Que diriez-vous d’un monde où la conversation avec la voisine de palier ne porterait plus sur le temps qu’il fait, mais sur le taux de particules polluantes dans l’air prévu pour la journée ?
Ce scénario, qui semblerait post-apocalyptique pour un Français non-averti, est pourtant en train de se dérouler juste de l’autre côté du continent eurasiatique. Chaque matin, nombreux sont les Chinois qui consultent l’application « Air Quality China », indiquant le taux de PM 2,5 dans l’air, c’est-à-dire la quantité de particules polluantes mesurant moins de 2,5 micromètres de diamètres.
1, 2, 3…soleil ?
Cette habitude n’est pas qu’une nouvelle lubie originale et exotique, mais nécessaire à la survie des citadins chinois, quand on sait que des centaines de milliers de morts* sont, chaque année, imputées à la pollution en Chine. Ironie du calendrier, c’est pendant la COP 21 que Pékin a dû lancer, pour la première fois, une « alerte rouge » à la pollution atmosphérique. La densité de PM 2,5 avait atteint plus de 500 microgrammes par mètre cube, alors que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) recommande un plafond moyen de 25 microgrammes par mètre cube pour 24 heures. En d’autres termes, la capitale chinoise avait un taux de ces petites particules particulièrement dangereuses pour la santé près de 20 fois supérieur à la quantité tolérée.
Même si l’urgence de la situation est bien visible dans une ville où le soleil n’apparaît plus, l’accoutumance au phénomène est un véritable danger. Comment faire prendre conscience à la population chinoise qu’il est temps de réagir ?
(Fausse) bonne idée n°1 : utiliser la variable « prix »
Soldes : pour tout masque de protection acheté, une bouteille d’oxygène offerte !
La théorie économique néoclassique repose sur une théorie de la « valeur-utilité »**. En d’autres termes, tous les biens qui subissent une utilité et une contrainte de rareté, possèdent une valeur, donc un prix. Aussi quantité et prix sont-ils fortement corrélés : grossièrement, plus un bien est rare, plus le prix est important.
Dans un pareil contexte où l’air, élément nécessaire à notre survie, vient à manquer, quelques acteurs ont pu flairer l’opportunité. C’est ainsi qu’un restaurant de la ville de Zhangjiagang (Chine) ajoute une taxe d’un yuan par consommateur (environ 15 cents) pour l’air pur respiré. Vitaly Air, quant à elle, est une entreprise canadienne qui met en vente des bouteilles d’oxygène sur le marché chinois. Ces bouteilles d’air pur et frais de montagne auraient pour vertu de « booster la vitalité » (Enhancing Vitality) de ses utilisateurs.
Si on suit la logique néoclassique, le fait même de taxer ou de mettre en vente l’oxygène devrait mettre la puce à l’oreille des Chinois sur la raréfaction de l’air. Bien que des doutes sur l’efficacité de la communication par le prix semblent légitimes.
Bonne idée n°2 : le docu qui s’indigne, classique mais efficace
« Crie-le bien fort, use tes cordes vocales ! »***
Chai Jing, connue en tant qu’animatrice et reporter d’investigation phare pour la télévision d’État chinoise, quitte son poste de journaliste en 2013 après qu’elle a appris que l’enfant qu’elle portait devait être opéré d’une tumeur dès sa naissance, en grande partie à cause de la pollution atmosphérique. Elle décide de réaliser et d’autofinancer un documentaire pour attirer le regard de millions d’internautes sur le problème.
Le 28 février 2015, elle met en ligne son documentaire « China’s Haze : Under the Dome » (« La Chine dans la brume, sous le dôme »), qui mêle discours scientifiques, preuves statistiques, et anecdotes personnelles.
En l’espace de 24h, la vidéo est visionnée plus de 30 millions de fois**** et donne lieu à une vive agitation sur les réseaux sociaux chinois (en particulier WeChat, le réseau social le plus populaire en Chine). Outre l’inquiétude due à la pollution atmosphérique, cet engouement pourrait bien être significatif de la perception des Chinois sur les médias traditionnels. La réception du documentaire semble montrer que les Chinois cherchent sur Internet des informations que les médias traditionnels traiteraient de façon tempérée.
Mais le documentaire n’aura échappé à la censure du gouvernement que pendant trois jours de diffusion. Faut-il déplorer cette prohibition étatique ? N’a-t-elle pas justement, paradoxalement, permis de toucher un plus large public en faisant réagir les hautes instances gouvernementales de manière si radicale ?
Bonne idée n°3 : la créativité pour communiquer
D’autres voix émergent, à travers une communication originale et surprenante, pour dénoncer les conditions environnementales du pays. Ainsi, non loin de Shanghai, un collectif d’artistes et de militants s’est insurgé contre une pratique agricole répandue et évitable, qui génère une grande quantité de fumées noires. Si la paille peut avoir de nombreuses utilités (nourriture, engrais, matériau de construction), les agriculteurs ont l’habitude de la brûler à la fin des moissons, ce que le groupe d’artistes déplore par des œuvres créées à partir de ces « déchets » de paille.
Dans le même sens et bien qu’elle s’inscrive peu ou prou dans la tendance du greenwashing, la campagne de communication Breathe Again (Respirez à nouveau) lancée par une entreprise de systèmes de purification d’air, vise également à dénoncer la pollution en Chine. Les fumées d’usine qu’elle dénonce servent de support pour projeter des visages d’enfants, suffocants ou en pleurs.
Certes ces dénonciations sont prenantes et décalées, mais c’est une fois encore le relais des réseaux sociaux qui permet de rendre ces communications efficaces en touchant un large public.
Bonne idée n°4 : on n’demande qu’à en rire !
Juste pour le plaisir, la publicité pour les chauffe-eau écologiques de la marque Sakura, pointe le problème de pollution…de manière légère et décalée !
Sakura Musle 0514 from J. Walter Thompson Asia Pacific on Vimeo.
Aline Nippert
@AlineNimere
* D’après Les Echos
** Théorie subjective de la valeur chez les marginalistes (Walras, Jevons, Menger)
*** Issue de « L’hymne de nos campagnes », de Tryo
****D’après Rue 89
Sources:
– Mr Mondialisation
Des chinois utilisent la fumée des usines comme écran géant pour dénoncer la pollution
– Konbini
http://www.konbini.com/fr/tendances-2/chine-oxygene-luxe-commercialise/
– L’ADN
http://www.ladn.eu/actualites/pour-reduire-emissions-co2-prenez-vos-douches-2,article,27801.html
Crédit images:
Vitalyair.com
Mr Mondialisation
France TV Info