La gastronomie française ou le positionnement de marque
Pour débuter ce dossier sur le Made in France, Com’ des chefs, le pôle gastronomie du CELSA nous propose son point de vue sur ce label ambigu. Parce qu’il fait partie du patrimoine immatériel français dans le cas de la gastronomie, il est réputé authentique. Cette authenticité, enviée par certaines marques, devient alors un véritable positionnement stratégique de marque.
Historiquement, la cuisine pré-existe à la gastronomie. La singularité française provient de la richesse de ses sols et de la diversité des produits qui en découle, mais aussi de l’aspect politique de la bonne cuisine française. Elle était celle des châteaux, des cours royales et des moines rabelaisiens. Nicolas Fouquet réunissait les grands chefs pour Louis XIV comme le célèbre François Vatel. Ce dernier symbolise la perfectionnisme gastronomique français dans la mesure où il n’a pas hésité à mettre fin à ses jours voyant que le poisson du dîner du roi avait du retard.
De manière générale, la gastronomie serait l’appréciation de la nourriture, mais elle renvoie en fait à l’écriture sur la cuisine. Elle est l’art de faire un bon repas et naît à partir du moment où les écrits sur la cuisine se développent au XVIIIe siècle. Selon l’historien Pascal Ory, elle serait donc à la cuisine ce que le critique est à la littérature.
Ainsi la gastronomie française s’est construite sur tout un imaginaire collectif, lui donnant un rôle essentiel de relais de l’idée nationale auprès des villages que rien n’unissait encore. Avec entre autre le désenclavement des campagnes, l’unification de la langue dans une lutte contre les patois, la gastronomie participe à l’élaboration de la nation française. La gastronomie française est donc (comme la nation) un discours unificateur, sujet à une instrumentalisation politique, idéologique ou culturelle.
Dès lors, le Made in France en gastronomie est d’autant plus important qu’il permet d’ancrer une marque dans une tradition vieille de plusieurs siècles et reconnue dans le monde entier. Le film de Sofia Coppola (Marie Antoinette) et ses scènes de banquets fastueux témoigne bien de l’imaginaire bien présent autour de la cuisine française.
Le label Made in France, une étiquette ambiguë
Avec la gastronomie, le Made in France devient véritablement patrimoine immatériel. Le vin, le fromage, le pain, les pâtisseries font incontestablement partie de la culture française. Pour ce type de produits, le besoin de se rattacher à un label se fait peu sentir puisqu’ils sont la tradition.
Mais certaines marques ont bien compris la dimension politique (au sens large) actuelle de la nourriture et ont choisi de surfer sur la tendance du made in France. Par exemple, Michel et Augustin, marque au nom très français, n’ont pas à proprement parler le label Made in France mais ils se revendiquent « experts du goûts » et soulignent sur leur package l’origine hexagonale de leurs produits. Ils jouent en fait sur l’authenticité. Même sans label, c’est bien cet argument développé en introduction du dossier qui est mis en avant. L’authenticité, la promesse de vérité et de proximité est argument de vente, elle est présentée comme une garantie d’un bon goût, car d’un goût d’une qualité française.
Au contraire, la marque Charles et Alice (yaourts aux fruits) possède bien le label Made in France mais le met peu ou moins en avant, sur son site comme sur son packaging.
Finalement, le Made in France est avant tout devenu un choix de positionnement par rapport aux autres produits, aux concurrents.
En effet, l’imaginaire autour de la cuisine française possède une force de persuasion indéniable. Nous l’avons vu, il est le fruit d’une culture vieille de plusieurs siècles. Et surtout, il s’est popularisé et ne concerne plus uniquement une élite châtelaine, ou uniquement les femmes. La gastronomie est devenue une culture populaire, comme le démontre le succès des émissions comme Top Chef, Un dîner presque parfait ou Master chef. Les marques ont bien compris cet engouement, largement exploité dans leurs stratégies marketing.
Ladurée ou le made in France comme success story
La Success Story de Ladurée est là pour en témoigner. Fondée en 1862 par Ernest Ladurée ce n’est au départ qu’une petite boulangerie qui va devenir l’un des premiers salon de thé de la capitale, puis proposer ses célèbres macarons. Il compte aujourd’hui 800 employés dans le monde et compte 14 maisons dans 5 pays, dont 6 en France. Si son PDD refuse de donner son chiffre d’affaires actuel, il est estimé à près de 80 millions d’euros en 2010.
Le logo de Ladurée perçu de l’étranger s’ancre dans le Made in France, pourtant aucun label n’y figure, ni même un drapeau tricolore. En effet Ladurée cherche plutôt par son esthétique à s’ancrer dans le Paris du Second Empire. Ce sont des feuilles de lauriers qui viennent rappeler le règne de Napoléon III, avec en dessous un “Paris” qui fait gage de qualité dans le milieu du luxe, parce que oui, Ladurée est une marque de luxe.
Car c’est aussi ce que véhicule cette marque française au grand savoir-faire : la légitimité de prix très élevés. C’est ce que Ladurée cultive avec ce style propre au Second Empire, et ces différents symboles qui savent rappeler régulièrement au consommateur qu’il s’agit d’une expérience unique.
Rien de mieux que d’apparaître dans le film de Sofia Coppola déjà cité plus haut pour s’inscrire dans une tradition de luxe, d’excellence et de raffinement typiquement français aux yeux du monde entier.
Sur le site internet http://www.laduree.fr/ c’est aussi le parisianisme et le caractère français de la marque qui sont mis en valeur. La page d’accueil est une immersion dans la boutique parisienne, nous sommes sur les Champs Elysées et pouvons interagir avec les divers éléments présents.
Made in France ou Made in Local ?
Mais si ce n’est pas le Made in france en lui-même qui est à l’honneur dans une marque aussi importante que Ladurée, et plutôt un certain raffinement lié à la parisienneté, il faut dès lors se poser la question de la résurgence du local.
La notion de terroir est de ce point de vue un élément fondamental. Elle revient sur le devant de la scène depuis une dizaine d’années. Il s’agit de redonner sa place au savoir-faire des régions. Face à des produits alimentaires lissés par la mondialisation, et toutes les angoisses qu’elle provoque, le consommateur se tourne vers ce qui est fiable : le local.
La marque Reflets de France et son histoire sont à cet égard particulièrement significatifs. Elle est créée en 1997 par le groupe Pomodès qui veut redécouvrir les recettes propres à chaque région de France. Aujourd’hui la marque fait figure de succès en tant que marque de distributeur facteur de fidélisation de la clientèle de Promodès et Carrefour. Ses consommateurs types sont les plus prisés par les grandes marques nationales : jeunes, urbains et intéressés par une assiette plus ancrée dans la culture française.
Un enjeu de légitimation de l’entreprise et du prix
L’enjeu est important, aussi bien pour les entreprises que pour les régions. Pour Pomodès, et pour les grands groupes distribution, il s’agit de légitimer territorialement une gamme de produits mais aussi un groupe de distribution d’échelle nationale qu’il faut réhumaniser. Considérant l’explication de la fonction de la légitimité selon Laufer : « une organisation a besoin de se justifier comme étant au service du groupe et d’assurer ses responsabilités en tant qu’acteur ayant une influence sur la société », c’est bien ce qui résulte de cette préférence du consommateur pour le local, qui lui fait acheter français et positionne la marque comme acteur responsable sur le plan social et environnemental. Les recettes de nos grands-mères n’ont jamais pollué la planète et en plus, créent de l’emploi. C’est aussi une question de rapprochement avec le consommateur, qui est à même de prouver son attachement à la culture locale en achetant en moyenne un produit deux fois plus cher que la gamme traditionnelle des distributeurs. Cela n’est pas sans rappeler le mécanisme à l’œuvre chez les produits bio, mais il est rare de rencontrer un produit qui fasse les deux.
Les produits Reflets de France et autres mets des locavores, avec leurs appellations d’origine contrôlée et certifications origine France en tous genres, sont exemptés de toute justification sur le plan environnemental, et on ne compte plus sur la toile le nombre de blogs de nos amis écolos cherchant désespérément comment manger local et bio avec les mêmes produits. Le site des 2 Vaches pose ainsi dans un article datant du 29 janvier la question du choix entre bio et local, qui pour le cas des produits laitiers est vite résolue puisque la production de lait est concentrée dans 4 régions en France. D’où cette simple question : le « France washing » n’est-il pas la suite du green-washing et aussi un aveu d’échec de ce dernier ?
Anne-Gaëlle Nicole, Judicaëlle Moussier
Sources :
http://www.lecommercedulevant.com/affaires/h%C3%B4tellerie-amp-tourisme/none-liban/david-holder-%C2%AB-les-libanais-m%E2%80%99ont-donn%C3%A9-envie-d%E2%80%99ouvrir-%C3%A
http://www.francetvinfo.fr/video-le-made-in-france-devient-tendance-dans-l-alimentation_159583.html
http://institut-gestion.univ-larochelle.fr/IMG/pdf/Les_MDD_du_terroir_facteurs_de_Legitimation_le_cas_Reflets_de_France.pdf
http://www.strategies.fr/actualites/marques/179067W/2-6-4133/le-renouveau-du-made-in-france.html