspects, la série oscille entre objet culturel télévisuel et œuvre d’art cinématographique. Cette première hypothèse se confirme lorsqu’on analyse la segmentation de la série, tout aussi ambivalente, cherchant à fédérer un public double.
Aussi, le positionnement des Revenants repose-t-il sur une série de paris plutôt dangereux : imposer une thématique fantastique dans un prime-time à la télévision française, proposer une création aux partis pris esthétiques très marqués et surtout, établir un équilibre entre études psychologiques approfondies et éléments surnaturels incompréhensibles. De ce positionnement ambivalent découle une double segmentation dominante : public sériel traditionnel d’une part, public peu sériel mais cinéphile d’autre part ; autrement dit celui qui dévore l’intrigue et veut des réponses à ses questions et celui qui se nourrit des personnages, de leur psychologie.
Cette segmentation s’accompagne du développement d’outils marketing ciblés qui semblent parfois empruntés aux campagnes publicitaires du cinéma. D’une part, avec ses créations originales en général, avec Les Revenants en particulier, Canal+ renoue avec le caractère publicitaire que le cinéma, notamment américain, octroie au casting. D’autre part, dans son mode de diffusion et dans son contenu, le premier épisode fonctionne comme une bande annonce « à la française ». Ces outils marketing, qui paraissent implicites, parce qu’intégrés au contenu de la série elle-même, jouent un rôle essentiel dans la création de bouche à oreille.
Le casting :
Il est un élément crucial du marketing cinéma. Depuis les débuts du 7e art, les « têtes d’affiches » jouent un rôle publicitaire de premier choix et les producteurs, notamment américains, s’arrachent les acteurs du moment à coup de billets verts. Cette tendance est moins marquée sur le petit écran du simple fait que le genre sériel tend à être considéré comme mineur, attirant en général uniquement des acteurs « de seconde zone » (pas encore révélés au cinéma / dont le cinéma ne veut plus).
Les créations Canal+ inversent cette tendance en soignant le choix des comédiens, très souvent issus du cinéma. En ce sens, le casting sériel retrouve ici un rôle publicitaire, seule la cible a changé. En effet, les acteurs 100% cinéma français d’auteur drainent un public d’ordinaire peu enclin aux téléfilms, séries télé et autres blockbusters mais heureux de suivre ses interprètes fétiches sur un format plus long qu’à l’accoutumée. Ainsi, un casting crédible et cohérent contribue largement au succès des créations originales Canal et, sans aucun doute, Les Revenants en est l’exemple le plus abouti (cf. Annexe).
 
Le premier épisode :
Le premier épisode des Revenants fonctionne comme une bande annonce cinématographique. Dans son mode de diffusion tout d’abord, il est visible presque un mois avant la diffusion sur Canal+ et cette visibilité en « avant-première » est très médiatisée. Dans son contenu ensuite, il est construit sur le modèle des bandes annonces françaises qui, à la différence de celles américaines (sortes de mini-films à elles mêmes), restent très souvent évasives, ne respectant pas la linéarité du film. Et justement, avec le premier épisode des Revenants impossible de savoir quelle direction la série va adopter, on est à cent lieues d’imaginer que le retour parmi les vivants de Camille, Simon, Mme Costa et Victor va se généraliser. L’intrigue étant centrée sur Camille, on pourrait même imaginer qu’ils se trouvaient ensemble dans le bus. Ce qui donnerait, si ce n’est une explication, du moins une unité au phénomène paranormal dont tous sont frappés. A lui seul, le premier épisode est en outre celui dont le positionnement est le plus difficile à définir. Pour anecdote, cette technique de marketing avait été initiée avec Simon Werner a disparu, le premier film de Fabrice Gobert : en plus des bandes annonces (relativement courtes), on pouvait découvrir en exclusivité … les 3 premières minutes du film !
Mise en bouche efficace des (télé)spectateurs, cette stratégie favorise le feedback que la chaîne ré-exploite notamment dans une bande annonce « twitter » (comprenant des tweets de fans et le slogan « Les Revenants, c’est vous qui en parlez le mieux »), non sans rappeler certaines affiches et bandes-annonces de cinéma. Les affiches de Comme des Frères et celle des Bêtes du sud sauvage en sont deux exemples récents ; la première intègre les commentaires des spectateurs, la seconde ceux des critiques de presse, agrémentés du slogan « Tout ce qu’on vous dit sur Les bêtes du sud sauvage est vrai. »
Le choix d’une segmentation large peut expliquer les records d’audience de la série (1.4 millions de téléspectateurs sur la quasi-totalité de la série). Cependant, si la fin de la saison 1 a suscité un record historique d’audience, elle a également déclenché une avalanche de critiques sur Facebook.
D’une part, dérouté par l’absence de réponses apportées aux mystères de la série, par cette fin sous forme de cliffhanger, le public « plus sériel » se déchaîne sur Internet, là où la série était justement venue le chercher. Plusieurs éléments de scénario restent en effet non-expliqués (l’évolution du niveau de l’eau, la cicatrice dans le dos de la sœur de Camille par exemple). D’autre part, le public a priori « plus cinéphile » a du mal à digérer un certain changement de registre en faveur du paranormal. Les mystères se multiplient en effet (cicatrices, hordes de revenants, bébé mort-vivant d’Adèle…) et éloignent la série des questions relationnelles que le retour des morts cause à l’entourage des revenants. Effet boule de neige, le double positionnement du genre (réalisme, psychologie ET paranormal, intrigue) s’estompe, mettant alors en péril la double segmentation.
Réunir deux types de publics diamétralement opposés ou presque devant le même programme demande un sens de l’équilibre digne des plus grands funambules. Avec des films comme Skyfall ou The Artist, le marketing du cinéma a fait ses preuves en la matière. Avec Les Revenants, Canal+ a ouvert la brèche.
 
 
Une stratégie du plus
Ce qui fait l’actualité s’accompagne toujours d’un certain matraquage médiatique et surtout d’un discours préparé. Avant, après et pendant leur diffusion, les objets (livres, disques, films ou séries) et les hommes qui font l’actualité ne peuvent échapper à cette étape indispensable. Le jeu des plateaux télé et des relations publiques est celui qu’il faut absolument maîtriser.
Dans cette optique, Les Revenants se plie aux règles avec une campagne publicitaire particulièrement léchée que nous devons à la prestigieuse agence BETC, fidèle partenaire de la chaîne Canal+. Mais ce que l’on observe à propos de la production, c’est que ce qui la propulse au rang de série événement n’est pas tant la campagne que la notoriété de la chaîne elle-même, relayée par ses téléspectateurs.
Lancés le 23 octobre, le site Internet, les affiches, le spot radio et la bande annonce TV préparent l’arrivée de quelque chose de nouveau et poussent téléspectateurs et médias à créer eux-mêmes l’événement. « Première série fantastique »; « du jamais vu pour une série française » ; « la série la plus attendue. » Pendant un mois les discours qui se forment autour de la série ne sont pas ceux de la chaîne qui se veut plus discrète.
On concédera à cette stratégie une certaine douceur. Elle s’accorde d’ailleurs parfaitement avec le positionnement éditorial initial de la chaîne.
 
« Canal+, demandez plus à la télé »
Si la légende veut que le « + » qui qualifie la chaîne ne soit dû qu’à une erreur d’impression, la coïncidence est heureuse car un simple « Canal 4 » n’aurait probablement jamais suffit à décrire combien la chaîne se présente comme un lieu à haute valeur ajoutée.
La différence entre les chaînes lambda et la quatrième a toujours été fortement marquée. Publicité, cryptage, annonces, les « plus » réservés aux consommateurs qui payent pour ont toujours été visibles et déployés devant les yeux des téléspectateurs moins heureux. Les meilleurs films de cinéma plus rapidement, les meilleures séries avant les autres, le foot en exclusivité, etc. Dans l’imaginaire comme dans les faits Canal+ n’est pas un chaîne comme les autres.
La marque se distancie des autres chaînes, mais prend surtout ses distances vis-à-vis de la télévision elle-même. L’atout cinéma a rapidement été le moyen de s’imposer d’abord en tant que diffuseur de films de premier choix. Avec le temps, la critique s’est élargie à tous les contenus disponibles sur la chaîne désormais également reconnue comme un producteur de qualité.
Cette façon de mettre en valeur le raffinement, l’exclusivité et la rapidité fait entrer dans les esprits que le meilleur est sur Canal+. Symboliquement, l’effet même de cryptage renforce cette idée qu’il existe un privilège, une richesse Canal+.
« Des créateurs originaux pour des programmes originaux »
Dans le temps, cet argument du plus n’a pas fondamentalement changé. Mais il a évolué, il s’est renouvelé. Le cinéma, le foot, les séries américaines et aujourd’hui les créations originales viennent s’ajouter à la notoriété de la chaîne.
Pigalle, Engrenages, Borgia, Maison close : avant même leur sortie, ces fictions made in France ont été annoncées comme des séries « événement ». Originales, elles le sont parce qu’elles ne sont faites comme aucune autre série (saisons de huit épisodes, 52 minutes) mais aussi parce que chaque production se distingue des autres par l’intrigue, l’univers qu’elle incarne, son genre, sa tonalité. Les choix sont souvent audacieux, mais le public sanctionne positivement.

C’est dans ce contexte béni qu’apparaît la série Les Revenants. L’intrigue seule suffit à susciter l’intérêt, mais la provenance Canal+ et le cachet des autres séries de la chaîne sont un argument inimitable. C’est cet élément que la bande annonce de la saison exploite. Les noms de la série et de la scène sont physiquement replacés dans le cadre créateur original.
La création originale Canal+ devient ainsi un label à part entière, unique en son genre et propre à la chaîne. La création Canal+ n’est pas tout à fait comme la série américaine ; mais elle reste aussi inégalée par les producteurs français. Un label et un format qui ne se sont encore jamais vus ailleurs et qui se veulent exportables, comme le montrent les nombreux projets d’adaptation en cours aux États-Unis.
 
Un marketing fantôme
En effet, si la série Les Revenants a fait le buzz en France, on parle déjà d’un remake américain en préparation. Le network ABC et la société de production Plan B de Brad Pitt auraient déjà acheté les droits d’adaptation non pas de la série française mais d’un roman américain, The Returned, publié en septembre prochain. L’histoire ? Des parents qui assistent au retour de leur fils de huit ans, mort des années auparavant et qui n’a pourtant pas vieilli. Très vite, ils réalisent que le phénomène est mondial. Cela vous rappelle quelque chose ? Pas étonnant, vous dirais-je. Si The Returned vous rappelle Les Revenants avec une première intrigue qui serait un croisement entre celle de Camille et Victor, personne ne parle pourtant de plagiat. La société de production assure même que cela n’aurait rien à voir avec la série fantastique française. Bref, on attend de voir pour le croire.
Mais en regardant la série diffusée sur Canal+, on n’a pas pu s’empêcher de remarquer un désir possible de la chaîne d’exporter cette nouvelle création originale à l’étranger*. Si la série est située dans une ville fictive mais tournée dans la banlieue d’Annecy, le choix des producteurs concernant les décors nous conforte dans cette idée. En effet, l’American Dinner au gérant exécrable qui subit les foudres de Simon, et situé au milieu de nulle part, nous rappelle très vaguement les séries américaines dans des villes un peu perdues. Mais aussi le Lake pub, le bar billard où se retrouvent les ados comme Léna, ou même Adèle et Simon des années auparavant. Pourtant, lorsqu’on interroge les réalisateurs et producteurs, ces derniers nient tout en bloc et évoquent simplement l’influence de la série de David Lynch, Twin Peaks, comme une référence cachée.
Hormis l’influence de Twin Peaks, on ne peut pas non plus s’empêcher de penser à la série américaine 4400. Même si on ne parle pas de morts revenus à la vie, c’est presque la même chose puisque ce sont des milliers de personnes qui ont été portées disparues et qui réapparaissent telles qu’elles étaient au moment de leur disparition. On se souvient, outre les 4400, de Lost (2004-2010) ou Roswell (1999-2002) qui ont connu un vrai succès à leur début avec du suspense et de nouveaux éléments à résoudre ne cessant d’apparaître au fil des épisodes. Mais finalement, elles ont échoué à cause de l’incapacité des scénaristes à trouver une résolution à l’avance.

 
Mais ce ne sont pas seulement le suspense ou l’intrigue qui nous rappellent nos très chères séries américaines ; les stratégies purement marketing, elles aussi, s’y prêtent savamment. Pourtant, on a plutôt l’habitude d’une promotion très discrète autour des séries françaises, d’où parfois leur manque d’audiences et de succès. Or, Canal+ a aussi fait le choix d’être discret avec une campagne d’affichage pour Les Revenants classique alors que les chaînes américaines, elles, sont plutôt prêtes à tout pour qu’on parle partout de leur série, et surtout, qu’on la regarde. Si les Américains font les choses en grand, c’est non seulement à cause de la compétition des séries qui fait rage aux Etats-Unis entre les chaînes, mais également parce qu’ils ont plutôt l’air d’apprécier le street marketing et les choses décalées et surprenantes. Ainsi les Américains avaient pu expérimenter l’installation en pleine rue d’une grande fontaine remplie de liquide rouge, de sang, pour la promotion du sérial killer préféré des téléspectateurs, Dexter. Pour la série Lost encore, il n’était pas rare de voir des affichages dans des endroits insolites rappelant la série, tels qu’un labyrinthe ou en forêt, mais également des affiches reprenant la compagnie aérienne sur laquelle nos survivants avaient voyagé avant le crash. Si l’on aime cette manière de faire de la pub pour nos séries préférées de manière géante et surprenante, on ne s’attend pas à voir le street marketing prendre une telle ampleur en France.
Canal+ a donc préféré jouer une autre carte empruntée aux séries américaines et tenté d’inclure les spectateurs à la série et à l’intrigue. Encore une fois, l’équipe des Revenants semble avoir tout appris de J.J Abrams et de son bébé, Lost, qui avait proposé aux spectateurs d’explorer les rouages et mystères de la série sur Internet, afin de les faire patienter jusqu’à la prochaine saison. Ce fut un succès, les fans de la série s’étant identifiés aux personnages très rapidement et ayant été victimes du suspense. Le phénomène a ensuite été répété dans plusieurs autres séries et les expériences transmedia sont devenues monnaie courante. Mais nous aborderons cette stratégie plus en détails demain. Seulement, Canal+ a très vite repris cette idée pour fidéliser facilement ses spectateurs, élever les « coûts de sortie » (c’est-à-dire les barrières de sortie de la série, d’arrêt du visionnage par le téléspectateur) et ainsi rendre difficile l’abandon de la série par le spectateur. La chaîne retente l’expérience pour Les Revenants puisque cela avait déjà été fait pour plusieurs autres de leurs créations originales, comme pour Maison Close. Ils avaient aussi créé des comptes Twitter tenus virtuellement par les différentes héroïnes de la série.
Si la création originale de Canal+ semble souffrir d’un léger syndrome Lost, on espère juste qu’elle ne finira pas comme elle. Mais on peut se rassurer puisque Fabrice Gobert, le créateur de la série, a déclaré qu’il avait en tête plusieurs directions qu’il souhaiterait aborder pour la série et son enchaînement.
Ce qui nous amène ici au « season finale » de la saison 1 des Revenants qui se différencie encore une fois des autres séries françaises. Si, en France, nous sommes peu habitués aux séries qui finissent sur un cliffhanger, les créateurs de la série, eux, n’ont pas hésité à jouer la carte du to be continued. Si certains téléspectateurs ont été déçus par cette fin, qui ne répondrait pas assez à leurs interrogations, la plupart sont déjà « accros » et attendent avec impatience le retour de la série. Le public restera-t-il fidèle malgré la longue attente ? L’effet des Revenants va-t-il durer ? On peut le croire, puisque la création originale de Canal+ a rencontré un succès sans précédent sur la chaîne câblée. En effet, un quart des abonnés était devant leurs écrans, ce qui en fait la création originale la plus suivie de l’histoire de Canal+, devant d’autres réussites telles que Engrenages, Braquo, Mafiosa mais aussi  Maison Close ou Pigalle la nuit, avec une audience moyenne sur les huit épisodes d’environ un million et demi de téléspectateurs, sans compter bien sûr les téléchargements illégaux.
La chaîne, pour se féliciter de ses audiences, s’est même empressée de mettre en vente un coffret DVD de la série juste avant les fêtes de Noël. C’est le meilleur moyen de continuer à surfer sur la vague du succès tout en boostant les ventes de DVD à Noël. Évidemment, on aurait tous aimé voir le coffret de la série sous notre sapin. On peut donc applaudir Canal+ pour cette stratégie commerciale très efficace qui leur a sans aucun doute permis de toucher une nouvelle cible : les non-abonnés à la chaîne Canal+, mais également de lutter contre le téléchargement illégal. De plus, on les félicite pour leur rapidité, les derniers épisodes des Revenants ayant été diffusés le 17 Décembre et les coffrets commercialisés trois jours plus tard. Du jamais vu. Canal +, c’est décidément « tellement plus encore. »
 
Annexe
Un casting 100% pur cinéma français… (liste non exhaustive)
Interprétation :
Anne Consigny (a notamment tourné avec A. Renais et A. Desplechin), Clotilde Hesme (Les Chansons d’Amour, Angèle et Tony…), Frédéric Pierrot (jouait dans Les Revenants, le film) ou Grégory Gadebois (Pensionnaire de la Comédie Française, césarisé pour Angèle et Tony) : acteurs confirmés, peu habitués à des rôles pour la télévision.
Céline Sallette (L’Apollonide…) , Sami Guesmi (Camille redouble…), Guillaume Gouix (Jimmy Rivière, Hors les murs, Mobil Home…) : valeurs montantes du cinéma d’auteur.
(Re)découvertes : Matila Milliarkis (Cœur Océan, l’un des seuls a avoir joué dans une série avec Jenna Thiam), Yara Pillar (révélée par 17 filles, Semaine de la Critique, Cannes 2011), Pierre Perrier (rôles atypiques dans films marginaux, Plein Sud, American Translation…)
Réalisation et scénario :
Fabrice Gobert (repéré avec Simon Werner a disparu, son premier long, sélectionné dans la catégorie un Certain regard, Cannes 2011)
Collaboration d’Emmanuel Carrière (a reçu le prix Renaudot, a été membre du jury de Cannes en 2010)
De Céline Sciamma (recrue Fémis, deux longs à son actif, très remarqués dans le milieu du cinéma d’auteur français Naissance des Pieuvres, Tomboy)
Production :
Haut et Court, distributeur cinéma avant tout mais qui a déjà produit une série en 2011, Xanadu (du nom de l’entreprise pornographique familiale où se déroule l’intrigue), diffusée sur Arte. Témoigne déjà d’un goût prononcé pour les créations originales et les chaînes qui osent.

*EDIT DU 14 JANVIER à 23h00.
Le compte officiel de Haut et Court vient de retweeter une information selon laquelle Les Revenants seront adaptés en langue anglaise par le distributeur FremantleMedia Enterprises. They Came back sera produit par l’Anglais Paul Abbot.Voici un lien vers l’article source de Variety.
 
Flora Trolliet (pour « Un positionnement paranormal »)
Esther Pondy (pour « Une stratégie de plus »)
Sabrina Azouz (pour « Un marketing fantôme »)

Société

JO de Londres 2012 : la communication maîtrisée des athlètes français – L’exemple Teddy Riner

 
Cette photo restera sans doute gravée dans les mémoires comme l’un des emblèmes des JO de Londres 2012. Teddy Riner, maître incontesté du judo français, rouleur-compresseur de plus de 100Kg auquel rien ne résiste. Une image, un symbole.
Mais cette photo est aussi l’illustration de la communication sans faille des athlètes français durant ces JO. Dès le début du mois de juillet, rien n’a transpiré de la part des sportifs, focalisés sur leur entraînement. Durant les trois semaines d’euphorie londonienne, les images diffusées sont celles des chaînes de télévision possédant les droits de retransmission des jeux. Vous l’aurez remarqué alors : impossible de trouver des vidéos amateurs sur Youtube ou Dailymotion. Néanmoins, qui n’a pas remarqué le comportement exemplaire, sportif, éthique, moralement sans erreur des  athlètes tricolores ? Quand les Chinois sont accusés de tricherie et les Anglais de favoritisme, un calme absolu règne dans le service « communication de crise » du stand français. Alléluia !
Pour illustrer ce propos, prenons un exemple, au hasard Teddy Riner.
Teddy Riner, 23 ans, originaire de Guadeloupe, quintuple champion du monde de judo dans la catégorie poids lourds, champion d’Europe, médaillé de bronze à Pékin en 2008, et élève à Sciences Po Paris. La tête et les jambes : un exemple de réussite « à la Française ».
Depuis 2008, il clame haut et fort son désir de revanche, sa volonté inébranlable de domination du podium. Il devient un des sportifs français les plus attendus de ces jeux. Le 3 août 2012, il est là. A 10h30, il apparaît sur France 2. Côté internet, c’est « un de ses amis proches » (termes utilisés par l’utilisateur) qui prend le contrôle de sa page Facebook pour commenter les exploits du champion. Et c’est parti pour une journée de combats, d’adrénaline, de commentaires (plus ou moins pertinents), de soutien, de posts, de cris, de larmes, entrecoupés de pages de publicité. Parlons-en de ces pages de publicités. Fin du premier combat de Teddy Riner. Jingle de France 2. Et là, Teddy réapparaît et exécute une prise de judo. Reprise des hostilités ? Que nenni ! L’athlète s’empare d’une bouteille au contenu d’un bleu suspect et s’en abreuve avant de la passer à un autre olympien. Powerade se positionne comme « la boisson pour le sport officielle des Jeux Olympiques de Londres 2012 ». Et participe par-là à la construction de l’image des athlètes qu’elle emploie. Teddy Riner, omniprésent dans et en dehors des tatamis. Dans les intervalles entre les combats sont aussi glissés des reportages sur l’intéressé : sa vie, son œuvre ? Presque ! La vision qu’en a son entourage : son entraîneur, ses camarades de douleur (surtout pour eux la douleur apparemment !), sa famille. Focus est fait sur les réactions de sa maman durant les premiers combats : entre joie et fébrilité, on tente de faire oublier qu’il manque pour l’instant les sentiments du judoka. A l’issue (heureuse, bien sûr) de la finale, c’est (enfin) la relâche pour Teddy Riner : embrassades, autographes, interviews, photos. Les médias s’en donnent à cœur joie et le sportif n’est pas en reste. En effet, dans sa tactique cette année, le jeu avec le public et les médias, dont il est si friand, n’est pas au programme. Rigueur et sobriété sont les maîtres-mots. Ils le sont tout autant pour son entraînement que pour  sa communication tout au long de ces semaines londoniennes. Et il en est de même pour l’immense majorité des athlètes français. Alors, hasard, mise au point ou requête de la commission olympique ?
Quoiqu’il en soit, cette communication à l’unisson des sportifs tricolores sera unanimement remarquée. Une communication contrôlée, qui recentre les sportifs sur leur discipline. Une communication qui cadre parfaitement avec les attentes post-coupe du monde de football. Une communication adaptée au contexte socio-économique actuel. Maîtrisée, vous disiez ?
(1) Pour plus d’informations sur les liens entre le CIO et les réseaux sociaux :
(2) Pour information, Teddy Riner fêtera son titre olympique à Levallois le 8 septembre prochain
 
Julie Escurignan

Politique

En rase campagne

 
Alors qu’il ne nous reste plus qu’une poignée de soirées endiablées à passer avec la tata mélenchoniste et l’oncle bleu marine pour savoir quel billet glisser dans l’urne, de nombreux sondages convergent vers une tendance commune : les Français ne s’intéressent pas à cette campagne présidentielle — ou du moins peu.
En effet, un rapide comparatif entre les chiffres de 2007 et de 2012 permet de jauger ce décrochage en matière d’intérêt. Une étude de la TNS Sofres datée du 4 avril 2007 (avec un premier tour qui se tenait déjà un dimanche 22 avril) révèle que 78% des interrogés se déclaraient alors « intéressés par la présidentielle ». Une étude similaire menée par CSA pour BFM TV le 2 avril 2012 place le curseur une douzaine de points plus bas avec 66% d’ « intéressés ».
Plus inquiétant que l’écart en lui-même, la dynamique des résultats de ces sondages s’avère être préoccupante. En 2007, on pouvait observer un intérêt croissant à mesure que l’échéance électorale approchait. Pour la campagne qui se joue aujourd’hui sous nos yeux c’est tout le contraire qui semble se passer. La plupart des instituts de sondages (TNS Sofres, CSA ou Opinion Way) dévoilent des chiffres qui indiquent clairement un désintérêt croissant pour la présidentielle de 2012. Ce recul s’est opéré au début du mois de mars. En effet, Opinion Way note un repli de plus de 6 points en terme d’intérêt sur les deux premières semaines de mars — même constat pour TNS Sofres (4 points de perdu en deux semaines).
À rebours, les résultats de 2007 faisaient de ce tournant de février/mars le moment clé où l’intérêt pour la présidentielle décolle : en effet, en l’espace de ces deux mêmes semaines, on assistait à un gain de 8 points, pour ensuite atteindre son apogée lors de l’entre deux tours.
Plusieurs raisons peuvent être évoquées pour tenter d’expliquer ou de dédramatiser ce snobisme assumé des Français envers leur campagne présidentielle.
Tout d’abord, il faut prendre garde à ne pas forcer les comparaisons entre les élections de 2007 et celle de 2012. En effet, celle qui s’apprête à se jouer est avant tout l’élection d’un potentiel renouvellement de mandat pour un candidat Sarkozy quasiment assuré d’être au second tour. Dans le même temps, son principal adversaire — François Hollande — a été placé par médias et instituts de sondages dans la position parfois peu confortable du favori incontesté. Ainsi l’élection — les premiers et seconds tours — semble être jouée avant même l’ouverture des bureaux de vote plaçant les électeurs dans une douillette salle d’attente où il serait de toute façon trop tard pour changer les règles du jeu.
Au contraire, en 2007, le renouvellement politique s’apprêtait à être total avec la potentialité de voir revenir la gauche au pouvoir après plus de 12 ans d’absence ou bien avec l’avènement d’une nouvelle génération droitière incarnée par Nicolas Sarkozy et d’autres jeunes loups de l’UMP tels Jean-François Copé. L’excitation et l’enjeu en étaient alors sûrement renforcés.
Ensuite, les derniers évènements — notamment l’affaire Merah et ses suites — ont déplacé le curseur des thèmes de campagne vers le sécuritaire et la défense de la République délaissant ainsi crise économique et dette. Le candidat de l’UMP — et président sortant — mène désormais la danse et impose le tempo évitant soigneusement de s’égarer vers l’économie étant donné l’état de son bilan, pas vraiment reluisant sur ces sujets.
François Hollande choisit lui de laisser parler, se projetant déjà dans une position de président hypothétique au-dessus de la meute, évitant ainsi le débat avec son principal concurrent dans une course qui a du mal à s’accélérer. Le candidat de la rue de Solférino ayant fait de l’anti-sarkozysme son axe de campagne principal a évincé de fait les huit autres participants de la fête — s’auto-persuadant de sa présence au second tour. Alors, il entend garder ses cartouches pour la confrontation directe de l’entre deux tours qui l’opposera — selon lui — à Nicolas Sarkozy.
Lionel Jospin avait en 2002 opté pour cette même stratégie, en restant fixé sur le rendez-vous du deuxième tour face à Jacques Chirac avec la réussite désormais légendaire que l’on connait. À force de ne pas occuper le terrain, « Yoyo » s’était retrouvé évincé du duel final par Jean-Marie et son oeil de verre — aidé par l’affaire du Papy Voise et l’éclatement des voix à gauche.
Enfin, il serait aussi possible de pointer le rôle du CSA qui assure une répartition strictement égale du temps de parole entre les dix candidats pour le dernier mois de campagne .Certes, d’un point de vue strictement démocratique, la démarche est louable et sans doute souhaitable notamment pour permettre aux petits candidats d’exister. Cela a pu notamment permettre à chacun d’entendre Jacques Cheminade narrer le rôle de la Reine d’Angleterre dans le trafic d’opium mondial ou encore l’absolue nécessité de conquérir Mars. Avec cette image encore tenace d’une Elizabeth II fusionnée avec un Al Pacino époque Scarface, cette répartition stricte rend effectivement moins visibles les confrontations et clivages de campagne entre les principaux candidats.
Ainsi la campagne perd un peu son souffle puisque chacun se trouve avec la possibilité d’exprimer ses thèmes respectifs, menant à une impression de fouillis avec d’innombrables débats annexes qui empêchent de fixer des enjeux clairs sur lesquels chaque candidat pourrait exprimer ses différences et convictions — projet que François Bayrou tente de mener à terme en proposant un débat avant le premier tour avec les dix aspirants présidents. Reste enfin à savoir si ce désintérêt latent mènera à une abstention record pour l’élection pivot d’un pays centré sur les présidentielles.
 
PAL
Crédits photo : ©AFP PHOTO PHILIPPE

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