Politique

Fake news et autres perlimpinpineries

Les fake news (ou littéralement fausses nouvelles) : qui n’en a pas entendu parler ? Elles ont déterminé et requalifié le vote de nombreux électeurs, que ce soit durant les présidentielles américaines ou durant la campagne du Brexit.
Mais la véritable question n’est pas tant de savoir si nous sommes tous individuellement égaux face à ces fake news que de comprendre pourquoi celles propagées lors de la campagne présidentielle française n’ont pas su trouver prise. Pourquoi n’avons-nous pas mordu à l’hameçon comme des millions d’électeurs avant nous ailleurs dans le monde ? Est-ce une question de culture, ou bien d’autres paramètres d’ordre technique sont-ils à prendre en compte ? D’où vient cet écart entre la perception de l’information américaine ou britannique et la perception française, si tant est que nous puissions définir l’information selon une pseudo-identité culturelle ?
 
Internet, cette nouvelle tyrannie ?
Ces fausses nouvelles sont notamment le résultat connexe de plusieurs causes. Spirale du silence, tyrannie des agissants, audiences invisibles et filter bubbles (« bulles de filtre ») en sont les principales composantes qui, lorsqu’elles sont mises bout à bout, font d’Internet un espace de liberté, certes, mais où toutes les opinions ne sont pas également percevables.
Si la théorie sociologique et de science politique de la spirale du silence* est assez connue et a façonné dans les années 1970 l’idée que nous nous faisons de ce que l’on nomme les « mass-médias », il peut sembler intéressant ici de s’intéresser à la notion de « tyrannie des agissants ». Dominique Cardon, qui a développé le concept, décrit le phénomène en ces termes : « On est tous égaux a priori, mais la différence se creuse ensuite [ …] entre ceux qui agissent et ceux qui n’agissent pas. Internet donne une prime incroyable à ceux qui font.
Et du coup, il peut y avoir une tyrannie des agissants. » Pendant l’élection de Trump, on a pu se rendre compte des effets néfastes du phénomène de la tyrannie des agissants dans la mesure où ceux qui se sont le plus exprimés sur les réseaux sociaux sont ceux proférant des propos racistes ou misogynes. Cette tendance ne fait que renforcer la force des fausses nouvelles et de la désinformation car ces individus « agissants » gagnent en visibilité tandis que les tentatives de ré-information des médias traditionnels sombrent dans une partie silencieuse des électeurs qui, sans être agissants, ne relaient ces informations qu’avec leur propre audience.
 
Prise de conscience réelle ou indifférence manifeste ?
Lors de la campagne en faveur du référendum pour quitter l’Europe, les « Brexiteers » (ceux qui souhaitaient voir le Royaume-Uni sortir de l’UE) ont eu recours à un certain nombre de ces fausses nouvelles sur lesquelles ils sont ensuite rapidement revenus**.

Pour ce qui est des présidentielles américaines – bien que les experts de la CIA, du FBI et de la NSA ne se prononcent pas encore sur les potentiels effets de cette campagne de désinformation sur l’élection de D. Trump – il est certain que la divulgation d’informations compromettantes pour la candidate démocrate via le site Wikileaks à quelques jours de l’élection présidentielle n’a pu jouer qu’en sa défaveur. Mais en France, cela n’a pas entraîné de tournant majeur dans la campagne présidentielle. Car le candidat de En Marche !, bien qu’il ait lui aussi dû faire face à une massive et soudaine campagne de désinformation, et ce à quelques jours de l’une des élections les plus importantes de notre Vème République, est aujourd’hui président. En effet, l’évocation de l’existence d’un compte offshore (relayée sur Twitter et lors du débat par des membres de l’alt-right US, Jack Posobiec et William Craddick), ainsi que le hacking par des partisans du régime russe et la fuite (encore via Wikileaks) de documents de campagne, parfois en provenance de Macron lui-même, aurait pu nuire à son élection – mais il n’en fut rien. Aussi, en dépit du MacronGate et de la naissance du hashtag #MacronLeaks sur Twitter, l’impact a été considérablement moindre.

La période de réserve pré-élection*** a empêché les journaux français de s’emparer de l’affaire et réduit l’effet de tyrannie des agissants. Cette période de réserve ne s’étend cependant pas au reste du monde (notamment à la presse belge et suisse) qui ont pu, en s’exprimant, jouer de l’impuissance des candidats à se défendre. Mais cette période, qui aurait pu défavoriser des candidats incapables de se défendre, n’a finalement rien changé. En outre, des dispositifs avaient été élaborés par les membres de campagne de Macron pour parer à ce genre d’éventualité de hacking, membres tout aussi avertis que n’importe lequel des citoyens face au risque de surgissement des fake news dans la mesure où les dernières élections avaient été polluées par ce genre de scandale (The New York Times, pour n’en citer qu’un), et c’est probablement ce qui joué en notre faveur à tous… Mais pouvons-nous vraiment blâmer les Américains et leur reprocher d’être tombés dans le piège des fake news ? Non ; pas plus que nous pouvons nous croire plus malins pour avoir su le contourner. Ainsi, nous pouvons donc légitimement penser que c’est uniquement cette prise de recul, mêlée à d’autres paramètres encore indistincts (comme peut-être des critères plus sociologiques et peut-être culturels ), qui a permis une certaine lucidité sur le phénomène, lucidité que les Américains, face à la brutalité de ce surgissement nouveau des fake news, n’avaient pas encore pu acquérir.

L’égalité face aux fake news : le vrai cœur du problème ?
Comme le souligne The New York Times, le contraste est particulièrement frappant avec les Etats-Unis : l’annonce du hacking des documents de campagne de Macron n’a été accueillie que par « silence, dédain et mépris ». S’il est sûrement trop tôt pour pouvoir savoir si nous sommes tous soumis au même régime face au phénomène de la désinformation, cela a le mérite de soulever un autre problème. A ce sujet, une citation de Hannah Arendt fait particulièrement sens : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce qu’il vous plait ». Alors il peut paraître bon de rappeler, comme un avertissement, que l’indifférence dont nous avons fait preuve est peut-être bien plus dangereuse que ces fake news en elles-mêmes.
 
Lina Demathieux
Linkedin : https://www.linkedin.com/in/lina-demathieux-775745135/
 
*développée par la sociologue allemande Elizabeth Noelle-Neumann
**contrairement à ce qu’on a répété pendant toute la campagne par exemple, Londres ne versait non pas 350 millions de livres par semaine à Bruxelles, mais 136 millions.
***: selon la CNCCEP (Commission nationale de contrôle de la campagne électorale), pendant deux jours, « toute activité à caractère électoral doit cesser » . En effet, la CSA explique que durant cette période, «il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale». « La campagne s’arrête pour que les citoyens aient un temps de réflexion et ne reprend qu’au moment où les votes sont clos.»
 
Sources :
MOULLOT Pauline, « Fausses informations, vraies conséquences », Libération http://www.liberation.fr/planete/2017/02/17/fausses-informations-vraies-consequences_1549282 Paru 17/02/17, consulté le 12/05/17
DONADIO Rachel, « Why the Macron Hacking Attack Landed With a Thud in France », The New York Times https://www.nytimes.com/2017/05/08/world/europe/macron-hacking-attack-france.html?_r=0 Paru le 08/05/17, consulté le 12/05/17
SHLINDER R. Robert, « Putin Declares War on the West », Observer http://observer.com/ 2017/05/vladimir- putin-kremlin-wikileaks-france-germany-election-interference/ Paru le 08/05/17, consulté le 12/05/17
KOTELAT Didier, « Les « Macron Leaks », itinéraire d’une opération de déstabilisation politique », RTS INFOS https://www.rts.ch/info/monde/8599552-les-macron-leaks-itineraire-d-une-operation-de-destabilisation-politique.html Paru le 06/05/17, consulté le 13/05/17
MATHIOT Cédric, « Fake news, retournez d’où vous venez ! », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/10/fake-news-retournez-d-ou-vous-venez_1568574 Paru le 10/05/17, consulté le 13/05/17
NOSSITER Adam, SANGER E. Davaid and PERLROTH Nicole, “Hackers Came, but the French Were Prepared”, The New-York Times https://www.nytimes.com/2017/05/09/world/europe/hackers-came-but-the-french-were-prepared.html Paru le 06/05/17, consulté le 13/05/17
ALBERT Eric, « Les approximations des partisans du « Brexit » sur la contribution du Royaume-Uni à l’UE », Le Monde http://www.lemonde.fr/referendum-sur-le-brexit/article/2016/06/04/les-approximations-des-partisans-du-brexit-sur-la-contribution-du-royaume-uni-a-l-ue_4935129_4872498.html Paru le 04/06/16, consulté le 13/05/17
DEBORDE Juliette, « Ce qu’on peut dire (ou pas) sur les réseaux sociaux ce week-end », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/05/ce-qu-on-peut-dire-ou-pas-sur-les-reseaux-sociaux-ce-week-end_1567279 Paru le 05/05/17, consulté le 16/05/17
Comment la presse veut survivre face aux « fake news », Challenges https:// challenges.fr/media/presse/comment-la-presse-veut-survivre-face-aux-fake-news_460190 Paru le 13/03/17, consulté le 13/05/17
Z, « A Lire Absolument. Comprendre le phénomène des « fakes news » – Spirale du silence, tyrannie des agissants et Pensée tribale : « La langue des dictateurs » (comment les élites bernent le peuple) » , Le blog de la résistance https://resistanceauthentique.net/2017/02/17/comprendre-le-phenomene-des-fakes-news/ Paru le 17/02/17, consulté le 13/05/17
https://fr.wikipedia.org/wiki/Spirale_du_silence Consulté le 15/05/17
BELAICH Charlotte, « «Période de réserve» : de quoi peut-on parler ce week-end ? », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/21/periode-de-reserve-de-quoi-peut-on-parler-ce-week-end_1564254 paru le 21/04/17, consulté le 18/05/17
 
Crédits photos :
Photo de couverture : http://www.snopes.com/2017/04/24/fake-news-french-elections/
Car de déplacement des pro-Brexit lors de la campagne : https://static.independent.co.uk/s3fs-public/styles/article_small/public/thumbnails/image/2017/02/08/09/ gettyimages-576855020-0.jpg
Tweet de Jack Posobiec: http://md1.libe.com/photo/1019546-posobiec.png? modified_at=1494051841&width=750
Infographie : https://visionarymarketing.fr/blog/wp-content/uploads/2017/04/new-piktochart_22000118_3ad8a8beb17567d28f1b9f95e2a2d6f88b3e09b1.png

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Personnages formant le personnage du logo anonymous
Politique

We are Anonymous.

Depuis la fermeture du site Megaupload par le FBI le 19 janvier dernier, on ne finit plus d’entendre de ce groupe d’hacktivistes : Anonymous. Project Chanology, Operation Payback, Operation Blackout : qui sont ces défenseurs de l’Internet libre?
Avec le succès de ses dernières opérations, notamment le piratage du site internet du ministère de la défense syrien en Août 2011, Anonymous est devenu un véritable état d’esprit. Anonymous n’est pas le nom du collectif à proprement parlé, le terme renvoie à un concept partagé par ses membres. Ses manifestants se représentent par un homme en costume cravate noir, sans tête. Sans visage donc sans identité, un anonyme, quelqu’un comme vous et moi.
Ce choix du logo n’est certainement pas dû au hasard, comme en témoigne l’organisation du groupe. En effet, Anonymous est un collectif, il n’y a pas de leader. C’est un regroupement d’internautes anonymes qui défendent les mêmes valeurs. Comme sur l’image, chacun est libre de participer ; ceux qui ne le souhaitent pas se tiennent en retrait. En fait, la plupart des anonymes sont de simples utilisateurs ; seulement un faible pourcentage de hackeurs « professionnels » contribue régulièrement aux opérations spéciales. Le fonctionnement est simple : un anonyme propose une intervention, et s’il y a suffisamment d’internautes qui souhaitent participer, l’opération est lancée, sinon l’idée est abandonnée. Le nombre d’hacktivistes varie selon les opérations, certaines en impliquent une douzaine, d’autres plusieurs milliers. La portée de l’attaque est d’autant plus forte que les participants sont nombreux.
L’anonyme est en costume-cravate noir, qui n’est pas sans rappeler l’uniforme des Men In Black, ce groupe de personnages présents dans le collectif américain dont le but serait de protéger l’humanité contre les attaques extra-terrestres. Les anonymes affirment être des défenseurs qui se battent contre les congressistes qui adoptent les lois attaquant les droits des internautes, comme celle de la SOPA (Stop Online Piracy Act). Ce projet de loi vise à élargir les capacités d’application du droit d’auteur et des ayants droit pour lutter contre sa violation en ligne et les contrefaçons. Récemment, Anonymous a piraté les sites internet des grands groupes signataires du SOPA.
La protection des données sur Internet est l’une des valeurs revendiquées par le groupe d’hacktivistes, c’est pourquoi les actions sont organisées de manière à ce qu’il soit presque impossible de déterminer les personnes à l’origine des attaques et leur provenance. En fait, les anonymes ne sont qu’une ombre qui plane sur la toile. C’est le message porté par leur slogan : « We are Anonymous. We are legion. We do not forgive. We do net forget. Expect us » (Nous sommes Anonymous. Nous sommes une legion. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublions pas. Préparez-vous). Cependant, le site Paypal, victime d’un hack d’Anonymous a déclaré avoir livré au FBI 1 000 adresses IP permettant d’identifier des internautes ayant soutenu l’attaque.
Les Anonymes apparaissent parfois sous le masque de Guy Fawkes, l’un des protagonistes de « Conspiration des poudres », dont l’action avait pour but de protester contre la politique du roi en matière de religion, jugée intolérante, en faisant exploser le palais de Westminster. Guy Fawkes a notamment inspiré Alan Moore et David Lloyd, les créateurs de la bande dessinée « V for Vendetta ». Cependant, Anonymous est contre l’utilisation de la violence dans ses interventions.
La principale critique envers l’action de cette communauté est celle du couvert d’anonymat et les dérives que cela entraîne. Suite à la fermeture de Megaupload par exemple, Anonymous a décidé de lancer l’opération Blackout dont la communication a été plus que confuse. En effet, plusieurs vidéos ont annoncé le blocage des sites de Facebook, Twitter et Youtube. Il s’agissait en fait de faux ; puisqu’Anonymous est contre l’attaque des médias qu’il considère comme le moyen d’expression des Internautes. L’information a été par la suite reprise par de nombreux sites d’information. Même si le collectif jouit d’un soutien de la part des internautes, l’absence de leadership au sein de ce collectif rend parfois le message des Anonymes obscur, et il devient de plus en plus difficile de faire la distinction entre les actions d’Anonymous et les attaques violentes d’hackeurs qui se revendiquent de la communauté. En tout cas, devant une telle popularité, il serait peut-être temps qu’Anonymous sorte enfin de son anonymat.
 
C.D.