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La publicité, une fois encore menacée

Le 8 décembre 2016, le Sénat a adopté en deuxième lecture le projet d’enlever la publicité dans les programmes télévisés des moins de 12 ans, après une première lecture en janvier 2015 par l’Assemblée Nationale.
Cette législation a été proposée par l’écologiste André Catolin dans la volonté d’assurer « la protection et le devenir des enfants ». Pour cela, le sénateur envisage l’arrêt de la diffusion des messages commerciaux (sauf ceux d’intérêt général) quinze minutes avant et après les programmes pour enfants sur les chaînes publiques de France Télévisions et ses dérivés numériques.
Loi d’ailleurs votée en demi-teinte puisque les socialistes et communistes ont séché le vote. La France est loin d’être pionnière dans ce domaine puisque ce genre de loi est déjà appliquée au Royaume-Uni, en Suède, en Espagne, en Belgique et en Irlande, mais notre pays est-il prêt et le sénateur a-t-il bien étudié tous les enjeux de cette loi ?

L’Etat salvateur
En votant ce projet, l’Etat se veut protecteur des enfants. France Télévisions ne peut en effet se permettre de diffuser tout et n’importe quoi sur ses chaînes car l’Etat doit répondre à l’application des services publics ; depuis la loi de 1982 proclamant la fin du monopole des chaînes publiques, l’Etat a un mot d’ordre dans ses programmes télévisés : « informer, distraire, instruire » et encore plus quand il s’agit d’un public jeune. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, sous l’ère de l’ORTF, la loi du 16 juillet 1949 place le jeune public sous haute surveillance.
André Catolin veut diminuer l’influence de la publicité sur les enfants notamment dans le domaine alimentaire. Déjà à l’époque de l’ORTF et de De Gaulle, des militants traditionnels et catholiques mettaient en garde contre l’impact de la télévision sur la santé, la scolarité et la qualité de vie familiale et alertaient les parents sur le danger des valeurs véhiculées par les programmes télévisés.

 
L’enfant-consommateur perdu ?
A l’inverse des chaînes privées qui ne vivent que grâce à la publicité, les chaînes publiques de France Télévisions bénéficient d’autres moyens de financement comme la redevance (taxe prélevée auprès des téléspectateurs pour contribuer au financement des chaînes de télévision publiques), qui a d’ailleurs été déjà augmentée depuis la loi interdisant les publicités après 20 heures. Mais du fait notamment de cette interdiction, le groupe est en difficulté financière et économique. Alors, le projet voté au Sénat ne risquerait-il pas de fragiliser davantage France Télévision, déjà sur une pente glissante ? Obviously not selon André Catolin. Bien sûr, présentant le projet, le sénateur ne va pas hurler sur tous les toits les risques financiers qu’il entreprend pour le groupe. D’après lui, les pertes liées à l’application de ce projet ne ferait perdre à France Télévisions que dix ou onze millions d’euros. Mais, aurions-nous oublié quelque chose … ? Qu’en est-il des annonceurs ciblés sur le public enfantin ? Vont-ils accepter de continuer leur collaboration avec le groupe si ce dernier lui met des bâtons dans les roues ?
Ces questions ne doivent pas être prises à la légère par les votants car l’enfant représente un véritable consommateur potentiel.
Selon une enquête de Médiamétrie, un enfant entre 4 et 14 ans passe en moyenne 2h30 par jour devant la télévision et moins d’une heure sur les tablettes. Également, la multiplicité des écrans et les changements dans les pratiques d’usage et de consommation des programmes télévisés représentent une mine d’or pour les annonceurs, puisque les formats publicitaires se multiplient comme par exemple les vidéos sur Youtube.
Dès la deuxième moitié des années 1960, la télévision devient une culture transmédiatique et se tourne vers la promotion de l’enfant-consommateur. Fabrice d’Almeida et Christian Delporte disent dans leur ouvrage Histoire des médias en France : « Conscients que l’enfance constitue un important potentiel de consommateurs, le monde des affaires exploite le succès des émissions, en lançant des produits dérivés ou des journaux qui nourrissent l’identification des jeunes téléspectateurs à leurs héros préférés ». La télévision alimente un consumérisme croissant car elle use des héros de télé pour vendre des magazines, des jouets, ou encore des albums. La publicité devient alors un véritable relais aux programmes télévisés car elle permet de montrer les nouveaux dérivés puis les nouveaux produits susceptibles de plaire aux enfants.

Il faut sauver l’enfant Ryan

Chaque enfant serait exposé à 2000 signaux commerciaux par jour. Cette loi viserait alors à éviter la surexposition publicitaire et le consumérisme à outrance. Le sociologue américain John Hartley parle de « pédocratie », c’est-à-dire que l’enfant doit être protégé de « la contamination par la culture de masse ».
L’influence de la publicité sur les enfants, on le sait, peut avoir des impacts sur les pratiques voire même sur les comportements sociaux. La publicité a tendance à rendre naturel ce qui était à l’origine culturel, pour citer Roland Barthes et ses fameuses Mythologies. Alors, les filles s’identifient « naturellement » à la couleur rose de leurs Barbies préférées tandis que les garçons s’orientent vers les voitures ou les pirates.
Selon le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron, les enfants de moins de sept ans reçoivent « le programme publicitaire comme une vraie information ». Et ne font pas la différence entre ce qui est montré et ce qui est bon pour eux.
Du fait de ce risque d’identification des enfants aux images diffusées à la télévision cette loi permettrait de seconder le rôle des parents c’est-à-dire : apprendre aux enfants à appréhender les images télévisées non pas comme une reproduction véridique de la réalité, mais comme des constructions.
Alors, pour ou contre cette loi ? La suite, au prochain épisode…
Maëlys Le Vaguerèse 
@lvgmaelys
 
Sources :
– Sonia Devilliers, L’instant M, France Inter, 9/12/2016
– Eugénie Bastié, Le Figaro, 8/12/2016

– Mégane Gensous, e-marketing.fr, 9/12/2016
Crédits photos :
– Joanna Zielinska, fotolia.com, 6/03/2016
– Maxim Kabb, 4/02/2014
– Chouchou Brandley, 2/12/2012