Mignon, c’est bien. Mignon et handicapé, c’est encore mieux.
Qu’entends-je au fond ? Du mauvais goût ? Certainement. Mais comment ne pas céder au cynisme devant la célébrité Web unanimement relayée du moment, Ray Charles le bien nommé Golden Retriever aveugle.
Cette adorable créature connaît en effet un succès fulgurant, avec 38k Likes à son actif sur Facebook (pour une page créée le 5 Mars). Certes, nous sommes bien loin de Boo, son rival et modèle dans la catégorie canine, qui caracole avec 7 millions de Likes. Mais Boo tient plus de l’exercice de viralité, ayant pour maîtresse une employée du réseau social.
C’est plus une véritable appropriation par les utilisateurs qui a eu lieu ici, sans planification ni établissement de contact maturé par une entreprise. Une sorte de Fruit d’Oasis, sans Oasis.
Il faut dire que Ray a tout pour faire fondre les cœurs. Né en décembre dernier, il était promis à l’euthanasie. Son handicap et sa santé fragile n’aidant pas, le centre animalier qui l’hébergeait avait peu d’espoir de pouvoir lui offrir un destin très éloigné des cages de ses locaux. Jusqu’à ce qu’un preux amoureux des animaux, Andrew Fales, lui fasse rejoindre les trois Goldens Retriever qu’il possédait déjà.
Depuis, l’heureux propriétaire s’est livré à un Community Managing effréné, alimenté d’innombrables clichés – tous commentés de sincères « cuteness overload ! » [1] – et de courtes phrases which wewe spewed wike dat [2]. Lui-même a été surpris par son succès, comme il l’a confié au Today Show de NBC. A l’heure actuelle, il fait gonfler une pétition pour que Ray puisse lâcher la « puck » (le palet, dont la libération cérémonielle marque le coup d’envoi d’un match de Hockey) lors de la prochaine performance des Boston Bruins, son équipe fétiche.
Grumpy blind spaghetti puppy-cat monster
Évidemment, ni Ray ni Boo ne sont exactement les premiers animaux à être devenus célèbres sur Internet, avec ou sans réseaux sociaux. Grumpy Cat, ou Maru en son temps, ont déjà pleinement illustré la terrible vérité : le Web n’est pas composé à 60% de pornographie, mais, en vérité, de chats.
En marketing, on parle parfois d’une multiplication par six des vues d’une vidéo Youtube ou d’une publication Facebook dès lors que leur aperçu intègre un chat. FastNCurious l’a d’ailleurs vérifié récemment.
L’originalité de ces stars web-sociales est cependant de répondre aux utilisateurs, là où les félins cités plus haut n’étaient que des memes. Le fait d’admettre une forme d’anthropomorphisme est devenu monnaie courante pour quiconque est sensible au discours d’une marque à travers ses personnages fétiches. Mais rien n’avait jusqu’alors été fait pour que les particuliers bénéficient du même contrat de lecture.
Pourtant, les publics se prêtent spontanément au jeu. Les visiteurs de Ray ne se l’approprient pas en le détournant comme un meme, ils ne l’associent pas à un attirail de valeurs ou de blagues répétitives, pas plus qu’ils n’attendent que son propriétaire produise un contenu centré sur autre chose que sur son délicieux chiot. Les commentateurs lui répondent comme à une personne réelle, mettant à bas toute conception qui voudrait que Facebook soit encore plus engageant que Twitter, et empêche à ce titre de répondre avec enthousiasme aux messages d’à peu près n’importe quelle entité – de l’animal à l’objet inanimé.
Bien sûr, il ne s’agit là que d’un engouement éphémère. Le filon a son côté novateur, mais est tout sauf profond. Cela étant, ces nouveautés forment comme un bruissement. Un très léger décalage de pratiques. A l’heure où les professionnels de la « relation client » (du centre d’appels à l’assistance technique) redéfinissent leurs métiers pour s’adapter à un utilisateur voulant toujours plus d’autonomie, c’est un signe de changement bien plus large qui se dessine.
Il y aurait presque matière à penser que, une mode « so cute » [3] après l’autre, Internet revient progressivement à l’état fantasmé, véritable transposition macluhanienne, qui lui était attribué avant le Net 2.0. Celle du village, où les goûts des utilisateurs font force de loi spontanée.
Léo Fauvel
[1] « surcharge d’attendrissement ». Oui eh bien si vous avez une meilleure traduction, dites-le.
[2] « which were spelled like that », soit « qui étaient écrites comme ça » avec une prononciation supposément infantile et irrésistible. Urk.
[3] « si mignonne »