Société

Buzz, clash, slut… Viens dans mon comic strip du web !

 
Il y a de cela deux semaines, la chroniqueuse web Jack Parker a créé du remous sur la Toile avec la publication d’un article sur son Tumblr relatant l’agression sexuelle dont elle a été la victime dans le métro. Alors oui, encore un buzz, et qui commence à dater de surcroit, mais sur lequel il faut quand même revenir.

Suite à la publication de son expérience, la bloggeuse a en effet reçu de nombreux messages extrêmement violents, voire profondément haineux, incriminant sa tenue et son comportement qui justifieraient selon certains internautes une telle agression. Des commentaires qui incarnent bien un nouveau phénomène qui a fait son apparition sur les réseaux sociaux, à savoir le slut-shaming (ou humiliation des salopes). Le slut-shaming consiste à culpabiliser et stigmatiser certaines femmes pour leur comportement ou leur habillement, jugé immoral et censé encourager l’irrespect, ou même le viol. Cette stigmatisation qui entretient l’idée que le sexe serait dégradant pour les femmes a été d’abord l’objet de dénonciations dans la rue (avec les slutwalks de féministes canadiennes et américaines), avant d’infiltrer comme de coutume le World wide web. Le phénomène est désormais en pleine expansion sur les réseaux sociaux où des adolescentes notamment se transforment en moralisatrices outrées qui s’emploient à dégrader l’image de filles « dévergondées », quitte à les amener au suicide…(1)

 
En plus d’incarner un regrettable retour vers des valeurs archaïques, ce type de harcèlement psychologique pose le problème des nouvelles formes de violence qui fleurissent sur Internet. Confortés par un sentiment d’anonymat et d’impunité, certains internautes se lancent dans des croisades discriminatrices et pimentent les forums de propos injurieux, moqueurs ou carrément vindicatifs. Tout cela renvoie à une culture du clash qui fait réellement système. De l’émission d’Hanouna « Touche pas à mon poste ! » à la télévision, aux tweet-clash en politique en passant par des articles incendiaires comme ceux de la journaliste Liz Jones, le clash est bel et bien devenu une institution communicationnelle. Devenue nouveau théâtre d’une catharsis généralisée, la toile s’avère être le lieu idéal pour l’expression de paroles extrêmes, notamment grâce à l’avènement de Twitter qui ne laisse pas l’occasion de faire dans la dentelle avec ses 140 caractères… Encourageant la parole instantanée, et les échanges sur le chaud, ce type d’application ne donne pas le temps de construire un discours réfléchi et argumenté, les raccourcis vont bon train, et le ton monte alors aisément. Peu étonnant qu’on se retrouve confrontés à des amalgames douteux, et des conclusions hâtives. En bref, Godwin avait raison (2).
Et le plus étonnant dans tout ça, c’est que l’on se complait dans ce phénomène de haine comme fond de commerce, qui n’existerait pas sans son corollaire, le « hate-reading ». Cela consiste à consulter volontairement des sites internet dont on sait pertinemment que le contenu va nous mettre hors de nous. On entretient alors un mépris exacerbé pour son auteur, ce qui n’est pas sans rappeler notre comportement face aux émissions de téléréalité actuelles systématiquement visionnées avec dédain et distance critique. De quoi faire que la haine sur le net s’auto-entretienne efficacement en somme.
Si l’on en revient au cas initial de Jack Parker, il permet de soulever une dernière aberration, à savoir le fait que le féminisme est devenu associé à des revendications extrémistes émanant de femmes jugées hystériques. S’il est vrai que de nombreuses inégalités subsistent et méritent d’être combattues, il n’en reste pas moins que le combat féministe demeure bien légitime lorsque l’on sait que les femmes sont payées en moyenne à poste et qualifications égales 25% de moins que les hommes, et que leur libération sexuelle est sérieusement remise en cause. Il ne semble alors pas absurde de s’y intéresser un tant soit peu. Après tout, cela concerne tout de même la moitié de l’humanité, non ?
 
Elsa Becquart

Sources :
Madmoizelle.com
Le « Slut Shaming »
Slate.fr
Bienbienbien.net
(1) Une jeune américaine de treize ans s’est suicidée en mai dernier après des mois de harcèlement. Des filles avaient écrit « slut » sur son casier, et elle avait reçu des menaces de viol.

(2) Godwin a établi une loi empirique qui pose que plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1.

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