Activists "Femen" take part in a protest against Italian Prime Minister Silvio Berlusconi in Kiev
Archives

Jakadi montrez vos seins !

 
Début septembre, le mouvement féministe ukrainien Femen a ouvert un centre à Paris. Le principe de l’organisation consiste à faire défiler ses membres seins nus pour attirer l’attention sur des problèmes aussi divers que le racisme, la pornographie, la pauvreté, le sexisme, la liberté de la presse… Depuis 2008, Femen a bénéficié d’une couverture médiatique considérable, avec des retombées relativement positives. Cependant un malaise subsiste, d’où les nombreuses polémiques qui accompagnent chacun de leurs happenings.
Reconnaissons leur d’abord de nombreux mérites : en exposant leur délicat épiderme à des températures parfois glaciales, ces jeunes femmes ont su insuffler au mouvement féministe une nouvelle dynamique, et une modernisation plus que nécessaire. Les nombreux échecs de communication des associations plus anciennes (on repense au tollé général provoqué par la suppression du « mademoiselle » dans les documents administratifs) avaient eu des conséquences déplorables sur l’évolution des mentalités. Le stéréotype de la féministe agressive et prompte à l’émasculation systématique de tout symbole un tant soit peu phallique persiste (peut-être même plus encore aujourd’hui qu’il y a 30 ans). Avec pour conséquence l’émergence de toute une génération de femmes qui au mieux ne se reconnaissent pas dans ces revendications, au pire se déclarent – aberrant paradoxe – antiféministes. A ce titre, le feedback plutôt bienveillant que suscite l’action des Femen apparaît comme un exploit. En rendant le militantisme plus glamour, elles permettent une identification massive qui n’était pas forcément rendue possible par les actions éparses d’intellectuelles souvent peu charismatiques. C’est donc ironiquement en féminisant le féminisme qu’elles ont réussi à se faire entendre, mais c’est bien là que réside le problème.
Au cours de chacune de leurs manifestations, le corps est certes mis en valeur. Cependant, il est plus exposé en tant qu’objet de désir que somme naturelle des attributs féminins. Presque toutes les manifestantes sont jeunes, souvent belles et relativement minces. Pas de rides, pas de gras : l’acte militant se doit d’être esthétique. Mais du coup, le message revendiqué est subverti : consciemment ou non, les militantes font valoir leur sexualité plutôt que leur féminité. Quand certaines féministes manifestent affublées de fausses barbes pour dénoncer l’absurdité de la domination masculine dans certains domaines, les Femen adoptent un processus inverse. Elles soulignent non pas une absence d’attributs masculins comme obstacle dérisoire à l’égalité des sexes, mais au contraire une féminité outil d’émancipation car sexuellement désirable. Et si le succès de cette communication est fulgurant sur le court terme, les conséquences sur les valeurs défendues sont plus ambiguës. Ainsi, ce que les Femen gagnent en visibilité, elles risquent de le perdre en crédibilité. On assiste de plus en plus à une dynamique contre-productive : lors des happenings, les regards sont bien plus souvent rivés sur les seins que sur les banderoles (certaines photos de reportage se révèlent assez comiques de ce point de vue : voire l’image ci-dessus). En faisant (malgré elles ?) de la concupiscence généralisée la base de l’efficacité de leur organisation, elles utilisent les ressorts sexistes les plus archaïques du système contre lequel elles prétendent lutter.
Ce paradoxe formel se retrouve également sur le fond. Leurs campagnes ont certes le mérite d’avoir attiré l’attention de nombreux médias à travers le monde, mais posent néanmoins problème. Ici, il apparaît souvent que la communication prime sur l’information. De fait, chaque article évoquant le combat des Femen s’attache en moyenne davantage à décrire leur mode d’action qu’à détailler les causes défendues. C’est d’autant plus dommage que celles-ci sont légitimes et mériteraient de bénéficier beaucoup plus de l’engouement généralisé autour du mouvement. De plus, la diversité de leurs actions entraine fatalement quelques dérapages. Ainsi, pour protester contre la décision du tribunal dans l’affaire des Pussy Riot, des activistes ont scié par erreur une croix catholique, et non orthodoxe, dans le centre-ville de Kiev, suscitant une indignation généralisée. Preuve qu’une notoriété internationale ne fait pas tout, et que l’approximation n’a pas sa place au cœur d’une telle exposition médiatique.
Pour les associations ou les ONG, les campagnes de communication sont d’autant plus importantes et délicates que les retombées ne concernent pas l’image d’une marque ou d’un produit, mais bien l’évolution des mentalités de toute une société. Les erreurs de communication se payent donc cher dans la mesure où elles nuisent à la diffusion de revendications qui sont pourtant souvent fondamentalement justes. Savoir être percutant sans être racoleur, tout en privilégiant la diffusion de l’information : là résident les principaux défis de l’action militante aujourd’hui.
 
 Marine Siguier

Com & Société

Les poupées russes

 
Dimanche, dans un climat électrique Vladimir Poutine était élu avec plus de 60% des voix. Une réélection entourée d’une aura de doute : observateurs volontaires escamotés, bancs d’électeurs « volants » allant de bureau de vote en bureau de vote… Autant de ruses tues par le nouveau président qui évoque une élection « ouverte et honnête ». Pourtant toutes les formes de contestation n’ont pas été muselées et cette période électorale a permis le surgissement de nouvelles d’entre elles.
Ainsi, méfiez-vous des apparences : ces « poupées » sont en passe de devenir les figures de proue du mouvement anti-Poutine. Des masques flashy et des robes édulcorées qui n’auront pas empêché la réélection du « père de la nation ».
Poutine ou les nouvelles « poupées russes »
Ces mystérieuses créatures, qui forment le groupe punk « Pussy Riot », ont multiplié les happenings depuis quelques semaines pour dénoncer la politique de Poutine et son retour –annoncé- en tant que président après 4 ans passés à la tête du gouvernement. Un retour assez symbolique puisque, concrètement, l’ancien agent du KGB était toujours resté au pouvoir. Comment ? Grâce à un réel tour de passe-passe : puisque la constitution russe ne permet pas à son président d’enchaîner plus de deux mandats, Dimitri Medvedev a pris l’intérim dans cette vaste pantomime qui laissait le pouvoir aux mains de l’ancien président. Pis encore pour les détracteurs de Poutine, ils devraient souffrir sa présence au Kremlin jusqu’en 2018 en cas de victoire cette année (en 2008, une réforme de la constitution allongeait le mandat du président de 4 à 6 ans) voire 2024 s’il parvenait à briguer sa propre succession, ce qu’il avait déjà fait en 2004. Un horizon bouché qui en agace beaucoup…
Pourtant comme le dit le dicton, « chat échaudé… »
Poutine jouissait d’une popularité confortable jusqu’à ces derniers mois où divers scandales sont venus entacher la candidature de l’ex-président : corruption, fraude (les élections législatives de décembre sont entourées d’un voile de suspicion et ont provoqué moult manifestations), censure… Les maux dont on accuse le candidat sont violents et ont ranimé les forces de contestation des opposants. Opposants à qui on donne des noms, des visages et qui incarnent à l’étranger la figure du « Protester » à l’image du blogueur Alexeï Navalny auteur du blog Navalny et du site Rospil qui dénonce les différents faits de corruption. Cet activisme lui vaut un passage en prison mais participe surtout à donner de la visibilité à son combat relayé par de nombreux médias étrangers comme le site BBC news qui disait à son propos : « He is also arguably the only major opposition figure to emerge in Russia in the past five years. And he owes his political prominence almost exclusively to his activity as blogger »[1]. Cependant, le web n’est pas le seul territoire de la contestation et la rue est investie massivement. Par des manifestants d’abord, qui ont défilé à de nombreuses reprises dans les rues en arborant un ruban blanc, symbole de cette « révolution ».
Et dernièrement par un groupe punk, qui choisit de protester d’une façon atypique mais efficace. Les Pussy Riot c’est un band exclusivement féminin qui pour se faire entendre, a choisi de se produire dans des lieux pas forcément prêts à les accueillir : le toit d’un immeuble à proximité de la prison où était alors détenu Navalny, la Place Rouge et dernièrement  la cathédrale Saint Sauveur où elles ont prié -selon le titre de leur chanson- « Sainte Vierge, chasse Poutine »… Où la prière -punk- comme droit de résistance au « tyran » qu’un Thomas d’Acquin ne renierait pas…
Une balade punk sans conséquence ?
Dimanche soir, sans second tour, Vladimir Poutine était sacré Président de la République russe. Alors, que conclure de toute cette mobilisation ? Du bruit, et rien de plus ?
Certes l’élection de Poutine était annoncée, l’homme contrôlant la plupart des leviers du pouvoir : les médias, les forces de l’armée et les milieux d’affaires. Ce pouvoir ainsi verrouillé ne permettait aucune surprise aux urnes. Pourtant ce déferlement des paroles contestataires n’est pas vain : il trouve des relais efficaces qui consacrent les personnages emblématiques de cette lutte, meilleure façon de cristalliser l’attention sur les leaders de l’opposition et donc, de contrebalancer la parole officielle qui n’hésite pas à négliger cette opposition (Poutine comparait les rubans blancs brandis par les opposants à des préservatifs). Largement fissurée, l’image de Vladimir subit les attaques d’une partie de l’intelligentsia russe, des journalistes et des blogueurs qui n’hésitent pas à braver sur le net la censure et les peines encourues. Une décomplexion de la parole qui aujourd’hui fait mentir les pronostics : si Poutine est élu cette année et pour six ans, la question est maintenant de savoir si l’exploit sera réitéré en 2018.
Les perturbateurs font désormais mentir ceux qui voyaient Poutine rivaliser avec Staline et ses 25 ans au pouvoir.
 
 Marie Latirre
 
Crédits photo: Ksenia Kolesnikova

[1] bbc.co.uk

2