Affiche et initiative du mouvement Occupy Wall Street
Com & Société

Révolte 2.0

“The Whole World is Watching”
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’année qui vient de se terminer fut mouvementée. Nous n’avions jamais vu autant de gens indignés dans la rue mais aussi sur nos écrans. Ils nous ont obligés à les regarder et à les écouter, faisant du web un allié précieux. Cet acharnement a payé puisqu’ils sont devenus le symbole de cette année 2011 à en croire le Times Magazine qui a décerné aux manifestants le titre tant convoité de « personnalité de l’année ».
Si ces manifestants ne forment pas un ensemble homogène, il semblerait qu’ils se rejoignent dans l’usage qu’ils ont fait du Web et des nouveaux médias. Il ne paraît en effet pas pertinent de les mettre tous dans le même sac. Comparer la situation de Whael Ghonim, un des chefs de file de la révolution égyptienne et celle d’un manifestant à Wall Street serait assez vain tant leurs revendications sont différentes, tout comme les risques auxquels ils se sont exposés. On peut cependant remarquer la place qu’a prise Internet dans les révolutions, s’érigeant en instrument d’émancipation et en faiseur de démocratie. Même s’il nous faut éviter de sombrer dans une utopie digitale, il est important de rendre à César ce qui est à César en admettant que le Web a joué un rôle central. Facebook, Twitter, Youtube, n’ont pas remplacé le face à face et l’interaction mais ont permis aux manifestants de communiquer ensemble et avec nous, « d’occuper » l’espace médiatique.
En Tunisie et en Egypte, les réseaux sociaux et Internet se sont d’abord dessinés comme un espace de liberté que les médias traditionnels n’offraient plus depuis longtemps. Ces nouvelles plateformes ont donc rapidement été vues comme des menaces, échappant aux modes de régulation habituels. Tout au long de l’année, elles ont porté les indignés, les aidant à gagner en visibilité, et en organisation au grand désarroi des gouvernements. On se rappelle qu’en août, David Cameron, à court de solutions pour mettre un terme aux émeutes et aux pillages qui secouaient la Grande Bretagne, proposa une idée brillante, celle de « fermer » les réseaux sociaux. Peut-être s’imaginait-il qu’il suffisait d’appuyer sur un bouton ou de couper le courant.
On a pu observer le sentiment que pour les manifestants, les médias traditionnels n’avaient pas leur place dans cette nouvelle dynamique qu’ils essayaient d’instaurer. Avec un certain talent, ils ont pris en main leur communication. Le mouvement Occupy Wall Street par exemple n’a rien voulu laisser au hasard dans la gestion de son image et a massivement investi la sphère internet. Leur site occupywallstreet.org avait en une semaine plus de 4.7 millions de visiteurs. Leur compte Twitter et Facebook ont connu le même succès. Des outils qui leur ont servi de canaux officiels d’information mais aussi à être réactif afin de ne pas laisser n’importe qui parler du mouvement à leur place. Ainsi, quand Jay Z lance une ligne de T shirt Occupy All Streets, l’idée ne plaît pas au groupe qui accuse aussitôt le rappeur de surfer sur le mouvement afin de renflouer son compte en banque.
Les vidéos prises pendant des moments clés et relayées ensuite sur Youtube par les manifestants ont aussi été de précieux témoignages et ont permis de sensibiliser l’opinion publique. On se rappelle de la vidéo postée par le jeune Khaled Saïd où l’on peut voir la police égyptienne en plein délit de corruption. Ces images ont mis le feu aux poudres et Khaled Saïd est vite devenu un martyr et un symbole de la révolution égyptienne. On se souvient aussi de la vidéo du Brooklyn Bridge, où on peut voir la police new-yorkaise perdre son sang froid devant des milliers de manifestants qui scandent en cœur «  the whole word is watching ». Un slogan déjà entonné par les manifestants anti Vietnam à Chicago en 68, qui promettaient ainsi que tout serait filmé, tout serait raconté.
L’utilisation systématique du Web et des réseaux sociaux a conduit beaucoup de gens à qualifier ces soulèvements populaires aussi divers soient ils de révolutions numériques ou de révolutions facebook. Une idée à nuancer car la vague d’indignation n’a pas seulement été virtuelle mais s’est bel et bien jouée dans la rue, avec des issues souvent fatales dans les pays de la révolution du jasmin. De plus, on peut voir dans cette critique une façon d’accuser les manifestants d’avoir privilégié la forme plutôt que le fond. On a beaucoup reproché aux manifestants du mouvement Occupy par exemple de ne pas avoir joué le jeu de la politique en refusant systématiquement de désigner un représentant, et de se définir selon une idéologie précise (non il ne faut pas forcément être communiste pour planter sa tente au Zuccotti Park). On est donc venu à la conclusion qu’ils n’avaient pas de projet précis et que leurs revendications étaient trop floues. On peut cependant admettre que s’ils ne sont pas toujours parvenus à émettre un projet concret, les manifestants ont été assez clairs concernant ce qu’ils ne voulaient plus subir.
L’année 2011 ne nous a bien sûr pas appris l’existence des réseaux sociaux et du Web participatif, mais c’est probablement sous un aspect plus politique que nous les avons redécouverts et avec un impact que naïvement nous ne soupçonnions peut-être pas. Il nous reste donc à voir ce que cette nouvelle année nous propose et on se retrouve l’année prochaine pour faire le bilan.
 
Pauline Legrand

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