© Bilal Berkat
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Arcs-en-ciel sur petit écran : une histoire de la représentation des LGBTQ+

En juillet 2020, Netflix décide d’annuler sa production If Only qui devait se réaliser  en Turquie et s’articuler autour d’un personnage central homosexuel. Le Haut Conseil audiovisuel turc avait sommé la firme américaine de censurer la figure gay de la série, ce que Netflix a fermement refusé. Face à une telle résistance, le géant de l’audiovisuel a donc préféré étouffer son projet dans l’œuf. Cet acte fort remet en  perspective la question de la représentation des personnes LGBTQ+ dans les séries. On vous prépare donc un zapping des séries emblématiques qui ont mis en  lumière le spectre LGBTQ+. Installez-vous confortablement dans votre canapé, télécommande en main, et préparez-vous à binge-reader cet article. 
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Campagne de prévention du VIH : l'homofolie se déchaîne !

Si certains en doutaient encore, maintenant nous pouvons l’affirmer : l’homosexualité n’est pas encore acceptée dans notre société. La polémique qui accompagne la nouvelle campagne de prévention du VIH, destinée aux homosexuels, en est la preuve. Lancée mi-novembre par le ministère de la Santé sur les réseaux sociaux et diffusée sur les panneaux publicitaires, elle met en scène des couples homosexuels s’enlaçant et des messages invoquant la nécessité de se protéger pour des « coups d’un soir ». Vandalisme, censure, tweets scandalisés… Le message a décidément du mal à passer.

Un cercle vicieux : informer, censurer, résister
Peu après la diffusion de 8000 affiches dans 130 villes de France, les attaques fusent de toutes parts. Les mairies les plus conservatrices, comme celles d’Aulnay-Sous-Bois et d’Angers, exigent le retrait des affiches, aux abords des écoles en particulier, car elles sont jugées susceptibles de heurter la sensibilité des enfants. La censure commence, la guerre est lancée.
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, riposte immédiatement ; elle sollicite non seulement la communauté des réseaux sociaux, en invitant à partager les visuels, mais aussi la justice, en portant plainte pour censure. Certes les principaux révoltés se comptent parmi les fervents militants de la Manif pour tous et les membres des associations de familles catholiques, mais le débat devient très vite, et avant tout, d’ordre politique. S’envoyant des tweets comme des balles de ping-pong, la droite et la gauche se positionnent en faveur, ou non, du retrait des affiches et élargissent la polémique à la question épineuse de la place de l’homosexualité dans notre société.
Le schéma est classique : les plus réactionnaires s’offusquent d’une atteinte à la sensibilité de l’enfant alors que les défenseurs des homosexuels se battent pour l’égalité des couples et l’acceptation de l’homosexualité aux yeux du grand public. Les arguments des élus contre la campagne se basent sur la protection de l’enfance et la défense des bonnes mœurs bafouées par ces affiches « volontairement provocantes ». Christophe Béchu, maire d’Angers, justifie alors le retrait des affiches en spécifiant que la même demande aurait été effectuée s’il s’agissait de couples hétérosexuels.
Hypocrisie tendancieuse ou argument recevable ? Quoiqu’il en soit, c’est la question de l’acceptation des homosexuels qui se pose : l’homosexualité, selon les défenseurs de cette campagne, n’est pas une anomalie que l’on doit cacher aux enfants.
Une polémique confuse : deux combats opposés, un ennemi commun
Le problème ne s’arrête pas là. Dans une logique de mise en abîme, la seconde couche du débat questionne la stigmatisation des homosexuels dans la société. Et si cette campagne n’était non pas une atteinte à la décence mais une énième condamnation de l’homosexualité ? En effet, trop souvent accusés d’être à l’origine du virus du Sida et d’entretenir majoritairement des relations instables, les homosexuels tentent d’échapper à ces stéréotypes dégradants. Pourtant cette campagne de prévention, en visant uniquement une population homosexuelle, renforce ces idées. « Coup de foudre, coup d’essai, coup d’un soir », « Avec un amant, avec un ami, avec un inconnu » : un message qui peut effectivement porter à confusion. Triste paradoxe en effet : une campagne grand public qui pour une fois met en avant l’homosexualité semble s’inspirer des plus grands clichés qui l’entourent.

Il est évident que l’objectif n’a jamais été de critiquer le mode de vie ou la pratique homosexuelle, mais d’inciter à visiter le site « sexosafe » où se trouvent les différents moyens de contraception pour homosexuels. Car, dans les faits, ceux-ci sont encore les plus touchés par le Sida (43% des nouveaux cas en 2015), et doivent donc être particulièrement ciblés par la prévention. C’est, du reste, ce qui est clairement précisé par le slogan présent sur chacune des affiches : « les situations varient, les modes de protection aussi ».
La question se pose néanmoins : à qui revient le droit d’être scandalisé ? Aux homosexuels qui se sentent stigmatisés par le message transmis ou bien à une droite réactionnaire effrayée par la portée idéologique de ces affiches ? Dès lors, cette campagne, aux conséquences de plus en plus notables et curieuses, fait ressortir deux combats aux directions radicalement opposées, ayant pourtant la même cible.
Finalement, puisque la démarche du ministère de la Santé fait face à de telles polémiques, doit-on parler d’une réussite ou d’un échec communicationnel ? Certes la campagne a fait parler d’elle, mais il semble trop tôt pour se prononcer sur sa portée effective. Ajouter des visuels avec des couples hétérosexuels aurait peut-être révélé si les attaques étaient dirigées contre l’homosexualité en elle-même, ou bien contre une représentation trop suggestive de la sexualité.
Quand la pub touche une corde sensible
Cette polémique révèle les contraintes et les responsabilités qui pèsent sur la publicité, et sur les contenus médiatiques en général. En effet, en nous alignant sur l’opinion favorable à cette censure, un contenu publicitaire ne doit jamais être trop provocant et ne doit pas heurter la sensibilité d’une population. Et lorsque la sexualité, sujet délicat voire tabou dans nos sociétés, est abusivement présente dans une publicité, cela peut être choquant. Cependant, le scandale est ici clairement axé sur la question de l’homosexualité, puisque le message ne peut pas, selon les opposants à la campagne, être compris par les jeunes.
Dès lors, ce débat n’est que le reflet d’une société confuse.
Au cœur de cette polémique sociétale, médiatique et politique, la question demeure : en quoi ces affiches sont-elles plus choquantes que de nombreuses publicités invoquant la sensualité voire la sexualité de la femme ou d’un couple hétérosexuel ?
Prenons pour exemple la marque de lingerie Aubade qui a lancé une campagne de publicité intitulée « Leçons de séduction ». Sur diverses affiches, sont mis en évidence des corps féminins presque nus, légèrement recouverts de dentelle, dans des positions aguicheuses. La dimension sexuelle est d’autant plus renforcée par les messages qui accompagnent ces photos : « le mettre au pas, au trot, au galop », « être légèrement culottée », « lui remonter le moral »… Promotion d’une sexualité libérée et d’une image quelque peu réductrice de la femme : un cocktail qui ne nous est pas inconnu ! Et pourtant, cette campagne n’a suscité aucune polémique, bien au contraire, il semble qu’elle soit plutôt appréciée aussi bien par les hommes que les femmes.

La responsabilité de ces campagnes de prévention est de délivrer un message à toute une société mais aussi de diffuser l’image de cette société, ce qui la dessine et la définit. L’homosexualité entre peu à peu dans les mœurs mais cette polémique montre qu’elle n’a pas encore une place stable et approuvée.
Sur Twitter, un internaute, se demandant ce qu’il va dire à sa fille de 8 ans face à ces affiches, touche involontairement du doigt le problème, et peut-être sa solution : les parents ne devraient pas craindre que leurs enfants soient choqués par la vision d’un couple homosexuel; au contraire, la jeunesse est une arme essentielle pour combattre les préjugés et soutenir l’évolution des mentalités. Atteindre une cible jeune serait le seul moyen de faire de l’homosexualité une norme légitime, médiatiquement, socialement et idéologiquement parlant. Les modes de prévention varient, les mentalités aussi ?
Madeline Dixneuf
Sources :
• 20 minutes, Sida: Pourquoi les affiches d’une campagne de sensibilisation dérangent, Damien Meyer, publié le 23/11/2016, consulté le 10/12/2016
• Le monde, Affiches de prévention du sida : Touraine saisit la justice à la suite d’une « censure », François Béguin, publié le 22/11/2016, consulté le 10/12/2016
• La croix, Une campagne contre le sida fait polémique, Christine Legrand, publié le 20/11/2016, consulté le 11/12/2016
• L’express, Une campagne de prévention anti-VIH visée par des anti-mariage gay, express.fr, publié le 18/11/2016, consulté le 13/12/2016
• France Tv info, Vidéo la campagne de prévention contre le VIH qui créé la discorde, Nicolas Freymond, publié le 22/11/2016, consulté le 20/12/2016
• Huffington Post, Non, ces affiches de prévention contre le sida ne sont pas un cliché sur les homosexuels, Marine Le Breton, publié le 01/12/2016, consulté le 20/12/2016
• Huffington Post, Plusieurs maires Les Républicains censurent une campagne de prévention contre le SIDA, le gouvernement les attaque en justice, Anthony Berthelier, publié le 22/11/2016, consulté le 20/12/2016
• Têtu, La campagne publique de prévention gay menacée de censure, Julie Baret, publié le 21/11/2016, consulté le 20/12/2016
Crédits :
• Affiches de la campagne de prévention contre le VIH par le Ministère de la Santé
• Capture d’écran Tweet de Louis Ronssin
• Capture d’écran Tweet de Marisol Touraine Affiches de la campagne de prévention contre le VIH
• Capture d’écran Tweet marst76
• Capture d’écran Tweet Nicolas Sévilla, Laurence Rossignol, Baptiste C_A
• Affiche campagne publicitaire Aubade
 

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Le tabou, on en viendra tous à bout

Le tabou est un outil indispensable pour les annonceurs. Il est presque un truisme de dire que les publicitaires choquent et dérangent pour communiquer. Mais ce même tabou peut aussi être un poison. En ethnologie, le terme désigne une prohibition sacrée dont la transgression peut entraîner un châtiment surnaturel. Par définition, il est donc préférable d’éviter le tabou. Suivant ce conseil, l’esprit cherche automatiquement à l’occulter : le tabou finit par tomber dans les méandres de la non-pensée. Il appartient si l’on puit dire à l’ordre de l’immonde qui menace le nôtre par son impureté ou sa dangerosité. Son évocation ne suscite alors qu’une réaction de rejet rendant toute pensée impuissante. Communiquer à travers le prisme du tabou ne revient-il donc pas à limiter le dialogue aux sentiments ? Quelles sont les limites d’une telle communication ?
Le tabou : un garde-boue sociétal
Dans son acception commune, le terme « tabou » désigne un sujet qu’il est préférable de ne pas évoquer au risque de transgresser les codes de la bienséance. Sa forme varie en fonction du temps et de l’espace. On parlera moins de son salaire en France qu’aux États-Unis, on parlera moins de sexe en Arabie Saoudite qu’en Islande … Ainsi, l’être social obéit à des règles plus ou moins tacites qui pèsent sur son comportement et sur son langage.
Le tabou auquel Freud a consacré une œuvre entière structure nos pulsions en prohibant l’inceste et conditionne l’existence de la morale et l’émergence de la culture. Freud s’appuie sur l’hypothèse d’une société primitive -la horde sauvage- dominée par un père tout puissant disposant du seul droit d’accès aux femmes. Il explique la naissance de la société par le meurtre du père qui est paradoxalement devenu objet de vénération. En voulant libérer leur désir du pouvoir paternel, la rébellion a conduit à le contenir. La proscription de l’inceste et l’interdit du meurtre ainsi que du parricide assurent les liens familiaux et sociaux. Cette explication mythique structurerait notre inconscient.
Dans l’esprit polynésien, le tabou est lié au sacré et ne peut se concevoir qu’en relation au mana, équivalent très approximatif de l’esprit qui anime les êtres et les choses que l’on ne peut toucher ou dont on se protège car les forces peuvent être négatives. Ces notions participent d’un ordre que l’on doit absolument respecter. Mais dans l’usage courant, en dehors de l’univers magique et religieux, il renvoie à ce que l’on ne peut pas dire ou faire. Sur quoi dès lors repose cette interdiction ? Quelle justification peut-elle avoir ? Quels que soient nos univers d’appartenance, sommes-nous si loin de cet univers magique, nous qui appartenons à une culture privilégiant la raison ?
Les forces surnaturelles nous menacent sans cesse si nous transgressons le tabou en l’amenant à la communication. La croyance fait sa force dans le domaine mythique et religieux. Que peut-on craindre quand on appartient à un univers laïque et désacralisé ? Si on transgresse l’interdit, on suscitera la gêne ou l’on subira le rejet car on remettra en cause les valeurs fondamentales qui régissent la société. La crainte du tabou semble inscrite dans notre esprit. Au lieu d’avoir affaire à une puissance surnaturelle, c’est la société elle-même, tel un dieu, qui nous imposera tacitement le respect de limites à ne pas franchir. Le tabou est maintenu par un système dont nous sommes nous-mêmes les garants.

Les sociétés archaïques et les sociétés modernes ont-elles un but si différent ? Derrière l’interdit, il s’agit de préserver un monde constitué de valeurs communes au périmètre plus ou moins grand. Nos sociétés se distinguent en effet par l’importance qu’elles reconnaissent à l’individu et à sa liberté. Les sociétés anciennes privilégient la communauté par rapport à l’individu qui lui appartient complètement à l’inverse des sociétés modernes. A travers le tabou, la société nous rappelle aux valeurs communes qui la fondent. C’est une limite infranchissable par laquelle elle se défend comme un corps contre des agressions extérieures qui menacent sa cohésion. Ainsi, les menaces d’exclusion qu’elle nous impose perpétuent le tabou. L’individu peut se croire totalement libre – de communiquer – mais la pression sociale lui rappelle qu’il fait parti d’un monde qui lui reconnaît dans le meilleur des cas une liberté relative.
Y a-t-il encore des tabous dans la publicité ?
La publicité semble échapper à l’interdit. Elle n’hésite pas à le braver. Elle joue fréquemment avec lui. Dans un monde saturé de messages, les communicants n’hésitent pas à provoquer, à extraire le potentiel polémique du tabou pour mieux marquer. En fait, l’utilisation du tabou s’inscrit parfaitement dans une communication dite  » transgressive ».
 

 
Comme le tabou parle à l’émotionnel, il est difficile d’avoir une vision claire de la réaction suscitée par une pub exploitant un tabou. Toutefois, le bon communicant pourra anticiper les conséquences de son énonciation.
Il y a des règles à respecter. D’abord, il paraît évident qu’il faut prendre en compte le contexte socio-culturel dans lequel on souhaite développer une campagne. Ensuite, il ne faut pas confondre communication et provocation gratuite : il faut éviter que le choc du tabou phagocyte le message. Ce phénomène correspond à ce que les communicants les plus aguerris appellent sentencieusement « le risque de monopolisation mémorielle par le tabou ».
En 2009, une publicité distribuée au nom de Carrefour Discount était publiée sur le web avec comme titre : « J’aime pas Mamie ». Carrefour démentit aussitôt son affiliation à cette pub. La pub met en scène une famille qui mange tranquillement. Le téléspectateur s’aperçoit rapidement qu’il mange “Mamie”. Le tout est brillant puisque l’humour noir dédramatise le lien grossier fait entre précarité et cannibalisme. La pub amène à penser que Carrefour Discount est assez bon marché pour éviter de tomber dans le cannibalisme. Le message est clair !

La transgression, l’énonciation du tabou doit avoir un but. Les campagnes contre les MST sont à prendre en exemple : elles tentent de lever les tabous pour libérer la parole, oublier « la honte » pour mieux se soigner. Ici, le tabou est énoncé pour mieux dénoncer. Au contraire, la campagne « Unhate » (2011) de Benetton mettait en scène des visuels sans grand rapport avec les vêtements : on y voyait des chefs d’États ou des responsables religieux s’embrasser. Cet exemple montre comment la shockvertising relève de la pure vacuité. Le tabou doit être manipulé avec pertinence.

Le propre du tabou est de gêner, de repousser et même d’horrifier. Cependant, tout comme il existe une “licence poétique”, la publicité est un lieu où le tabou peut s’énoncer sans être suivi de châtiment. Il prend un autre sens sous la bannière publicitaire. L’absence d’un sujet déterminé de l’énonciation favorise la liberté que l’on peut prendre vis-à-vis de lui. Cela ne veut pas dire que la publicité peut tout se permettre : il faut éviter les interdits archaïques tels que le tabou de l’inceste fondé à la fois sur des lois ancestrales, morales, religieuses et scientifiques. Et au-delà de ce simple constat, il faut trouver le ton qui permette d’oublier le tabou pour mieux cerner le message.
En énonçant l’imprononçable, la publicité soulève des questions et modifient les mentalités. Elle habitue à l’inhabituel et dédramatise l’inconvenant. Malgré de nombreux jeux sur les clichés, la pub ouvre parfois le débat sur des sujets tels que la sexualité ou la sécurité routière. En provoquant, en jouant sur le sentiment, la publicité éveille celui qui la regarde. C’est le bon côté de ce genre de communication : elle pousse à la polémique et donc à la réflexion.
De l’utilité du silence dans la communication : une hypocrisie nécessaire
Le tabou provoque. C’est cette vertu que le communicant exploite. Quel intérêt y a-t-il à le braver si cet acte soulève l’indignation et empêche la communication ? Au contraire, le silence fracassant propre au tabou ne serait-il pas un bienfait pour la communication ?
L’interdit de l’inceste par exemple repose sur des explications et des justifications sociologiques voire scientifiques. Statistiquement, il est prouvé que l’endogamie entraîne des conséquences génétiques graves. Lévi-Strauss, un anthropologue contemporain, voit dans la prohibition de l’inceste – une loi fondée sur la nature et la culture – une condition nécessaire pour assurer l’existence sociale en élargissant les relations matrimoniales. Le tabou préserve ainsi la société des conséquences néfastes de l’endogamie. Le respect de la loi ne fait donc pas directement appel à la raison cependant il se justifie rationnellement. Certains comportements pour le dire autrement ne sont pas prohibés pour les bonnes raisons : on ne fait pas telle ou telle chose par sagesse mais par peur, par superstition comme si les dieux allaient se retourner contre nous.
Dans notre société certaines questions sont aujourd’hui taboues. La répartition ethnique en est un exemple. Quand on parle de tabou dans ce cas, il ne faut cependant pas voir seulement le fait qu’on écarte la question, il y va aussi d’un choix de valeurs et de principes. Le risque serait de résumer les individus à des appartenances et des explications biologiques.
Que cela ne soit pas un tabou aux États-Unis relève de raisons historiques. L’absence de ce tabou peut conduire à conforter les séparations entre les hommes. À ce niveau, le tabou est une façon de parler. Il y va en même temps d’une certaine dimension du sacré qui correspond au respect de principes fondamentaux. L’histoire du XXème a vu de surcroît le développement de l’idéologie eugéniste -théorie pseudo-scientifique d’hygiène raciale – qui a entraîné les pires monstruosités politiques.
Le tabou dans l’exemple précédent donnait un sens sacré vis-à-vis de ce qu’il représentait. On pouvait y voir conséquemment la marque d’un attachement à des valeurs. Peut-on conclure de ces observations à quelque possible vertu du tabou ?
Voltaire semble allègrement franchir ce pas lorsqu’il écrit dans ses Dialogues : « Je veux que mon procureur, mon tailleur, mes valets, ma femme même croient en Dieu ; et je m’imagine que j’en serais moins volé et moins cocu. » La croyance devient garante de la morale. C’est un moyen en sacralisant ses règles de conduire les hommes. Cette formule plutôt pessimiste sur la nature des hommes relève d’un acte de prudence sauvegardant nos intérêts. En devenant intouchables, les règles garantissent un ordre impossible de discuter soumis que nous sommes à la suprême autorité qui nous prive en passant de toute autonomie. On reste dans une société d’autorité, celle des anciens opposés aux modernes pour reprendre une distinction établie par Benjamin Constant. Est-ce une entrave à la communication que d’avoir des tabous dans une société ? Supprimer le tabou pour en parler librement suppose qu’il faudrait passer du superstitieux au rationnel. Cela suppose de laisser, peut-être naïvement, les tabous aux griffes de l’intelligence individuelle. S’il n’y a plus de règles de communication, le reste dépend de l’homme. Le risque évident est que l’interdit lié au tabou ne soit plus aussi fort s’il perd sa sacralité arbitraire et que l’homme transgresse sans réfléchir.
La modernité signe-t-elle la fin progressive des tabous ? Le tabou semble appartenir à un univers théologique. En entrant dans l’univers positif ou scientifique perd-il alors son sens ? Dans la mesure où le tabou fait partie du domaine du sacré, le fait de vivre dans une société et une culture caractérisées par la raison n’en fait-il pas pour le dire autrement une relique du passé ? Sans base rationnelle, le tabou demeure un interdit fondé sur des croyances surnaturelles. Il n’est pas le fruit de l’intelligence mais de la crainte superstitieuse. C’est notre peur qui fait sans doute sa force, l’absence de pensée. C’est l’analyse que développe Spinoza en particulier dans la préface au Traité théologico-politique. Rien n’est interdit à la libre pensée. C’est la condition essentielle de notre libération. Le tabou est une limite à penser pour en comprendre la nécessité et accéder au salut pour parler comme le philosophe.
De nombreuses choses restent taboues. « Le phénomène du tabou n’a pas cessé d’exister. Il existe toujours, aussi dans les sociétés modernes, comme il existait dans les sociétés primitives. Ce qui a changé, c’est seulement son caractère, les prémisses sur lesquelles il se base, les causes pour lesquelles il existe. » écrit Stanislas Widlak. Êtes-vous homosexuel ? Combien tu gagnes ? Êtes-vous dérangé par la présence d’une personne séropositive? Êtes-vous malade ? Ces questions gênantes traduisent nos peurs et notre besoin d’ordre, d’appartenir au monde commun. C’est l’expression archaïque de notre être dont nous avons gardé la mémoire ou bien le produit de notre culture.
Existe-il des moyens de communiquer sur un tabou sans heurter ? Pour chaque tabou, il y a un vocabulaire « politiquement correct » spécifique. Le tabou et l’euphémisme sont frères. Toutefois, les mots sont tellement aseptisés qu’ils ne semblent plus renvoyer à des réalités humaines. De plus, Il y a un réel paradoxe, si ce n’est une contradiction, à utiliser ce langage à l’heure où l’on parle de « minorités visibles », de « discriminations positives » ou bien d’ « égalité des chances ». On cache en même temps que l’on essaye de lever certains tabous. On peut peut-être y voir une volonté maladroite de manipuler les sujets tabous pour les exorciser sans dévoiler totalement leur arbitraire nécessaire. En effet, le silence que le tabou suppose empêche certaines minorités d’exister normalement, c’est-à-dire à l’intérieur de la norme, et entraîne parfois des contestations politiques légitimes.
Il y a donc des sujets dont « on peut » parler et d’autres non : la communication est donc encadrée par une « normalité », des normes qui se veulent assurément civilisatrices. Toutefois, il reste une volonté de savoir comme dirait Foucault. Remplacer cette norme par une autre changerait-il quelque chose ou bien la norme actuelle est-elle particulière, organisée et réfléchie, c’est-à-dire basée sur des critères civilisateurs et visant le bien commun ? À y regarder de plus près, les constructions sociales semblent arbitraire. Le philosophe explique entre autres que les normes sexuelles se seraient développées sous l’influence des États du 17ème siècle en partant du simple constat qu’il fallait encourager la natalité. Ainsi, ils auraient soutenu la sexualisation du corps féminin en marginalisant les autres sexualités.
Ameziane Bouzid
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Sources :
« « J’aime pas mamie »: mais qui a fait cette fausse pub Carrefour ? », Le Poste Archives, 14/12/2009
 » Comment communiquer sur un sujet tabou en publicité ? « , Études & analyses, 30/03/2008 
« Les briseurs de tabou. Intellectuels et journalistes « anticonformistes » au service de l’ordre dominant », Sébastien Fontenelle, Paris, Éd. La Découverte, coll. Cahiers libres, Paris, 2012, 180 p.2016 
 » « Unhate » : la nouvelle campagne choc de Benetton « , Pure Médias, 16-11-11 
Crédits images :
BNP
AIDES
Reuters/Stefano Rellandini
 

DON DU SANG HOMOSEXUEL
Société

Le don solidaire ou l'indécision sanitaire

Le 4 novembre dernier, la ministre de la Santé, Marisol Touraine a annoncé une révision des contre-indications au don du sang. Dès le 1er juin 2016, tout homme ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes aura enfin la possibilité de devenir donneur à son tour … à condition qu’il ait respecté au préalable une période d’abstinence de douze mois. Face aux justifications médicales et à une communication ministérielle beaucoup trop évasives, la réforme est jugée encore trop culpabilisante, réaffirmant les stéréotypes homophobes. Un débat à mi-chemin entre égalité, solidarité et sécurité sanitaire.
Mauvais genre…
« Je m’appelle Steven Kuzan, j’ai 23 ans. Je suis aide-soignant par passion, je me considère comme combattant pour le bonheur et le bien être des gens. » Steven a le sang rare et l’esprit solidaire. Il y a quelques mois, il a lancé une pétition à l’adresse de Marisol Touraine, revendiquant l’autorisation des hommes homosexuels à donner leur sang. Il y a peu encore et selon un arrêté de 1983, le site de l’EFS recensait la contre-indication suivante : tout homme « ayant eu ou ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, quelle que soit l’ancienneté du rapport » ne peut être donneur. « Pourquoi ? Parce que je suis gay ! Gay donc drogué, malade ou contagieux ? NON ! Mais c’est ce que notre réglementation nous dit ! » ajoutait Steven dans sa lettre. Lui et quelques 180 000 autres signataires brandissent aujourd’hui leur détermination sur le site Change.org tandis que le ministère semble encore hésiter. En 2012, la future ministre de la Santé déclarait :
« Les homosexuels hommes devraient bientôt être autorisés à donner leur sang en France alors qu’ils en sont, jusqu’à présent, exclus en raison d’un risque, considéré comme accru, de contamination par le virus du sida. Le critère de l’orientation sexuelle n’est pas en soi un risque. En revanche, la multiplicité des relations et des partenaires constituent un facteur de risque, quels que soient l’orientation sexuelle et le genre de la personne ».
L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne a appuyé ce propos en 2014, en annonçant que l’exclusion des homosexuels provoquait « une évidente discrimination indirecte basée sur le genre et l’orientation sexuelle. » D’un côté se trouvait donc toute une communauté discriminée mais désireuse d’agir pour son prochain, et de l’autre, un établissement français du sang exsangue. L’équation semblait évidente…
… Et mauvais sang
Pourtant, trois ans après sa première déclaration, Marisol Touraine freine des quatre fers et annonce que si les hommes homosexuels pourront dorénavant donner leur sang, ils devront avoir au préalable respecté une période d’abstinence de douze mois. A ce retournement, on invoque des raisons médicales. Le Comité d’Éthique émet de sérieuses réserves, indiquant que le taux de contamination au VIH reste aujourd’hui élevé au sein de la communauté gay et à ce titre, le risque de transmission virale par transfusion l’est tout autant. Le professeur Benoît Valet, directeur général de la Santé, ajoute qu’il « n’y a pas encore à ce stade, de données suffisantes pour démontrer l’absence d’augmentation du risque transfusionnel du VIH pour un délai inférieur à douze mois. »
Et c’est là justement que le bât blesse. Le ministère, pour justifier ses tergiversations sanitaires, a usé des mêmes stéréotypes que Marisol Touraine disait justement vouloir désamorcer. L’homosexualité masculine est toujours perçue comme un facteur de risque. On renoue avec les discriminations faites à une orientation sexuelle particulière. La boucle est bouclée et le sang des internautes ne fait qu’un tour :

 
 
Bon sang ne saurait mentir !
Quant à la presse, elle ne fait pas non plus dans la demi-mesure. Il y a d’un côté ceux qui saluent l’avancée sociale, et de l’autre ceux qui dénoncent l’hypocrisie du ministère. C’est sans doute là toute la difficulté du sujet que de ne pas se laisser tenter par les raccourcis. Certes, la réforme impose une abstinence de douze mois en ce qui concerne le don de globules rouges, mais le don de plasma, lui, est autorisé aux mêmes conditions pour tous, sans distinction d’orientation sexuelle. Il ne s’agit donc peut-être pas tant d’une démarche homophobe que d’une tentative ratée de mettre fin à une discrimination permanente parmi les donneurs tout en maintenant le niveau de sécurité des receveurs.
Malgré tout, la communication autour de cette nouvelle réglementation semble beaucoup trop élusive. Trente-deux ans après la reconnaissance du SIDA et sa propension à toucher TOUT le monde, est-il encore possible d’affirmer que les rapports masculins constituent un plus grand risque que toute relation hétérosexuelle non protégée ? Car face au douze mois d’abstinence exigés des hommes homosexuels, quatre seulement sont demandés aux donneurs hétérosexuels après un changement de partenaire ou un rapport à risque.
En vérité, cette réforme n’est sans doute que l’ébauche d’un progrès, marquant la fin d’une exclusion permanente, mais ne sachant encore trop comment articuler « égalité » et « sécurité » de manière harmonieuse et sans contradictions.
Marie Philippon
Sources :
Steven Kuzan, « Oui au don du sang pour tous », change.org – https://www.change.org/p/oui-au-don-du-sang-pour-tous-stop-%C3%A0-l-interdiction-pour-les-homosexuels-marisoltouraine
Jean-Yves Nau, « Don du sang chez les gays: le difficile exercice de la démocratie sanitaire », Slate, le 04/11/2015 – http://www.slate.fr/story/109385/don-sang-homosexualite-sida-democratie-sanitaire
Maxime Bourdeau, « La période d’abstinence d’un an demandée aux homosexuels pour le don du sang critiquée (et détournée) sur Twitter » Le HuffPost, le 04/11/2015 – http://www.huffingtonpost.fr/2015/11/04/abstinence-un-an-homosexuels-don-du-sang-critiques-twitter_n_8471086.html
http://www.dondusang.net/
Crédit images :
Le Monde.fr, Aurel
Twitter, Sergio Coronado, @sergiocoronado, le 04/11/2015
Twitter, Piedminu, @piedminu, le 04/11/2015
RT Pierre, @Rouatp, le 04/11/201

nuit gay
Agora, Com & Société

Homosexualité, le pêché mignon de Canal +

Le 23 juin 1995, pour la première fois à la télévision française, une chaîne consacre 9 h d’antenne à la culture et la condition homosexuelle. «  En crypté, mais en toute clarté » précise Alain Burosse, le responsable des programmes de l’époque, qui affirme vouloir éviter le prosélytisme. La Nuit Gay explose le record d’audience de Canal+ détenu par la Nuit Hallyday d’où la phrase cultissime de Gilles Verlant : « Merde ! Les pédés ont enculé Johnny ! ». Aujourd’hui, l’émission est toujours d’actualité : le 20 octobre, Canal+ fêtait les 20 ans de son programme.
La Nuit Gay : The Pride Of Canal+
« 20 ans que Canal+ fait passer la télévision française à la couleur » voilà ce qu’on peut lire sur le site officiel de l’émission. Tout se passe comme si Canal+ essayait de ressusciter ses gloires passées.
Sur le site du programme, on peut trouver une chronologie qui a pour point de départ la première Nuit Gay. On observe une volonté de présenter le programme comme le déclencheur des événements majeurs qui suivront.
En effet, la Gay Pride de l’année 1995 marque un tournant puisqu’elle accueille 60 000 manifestants. La même année, Jean-Luc Delarue consacre une de ses émissions à la question «  Faut-il ou non déclarer publiquement son homosexualité ? ». D’autant plus que cette année voit la naissance du premier magazine gay et lesbien français, Têtu. En 1997, Jean-Philippe Olszowyn crée le site Média-G en vue de critiquer la manière dont la télévision, les livres, la musique ou encore le Net traitent de l’homosexualité.
 

La redondance de l’émission semble s’apparenter à une auto-congratulation annuelle. L’émission présente aujourd’hui sa soirée plus comme « l’anniversaire de l’émission » que la célébration de l’évolution des mentalités. Déjà en 2005, la chaîne fêtait les 10 ans de son émission. Toujours du bon côté, de l’histoire et de la force, la chaîne nous rappelle qu’elle est et qu’elle a toujours été en avance sur son temps.
Du tabou des urnes à l’« homopoliticus »
Ce jour-là, sur le plateau du Grand Journal, on pouvait voir parler ensemble Jack Lang et Frank Riester, connu pour être un des deux seuls député UMP ayant voté la loi du mariage homosexuel. Il est intéressant de voir que « le mariage pour tous » ou le PACS sont les rares sujets médiatisés où l’on voit apparaître une connivence aussi claire entre des partisans de la droite et de la gauche. Un documentaire comme Homopoliticus ( diffusé en janvier 2013 sur France 3 ) apparaît comme une dimension parallèle où il est possible de rapprocher Christiane Taubira et Roselyne Bachelot.
Le discours sur le PACS de Roselyne Bachelot, prononcé le 7 novembre 1998 à l’Assemblée nationale, est sans cesse invoqué dans des documentaires sur le sujet. Il précède historiquement les plaidoiries de l’actuelle garde des Sceaux qui soutenait l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.
 

Ces discours donnent place à des vidéos politiques populaires car elles symbolisent un changement, une reconnaissance à travers une politique sensible et rebelle. D’ailleurs, dans le Grand Journal, Riester et Lang sont placés côte à côte pour bien montrer que leur combat est le même. L’opposition droite-gauche semble alors s’effacer pour donner lieu à une trêve qui met en avant le sujet dont il est question.

Au même moment, le retour à l’écran de Christine Boutin et Frigide Barjot était éclipsé par les déboires de France 2 avec l’émission DPDA.
En effet, dans la même semaine que la Nuit Gay, la présidente du parti chrétien-démocrate répondait des propos qu’elle avait tenu dans la revue Charles en avril 2014, déclarant que «  l’homosexualité est une abomination » et répondait pour sa défense qu’elle avait des amis homosexuels tout comme une certaine Nadine M. aurait pu le faire.
Dans le même temps, Jean-Marc Morandini recevait, pour le retour de l’émission « Face à France », Frigide Barjot affirmant sans concession : «  Je demande pardon aux homosexuels que j’ai blessés ».
Quel rapport peut-on établir entre médias, figures politiques et homosexualité ? Il semble que les médias créent des « personnages » emblématiques qui viennent représenter les opinions majoritaires à propos d’un sujet sensible. Ainsi, ceux qui prennent fermement parti et qui se rebellent disposent d’une certaine écoute, d’une certaine tribune tant ils ont un statut à part dû à leur engagement. En effet, que ce soit Roselyne Bachelot, Christine Boutin ou Bertrand Delanoë qui déclare son homosexualité dans une interview sur M6 en 1998, on connaît ces responsables en partie grâce à leur place dans un débat de droit. En 1982, l’homosexualité était dépénalisée, il semble donc normal que le débat sur les droits des homosexuels soit nouveau et aussi mouvementé : il mêle à la fois tradition, religion et frustration d’une minorité jusque-là mise de côté. C’est parce qu’il est si passionné que les médias préfèrent montrer des « représentants » qui canalisent, ou même peut-être « vulgarisent », des idées.
 Les médias sont-ils un bon moyen de rendre les gens plus gai ?
A priori, le programme a pour but de cerner l’évolution des mentalités comme le sous-entend le titre du documentaire diffusé en première partie «  1995-2015 : 20 ans de révolution gay ». Mais il est d’autant plus intéressant d’analyser le traitement du sujet. Ce serait un raccourci d’affirmer qu’il y a une acceptation, comme si l’homosexualité était désormais acceptée de manière univoque. Il faudrait parler d’une forme d’acceptation.
En 2013, le CSA belge publiait une enquête sur la représentation de l’homosexualité dans les médias. L’étude part du simple postulat que la télévision est un répertoire d’expériences permettant de compenser des phénomènes absents de notre environnement. Ainsi, les interactions humaines « médiatisées » auraient un impact similaire à celles que nous rencontrons dans la réalité : elles nous permettent d’approfondir nos connaissances et notre point de vue sur des sujets qui font défaut à notre environnement réel. Si les médias veulent influencer positivement leur spectateurs, il faut questionner le contact média-individu.
« Dans le sillage de cette représentation, quelques sociologues français contemporains observent que, même si les sociétés occidentales se montrent aujourd’hui plus ouvertes et tolérantes envers l’homosexualité, l’hétérosexualité continue d’être dominante et, partant, elle se passe de justification » affirme Laura Mellini, docteure en science sociale, en parlant de Bourdieu, François Delor ou encore Didier Eribon. L’hétérosexualité s’impose naturellement, autrement dit, elle ne donne pas lieu à des programmes qui l’analysent. Ce qui est naturel dans la mesure où elle est la norme. Au contraire, l’homosexualité a recours à des programmes qui semblent vouloir lui donner une légitimité. On a donc l’impression d’entendre une justification perpétuelle qui maintient l’homosexualité loin de la norme. Il est légitime de se demander si les médias confortent les mentalités, telles qu’elles soient, ou si elles les font vraiment évoluer ?
Si on interroge les programmes médiatiques, on peut voir qu’ils comportent une dualité qui oppose toujours une minorité homosexuelle et l’hétéronormativité. Ainsi, tacitement, on accepte tous un « nous » et un « eux » : il y a un isolement dans les termes. Si le but des documentaires est de faire évoluer les mentalités, ne faut-il pas remettre à jour cette conception communautariste ?
En 20 ans d’existence, la Nuit Gay mérite peut-être d’être repensée à la lumière d’une nouvelle ère, celle de l’après « mariage pour tous », autant pour la loi que pour la fureur du débat. D’ailleurs, l’émission insiste sur le passage de la stigmatisation à l’indifférence mais il faut prendre plus sérieusement en compte cette donnée. Certes, le contenu du programme change, toutefois, il faut encore changer la manière de penser l’homosexualité comme « en-dehors de la norme », comme quelque chose que l’on tient loin, enfermé dans un passé, dans une indifférence ou une « tolérance ».
Si les mentalités changent, elles ne le font pas de manière binaire. Autrement dit, les mentalités ne sont pas bonnes ou mauvaises, elles méritent toujours d’être cultivées par des programmes qui réalisent et présentent à l’écran la présente réalité avec ses évolutions, ses régressions et ses retards. La difficulté consiste à traiter consciemment un sujet mouvant et subjectif.

Alors pourquoi ne pas changer radicalement cette façon de faire ? Il faut sans doute voir cela comme un choix, celui de ne pas brusquer ou diviser. Au-delà de la question des mentalités, la présence et la forme de l’homosexualité dans les médias est sans nul doute à la croisée d’un choix marketing d’adaptation à une nouvelle audience, et d’une volonté de garder une audience traditionnelle boudant le changement. En aucun cas, il ne faudrait résumer la présence homosexuelle dans l’audiovisuel comme un baromètre qui traduirait un consentement croissant sur le sujet.
Bouzid Ameziane
Sources :
Simonnet Dominique. La Nuit Gay. L’Express. 15-06-1995  http://www.lexpress.fr/informations/la-nuit-gay-de-canal_608298.html
Sabri Derinoz. La représentation de l’homosexualité dans les médias de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mai 2013 http://csa.be/breves/784
Laura Mellini. Déviance et Société. Entre normalisation et hétéronormativité : la construction de l’identité homosexuelle. Médecine et Hygiène. ISSN : 0378-7931 https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2009-1-page-3.htm
Clotilde Gaillard. Yagg, Têtu … Les médias LGBT en grande difficulté. L’Express. 16/06/2015 : http://www.lexpress.fr/actualite/medias/yagg-tetu-les-medias-lgbt-en-grande-difficulte_1690148.html
« 1995-2015 : 20 ans de révolution Gay ! », un documentaire réalisé par Michel Royer pour les 20 ans de la Nuit Gay, le 20/10 à 20h50 sur Canal+. CAPA.16/10/2015 : http://www.capatv.com/2015/10/1995-2015-20-ans-de-revolution-gay-un-documentaire-realise-par-michel-royer-pour-les-20-ans-de-la-nuit-gay-le-2010-a-20h50-sur-canal/
Canal+, site officiel. Présentation de la Nuit Gay : http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid8302-c-les-20-ans-de-la-nuit-gay.html
Crédits images :
– Canal +
– Entertainement

pub Barilla
Flops

QUELLE NOUILLE…OU L’HISTOIRE D’UNE COMMUNICATION MALADROITE

 
Le fameux fabricant de pâtes Barilla a réagi le 4 novembre dernier au tollé international qu’avait déclenché son président avec des dires homophobes concernant l’image de la famille. Barilla annonce désormais la «diversification de l’entreprise» et des campagnes de publicité plus «ouvertes».
«Créez chaque jour votre histoire d’amour… ». Valable pour tout le monde ?
Mamma mia! Vraisemblablement, Guido Barilla, l’arrière-petit-fils du fondateur de la marque, n’avait pas imaginé le vent d’indignation qu’il allait provoquer suite à une émission de radio italienne diffusée le 25 septembre dernier.
A la question « Pourquoi ne voit-on pas de couples homosexuels dans les publicités Barilla? », le président de la marque a répondu (de manière complètement opposée aux valeurs d’amour que véhiculent les publicités Barilla – « Créez chaque jour votre histoire d’amour ») : « La marque ne ferait jamais de publicité avec une famille d’homosexuels. »
En ajoutant : « Nous aimons la famille traditionnelle où la femme joue un rôle fondamental. (…) Si les homos aiment nos pâtes et notre communication, ils peuvent les manger, sinon ils peuvent manger d’autres pâtes. On ne peut pas toujours plaire à tout le monde ».
Un jugement qui s’avère être une grosse erreur communicationnelle.
Les consommateurs ont une (al-)dent(e) contre Barilla
Ces propos ont fait l’effet d’une bombe, premièrement sur les réseaux sociaux, l’arme immédiate et suprême des consommateurs. Sur les comptes Facebook et Twitter de la marque, on a immédiatement vu apparaître de multiples « va fan culo, Barilla » et d’autres expressions de fort mécontentement. Avec le hashtag #boycottbarilla, de nombreux consommateurs ont appelé au boycott de la marque, involontairement suscité par M. Barilla lui-même.
Evidemment, les réponses humoristiques ne se sont pas faites attendre. Certains internautes créatifs ont parodié les publicités Barilla pour les utiliser à leurs fins. En France notamment, avec les opposants au mouvement de « La Manif Pour Tous ».

Twitter boycotte Barilla 
Dans le même esprit, Arcigay, une association italienne luttant pour les droits des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), a lancé une contre-campagne intitulée « Nous sommes tous faits de la même pâte », qui accuse Barilla d’« arriération culturelle » en donnant l’image « d’une Italie qui n’existe plus ». Ils font ainsi référence à l’image patriarcale de la mamma italienne, centrale dans les publicités Barilla, qui sert le reste de la famille à table.
Plus intéressant encore, les concurrents ont immédiatement sauté sur cette opportunité communicationnelle. Ainsi, Buitoni a fait savoir : « Chez nous, il y a de la place pour tout le monde », montrant le piège que Barilla s’est tendue à elle-même.
 Barilla met la main à la pâte
Qu’a donc fait Barilla suite à l’énorme lapsus de son directeur ? Malheureusement pour la marque, pas grande chose. « Je m’excuse si mes mots ont généré de la controverse, de l’incompréhension, ou s’ils ont heurté la sensibilité ».
Voilà les excuses que présente M. Barilla dans la journée sur le compte Facebook de la marque. Excuses « forcées », comme vont le titrer les médias.
Première maladresse de communication : en laissant la parole au directeur éponyme, cause de la crise, Barilla sème la confusion et se distancie de toute responsabilité. Une prise de position ferme de la marque elle-même aurait été nécessaire.
Cinq jours plus tard, Barilla ajoute sur son site internet un communiqué peu convaincant, ne présentant aucune excuse ou explication concrète, fuyant même, en évoquant d’autres sujets plus honorables, comme l’écologie.
Plus maladroit encore : la fuite de Barilla qui s’empêtre dans des explications incompréhensibles, fondées sur les stéréotypes italiens. Dans une vidéo publiée peu après, Guido Barilla déclare innocemment « avoir encore beaucoup à apprendre sur le débat vivace qui existe autour de l’évolution de la famille ». Etonnant qu’un président d’entreprise ne découvre ce débat qu’aujourd’hui…
Enfin, le 4 novembre dernier, plus d’un mois après l’irréparable, Barilla a pris des dispositions concrètes pour redéfinir la marque et ses valeurs. Après un tel lapsus, il est impossible de regagner la confiance des consommateurs seulement avec des mots conciliants. Les actes doivent suivre les paroles. Dans ce but, Barilla a annoncé la création d’un Comité pour la diversité et l’intégration qui fera intervenir des experts afin d’aider la marque à établir des buts et stratégies pour améliorer la diversité et l’égalité au sein de l’entreprise. De plus, la marque préparait une campagne de publicité plus ouverte, mais sans en préciser plus.
Un réel changement est-il possible ?
C’est cette imprécision qui intrigue. Certes, l’entreprise avance maintenant dans la bonne direction mais tout cela pourrait aussi bien n’être que superficiel. Comment alors l’entreprise aurait-elle dû réagir pour mieux gérer cette crise ? Dans tous les cas, elle aurait dès le début dû prendre ses distances, déclarer fermement que les idées de Guido Barilla ne sont en aucun cas celles de l’entreprise et s’excuser plus rapidement auprès de ses consommateurs. Peut-être aurait-il tout simplement fallu que la marque réagisse dans les médias de manière plus efficace.
Ou comme le rappelle le vice-président de l’association LGBT GLAAD[ : « L’homophobie est mauvaise pour le business, […] M. Barilla va vite comprendre que la nouvelle famille traditionnelle accepte les couples gay et lesbiens et ne soutient pas des entreprises qui promeuvent la discrimination », faisant ainsi référence à ce principe de communication élémentaire : « Mieux vaut fédérer qu’exclure ».
Teresa Spurr
Sources :
Reuters.com
Huffingtonpost.fr
Barilla.fr
Lefigaro.fr
CNN.com
Tf1.fr
Crédit photo : Photo de couverture du compte Facebook du site de rencontres homosexuelles Gayvox
 

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Société

Poutine, pas prêt d’égayer la Russie

 
« Nous faisons tout pour que les sportifs, les spectateurs, les visiteurs se sentent bien aux Jeux olympiques, quelles que soient leur nationalité, leur appartenance ethnique ou leur orientation sexuelle », tempérait Vladimir Poutine, en bon prince, le 28 octobre dernier, devant Thomas Bach, président du Comité international olympique.
Oui. Ce même Poutine, qui quelques jours auparavant, affirmait pourtant que si les « sportifs qui ont une orientation sexuelle non traditionnelle […] sortent dans la rue pour en faire la propagande, ils devront en répondre devant la loi ».
D’emblée, une question se pose : qu’entend précisément le Président de la Fédération de Russie en ajoutant les termes « faisant la propagande de relations sexuelles non traditionnelles» à la loi fédérale sur la protection des enfants contre les informations nuisibles à leur santé et à leur développement ? Évoquer la tradition et la propagande paraît excessif et lourdement connoté pour parler d’innocentes manifestations d’amour de la part d’individus de même sexe. Et après une – très courte – réflexion, il peut même sembler risible d’imaginer que deux femmes s’embrassant dans les jardins de Pavlovsk puissent chercher à mettre en œuvre une stratégie de persuasion en vue de propager une façon d’aimer nuisible à la santé, au développement des enfants, et non conforme à l’usage ancestral russe de surcroit.
Cette pointe d’ironie n’est bien évidemment là que pour mettre en avant l’ambivalence de cette loi, qui témoigne d’une certaine habileté d’un point de vue communicationnel : en accentuant le flou autour des termes choisis, Poutine permet à ce texte ambigu d’être interprété de manière très large, de sorte qu’il puisse s’appliquer à quantités de cas de figure, pouvant aller des cours d’éducation sexuelle donnés aux jeunes, en passant par le simple baiser remarqué au détour d’une ruelle et jusqu’à l’organisation de mouvements tels que les gay prides.
Quoi de plus efficace que de faire une analogie entre une prise de position résolument discriminatoire et un risque pour l’avenir de la nation – la jeunesse ? Que dire de l’évocation d’un moyen de persuasion tel que la propagande dans un pays qui, il n’y a même pas un siècle en arrière, en subissait tous les méfaits sous la dictature stalinienne ?
La stratégie employée par le Président de la Fédération russe, qui mise manifestement sur le danger que peut représenter l’homosexualité, s’avère ainsi presque rhétorique ; rappelons qu’en-dehors des termes « relations sexuelles non traditionnelles », jamais le mot « homosexualité » n’est cité dans le texte. Pascal le premier disait qu’« il y a une éloquence du silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire ».
Plus frappant encore est l’enracinement de la tradition dans les mœurs russes, puisque 88% de la population soutient Poutine et plus de la moitié des citoyens juge nécessaire de pénaliser l’homosexualité, d’après un sondage de l’institut Vtsiom. En somme, 12% de sympathisants à la cause LGBT en Russie, 12 petits pourcents de personnes désormais privées de parole, comme l’affirment ces couples de lesbiennes photographiées par Anastasia Ivanova.

Kate et Nina : « En public, nous essayons de ne pas cacher nos sentiments, et nous sommes déterminées à nous tenir la main et nous embrasser librement. Mais la situation des droits des homosexuels en Russie est mal partie. La façon dont nous vivons fait de nous des hors-la-loi. »,
From Russia with Love, série photo d’Anastasia Ivanova.
Une voix leur est heureusement offerte à l’international, où les réactions vont quasi-unanimement à l’encontre de cette décision, non seulement en raison de la violation de la liberté d’expression que cette législation induit, mais aussi en vertu de l’incitation à l’intolérance qui découle de la lecture des amendements. Ainsi, Amnesty International qualifie cette loi de « clairement discriminatoire » ; Human Rights Watch y voit « une violation flagrante de l’obligation juridique internationale de la Russie de garantir la non-discrimination et le respect de la liberté d’expression » ; le gouvernement canadien ne mâche pas ses mots en déclarant que cette loi est « mesquine et odieuse » ; Obama, pour sa part, est catégorique, il n’a « aucune patience pour les pays qui tentent de traiter les homosexuels ou les lesbiennes ou les personnes transgenres de façon à les intimider ou à les mettre en danger ».
 L’organisation des Jeux Olympiques de Sotchi 2014 est donc questionnée, puisque la Russie, pour accueillir cet évènement, se doit de respecter la Charte olympique, qui veut que « toute forme de discrimination à l’égard […] d’une personne fondée sur des considérations de race, de religion, de politique, de sexe ou autre est incompatible avec l’appartenance au mouvement olympique », d’où la subite tempérance de Poutine évoquée en début d’article. Face à cela, les campagnes solidaires abondent, à l’instar de la Human Rights Campaign, qui met en avant des célébrités gay-friendly arborant un t-shirt clamant fièrement et en russe : « L’amour peut vaincre la haine ».
Jamie Lee Curtis, Ricky Martin et Wentworth Miller, pour la Human Rights Campaign, sur Instagram.
 
Également remarquable, cette campagne de la Fondation Émergence va même jusqu’à créer sa propre promotion des Jeux de Sotchi 2014. Vous avez dit provoc’ ? Peut-être, mais dans ce cas-ci et tout comme Brecht, on pense que « la provocation est une façon de remettre la réalité sur ses pieds ».
Campagne Sotchi 2014 de la Fondation Émergence
David Da Costa
Sources:
Lemonde.fr
Huffingtonpost.fr
Fondationemergence.org
Crédits photos : From Russia with Love, photographies d’Anastasia Ivanova.

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