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Gleeden et l'infidélité 2.0 en procès

« Gleeden a changé beaucoup de choses dans ma vie. Fidèle depuis 17 ans, j’ai eu envie de vibrer, d’adrénaline, de séduire à nouveau, mais en toute discrétion, car je suis heureuse et épanouie dans ma vie de famille et ne souhaite pas tout bouleverser. » Voilà le genre de témoignage que l’on peut trouver sur la page d’accueil du site de rencontres Gleeden, lancé fin 2009, et qui a fait de l’infidélité son crédo.
La libération des femmes, la promesse d’épanouissement dans l’adultère et la garantie d’anonymat sont les principaux engagements du site. Ces mots d’ordre, doublés de campagnes de publicité aussi drôles que provocantes, n’ont pas manqué de créer des polémiques et ont valu à Gleeden un certain nombre d’attaques en justice. La dernière en date provient des AFC (Associations Familiales Catholiques), qui reproche au site de faire de l’infidélité un « business ».
La police des bonnes mœurs
Des couples brisés, des familles ruinées et une vie sociale rongée par le mensonge et la dissimulation… Voilà les effets de l’infidélité que redoute et prédit l’association catholique qui réunit près de 15 000 membres. Alors en faire l’apologie, l’encourager et la faciliter : une véritable hérésie ! Cette association, on la connaît déjà, c’est la même qui depuis quelques semaines se montre aux côtés de la Manif pour tous extrêmement virulente à l’égard de la campagne de prévention des MST pour les homosexuels. Les AFC appellent les maires à « prendre leurs responsabilités » et exigent le retrait pur et simple des affiches de cette campagne sur lesquelles on aperçoit des couples homosexuels, au motif que ces dernières « troublent et indignent les familles ».
Dans l’affaire Gleeden, l’association entend se placer comme défenseur tout à la fois des plus faibles (les personnes trompées, les enfants des couples adultères), des familles « choquées » par ce type de publicités et des consommateurs qui subissent leur prolifération dans le métro, dans les rues, sur les bus… Et puis l’adultère, renchérit l’association, est interdit par le Code Civil, qui stipule que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ».
Drôle de relation qui se noue ici, où une association catholique connue pour ses prises de position conservatrices et rétrogrades prétend venir au secours des valeurs républicaines… En réalité, et comme le rappelle l’avocate de Gleeden Caroline Mécary, l’adultère est dépénalisé en France depuis plus de quarante ans et ce détail du Code Civil à propos du mariage peut seulement être invoqué – ou non – par les époux lors d’un divorce, relevant ainsi d’un choix purement personnel. On ne peut donc pas considérer l’adultère comme un délit pénal au même titre que le meurtre ou le viol.
Autrement dit, affirmer que l’infidélité est illégale est mensonger, un peu hypocrite et opère un retour en arrière conservateur, somme toute assez gênant. Gleeden, à l’occasion d’un autre procès en 2015, dénonçait déjà une « instrumentalisation de la justice ».
Laïcité et familles modernes
En réalité, que défendent les AFC si ce n’est une conception particulière, à tendance moralisante et religieuse, de la famille et du couple ? Ces deux structures évoluent pourtant, et sont appelées à évoluer encore. S’attacher à des conceptions anciennes et sclérosées de la famille, du couple marié et de la fidélité ne convient pas à tout le monde et relève d’un choix. Et si les AFC se targuent de ne pas faire le procès de l’infidélité mais du « business de l’infidélité », on comprend bien cependant ce qui leur pose problème…
L’association, comme son nom l’indique, promeut la famille catholique, et cherche à faire rayonner voire prévaloir ce modèle, s’érigeant ainsi, comme le reproche l’avocate de Gleeden « en censeur, en porte-étendard d’une morale que toute la société ne porte pas ». Entrer dans des considérations qui visent à décider si l’adultère est « bien » ou « mal » est stérile et intrusif. Entre normes sociales, morale et valeurs dominantes, les AFC semblent vouloir élever en valeurs universelles ce qui ne relève finalement que du choix personnel, elles ne jouent donc pas sur le bon terrain.
Fausse subversion et vrai business

Pour en revenir à Gleeden, il parait assez évident que le site n’a pas inventé l’infidélité, qui existe comme le dit son jeune créateur Teddy Truchot – marié et père de famille – « depuis la nuit des temps ». Ses concepteurs ont seulement très bien su cerner un marché jusqu’alors inexploité : celui des personnes insatisfaites dans leur couple ou dans leur vie de famille. L’existence de sites comme Gleeden n’est qu’un symptôme moderne parmi d’autres, de la solitude qui peut frapper les individus dans une société mettant encore en avant comme modèle normatif – et seule voie d’accès à l’accomplissement personnel – la vie en couple, la famille nucléaire… et tendant de ce fait à présenter comme des anomalies le célibat, les familles mono-parentales ou encore les couples homosexuels.

Chez Gleeden, les campagnes sont souvent drôles, avec une touche de provocation, des petits airs d’interdit… Autrement dit, tout ce qu’il faut pour retenir l’attention du consommateur éventuel. Cette communication extrêmement bien pensée leur a permis de bien se placer sur le marché très concurrentiel des sites de rencontres. La provocation est sans nul doute leur meilleure arme : des slogans placardés dans le métro du type « Par principe, nous ne proposons pas de carte de fidélité », à leur stand au Salon du Mariage, qu’ils avaient loué sous un faux nom avant de se dévoiler et de distribuer des pommes d’amour aux clients du salon, le site sait faire parler de lui en bien comme en mal. « Ce n’est pas normal que vous soyez là. » s’insurge une passante, observant avec effroi les autres clients du salon croquer dans leurs pommes d’amour…
Gleeden est avant tout une plateforme payante (l’inscription est gratuite mais il faut s’abonner pour pouvoir communiquer avec d’autres utilisateurs), qui réunit à l’heure actuelle près de 3,3 millions de membres à travers le monde (dont la moitié en France). Le « marché de niche » qu’elle a choisi, celui des personnes mariées, lui permet de se faire une place parmi les mastodontes que sont Meetic, E-Darling, AdopteUnMec et autres. Ses concepteurs exploitent le créneau jusqu’à la caricature. Entre leurs coups de com’ et leur marketing bien léché, ils n’ont pas fini de faire parler d’eux, ni de provoquer les tremblements d’associations catholiques en tous genres… Le jugement dans l’affaire du procès intenté par les AFC est en tout cas mis en délibéré fin janvier. Affaire à suivre…
Violaine Ladhuie
Sources :
• Annick Cojean « La promotion de l’adultère combattue au tribunal » – Le Monde 25/11/2016
• Daniel Schneidermann « Gleeden, un débat de l’après Charlie » – Rue89 20/02/2015
• « La provoc du site d’adultère Gleeden au salon du mariage » – vidéo BFMTV 13/02/2015
• Emilie Brouze « Gleeden au tribunal : « L’exploitation mercantile du malheur des autres » » L’Obs avec Rue89 22/11/2016
• teddytruchot.com

Flops

Ne nous soumets pas à la tentation

Inciter à croquer la pomme sur l’arbre d’à côté ne semble pas plaire à tout le monde. Au début du mois de février les réseaux de transports Transdev et Keolis ont retiré des publicités du site de rencontres adultérines, Gleeden, à l’arrière de leurs bus qui sillonnent plusieurs communes des Yvelines. Ce retrait fait suite à la pétition d’un groupe catholique conservateur qui a récolté plus de 20 000 signatures.
Les réseaux sociaux ne sont pas en reste. La campagne publicitaire a vu poindre des commentaires outragés dans plusieurs villes d’Ile-de-France.
« Incitation au non-respect du droit civil »
C’est en ces termes que le maire UMP Marc Robert a qualifié la campagne publicitaire de la marque. Les Associations Familiales Catholiques vont plus loin dans la contestation et assignent en justice la société éditrice Black Divine, l’accusant de promouvoir l’infidélité en violation de l’article 212 du Code Civil. Rappelons par ailleurs que l’infidélité n’est plus considérée comme un délit pénal depuis 1975.
Le site quant à lui crie à la censure et à « une atteinte à la liberté d’affichage ». Il explique par ailleurs que ses publicités ont été validées par le Jury de déontologie publicitaire et Média transports, une régie publicitaire des transports. En 2013, des plaintes de même nature ont déjà été déposées auprès de l’instance indépendante mais n’ont pas donné suite, étant qualifiées de « non fondées ».

Fidèle à sa communication sulfureuse
Gleeden, créé en 2009, s’appuie sur une communication sulfureuse et provocatrice. Il est d’ailleurs fait mention sur le site qu’une de ses missions est d’«aller à l’encontre de l’hypocrisie générale et [de] faire tomber le tabou de l’infidélité. » Ce qui ne convient pas à tout le monde. « Ces publicités posaient un certain nombre de problèmes à une partie de la population, notamment des catholiques pratiquants les plus attachés aux valeurs familiales », avance la municipalité de Versailles.
Outrage encore plus prononcé du fait des références bibliques utilisées par la marque pour construire sa communication publicitaire. Tout d‘abord, l’utilisation des termes constitutifs du nom de la marque « Gleeden » : « glee », jubilation en anglais, et « eden » signifiant le paradis terrestre, le lieu de délices. Puis la pomme croquée, qui est présente sur chaque affiche publicitaire, symbole iconique de la tentation dans laquelle est tombée Eve, le péché de chair.
Toutefois il n’y a aucune représentation, aucune exposition des corps. L’insolence des propos s’appuie, comme l’explique Olivier Aïm, maître de Conférences au Celsa, sur « une mauvaise foi » non feinte. Les messages publicitaires prennent la forme de maximes faussement sages, donnant l’illusion d’arrières pensées portant vers un désir défendu dont Gleeden s’octroie le rôle d’en soulever le voile. Il est ici question de « jouissance intellectuelle ». « Il s’agit de viser la tête du passant, pour réimprimer à chaque fois le choc cognitif d’une logique paradoxale. »

L’infidélité en public
Afin d’expliquer la manifestation physique contre les affiches de Gleeden, M. Aïm avançait par ici, la première hypothèse d’une saturation du modèle énonciatif. Les concurrents directs du site ainsi que des annonceurs divers réemploient la construction «  purement verbal » de son message publicitaire au profit de leur propre communication.
De plus, les messages publicitaires de la marque s’affichent aux yeux de tous : les abribus, les quais de métro, sur les arrières de bus. L’immoral fait alors son entrée dans l’espace public.
Fait plus marquant, samedi 31 janvier Gleeden, jouant toujours sur la provocation promotionnelle, a créé la surprise en dévoilant sa présence au Salon du Mariage. Les avis ont été très controversés. Pour les plus hostiles, il s’agit d’une intrusion dans un espace symbolique. Gleeden, en restant fidèle à ses utilisateurs, a trompé le Salon du Mariage, accomplissant ainsi un sacrilège.
Gleeden fera sans doute encore parler de lui. En attendant il est cocasse de noter que Versailles, l’une des villes qui a fait retirer ces affiches publicitaires, est également l’une des « villes qui trompent le plus », d’après le nombre d’inscrits. Elle se trouve en effet en cinquième position du classement.
Hélène Hudry
Sources :
lemonde.fr
fastncurious.fr
metronews.fr
gleedentemoignages.com
jdp-pub.org
Crédits photos :
rtl.fr
gentside.com
gleeden.com
 

Flops

Gleeden : l'affiche de trop ?

 
Effet collatéral du débat sur le mariage pour tous ou goutte d’eau rhétorique qui fait déborder le vase communicationnel ? Toujours est-il que le métro est depuis quelques jours le terrain d’une fronde discrète mais répétée contre la dernière affiche publicitaire pour le site de « relations extraconjugales » Gleeden.

Ce n’est pourtant pas la première campagne d’affichage du site Gleeden. Loin de là. Jouant sur une argumentation audacieuse et volontairement provocatrice, le site de rencontres extraconjugales s’est fait une spécialité de la rhétorique trompeuse (et du faux syllogisme) qui prend ses libertés avec la morale et donc avec le discours rationnel : voir article précédent.  En affichant « C’est parfois en restant fidèle que l’on se trompe le plus », le site est ainsi dans la droite ligne de ses affichages passés. Mieux encore, la campagne actuelle avait déjà fait l’office d’un affichage il y a quelques mois qui était parfaitement resté épargné et intact :

La question est donc : pourquoi une réaction aussi massive maintenant ?
Première hypothèse : la saturation
En parlant de saturation, il s’agit d’abord d’évoquer le fait que, dans sa logique communicationnelle simpliste, Gleeden est actuellement en passe de devenir une sorte de modèle énonciatif. De sorte que même absente, Gleeden est,  comme par effet de persistance rétinienne, omniprésente ; la « marque de fabrique » Gleeden s’est imposée à une très grande diversité de concurrents, d’abord, et d’annonceurs totalement différents, ensuite.

En renouant avec la simplicité d’un message purement verbal et d’un spectacle strictement typographique, le site de rencontres a inspiré la plupart des marques récentes qui désirent s’afficher avec l’efficacité d’un discours direct et « petit malin ». Citons, entre de nombreux exemples actuels (Acadomia, Skyn, etc.), le cas de la marque Espace Loggia :

En mettant au cœur de son argumentaire le principe du contrepied rationnel et raisonnable, Gleeden a produit ce que les gourous de la communication appellent un effet « disruptif ». En jouant avec le motif paradoxal de la rupture du contrat moral, marital et énonciatif, la marque adultérine est devenue le parangon de la vertu publicitaire la plus élémentaire, qu’on pourrait dès lors nommer la « disrupture ».
De sorte que la marque s’est ainsi banalisée. Et, pourtant, c’est bien cette dernière campagne plutôt anodine au vu des précédentes, qui semble la plus provocante si l’on en juge par l’intensité et la répétition des réactions des divers usagers du métro qui se sont en quelque sorte mis à répondre à l’incitation à la débauche de l’affiche en la dégradant plus ou moins systématiquement. Dans la plus stricte tradition des mouvements antipub, les affiches pour Gleeden se voient « barbouillées », mutilées ou détournées.
Pour quelques phrases inscrites à même les « faces » publicitaires achetées à la régie de la RATP du style « La fidélité est la victoire de l’amour sur l’instinct », la plupart des réactions des passagers sont directement adressées au matériel et au support de Gleeden.
Au sens propre, ces réactions sont épidermiques et cherchent à décoller l’affiche comme on arrache la peau d’un cadavre ou comme on arrache un plan de maïs transgénique.
Deuxième hypothèse : le contexte « sociétal »
La deuxième lecture possible de cette manifestation d’exaspération publique pourrait se trouver dans l’atmosphère encore chargée des lourds débats que nous venons de vivre autour de la question amoureuse et de sa traduction institutionnelle et sociale en termes de mariage. Malgré les dissensions, le débat sur le « mariage pour tous » convergeait finalement dans la célébration de la valeur symbolique (qu’elle soit religieuse, politique ou sociétale) d’un rite collectif reconnu et désiré. Or, Gleeden n’a pas seulement donné ses lettres de noblesse à l’adultère ; il a également joué avec le motif de la duplicité. La dernière campagne d’affichage flattait un au-delà du mensonge et de la tromperie : le parjure.

Pomme croquée, doigts croisés derrière la robe de mariée, regard oblique et rouleaux de cheveux éployés : tous les signes sont là pour construire la scène originaire de la « pensée de derrière ».
Plus généralement, cette mise en scène du parjure peut renvoyer également au contexte de défiance politique que les cas exemplaires récents de DSK, de Jérôme Cahuzac, ou de Gilles Bernheim ont fait éclater toute cette année au contre-jour du faux aveu médiatique.
Troisième hypothèse : un excès de communication traversière
La dernière hypothèse que nous voudrions avancer est d’ordre médiatique et renvoie au choix du dispositif de communication de cette dernière campagne. A la différence des grandes affiches placardées sur les murs des quais du métro, Gleeden a fait, cette fois-ci, le choix d’un emplacement plus accessible et plus modeste : les escaliers du métro. Or, toutes ces petites affiches, nous les croisons quotidiennement sans forcément les voir : autrement dit, nous les voyons de manière « traversière ».

Gleeden est peut-être alors tout simplement victime du fameux « esprit d’escalier ». A savoir : une prise de conscience après-coup, c’est-à-dire après l’effet de sidération face à ses premières campagnes, de la nature fallacieuse d’une argumentation qui affiche sa prétention à incarner un progressisme de façade. Tout ceci fait que c’est, en définitive, peut-être là dans le métro que l’on trouverait en 2013 la forme la plus réellement « interactive » de la « participation » que l’on met tellement en avant dans les discours actuels des autres médias. Sous forme discrète et passante, le débat se joue en ce moment dans ces petits gestes discrets, qui n’ont cependant rien à envier aux clics ou aux tweets.
Il reste que, si, comme le disait Georges Clémenceau, le meilleur moment de l’amour, « c’est quand on monte l’escalier », il semblerait qu’en matière d’affichage disruptif, cela ne produise pas toujours le même effet…
 
Olivier Aïm

Flops

Gleeden : femme infidèle, femme fantasme ?

 
Vous pouvez voir en ce moment, à quelques stations de métro, une nouvelle affiche pour Gleeden, ce fameux site de rencontres extra-conjugales « pensé par les femmes », dont FastnCurious vous parlait déjà l’an dernier. Non pas que j’aime particulièrement remâcher des sujets déjà traités, ou que je fasse une fixation sur l’image de la femme dans les procédés de communication, mais il me parait intéressant de parler de cette affiche, assez révélatrice d’une société qui se ment.
Parlons visuel : une jeune femme en robe de mariée, absolument charmante et mutine, nous tourne le dos pour nous montrer les doigts croisés de sa main droite. L’imaginaire du spectateur est aussitôt convoqué ; sa main gauche posée sur l’épaule, montrant que le mariage est probablement terminé et que l’échange des alliances est déjà fait, tandis que de sa main droite, elle dément tous les serments qu’elle a fait durant la cérémonie. Pensons par exemple au Truman Show et au moment où Jim Carrey, alias Truman, découvre sur une photo de mariage que celle qu’il pensait être sa femme, également en robe de mariée, croise les doigts.
Comme à son habitude, Gleeden frappe fort en montrant que la femme infidèle a prévu de l’être dès son mariage. Alors, ses raisons pour se marier quand elle songe déjà à rompre ses engagements paraissent quelque peu étranges ; ce doit sans doute être une femme vénale, pour rester dans les clichés. Mais fermons cette parenthèse empreinte de moralité désuète. Gleeden garde donc pour figure féminine Eve, la femme pècheresse, comme le prouve leur logo en forme de pomme croquée et leur nom même. Les gérantes du site auraient-elles oubliés qu’Eve a pêché par avidité de connaissances et non par luxure ? Que nenni, à en entendre les témoignages, c’est la connaissance des plaisirs sexuels qui poussent des femmes blasées par leur vie en couple à s’inscrire sur le site. C’est aussi l’absence d’hypocrisie qui séduit les adhérents du site : quand on s’inscrit, on sait ce qu’on va faire. Et puis, franchement, qui a dit que tromper sa femme ou son mari était un problème ? Pourquoi la jeune femme de l’affiche ne croise-t-elle pas les doigts sous le nez de son mari ?
Oui, mais :
Parlons peu, parlons bien. Pas d’hypocrisie, pas de gêne, mais tout de même une grande promesse de discrétion absolue. Comment ça ? On aurait honte d’avouer à son conjoint qu’on va voir ailleurs parce qu’il ou elle ne nous satisfait pas ? Après tout si Françoise Hardy et Jacques Dutronc le font, c’est qu’ils doivent avoir raison. En revanche, si les deux partis du couple marital sont d’accord, on ne peut pas y voir réellement d’inconvénients. Mais dans un contexte de discrétion absolue, le sont-ils vraiment ?
C’est autre chose, dans cette campagne, qui m’a autrement plus gênée que des problèmes moraux qui ne concernent finalement que le million d’infidèles inscrits sur le site. Non, ce qui me gêne, c’est ce slogan, brandi comme une figure de proue : « Le 1er site de rencontres extraconjugales pensé par des femmes ». Quand on le lit comme ça, on a la vague impression que de fait, il est conçu pour les femmes, dans le respect le plus total de leur intégrité : une phrase presque féministe finalement, pour un site désinhibé. Certes. Au regard de leur nouvelle affiche, je ne peux m’empêcher d’avoir un léger doute sur la femme libre de contraintes. Car la contrainte, outre celle d’être unie à un mari qu’elle veut tromper, reste le regard de l’homme. Comment, me diriez-vous, pourrait-on arriver à cette conclusion ? Facile, regardez attentivement l’affiche. Regardez le bras de la jeune mariée. Entièrement photoshopé. Pour une femme qui assume son infidélité, ne pas assumer son bras est assez étrange. Ce léger détail entraîne une prise de conscience. Quelle naïveté de croire qu’on cherchait à attirer les femmes !
Non, non, mesdames, vous n’êtes pas la cible de ces femmes qui ont pensé le site et qui vous parlent en bonnes copines complices. Non, vous, vous n’êtes qu’un fantasme pour ces hommes qui rêvent de vous sortir de votre insatisfaction sexuelle. Oui, vous serez des reines sur le site, car vous êtes minoritaires face à une marée d’hommes cherchant à flatter leur ego et à soigner leurs complexes en battant votre mari. Triste constat que de voir les femmes se faire objets de fantasmes en se voilant plus ou moins la face. La jeune femme de l’affiche n’est que la personnification d’un fantasme, brandi devant les hommes comme un saucisson pendu dans une boucherie qui vous attendait déjà lorsqu’il était encore sur le cochon. A peine mariées, des femmes attendent déjà le secours de chevaliers blancs de la sexualité. Ce que nous dit l’affiche est encore pire : puisque la femme songe déjà à être infidèle avant même d’être mariée, c’est que cela est dans sa nature. Ah bon ? Trouvez-moi de mauvaise foi, je ne fais qu’imiter celle de Gleeden.
L’infidélité est un thème décidément prisé de nos jours, alors qu’il est de plus en plus simple de divorcer, ce qui nous montre bien qu’il s’agit d’un fantasme pour les hommes comme pour les femmes, pensez à l’affiche de « The Great Gatsby » qui n’est pas si différente de la nouvelle campagne de Gleeden.
 
Noémie Sanquer
Sources

http://www.gleeden.com/news/elle-fr_878.html
http://fastncurious.fr/guestncurious/gleeden-ou-laffichage-de-la-rhetorique-trompeuse-2.html
http://www.gleeden.com/

Invités

Gleeden ou l'affichage de la rhétorique trompeuse

 
La dernière campagne pour le site de « rencontres extraconjugales » Gleeden vient s’ajouter à une série d’affiches qui, depuis un an environ, s’imposent dans l’espace public (et notamment métropolitain) avec un effet de très grande cohérence publicitaire, et disons-le d’emblée, de très grande cohérence rhétorique.

 
En affichant moins la transgression que l’idée de transgression, sa réussite ne réside pas dans un quelconque engagement moral, idéologique ou féministe, mais dans un jeu communicationnel subtil : celui du vacillement et de la suspension.
Gleeden, un couple lexical à trois
Premier enjeu de suspension : le lexique. Surdéterminant le sémantisme de la jouissance, Gleeden se présente comme un mot-valise composé de deux lexèmes à la fois détachés (typographiquement) et fondus : « Gle(e) »/ « Eden ». Produit de la liaison des deux premiers, un troisième terme apparaît comme nom de marque et promesse d’utopie : « Gleeden ». La signifiance l’emporte sur le sens, et permet plusieurs lectures superposées qui ne se substituent pas les unes aux autres. De manière mimétique, chaque lexème se présente comme un partenaire linguistique apte à s’unir potentiellement avec chacun des deux autres.
Jouir de la syllepse
Puisant dans une autre source d’équivoque sémantique et syntaxique, Gleeden multiplie les effets de « syllepse », c’est-à-dire cette forme de jeu de mots qui consiste à maintenir un trouble interprétatif entre deux significations coprésentes et concurrentes :
 
 
De manière redoublée, la syllepse de prédilection du site est celle qui porte sur le verbe « tromper » et « se tromper » :
« Tout le monde peut se tromper. Surtout maintenant »
Formule qui devient de manière plus « événementielle » lors des dernières élections présidentielles :
« Parce qu’il ne faut pas se tromper le 6 mai, notre site sera exceptionnellement fermé »
La syllepse permet de conjuguer – et d’extra-conjuguer, si l’on peut dire – des relations sémantiques multiples et parallèles. Du point de vue rhétorique, les significations sont d’abord dédoublées, puis sous-entendues et, finalement, suspendues. En exhibant ainsi la polysémie, la syllepse amorce la mise en publicité d’une argumentation ostensiblement « trompeuse »…
Le paradoxe comme art de vivre
En jouant sur les gammes de la polysémie (et sur les sèmes de la polygamie), la rhétorique suspendue multiplie les effets de retournement, de paradoxe, de coq-à-l’âne et de tête-à-queue :
 « Et si cette année vous trompiez votre amant avec votre mari ? »
« C’est parfois en restant fidèle qu’on se trompe le plus. »
Recourant à la forme de la maxime, Gleeden emprunte la voix d’un moraliste, qui prend un malin plaisir à suspendre et à surprendre le sens commun, pour finalement mettre la doxa cul par-dessus tête : « tromper son amant » ou « être infidèle (se tromper) en étant fidèle ».
Dans le prolongement de la syllepse et de la sentence, Gleeden feint de prôner une sagesse, qui va dans sa dernière campagne jusqu’à évoquer la pratique antique du syllogisme.
Syllogismes de la faute et faux syllogismes
Sauf qu’il s’agit alors d’un syllogisme lui-même trompeur, et surtout – voilà le cœur de la campagne – d’un syllogisme affiché comme tel. Gleeden aime à émettre des sophismes assumés, tout comme il y a des lapsus volontaires :
 
 
Car, contrairement au sophisme, ce faux syllogisme cherche moins à tromper, qu’à montrer qu’il est trompeur. C’est la puissance du faux raisonnement qui est mise en exergue comme une mise en scène de la suspension de la visée persuasive elle-même.
Les syllogismes de la mauvaise foi
Au fond, la neutralisation rhétorique avoue alors son fonctionnement proprement dia/bolique. Il s’agit pour Gleeden d’incarner la mauvaise foi.
D’un point de vue communicationnel, la bonne foi consiste en un pacte de sincérité avec soi-même. Faire œuvre de bonne foi revient à exposer aux yeux des autres, son éthique à ne pas se tromper soi-même et à déployer un raisonnement exempt d’arrière-pensées. La mauvaise foi, c’est la rupture de ce contrat. En s’affichant aux yeux de tous sur les quais du métro (la scène sociale par excellence), Gleeden rend publique la jouissance qui consiste à user de la mauvaise foi. Etymologiquement, la « foi » se dit fides en latin. Le contraire de la foi, c’est donc un défaut de fidélité à un principe supérieur (la religion, la morale, et ici la logique et l’argumentation).
Jouir de la mauvaise foi aux yeux de tous, c’est assumer un tromper honnête, un fauter juste, que l’on pourrait rapprocher du « mentir vrai » de la fiction.
Mais ne nous trompons pas, à notre tour. La mauvaise foi étalée par Gleeden, ne promet pas une libération anarchique de désirs eux-mêmes débridés. Loin de promouvoir quelque abandon dionysiaque que ce soit, la mauvaise foi a pour fonction d’exposer l’« autre scène » du fantasme, la fiction de la suspension en tant que telle ; bref : le fantasme du fantasme.
Jouir par la tête
Car, en effet, cette para-doxa n’ouvre pas proprement sur une libération des corps, des jouissances ou des pulsions. Il n’y a aucun débordement physique visible sur ces affiches. Ce qui est montré dans la sobriété de ces maximes, c’est une jouissance froide. Tout au plus, s’agit-il de jouir par le haut, avec la tête :
« Gleeden, le premier site de rencontres extraconjugales pensé par les femmes. »
Evidemment, le terme qui choque en apparence est « extraconjugales », mais le terme qui compte vraiment est « pensé » (souligné dans les affiches elles-mêmes). Gleeden nous plonge dans un univers intellectuel, un trompe-l’oeil argumentatif, une « fiction mentale ». Autrement dit, dans l’idée d’une fantasmatique et d’un vertige des références par pure contamination cérébrale.
Si le référent permanent de « Gle/Eden », est le péché (la pomme croquée) d’une Eve primordiale, cette Eve est « satanique », au sens que Baudelaire réserve à ce terme pour désigner Madame de Merteuil dans les Liaisons dangereuses, c’est-à-dire un être métallique, un être de paroles, en refus du corps pour le corps ; citons les paroles de la Merteuil évoquant sa « nuit sexuelle » (Pascal Quignard) : « Ma tête seul fermentait. Je ne désirais pas de jouir. Je voulais savoir. ».
Reproduire l’étonnement premier
La stratégie publicitaire de ce site renvoie bien à un objectif rhétorique suspendu. Il ne s’agit pas d’exposer le plaisir ou le désir physiques pour eux-mêmes. Il s’agit de viser la tête du passant, pour réimprimer à chaque fois le choc cognitif d’une logique paradoxale.
Au fond, il s’agit de reproduire à chaque fois la stupeur de la découverte d’un univers fantasmatique, d’une fiction mentale : celle d’une monde-marque appelé Gleeden, où les pensées féminines se livrent sans arrière-plan (les fameuses arrière-pensées) ni avant-plan (le surmoi freudien). C’est un univers où toutes les pensées sont étalées sur une surface (l’affiche comme écran psychique) sans profondeur. En un mot, Gleeden c’est l’utopie d’une fantaisie sans plis.
 
Olivier Aïm
Maître de conférences au Celsa  Paris – Sorbonne
 

Société

L'autre marque à la pomme croquée

Où suis-je ? A Paris, sur les quais de la station Motte-Picquet Grenelle, ligne 10. Voilà une affiche publicitaire avec un message clair et grand format qui attire forcément votre attention. Que ce soit pour approuver ou pour condamner, le résultat est le même : vous allez en parler.
Selon ses fondateurs, Gleeden répond avant tout à une demande. Un tiers des personnes inscrites sur les sites de rencontre habituels se déclarent célibataires mais seraient en réalité déjà mariées. Le site se targue donc de vouloir briser un tabou, et s’emploie à changer l’image de l’adultère en mettant à disposition un service qui ne répond en fin de compte qu’à un besoin de la société. Cet altruisme est bien trouvé puisqu’il est polémique et qu’il a permis au site de couvrir tous les médias, faisant beaucoup parler de lui depuis son lancement.
Pour ne pas se faire oublier, il faut ne faut pas hésiter à rajouter une petite couche de temps en temps : le 15 avril 2010, le site poste dans sa rubrique « Actualités » un article intitulé 10 bonnes raisons d’être infidèle, et c’est reparti pour un tour.
Gleeden est aujourd’hui le site de référence en matière de relations extra-conjugales. Depuis sa mise en ligne officielle le 1er décembre 2009, le nombre d’inscrits n’a cessé d’augmenter. Pour ses 2 ans, le site s’offre une petite campagne de publicité dans les couloirs du métro parisien qui n’est évidemment pas au goût de tout le monde. Depuis juillet 2011, date à laquelle la campagne a débuté, de nombreux blogueurs ont exprimé leur mécontentement face à ces images. Sur le site du parti politique Bloc Identitaire, on peut même trouver un article proposant aux citoyens de s’unir face à Média Transport (la régie publicitaire de la RATP) pour « exprimer, avec courtoisie, leur réprobation et demander l’arrêt immédiat de cette campagne d’affichage ». L’article du site de Bloc Identitaire est repris sur le site des Inrocks, dont l’article est à nouveau repris par Bloc Identitaire. Bref, on n’en finit plus.
Qui gagne dans l’histoire ? Gleeden. Le site se fiche amplement que la critique soit élogieuse ou non puisqu’ils ne donnent de toute manière pas dans un commerce que l’on pourrait appeler élogieux. Leur but est d’apparaître en quantité, non en qualité.
 
 Ainsi, il faut parfois laisser tomber les cris de guerre et savoir se taire.
Aujourd’hui, le site, dont l’interface est traduite en 5 langues (français, anglais, italien, espagnol, allemand), est présent dans 159 pays et compte plus d’un million de membres (40% de femmes et 60% d’hommes environ).
 
Justine Brisson
Merci à Gleeden pour sa coopération !
Photos : ©Gleeden