Stylist
Société

Portrait d’une femme Stylist ?

 
Lancé au printemps dernier, l’hebdomadaire gratuit Stylist a déjà dû tomber entre vos mains. J’ai exploré ce petit nouveau, et je n’ai pas été déçue.
Pas si nouveau
En effet Stylist vient d’Angleterre, et a été crée par le groupe Short List Media en 2009. Fort de son succès outre manche, le groupe britannique s’est associé au groupe Marie Claire français pour distribuer à travers l’hexagone ce premier magazine féminin gratuit à destination des femmes de 25 à 49 ans. Le magazine tiré à 400 000 exemplaires est distribué tous les jeudis dans dix villes françaises. Il ne risquait pas de passer inaperçu lors de son lancement !
Stylist est un « magazine intelligent destiné au femmes actives et CSP + » déclare Jean-Paul Lubot, directeur général délégué du Groupe Marie Claire. Souhaiteraient-ils donc grappiller le lectorat si fidèle des autres féminins ? Les vilains…
Le gratuit débarque sur un marché où la concurrence se fatigue : Envy c’est fini, BE est passé en mensuel, Grazia mène une bataille des prix qui a obligé le géant Lagardère à réduire le prix de ELLE à deux euros. Dans ces conditions, c’est quand même plus facile.
20 millions d’euros de budget, cela fait peur. Ils prennent de vrais risques et on ne va pas les pointer du doigt pour ça, bien au contraire. Pour ce qui est de leur définition de la femme active, c’est autre chose…
Une belle remise en forme
Quand j’ai ouvert le numéro 25 du 14 novembre 2013 en son milieu, je suis directement tombé sur les pages Mode :

Ma première réaction a été de penser que c’était une campagne pour dénoncer les retouches photos excessives qui tombent presque dans le caricatural et dont on parle si souvent. Je tourne donc les pages pour savoir de quoi il s’agit, et là, à ma grande surprise :
« REMISE EN FORME, la femme active court partout, et c’est en alliant pragmatisme et élégance qu’elle met le monde à ses pieds »
 Je me suis donc bien plantée. Je ne sais pas si elle peut encore courir avec des jambes pareilles ! Pour ce qui est de l’élégance je ne savais pas que l’aspect malingre, presque malade, était chic. On a tous bien compris le jeu de mots et la réalisation originale qui va de pair, mais pourquoi la rendre si mince ? Sa poitrine s’est faite la malle, toute sa chair aussi apparemment et on nous l’expose comme un modèle à suivre, le modèle de la femme « active » qui fait du sport, qui « met le monde à ses pieds » – mais qui manifestement ne mange pas.
Un peu de rêve n’a jamais tué personne
Les magazines féminins ont toujours été là pour nous faire rêver, nous montrer la femme que l’on a envie d’être, celle à qui on a envie de ressembler. Qui a envie de voir dans les magazines féminins Madame tout le monde en maillot de bain ? Pas moi en tout cas.
Ces magazines ont toujours véhiculé une certaine image de la femme moderne. Une image qui s’est transformée à travers le temps, en allant de la femme au foyer à l’entrepreneuse, et en passant par la militante. La femme active moderne est donc, selon le magazine gratuit, avachie sur un tabouret, le squelette apparent ou assise sur un gros ballon. Et elle attend. Cette femme là ne nous fait pas rêver. Le magazine Stylist nous livre ici une banalisation de la minceur plus que choquante et l’expose comme norme de beauté unique. Le NO ANOREXIA choc d’Oliveiro Toscani est bien loin derrière lui.
Stylist nous propose une alternative au modèle de la femme forte selon ELLE, qui peut être un tantinet agaçant – parce que trop forte. Ce nouveau magazine féminin a au moins le mérite d’innover, de nous montrer autre chose. Cependant Stylist présente un modèle à l’autre extrême de celui proposé par ELLE, peut-être serait-il bon de trouver un juste milieu !
 
Sibylle Pichot de la Marandais
Sources :
Stylist.co.uk
« Stylist, le pari féminin gratuit » : Le Monde – 17/04/2013
« Stylist, le féminin qui descend dans la rue » : L’express Styles – 19/04/2013
Crédits photos :
Image de Une : Stylist N°10 du 23 Juin 2013
Tumblr du photographe Jean Pacôme Dedieu

Société

Vous avez-dit sexisme ?

Le 25 avril prochain, le jugement sera rendu pour le rappeur Orelsan traduit en justice pour une énième affaire « d’incitation à la haine » et « injures ». La plainte déposée par plusieurs associations féministes, dont Les Chiennes de Garde, devant le tribunal correctionnel de Paris, n’a pour le moment abouti qu’à une relaxe, mais l’affaire n’est pas encore enterrée. On se souvient de la polémique suscitée en 2011 par le titre rendu tristement célèbre par ces débats « Sale Pute ». Le combat des féministes perdure mais pour le public cela reste une discorde nauséeuse. Aurélien Cotentin, alias Orelsan, faisait à l’époque couler l’encre de nombreux titres. La chanson, purement fictionnelle, lui aura tout de même couté cher : interdit de séjour dans de nombreuses salles de concerts, évincé de divers festivals et interdiction d’interpréter ce morceau jusqu’à nouvel ordre. La polémique lui aura certes, offert une certaine notoriété mais le chanteur est tout de même pris pour cible et devient le bouc émissaire d’une lutte qui ne semble finalement pas le concerner.
Aujourd’hui ce sont huit de ses chansons qui sont concernées par la plainte du collectif féministe contre le viol, la Fédération Nationale Solidarité Femmes, l’association Femmes solidaires, les Chiennes de garde et le Mouvement français pour le planning familial. Une attaque de front pour mieux faire tomber le rappeur. Réduire huit petites phrases de textes fictionnels, dont la part de sens critique ou de second degré n’est pas à exclure, semble donc un peu facile et triste aussi ; l’ensemble du travail d’un auteur ne se résume pas à 3% de ses chansons sorties de leur contexte. Une polémique inutile qui pointe pourtant des questions plus profondes et plus encrées dans l’inconscient collectif franco-français. Bouc émissaire d’une réalité pourtant plus complexe. La lutte, si légitime soit elle, des Chiennes de garde, semble pourtant parfois prendre pour cible les mauvais protagonistes, à l’image de ce rappeur dont les textes fictionnels sont clairement à mettre à distance (et c’est précisément ce que fait le public, pas si bête). La question des cibles semble primordiale dans la lutte féministe. On ne peut pas parler à tout bout de champ de sexisme lorsque le second degré ou la fiction est de mise. En revanche, le sexisme ordinaire, lui, perdure. Il continue presque paisiblement son bout de chemin. Sexisme ordinaire vs combat « moral », à l’image de l’expérience de Damien Saez : les affiches de l’album « J’accuse », en 2010, placardées dans les souterrains du métro parisien avaient été rapidement retirées (l’affiche, dite « sexiste », présentait une jeune femme nue, aux talons hauts, posant langoureusement dans un chariot de supermarché, voir photo ci-dessus). Il a une nouvelle fois été censuré par la RATP Medias Transports jugeant les derniers élans artistiques de la pochette de l’album Miami trop scandaleux (voir l’image ci-dessus).  Mais si les tentatives de prises de position de certains artistes restent incomprises, les véritables clichés sexistes, diffusés plus ou moins subtilement, s’inscrivent durablement dans le paysage médiatique.
Combien d’affiches présentes dans ces mêmes souterrains dévoilent sous notre nez les corps dénudés, des femmes aux postures « suggestives », des ménagères soumises ?
Question bête. On retrouve aujourd’hui une forme de sexisme faussement masqué partout, et sans complexe dans les jeux vidéos, voir l’article de Virginie Béjot à ce sujet.
Nos affiches, nos couloirs de  métro, nos publicités, nos jeux vidéos etc. C’est dans une sorte d’enlisement général dans un ensemble de clichés héréditaires que nous stagnons. À l’heure du mariage pour tous, il serait de bon ton de faire reculer quelque peu le sexisme invisible qui nous impose encore des plafonds de verre et autres comportements moyenâgeux. Mais si les français sont de plus en plus sensibilisés aux questions du sexisme, il s’avère que seulement 12% repèrent les stéréotypes sexistes dans une publicité, un sondage réalisé à l’occasion d’une étude menée par l’institut de sondage Mediaprism qui révèle clairement le problème des enjeux actuels de la lutte féministe. En ce qui concerne les campagnes de communication justement, on ne peut plus s’attaquer aux faux problèmes. Lorsqu’un artiste comme Damien Saez pointe clairement le problème avec un angle critique, on devrait se réjouir plutôt que de se désintéresser des réalités faussement masquées, qui continuent de propager un sexisme invisible.
Margot Franquet
Sources :
Capucine Cousin, « Le sexisme invisible », Stratégies n° 1714 7/03/2013
Clémentine Mazoyer, 14/03/2013, http://lci.tf1.fr/culture/musique/la-pochette-de-l-album-de-damien-saez-refusee-par-des-annonceurs-7880729.html
Alice Moreno, 21/03/2013, http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/la-justice-juge-le-sexiste-orelsan_1233740.html#article_comments