Flops

Marwan, Syrien et pas si seul

 
Le 17 février 2014, la journaliste américaine de CNN, Hala Gorani, a publié sur Twitter une photo de Marwan, réfugié syrien de 4 ans. On le voit entouré de représentants du HCNUR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) qui l’ont ensuite pris en charge.
L’enfant a traversé le désert seul pour fuir le pays de Bachar el-Assad et rejoindre la Jordanie. Il aurait tenté de retrouver sa famille. Quelques heures plus tard, un représentant du HCNUR a répondu à la journaliste en confirmant que Marwan avait pu retrouver sa famille. En moins de 24 heures, la photo de ce courageux syrien a fait le tour de la toile et a été partagée plus de 7000 fois : l’émotion était au rendez-vous.
Mais l’ascenseur émotionnel est vite redescendu lorsque le lendemain, Andrew Harper, représentant du HCNUR en Jordanie, publiait à son tour une photo de Marwan. Sur celle-ci, on aperçoit le jeune garçon à l’arrière d’une foule de réfugiés. Il a bel et bien traversé le désert mais en compagnie d’une centaine d’autres réfugiés. Oups…
Andrew Harper tient donc a rectifier l’histoire : « He is separated – he is not alone » (1). La belle et émouvante histoire de la photo s’évapore et laisse place à un malaise.
La puissance de cette photo ne résiderait-elle que dans le cadrage ?  Jean-Luc Mélenchon ne nous dira pas le contraire !

Que retenir de cette image ?  Un message a clairement voulu être envoyé, tant par la publication par CNN de la photographie trompeuse, que par le relai des autres médias américains après la révélation de la supercherie. En effet, le Washington Post a publié un article le même jour de la révélation d’Andrew Harper,  intitulé : « That 4-years-old syrian refugee wasn’t alone, but his story is still heartbreaking » (2). Le quotidien américain rappelle que malgré cette erreur, la situation de Marwan est critique : le jeune garçon représente le million d’enfants forcés de quitter leur pays. Pour le Washington, ce n’est pas le manque de véracité de la photo qui change sa situation.
La question qui se pose alors est la suivante : les médias américains tentent-ils de légitimer une possible intervention militaire sur le territoire syrien ? Ils jouent la carte de la culpabilité et tentent peut-être de faire de cette photo le symbole d’un conflit et de décisions politiques.
Un air de déjà-vu
Ce ne serait pas la première fois, la force du photoreportage est indéniable : sans la photo prise par Nick Ut pendant la guerre du Vietnam de la jeune fille brûlée au Napalm, le conflit aurait peut-être duré beaucoup plus longtemps. Nixon disait de cette photo qu’elle était retouchée – forcément car celle-ci n’arrangeait pas ses affaires.
Le photojournalisme a toujours été enclin à des interrogations, comme la fameuse photo de Robert Capa, Mort d’un soldat républicain (1936) lors de la Guerre Civile espagnole. On dit de cette photo qu’elle est posée, un acteur aurait simulé sa chute pour un photographe en mal de moments. Ou encore la photo de Joe Rosenthal, Elévation du drapeau américain sur Iwo Jima (1945) véritable symbole de la Seconde Guerre Mondiale, qui seraient le fruit d’une mise en scène du photographe. Ces prix Pulitzer mettent en abîme une réelle ambivalence du photojournalisme.
D’un côté, on attend du reporter de nous fournir des photos représentant la vérité d’un instant et la situation dans laquelle se trouve un peuple. Mais, comme les photos disent beaucoup de choses, on attend surtout la création d’un symbole : à chaque conflit sa photo, à chaque événement marquant son cliché.
 Dans le cas de la photo du petit Marwan, l’histoire est touchante et donne à réfléchir sur le conflit en Syrie, mais, comme on a pu le lire dans les commentaires de l’article du Washington Post :

Accordé. Cependant, une image vaut mille mots, essayons de faire du journalisme honnête.
 
Sibylle Pichot de la Marandais
(1) Il est séparé – il n’est pas seul
(2) Ce réfugié syrien de 4 ans n’était pas seul, mais son histoire est tout de même émouvante
 Crédits photos :
Montney.com
Chelmimage.fr
Kicswila.com
 Sources :
Washington Post
Nouvel Obs
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