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50 nuances de fan-fictions

La prochaine sortie en salle de 50 Nuances de Grey provoque l’hystérie chez les ménagères et adolescentes pré-pubères. De nombreux teasers et photos du tournage circulent déjà sur les réseaux sociaux ; déchaînant ainsi les fans invétérés du fameux roman érotique de E.L James, dont le film est inspiré. Mais saviez-vous que cette trilogie est initialement une fan-fiction de la saga Twilight ? Et que sa première version fut premièrement auto-publiée sur le site de l’auteur, puis sur le site The Writers’ Coffee Shop ? Cet exemple démontre ainsi l’importance de ce phénomène qui remet en question notre façon de consommer la culture, mais aussi le statut même de l’écrivain. Zoom sur les « fan-fics » (comme on les appelle dans le jargon), récits amateurs qui vont parfois jusqu’à être publiés par des éditeurs de renom et qui deviennent des best-sellers internationaux, à l’instar de 50 nuances de Grey.
Le principe des fan-fictions

Les fan-fictions sont des textes écrits par des fans de livres, de films ou de célébrités tels que Harry Potter, Twilight ou encore Les One direction. Ces productions prolongent, transforment les récits initiaux et sont hébergées par des sites spécialisés comme Fanfiction, Quotv ou encore Kindle Worlds. On peut aisément y trouver des histoires mettant en scène une relation amoureuse entre Harry Potter et Goyle ou encore Bella et le père d’Edward. La boîte de Pandore s’est ouverte, place aux fantasmes !

Une pratique communautaire
On observe depuis un certain temps, l’avènement des sites participatifs de crowdfounding qui proposent à qui le souhaite de financer des projets collectifs et d’apporter, par une modeste contribution, sa pierre à l’édifice. Il semblerait que les fan-fictions s’inscrivent dans cette même dynamique. En effet, les lecteurs de « fan-fic » sont appelés à liker, à commenter et à partager l’œuvre mise en ligne. L’auteur peut ainsi avoir un feedback presque instantané sur sa production et adapter son œuvre aux demandes du public, s’il le souhaite – un système qui lui permet de mettre à l’épreuve son talent auprès de son cœur de cible.
De plus, ces sites d’hébergements rassemblent des communautés de fans qui partagent une passion commune, une passion qu’ils font perdurer. L’auteur sait donc à l’avance que le thème de son livre plaira, puisqu’il reprend l’univers chéri par ses lecteurs.
Un renouveau dans le travail d’écriture
Il existe deux grandes catégories de fan-fictions : le « one shot » et la « long story ». Le « one shot » tient en une page, consiste bien souvent en un passage érotique et se lit d’une traite. La « long story », quant à elle, est un récit plus construit pouvant faire jusqu’à 100 000 mots et plus. Elle développe des passages du roman peu explicités par l’auteur initial par exemple.
Le format « one shot » est tout particulièrement intriguant. A l’heure du « porno à gogo », cette forme de pornographie 2.0 nous apparait comme plus « romantique », car plus romancée. Elle met en scène des personnages fantasmés lors de nos lectures qui sont bien souvent des couples gays. Cela permet sans doute aux lectrices de se distancer, de se déculpabiliser en sachant qu’elles relatent des ébats sexuels d’hommes. Autre fait étrange, les fan-fictions sont majoritairement rédigées par la gente féminine puisque selon les statistiques de fanfiction.net, 78% de ses membres seraient des femmes.

Ces jeunes femmes des « générations y et z » n’auraient-elles pas créé une forme de pornographie féminine, relativement crue mais surtout laissant plus de place à la libre interprétation ?
L’explosion de l’écriture de fan-fictions rappelle le phénomène des blogueurs. Taxés d’amateurs, ils furent longtemps controversés quant à leur statut hybride, mi-journaliste, « mi-monsieur-tout-le-monde », puis peu à peu acceptés notamment grâce à la fleuraison de nombreuses versions web de nos célèbres quotidiens.
Preuve que cette tendance est déjà en passe d’être intégrée : Amazon a créé un site d’hébergement de fan-fictions. A quand la création d’un site lemondedegallimard.fr ?
Enfin, il est de notre devoir de nous demander si cette nouvelle pratique d’écriture n’est pas en train de faire émerger un nouveau genre littéraire car en septembre 2011 on pouvait accéder à 4 064 615 récits sur fanfiction.net.
Un éditeur au plus près des désirs des lecteurs
On connaît bien les catégories classiques de romans telles que le thriller, le roman historique, le fantastique ou la science-fiction qui nous permettent d’orienter nos choix de lectures. Cependant, ceci n’est pas comparable au système de personnalisation extrême mis en place par les sites d’hébergement de fan-fictions. Ces derniers permettent au lecteur de choisir la longueur du récit, les personnages mis en scène, le type de récit (humour, horreur), le degré d’érotisme ou de violence, la période durant laquelle se déroule l’histoire (ex: avant ou après la création de Poudlard pour les fan-fictions d’Harry Potter), la présence de couple de personnages ou non et la langue.
Le lecteur a donc la possibilité de trouver un produit culturel sur mesure, répondant exactement à ce qu’il recherche, ce qui laisse peu de place à la découverte et aux bonnes surprises que l’on peut éprouver lorsqu’on déniche un roman en brocante par exemple.
Mais nous le savons, notre génération sait trouver de l’information tout en optimisant son temps. C’est pourquoi cette solution proposée par l’éditeur est en totale adéquation avec la demande de beaucoup de lecteurs de la tranche 15-25 ans.

Par ailleurs, ces produits culturels sont gratuits. En effet, les auteurs de fan-fictions ne sont pas rémunérés. Les « success stories »  comme celle d’Anna Todd sont rares. Cette jeune femme de 25 ans fut l’auteur d’une fan-fiction relatant la vie d’un des membres du groupe One direction qui sera bientôt adaptée au cinéma.
Cependant, on peut aisément imaginer un nouveau modèle qui intégrerait les marques. Les auteurs, habitués à une certaine flexibilité, pourraient par exemple faire du placement de produit.
Un fantasme d’enfant gâté
Néanmoins, cette tendance comporte un aspect « caprice d’enfant gâté ». Ne sommes-nous pas capables d’accepter la fin d’une saga ?
Le parallèle avec le film Misery de Rob Reiner (1990) est assez fascinant. Ce film relate l’histoire d’un romancier à succès qui achève son dernier livre et est victime d’un accident de voiture en apportant le manuscrit à son éditeur. Sauvé de justesse par une fan de ses romans, il est cajolé par cette dernière durant sa convalescence. Elle le convainc alors de lire son dernier ouvrage mais elle est hélas déçue par la fin du roman et finit par séquestrer l’auteur, afin qu’il la modifie à son goût.
Il s’agit certes d’un scénario extrême mais il saisit parfaitement le cercle vicieux de ce genre de processus qui enferme le lecteur dans un appétit insatiable.

« Paul Sheldon used to write for a living.
Now he’s writing to stay alive. »
 S’il est indéniable que cette tendance explose, son évolution semble compromise. En effet, les fan-fictions ne peuvent se développer qu’autour de romans ayant un univers très fort et un style littéraire fort pauvre, car les auteurs-amateurs ne peuvent copier la patte de grands écrivains. Les fan-fics seront donc cantonnées à  des ouvrages mainstreams, souvent à destination d’un public d’adolescents. Cependant, celles-ci peuvent être une alternative permettant de promouvoir la lecture auprès des jeunes lecteurs, qui bien souvent la délaissent au profit des écrans.
Enfin, des enjeux légaux entravent également le développement de ce nouveau genre littéraire. Les « apprentis écrivains » ne détiennent pas les droits d’auteurs et ne peuvent donc pas, jusqu’à un certain point, exploiter les personnages et l’univers de l’auteur.
Le droit patrimonial les empêche de capter le lectorat acquis par l’auteur et d’en tirer profit. Le droit moral protège, quant à lui, le lien artistique entre l’œuvre et son auteur afin d’empêcher toutes nuisances à l’image de l’œuvre initialement produite. Mais les fan-fictions sauront-elles respecter ce mélange entre inspiration et plagiat afin de protéger au mieux ce nouveau mouvement littéraire ?
Clara Duval
Sources :
etude.fanfiction.free.fr
slate.fr
mag.monchval.com
Crédits photos :
leschroniquesculturelles.com
lesinrocks.com
m.leplus.nouvelobs.com
citelighter-cards.s3.amazonaws.com
journalzoical.files.wordpress.com
aki-hoshi.com
jeffkatz.typepad.com
static1.purepeople.com
folkr.fr

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JK Rowling vs Romain Gary
Agora, Com & Société

J.K Rowling, ou le syndrome Romain Gary

 
Au printemps dernier, le livre The Cuckoo’s Calling, ou L’Appel du Coucou, du soi-disant Robert Galbraith paraissait en Grande-Bretagne et n’obtenait pas un grand retentissement. Bien que salué par quelques critiques, le roman n’engendre guère un enthousiasme intarissable, ne cumulant ainsi que 1500 ventes.
Or, quelle n’est pas la surprise générale des médias et lecteurs (potentiels) de découvrir, via un simple post Twitter, le pot aux roses : le dénommé Galbraith n’est tout autre que Maman Harry Potter. Ben ça alors ! Joli tour de magie ?
Pourquoi tous ces mystères ? R n’assumerait-elle plus son succès, ou cherchait-elle un moyen de communication pour le moins extra-ordinaire ? Et que nous dit ce phénomène, à une échelle bien plus large, de la littérature aujourd’hui ?

Beauté de l’écriture ou peur de l’étiquette ?
Rowling cherchait-elle un point de vue impartial sur son écriture afin de revenir aux débuts du lancement d’Harry Potter – pour lequel elle s’était longuement battu, ou bien dans le but de se relever du malheureux échec de son dernier livre, Une Place à Prendre ?
Changer de nom permettait à l’œuvre d’être appréciée pour ce qu’elle était, et de ne pas être propulsée en tête des ventes par le simple usage de sa signature. L’aura d’un écrivain – que l’on peut ici qualifier de star internationale, incontestablement, – influe considérablement sur son chiffre de vente. Sinon, quelle raison y’aurait-il à ce que les mêmes personnalités se retrouvent sans cesse dans les Hits de toutes les librairies ? Et ce bien malheureusement.
Mais, paradoxalement, peut-être est-ce également pour fuir les mauvais côtés de « l’étiquette » que Rowling a pris la peine d’arracher celle qu’elle arborait jusqu’alors. Car son passé Voldemorien, bien qu’ayant séduit une majorité du public mondial, ne l’a pas pour autant aidée à obtenir les faveurs des critiques. Bien au contraire. Aussi, le nom d’un auteur nous influence-t-il sur la perception même de son œuvre. Un immense héritage culturel pèse sans cesse sur notre lecture, et/ou l’élève.
Dans son livre Et si les œuvres changeaient d’auteur, Pierre Bayard démontre bien le changement de perspective de l’étude d’une œuvre selon l’auteur qui la réalise. Il prend notamment l’exemple de Dom Juan : si Corneille avait écrit la pièce, l’on pourrait relever dans cette dernière la présence fondamentale d’une multitude de dilemmes, d’importance chez le dramaturge mais peu pertinente dans un cadre moliérien.
Quoiqu’on en dise, un nom influe toujours sur une perception, et construit des a priori sur un sujet considéré.
Coup de Comm’ ou projet artistique ?
Il est évident que l’on pense d’emblée ici à une stratégie communicationnelle. En effet, c’est un tweet à l’origine suspecte qui a averti le Sunday Times du subterfuge, propulsant, sans surprise, le livre de la 5076e place à la 1e place des ventes d’Amazon en une journée.  Nous ne pouvons que saluer un énorme coup de pub qui n’a engendré aucun coût. Tous les médias parlent désormais du livre, gratuitement. Et comme le précise bien Julien Gracq dans La Littérature à l’estomac, une fois que la critique installe un auteur dans le doux cocon du succès, il est difficile de l’en déloger.
Pourtant, Rowling demeure multimillionnaire, et la recherche d’un profit financier de sa part semble peu probable. Peut-être pourrait-on penser, à la limite, au désir ardent d’une remontée en haut de l’affiche, maintenant que la fièvre Harry Potter paraît bel et bien révolue.

Ce phénomène ne peut que nous rappeler l’emprunt par Romain Gary du pseudonyme Emile Ajar, il y a de cela des dizaines d’années ; mystère révélé dans la lettre de suicide de l’auteur. Mais il s’agissait là de retrouver une liberté d’expression que la conservation de son identité, des plus populaires, ne permettait plus. Gary voulait, semble-t-il, adopter un regard nouveau, un style ne répondant pas nécessairement au précédent, et aborder des thématiques délicates et polémiques. La Vie devant soi, par exemple, dénonçait tout à la fois la ghettoïsation des immigrés en France, le rejet des prostituées, ou encore l’interdiction de l’euthanasie.
Or, JK Rowling conserve, dans The Cuckoo’s Calling, un univers assez similaire aux précédents. Elle reste très loin de la dénonciation politique, ou de la réflexion sociale et idéologique, comme l’effectua sublimement Gary. Ce qui nous montre, quelque part, l’immense distance entre l’emprunt d’un faux nom au regard d’un projet littéraire d’un côté – création d’une œuvre – et le faussement d’une identité ayant, très probablement, un rapport avec le monde de la communication – création d’un livre, dans le sens commercial du terme.
Cet évènement ne manque pas de nous dire quelque chose de grandement inquiétant sur la littérature aujourd’hui. La dictature du nom semble bel et bien installée, incitant à la réflexion communicationnelle plus qu’à la qualité de l’écriture.
« Je me suis bien amusé, au revoir et merci. »
Romain  Gary
 
Chloé Letourneur
Sources :
Firstpost.business
The Sunday Times
L’Express
Crédits photos :
Image de Une : JK Rowling et Romain Gary (t-as-vu-ma-plume.over-blog.com)
Image 2 : Hypable.com
Image 3 : OneMinuteNews

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