Société

Il faut sauver les Internets

 
Le World Wide Web existe depuis bientôt vingt ans. C’est sur ce système de liens hypertextes que nous nous connectons chaque jour. Il s’est largement démocratisé jusqu’à devenir synonyme d’Internet. Jusqu’en 2010, Internet s’est popularisé. Durant cet âge de la découverte, nous avons entretenu un rapport naïf, enthousiaste, émerveillé face au réseau. Il y avait une sorte d’effusion dans cet usage, encouragé par les idéaux et imaginaires d’Internet. Il était vu comme un objet presque magique.
Or, depuis trois ans son usage s’est complètement banalisé. Se pose alors la question de sa survie. Maintenant que ses fonctionnalités sont considérées comme acquises, il pourrait apparaître dérisoire de les défendre encore. Pourtant nous n’avons jamais eu autant besoin d’un volet législatif sur la question. Heureusement, après des années de méfiances envers le réseau, le gouvernement se décide enfin à agir. Jean-Marc Ayrault a annoncé jeudi 28 janvier, après un séminaire sur le numérique, une feuille de route expliquant dix-huit points sur lesquels le gouvernement va agir. Il s’articule autour des questions de la pédagogie, en lien avec la réforme sur l’Education, mais aussi autour des données personnelles et l’accès au très haut débit. Une loi était nécessaire, mais ces dix-huit points sont-ils suffisants ?
Deux choix fondamentaux
Nous sommes pourtant face à deux choix. Le réseau est de plus en plus surchargé. C’est ce qu’expérimentent par exemple les utilisateurs du fournisseur d’accès Internet (FAI) Free lorsqu’ils utilisent Youtube. Pour retrouver un accès rapide à ces sites utilisant beaucoup de bande passante, il faudrait payer plus. Internet finirait alors par être scindé en deux. La problématique d’un Internet à deux vitesses créerait une nouvelle fracture numérique, entre ceux ne pouvant s’offrir qu’un accès aux fonctionnalités essentielles – mail, moteurs de recherches – et ceux pouvant se permettre un accès aux réseaux sociaux, sites de vidéo, etc. L’Internet à deux vitesses serait contrôlé par les géants du net et par les FAI. L’accès à l’ensemble d’Internet deviendrait une exception. Ce serait la mort d’une de ses premières règles : la liberté d’y avoir accès.
L’autre choix viserait à perpétuer les idéaux d’Internet comme ils furent pensés par les premières communautés – avec la défense de la liberté sous toutes ses formes en tête de file. C’est pour un tel Internet qu’une loi est nécessaire. Ce serait un Internet libre mais encadré, fait et pensé pour les utilisateurs et non pour l’enrichissement de certains par le traitement des données privées.
Internet, une « zone de non droit »
Il est extrêmement urgent que les gouvernements agissent d’une manière concrète et efficace.  Il faut prendre en compte les idéaux d’Internet  et les défendre en les encadrant par une loi ferme, en dépit du lobby formé par les FAI et les géants d’Internet. C’est maintenant qu’il faut légiférer : les abus sur les utilisateurs sont de plus en plus fréquents. Citons par exemple le dernier rapport de la CNIL sur Google ou le blocage des publicités par Free qui a montré ainsi qu’il pouvait avoir de manière très facile un contrôle sur l’Internet de ses utilisateurs.
Il était donc temps qu’une série de lois soit enfin envisagée, surtout sur le point des données privées, de plus en plus grignotées par la récolte des big-datas.
Cependant, en dépit de cette position forte, la neutralité du net et sa protection brillent par son absence. Vite dénoncée par la Quadrature du Net et son porte parole Jérémie Zimmermann, l’absence de cette loi va même à l’encontre de l’avis du Conseil National du Numérique et de son nouveau président, Benoît Thieulin, qui doit présenter le 12 Mars un dossier sur ce sujet à Fleur Pellerin, Ministre chargée du Numérique. Pourtant cette dernière avait annoncé en septembre qu’elle ne voyait pas la nécessité d’une telle loi, position répétée lors d’une table ronde en janvier où Fast’N’Curious était présent.
Philippe Breton en 2001 publie dans Libération une tribune montrant qu’Internet est une « zone de non-droit ». C’est-à-dire que face à l’absence de lois, le territoire numérique est celui des abus et de la délinquance. Cette tribune a inspiré beaucoup de personnes, de Nicolas Sarkozy à Marie-Françoise Marais (actuelle présidente de l’HADOPI). Dans cette optique, Internet n’est vu que dans ses aspects négatifs. Cette vision unilatérale refuse fondamentalement d’envisager Internet dans sa complexité. De comprendre ses mécanismes et de légiférer en fonction de cela.
C’est certes une avancée que le gouvernement entreprenne enfin un volet de lois sur le numérique, en dépit de l’absence sans doute provisoire de la neutralité du net. Nous sommes désormais loin de l’incompétence du gouvernement en matière de numérique, qui trouvait probablement son origine dans cette vision dichotomique. On ne peut que s’en réjouir.
Mais face à ce premier pas, il est urgent que le gouvernement cesse d’entretenir ce climat d’insouciance face aux questions numériques. Il est temps qu’il se positionne sur des questions résolument modernes et qu’il mette fin à une vision simpliste et archaïque d’Internet.
 
Arthur Guillôme
Sources :
France Info
Ecrans.fr
La Quadrature du Net

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Société

150 € l'exemple

 
Si je vous dis « Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet », vous répondez, à juste titre : « Hadopi ! ».
Bien joué !
HADOPI a pour mission principale d’encourager l’offre d’œuvres légales sur Internet [i] et de lutter contre le « piratage ». Lorsqu’un voleur est repéré, il reçoit un courrier. S’il persiste dans cette pratique six mois plus tard, il reçoit un mail et une lettre recommandée. Enfin, si six mois après le malfrat fait encore le malin, il est convoqué par la Commission de Protection des Droits, qui décide ou non de porter le dossier devant la Justice.
La semaine dernière, un dangereux conspirateur de 39 ans a reçu une amende de 150 € pour avoir téléchargé illégalement deux titres de Rihanna sur son ordinateur. C’est la première personne condamnée pour téléchargement illégal depuis la mise en place du dispositif HADOPI en 2010. 150 € et un mal de tête causé par Rihanna, c’est beaucoup !
Faire fonctionner HADOPI, c’est cher. En apparence, ce n’est pas très efficace, puisque seulement 150 € rapportés à l’Etat en 2 ans, c’est un faible rendement. Mais pour sauver l’industrie musicale, qui souffre depuis l’avènement du numérique, force est de constater que ce « flicage » sur Internet et la peur qu’il induit chez les internautes-mélomanes-qui-ne-paient-pas-pour-ce-qu’ils-écoutent a des répercussions : en trois ans, le peer-to-peer a chuté de 35 %.
Au moment où Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication, annonce que le projet de CNM [ii] ne verra pas le jour pour des raisons économiques, on a tout lieu de penser que l’application de cette première sanction est faite pour effrayer les internautes qui pensent que les mailles du filet d’HADOPI sont trop larges pour eux.
En ces temps où tant de bonnes sorties musicales approchent, nous espérons que vous ne serez pas la deuxième personne à recevoir une amende pour non-respect des droits d’auteurs sur Internet…

Thomas Millard
Plus d’information sur ce thème :

Les propos de Filippetti sur la Hadopi créent des tensions avec la filière musicale (http://www.lemonde.fr/technologies.html)

Hadopi : un premier internaute condamné (http://www.lefigaro.fr/hightech.php)

[i] http://www.hadopi.fr/hadopi-pro/labellisation-de-loffre-legale/presentation-de-la-procedure

[ii] Le Centre National de la Musique aurait eu pour but de fédérer et de soutenir la filière musicale sur le modèle du CNC (Centre National du Cinéma)

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Politique

Jacques a déclaré la guerre de l’internet

En vérité, plus que Jacques, c’est l’oncle Sam qui l’a dit la semaine dernière en fermant par l’intermédiaire du FBI l’un des sites de partage de fichiers les plus populaires du moment: Megaupload et son équivalent streaming, Megavidéo mais également 17 autres sites. Pour resituer un peu le contexte, cette décision s’inscrit dans le débat de deux lois américaines, PIPA et SOPA, assez controversées puisque  même la Maison Blanche a  annoncé qu’elle ne soutiendrait pas « une législation qui réduit la liberté d’expression, augmente les risques pour la sécurité cybernétique et sape le dynamisme et le caractère innovant de l’Internet mondial » [1].  Ce serait donc là que se situe le cœur du problème: la violation d’une liberté reconnue comme fondamentale par de nombreux pays du monde et pour laquelle certains se battent tous les jours, la liberté d’expression. On ne serait donc plus libre de communiquer de contenus comme bon nous semble.
Cette décision a évidemment provoqué un tollé parmi la communauté internaute et en particulier dans la communauté hacker. Ainsi, des membres du collectif Anonymous ont immédiatement riposté par un déni de service en rendant hors-service des sites tels que celui du ministère de la justice américain, d’Universal ou encore Hadopi qui visent à restreindre la liberté sur internet au nom de la protection du droit d’auteur. D’autres sites participatifs, tels que Wikipédia, WordPress ou Reporters sans frontières ont également réagi par une sorte de grève à cette tentative de putsh sur la toile.
La question à se poser alors est de savoir quel camp défend quoi ? En vérité, les enjeux de cette guerre du net sont bien entendu économiques. D’un côté les Etats qui interdisent de manière générale le partage gratuit d’informations ou de fichiers au nom du droit des auteurs à être rémunérés pour leur travail, et c’est bien la moindre des choses. De l’autre, il y a d’une part l’ensemble des protagonistes cités dans le paragraphe précédent, Anonymous, les sites participatifs qui se voient contraint en quelque sorte à une publication contrôlée ; et d’autre part sans doute, de nombreux internautes dont vous faites peut être parti qui ne voient pas d’un très bon œil le fait d’être privé de leurs séries télé préférées ou plus généralement de ne plus avoir accès gratuitement et en illimité à des contenus culturels.
Si l’on considère la question objectivement, l’extension de la loi au monde virtuel (une zone relative de non-droit il faut le reconnaître) n’est pas si choquante que ça. Une forme de censure y existe déjà au nom par exemple de la lutte contre la violence ou la pédophilie, allez faire un tour sur les conditions d’utilisation de Facebook. Cependant, la censure de contenu au nom de la protection du droit d’auteur est plus problématique. En effet, cela revient à dire que je n’ai pas le droit de dire, faire suivre, partager quelque chose sans en mentionner l’auteur initial et pour ce qui est des films par exemple, sans le rémunérer. Le problème ici se situe dans le fonctionnement même du web qui peut se décrire comme un média participatif auquel tout le monde contribue et où il est, de fait, souvent difficile d’établir la paternité d’un contenu sur la toile ou d’en limiter la diffusion. Pour illustrer mon propos, si on s’en tient à ce type de raisonnement dans la régulation en ligne, Facebook ou Twitter pourraient très facilement être suspendus alors même qu’ils sont tous les deux des réseaux sociaux incontournables.
En vérité, il faut effectivement trouver un moyen de protéger le droit d’auteur (chacun a droit à  la reconnaissance de son travail). Pour autant, il me semble que la répression pure et dure n’est pas le moyen le plus adapté à l’heure actuelle : il s’agit davantage d’un retour en arrière qui entrave et bloque la communication parce qu’elle bloque la diffusion, l’échange et le partage de contenus. Comme je l’ai dit plus haut, le web est participatif et encourage  l’émulation intellectuelle, la contribution de tous peut donc être requise. Si on considère la question du partage de films ou de musique par exemple, cela pourrait passer par une sorte de redevance culturelle, à l’image de la redevance télévisuelle, reversée aux auteurs de musique, films… En somme, un système participatif jusqu’au bout ainsi qu’on me l’a suggéré récemment (oui, je ne revendique pas la paternité de cette suggestion et, finalement, peut être que tout commence ici !)
 

Justine Jadaud

[1] Plus d’infos sur PIPA et SOPA

Crédits photo : ©Anonymous – ©Wikipedia