Alcootest, la colle posée par France 4
Alcootest, le dernier-né de France 4, est un programme qui a fait parler de lui dès l’annonce de sa parution, au point que celle-ci, au berceau, s’est vue menacée par la controverse ambiante. Pourtant, ceci était à prévoir : la 14ème chaîne française ne fait que se positionner dans un contexte de voyeurisme général, terrain favori du divertissement télévisé.
L’émission propose un objectif honorable de prévention contre l’alcool, ses excès, ses effets et ses dégâts. Mais la façon dont le sujet est traité sur le plateau est d’une pertinence douteuse : sur le papier, une vulgarisation scientifique, quasi-anthropologique, du rapport des jeunes adultes à l’alcool et de la manière dont le psychotrope impacte leur système cognitif. Une caméra à l’épaule suit un petit groupe dans une boîte de nuit, dévoilant de banales scènes s’échelonnant entre la fête et la beuverie, ponctuées de quelques prises de paroles parfois laborieuses ; puis l’étape des tests. Tests qui, si leur valeur scientifique est discutable, sont jugés divertissants par une majorité des téléspectateurs. Et c’est peut-être là que le bât blesse.
Comment prétendre qu’une émission qui reprend la plupart des codes de la télé-réalité peut avoir un réel effet didactique ? Le public visé par cette prétendue campagne de prévention est précisément celui qui est représenté à l’écran, et celui qui évolue dans les autres programmes de la chaîne ; de jeunes adultes qui ont, dans l’ensemble, l’air de bien s’amuser et parfois de réciter le contenu d’un script. Entre le grotesque des balbutiements sur le plateau, la philosophie de comptoir et les bringues sonores, l’ambiance est plus propice au rire qu’à l’information. Et les messages à caractère sérieux tombent comme un cheveu sur la soupe au milieu de tout cela : si danger on voulait dépeindre, il semble désarmorcé d’office. De fait, les internautes s’amusent de l’émission sans y accorder beaucoup de crédit. Pourquoi ? La réponse se trouve peut-être dans cet effort transparent de se mettre « au niveau des jeunes » pour s’adresser à eux. Or, comment prendre au sérieux un interlocteur qui tronque ses propres codes pour adopter ceux qu’un groupe différent sans les maîtriser tout à fait ? Ceci n’est pas sans rappeler la désastreuse opération de communication qu’avait constitué la campagne de Sam (rappelez-vous, « Si t’as pas d’Sam, t’as l’seum ») et les quelques tentatives des banques proposant des offres jeunes.
De nombreuses personnes sont montées au créneau pour dénoncer l’indécence supposée que constituerait l’exhibition, sur un support public, de personnes alcoolisées. D’autres encore ont insisté sur l’incitation à la consommation que cela pourrait provoquer, comme si les 16-25 ans avaient besoin d’encouragements. Sans aller jusque là, le format de l’émission offre le flanc à la critique. Certes, il faut captiver et divertir un public jugé désinvolte et prompt à l’ennui, mais ce public a déjà été confronté à des campagnes de prévention autrement plus précises, et a l’habitude des ressorts, dramatiques et comiques, des programmes de divertissement. Cet improbable mix des deux genres est peu susceptible de provoquer des prises de conscience, et évoque davantage, de la part de France 4, une émission vouée à satisfaire l’audience par une bonne dose de voyeurisme et de spectacle – imaginez les conversations, le lendemain, entre les jeunes spectateurs : il y a de quoi se lancer dans les défis et les comparaisons.
Pourquoi ne pas, si l’objectif est réellement la sensibilisation, cesser de montrer la phase récréative et inscrire l’émission dans le long terme, qui est le grand absent des consommations irresponsables, en suivant les conséquences d’une soirée qui s’est mal passée ? Comme on a pu le constater avec les court-métrages de la Sécurité routière, la légèreté peut s’avérer contre-productive.
Néanmoins, cette controverse qui aura suscité quelques plaintes auprès des producteurs de l’émission confirme le slogan : France 4, des fois ça déchaîne.
Marguerite Imbert
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