Quel est le point commun entre Abraham Lincoln, Alfred Hitchcock, Edith Piaf, Margaret Thatcher, Marie-Antoinette, Henri IV et Nelson Mandela ? Après avoir marqué leur époque, ils sont tous devenus des stars du grand écran. Dans des adaptations plus ou moins fidèles à la réalité (jusqu’au désarmant Abraham Lincoln : chasseur de vampires), on met en scène leur vie forcément palpitante, puisque relevant du mythe historique. Le genre connait un succès particulier en ce moment, et les producteurs d’Hollywood en raffolent. Alors, fausse bonne idée commerciale ou vrai renouveau cinématographique ?
Du point de vue communicationnel, la formule présente un double avantage. On propose aux spectateurs à la fois un divertissement classique, avec ses promesses d’action, d’humour, d’amour et de péripéties, tout en jouant sur le côté instructif. Une sorte de C’est pas sorcier du septième art en somme (en un peu mieux quand même). Tout bénéf donc pour la promo, où on vise à la fois le public intello qui voudrait en savoir plus sur la guerre de Sécession ou la Révolution française, et le spectateur lambda qui cherche à se détendre en fin de semaine à coups de pop-corn et de blockbusters. Un double horizon d’attente qui permet d’élargir au maximum les publics visés.
En l’adaptant au cinéma, on rend l’Histoire vivante car incarnée par des personnages en chair et en os, et par conséquent plus intéressante car soudain bien plus proche de nous. À tel point que Steven Spielberg a offert des milliers de DVD de son film Lincoln aux écoles américaines, comme support d’enseignement. Mais dans quelle mesure peut-on considérer ces adaptations comme de l’information pure ? Si pour Adorno les arts se consument les uns au contact des autres, ici c’est tout bonnement le réel qui se consume au contact de la fiction. Le spectateur est soudain placé dans la position de décrypteur, souvent jusqu’à la paranoïa. Alors que dans une fiction pure il est invité à tirer des vérités générales de l’artifice assumé, ici au contraire il s’attache à débusquer le faux, l’inexact, l’approximatif d’un récit qui se revendique comme entièrement authentique. D’où les éternels reproches : « ça ne s’est surement pas passé comme ça », « le personnage n’était pas ressemblant » à la sortie des salles.
Ce procédé mérite qu’on s’y attarde, car depuis quelques temps il semble marquer plus largement tout un pan de la communication médiatique. Faux-vrais témoignages dans les pubs pour dentifrice, multiplication des émissions de scripted reality à la télévision, on est désormais à la recherche du Vrai, même (surtout ?) quand celui-ci est factice. Reste à l’audience de faire la part des choses, en attendant la sortie du prochain film.
Marine Siguier