Environnement, Société

« Dis-moi ce que tu portes, je te dirai qui tu es »

Luxe n. m. : vient du latin luxus et se définit comme étant un « plaisir relativement coûteux qu’on s’offre sans vraie nécessité », c’est-à-dire « ce que l’on se permet d’une manière exceptionnelle pour se faire plaisir ». Comme le montre cette définition du Larousse, le luxe est donc exceptionnel : à la fois rare et cher, souvent inaccessible et réservé à une élite. Vaste programme. Dix ans après la crise des subprimes dont on garde encore des séquelles, et dans un monde où le bio se substitue au consumérisme, le marché de la location de luxe bat son plein. Rent the Runway, Panoply, Instant Luxe… tout autant de sites qui nous mettent le luxe à portée de main.

Agora, Com & Société

Nike, la marque à plusieurs casquettes, à l’aise dans ses baskets.

Quel est le point commun entre Lewis Hamilton, Dassault, la reine d’Angleterre, Nike et Shakira ? Tous ont fait preuve d’une inventivité spectaculaire (ou ont payé quelqu’un pour le faire) dans un même but : payer moins de taxes.
C’est ce scandale que vous entendez depuis des semaines à la radio, à la télévision, que vous lisez dans le journal, qui fait inlassablement écrire les journalistes, et qui pourtant ne change absolument pas les mentalités de la population. Ces sociétés, qui extirpent des millions, voir des milliards d’euros grâce à un système appelé prudemment « évasion fiscale » par les autorités, n’ont en effet absolument rien à craindre pour leur image.
 
Drible, feinte et contrôle du ballon
Il y a quelques semaines, vous ne saviez pas que Nike n’était pas seulement doué pour fabriquer des baskets. En effet, la marque à plusieurs casquettes excelle aussi dans l’art de la tromperie légale. Pour faire simple, les fonds récoltés par la vente des produits Nike n’arrivent pas directement à Nike S.A.S, mais à deux sociétés. Pour les ventes qui passent par des revendeurs, la transaction se fait à la Nike European Operation Netherlands BV (NEON), et pour les ventes faites directement par la société à Nike Retail BV qui est une filiale. Puisque tous les revenus des ventes européennes arrivent aux Pays-Bas, la marque ne paye pas de taxes. De plus, dans le but de diminuer les profits faits par la société NEON, Nike se fait payer des royalties pour l’utilisation du logo, du nom, etc. Moins de profit = moins de taxes. Et en plus, ces royalties arrivent tout de même dans les caisses de Nike.
Et cela fait 10 ans que cela dure.
 

 
Tour de passe-passe en demi volée
Pourquoi un tel scandale ne rebute pas les gens ? Pourquoi acceptent-ils toujours de payer 100€ une paire de chaussures qui a couté tout au plus 25€ de fabrication ? Ok, il y a le prix psychologique, qui est le coût qu’un client est prêt à débourser pour un produit, ok, un prix élevé permet de donner de la valeur au produit, mais là, Nike va encore plus loin.
Dans les années 2000 la marque a réussi à relever la tête après les nombreux scandales l’accusant d’employer des enfants dans des conditions déplorables pour la fabrication de leurs produits. Même s’ils ont géré leur communication de crise, Nike y a laissé des plumes quant à leur image de marque. Sauf qu’aujourd’hui, on apprend qu’elle a carrément réussi à ne pas payer de taxes en Europe par des mécanismes aussi subtiles que perfides. Apparemment cela ne gêne personne. Les parents offriront quand même une paire de Jordan à leurs enfants à Noël. « C’est tout le paradoxe de cette affaire : le nom de la marque revient en boucle mais son image, elle, va rester intacte », nous dit Jean Michel Boissière à la tête de l’agence MC2 (Médias Coaching Communication) dans son du blog L’Entreprise et les médias de l’Express.
 
Quand la virgule marque des points
Alors forcément, Nike n’engage même pas de communication de crise. Il faut dire que sa marque a une telle image ancrée dans l’imaginaire des consommateurs qu’il en faudrait plus pour l’ébranler. Nike, c’est bien plus qu’une marque, c’est un état d’esprit, un manifeste à la vie, au dépassement de soi et à l’audace. Pas étonnant qu’avec des mots d’une telle portée les consommateurs achètent ses produits les yeux fermés. La marque ne se montre plus comme un simple modèle économique dans le seul but de faire du profit, mais comme un repère de valeurs et d’humanisme. Elle touche la population qui porte ce qui lui ressemble. Paradoxe, car on assiste de ce fait à un modèle complètement tourné vers l’individualisme, vers l’égoïsme d’un consommateur rationnel ne cherchant qu’à satisfaire ses propres besoins et intérêts. Qu’importe alors ce qui ne les regarde que de loin. Qu’importe si l’Etat ne touche pas les taxes qui lui sont dues, si une société qui fait déjà des dizaines de milliards de dollars de chiffre d’affaire cherche toujours à gagner plus. Qu’importe si la société triche, du moment que l’égaux si précieux du consommateur est satisfait, si la marque lui donne ce dont il a besoin : de la reconnaissance par l’acte de consommation.
C’est radical, il faut faire face au mécanisme de désintéressement de la population pour des affaires qui ne les touchent pas directement et pour une problématique qui semble au premier abord complexe et bourrée de subtilités. Cela semble rebuter un public qui ne sait même pas s’il doit vraiment s’indigner pour un tour de passe-passe qui n’a au final rien d’illégal. Pas de quoi s’émouvoir comme devant une photo d’enfant débraillé assis par terre et cousant un ballon au swot doré.
Pas de bad-buzz donc, pas de crise et de prise de conscience. D’ailleurs, la nouvelle Air Max 2017 vient de sortir, de quoi (se) faire un joli cadeau de Noël.
 
Elsa Soletchnik
LinkedIn : Elsa Soletchnik
 
Sources :

BARUCH Jérémie. « Paradise Papers » : les montages fiscaux agressifs de Nike pour éviter l’impôt en Europe. Le Monde. 06/11/17. Consulté le 22/11/17.
LUCET Elise. « Paradise Papers » : au cœur d’un scandale mondial, Cash Investigation. 07/11/17. Consulté le 22/11/17.
Annabelle. Etique. Comment Nike a été forcé de changer ses pratiques. Consoglobe.com. 11/01/2013. Consulté le 26/11/17.
THUILLIER Tiphaine. Paradise Papers : pourquoi Nike n’a rien à craindre pour son image. L’Express. 07/11/17. Consulté le 20/11/17.
Jean-Michel BOISSIERE. « Paradise Papers » : des entreprises à l’abri du fisc… et du bad buzz. L’Entreprise et les médias, l’Express. 07/11/17. Consulté le 20/11/17.

 
Crédits photos :

Image de couverture : itep.org
Magasin nike : www.nbcnews.com

je suis charlie fastncurious
Agora, Com & Société

Dites moi pas que c'est pas vrai !

Le 7 janvier 2015. Une date qui fait froid dans le dos et échauffe les esprits. Ce n’est pas seulement la presse qui a été « punie » d’avoir blasphémé le prophète, c’est aussi et surtout les valeurs qu’elle représente et véhicule. Par conséquent, le #JeSuisCharlie résonne comme une prise de parole à la fois individuelle et collective qui revendique la liberté de l’expression sous toutes ses formes. Le slogan est entré en peu de temps dans la mémoire collective. A tel point que les marques l’ont récupéré.
Vous n’allez pas oser ?
Et si ! Elles l’ont fait ! Comment ont-elles pu ? Pourquoi les marques ont-elles arboré fièrement le slogan JeSuisCharlie pour en faire un logo ?
Le slogan #JeSuisCharlie reprend les codes publicitaires les plus basiques : une formule brève, percutante, qui concerne tout un chacun et implique toutes les mentalités. Une formule qui devient virale, se propage jusqu’à toucher tous les continents. Pourquoi se priver de l’opportunité de se donner bonne image, bonne conscience tout en saisissant une bonne occasion de s’en mettre plein les poches ? Les marques ont bien saisi la perspective pécuniaire qui leur était ouverte par les événements d’une actualité sanglante et émotionnelle. Avouez que vous aussi vous avez été stupéfait, choqué, interloqué, bref complètement atterré quand vous avez vu cette image :

 La marque a voulu montrer visuellement sa solidarité vis-à-vis des victimes et de leurs familles. Il s’agissait de faire sa bonne action tout en construisant une image de marque compatissante, solidaire et surtout engagée qui milite pour les droits et les libertés des citoyens du monde. Rien de tel pour attirer de la clientèle en masse !
De même, « jesuischarlie.net », boutique en ligne de goodies griffés JeSuisCharlie, a eu la vie courte. En effet, quelques heures seulement après sa création, le site a dû fermer face à l’indignation générale. Le concepteur et gérant du site a dû présenter ses excuses. L’homme affirme avoir voulu « aider le journal » financièrement.

Autre exemple : les sites de vente en ligne comme ebay ou encore leboncoin, mettent en place une stratégie de vente aux enchères des numéros de Charlie Hebdo. Certains exemplaires atteignent les 75 000 euros !

Indignation, excuses bidons et condamnation.
On l’a déjà vu dans les articles de Pauline Flamant et Marie Mougin, les réactions qui font suite aux attentats ont un caractère mondial qui s’exprime notamment via les rassemblements de masse et les réseaux sociaux. Or, suite à la récupération commerciale et marchande du « logo » JeSuisCharlie, pléthore de commentaires indignés ont inondé les réseaux pour exprimer leur mécontentement. Joachim Roncin, le directeur artistique de « The Stylist » qui a créé le logo déplore l’utilisation commerciale que l’on a pu faire de JeSuisCharlie.
La marque Les 3 Suisses a même été parodiée de manière à en montrer l’abjection, l’opportunisme et l’indécence voire l’immoralisme face aux événements.

Le Petit Journal a lui aussi dénoncé en vidéo cette récupération commerciale jugée inacceptable.

De tels commentaires et parodies sont plus que déplorables pour la marque dont l’e-réputation a été entachée au plus haut point. En effet, une opinion favorable est vitale pour une marque qui ambitionne ici de devenir un géant de la vente en ligne. Sans cela, la marque bât de l’aile et adieu les clients, les ventes et les recettes, on ferme la boutique ! Par conséquent, Les 3 Suisses ont essayé de prendre en compte les critiques pour ne pas négliger l’impact irrémédiable que celles-ci pouvaient avoir sur l’image de marque. Une communication de crise était essentielle pour calmer la foule. Et voici ce qu’a répondu la marque sur son compte Twitter et Facebook :
La marque a choisi de s’excuser platement en en disant le moins possible tout en donnant des justifications quelque peu vaseuses. Mais ces justifications sont-elles de bon aloi ?
Vous avez dit « newsjacking » ?
Le « newsjacking », ou marketing en temps réel, est cette tendance à surfer sur l’actualité pour la tourner à son avantage. C’est savoir et pouvoir s’approprier l’actualité pour soi afin de servir ses intérêts et créer le buzz. Aujourd’hui les marques savent très bien saisir l’air du temps et s’en jouer. Le cas des 3 Suisses est intéressant car il illustre bien de façon aussi bien positive que négative cette tendance. La marque avait su profiter de la bévue publicitaire de La Redoute en 2012 qui avait laissé échapper un arrière-plan quelque peu imprévu sur l’une de ses publicités. La marque Les 3 Suisses avait tiré profit de la situation en jouant la carte de l’humour.

 
Mais toute l’actualité n’est pas forcément bonne à utiliser dans une stratégie de communication. Et les attentats terroristes ne peuvent définitivement pas servir impunément la notoriété d’une marque. Comment le pourraient-ils quand on sait que JeSuisCharlie porte une identité qui n’a absolument rien à voir avec celle de la marque de vêtements ? L’identité de JeSuisCharlie est symbolique, elle représente une collectivité. Même si le cas est éminemment français, c’est la communauté la plus grande qui soit, celle des citoyens du monde, qui s’est sentie agressée par les terroristes islamistes. Or, en voulant fusionner son identité de marque à celle de JeSuisCharlie, la marque des 3 Suisses s’est mis à dos cette communauté créant ainsi un véritable bad buzz. Si #JeSuisCharlie peut se comprendre comme une image de marque devenue stéréotype à laquelle adhère un collectif, elle ne peut tout bonnement pas entrer dans une logique marchande. Déjà parce-que c’est contraindre une forme d’énonciation collective à faire l’objet d’un processus marchand. C’est donc entrer en collision avec le corps social. Ensuite, c’est profiter d’une situation scandaleuse et dramatique pour la tourner à son avantage, se réapproprier ce qui est vécu collectivement pour son propre bénéfice individuel, égoïste et égocentrique. Que les choses soient claires, mettre ça sur le compte de la charité financière ou de l’expression d’une forme de solidarité n’est définitivement pas une excuse valable.
Le mieux aurait été d’afficher le logo JeSuisCharlie, façon discrète de communier aux évènements à son échelle. L’heure n’était pas à la recherche à tout prix d’une forme d’originalité dans la douleur qui se traduirait par une mise en avant singulière de soi, mais à la discrétion, ce que Pierre Zaoui appelle « l’art de disparaître ». La discrétion ou la possibilité de faire l’expérience la plus authentique et donc la plus réelle du monde. L’occasion de participer anonymement aux évènements qui ont atteint et ébranlé la sphère publique.
Jeanne Canus-Lacoste
Sources :
leblogducommunicant2-0.com
konbini.com
latribune.fr
tempsreel.nouvelobs.fr
lesechos.fr
Crédits photo :
leparisien.fr
europe1.fr
Capture d’écran du site en ligne «jesuischarlie.net», finalement supprimé le 8 janvier 2015
Capture d’écran d’une vente aux enchères du dernier exemplaire de Charlie Hebdo sur eBay
lilavert.com
leblogducommunicant2-0.com
leplus.nouvelobs.com
les-perles-du-net.fr
ladepeche.fr

Com & Société

The Chinese dream

Une campagne de lutte anti-corruption
La campagne de lutte anti-corruption bat son plein en Chine. En excluant la semaine dernière Liu Tienan, l’un des principaux conseillers économiques du parti, le président de la Chine populaire Xio Jiping affirme à nouveau sa volonté de mettre fin aux « énormes pots-de-vin » que reçoit la bureaucratie afin de prôner une vie plus saine, étrangère à toutes les décadences passées. Grâce aux révélations de sa maîtresse, les médias officiels avaient en effet publiés les trésors de cet homme qui possédait près de 25 diamants, 4,5 kg d’or et d’autres nombreux cadeaux. Cette lutte anti-corruption fut lancée par Xio Jiping à son arrivée au pouvoir, lorsqu’il a déclaré qu’il serait intransigeant sur le fait qu’il fallait désormais « frapper les petites mouches comme les grands tigres en matière de corruption ».
Mais loin de ne s’en prendre qu’à la bureaucratie, le président s’attaque également aux marques de luxe. Frappées de plein fouet par cette stigmatisation, celles-ci ont vu à l’approche des fêtes de Noël leurs chiffres d’affaires dégringoler à cause de cette nouvelle adéquation entre le luxe et la décadence réprimée par le pouvoir en place.
Une nouvelle stratégie de marque
La campagne anti-gaspillage incite ainsi les marques de luxe à envisager et à adopter une nouvelle stratégie de communication. Après le fameux « American Dream », voici « The Chinese Dream ». Ce rêve est synonyme de réussite, d’accomplissement, de gloire surtout, et tout cela par la simple force du poignet. Afin de véhiculer une image positive de leurs produits, les marques innovent en présentant dans leurs publicités non plus des égéries mais des « self made men ». Il est loin le temps des campagnes publicitaires clinquantes, où la célébrité du moment portait le dernier sac Vuitton. Désormais, le choix des célébrités repose principalement sur leur réussite professionnelle plus que sur un facteur luxe.
Mercedes-Benz a par exemple organisé une campagne de « Dream Makers » sur Sina Weibo, connue pour favoriser les professionnels de la création aux dépends des stars de cinéma. Cette campagne met ainsi en vedette un personnage adulé par les consommateurs, en cela qu’elle explique comment elle en est parvenu à un tel succès et qu’elle redonne espoir dans un marché économique mondial aujourd’hui en difficulté. Le dur labeur et la vision créative sont récompensés  à la place des paillettes et du glamour. On admire alors leur philosophie de vie. Pour plus de succès, Mercedes-Benz  demande même à ses utilisateurs de participer en racontant leurs rêves avec la possibilité ensuite de gagner une voiture.
Cette même stratégie a été utilisée par la marque Johnnie Walker, une célèbre marque de whisky, dans sa campagne intitulée « Game Changer » qui met en scène entre autre Ma Yonsong le fondateur de MAD architects, et le lauréat du prix du scénario de Cannes et réalisateur Jia Zhangke. Ces publicités sont innovantes puisqu’elles ne présentent plus simplement des produits mais proposent également des conseils pour bien réussir dans la vie.En plus des créatifs, ce sont également des athlètes professionnels qui sont utilisés. On peut citer le célèbre champion olympique d’escrime Lei Sheng, le couturier Guo Pei, le photographe Xiao Quan et le painiste Zhao Yinyin. La campagne « Pinnacle moment » contait ainsi le moment de couronnement de leur vie ainsi que le chemin emprunté pour y parvenir.
The Chinese Dream
Derrière l’emprunt de ces « self made men » se cache bien sur l’espoir des marques de s’éloigner de l’adéquation luxe / corruption martelée par Xio Jiping. L’effet recherché est de dissocier le luxe du délabrement moral, de la décadence et du vice pour le requalifier et l’associer à la beauté et à l’artisanat. Une image positive est alors véhiculée par leurs produits de qualité en faisant l’éloge du travail acharné et de la créativité. Ces publicités permettent alors de doter le produit d’une singularité propre : en effet, le consommateur peut plus facilement s’identifier à lui et se l’approprier. La richesse matérielle est donc sublimée par une satisfaction personnelle et par un sentiment d’accomplissement qui viennent se greffer à l’achat.
En utilisant les espoirs des consommateurs, cette nouvelle stratégie marketing érige en valeur suprême le travail. Elle polie également l’image des marques de luxe en donnant un revers positif à leur simple représentation de richesse, celle de réussite et de bonheur. On est donc bien en plein « Chinese Dream ».
Laura de Carné
 
Sources:
–       Le Figaro magazine
–       Le Monde magazine
–       L’agence marketing chine
Photo Carlos Barria, reuters

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Jacques a dit : tous mécènes !

 
Samsung, LVMH, Lagardère, Total…Tous ceux qui récemment se sont pressés au centre Pompidou pour assister à l’exposition Dali ont pu y apercevoir à l’entrée cette énumération de grands groupes, sobrement remerciés par la direction. Depuis quelques années, le mécénat d’entreprise est en plein boom. Alors quid de cette nouvelle pratique, à la fois manne financière pour les centres culturels et pain béni pour les entreprises qui cherchent à améliorer leur image ?
 
Une association tout bénef 
Le principal avantage de ce type de mécénat est qu’il profite largement aux deux parties. Les uns bénéficient d’importants financements  sans contreparties ou presque, tandis que les autres se refont une virginité éthique à grands coups de généreux dons défiscalisés à 60% depuis la loi Aillagon de 2003. Donnant-donnant donc. A demi-mot, les entreprises reconnaissent souvent que le mécénat est d’abord attrayant car il équivaut à une campagne de communication prestigieuse et relativement bon marché. Ainsi, dans une étude de L’Admical (2012), les entrepreneurs déclarent s’engager dans le mécénat culturel d’abord pour renforcer l’identité de leur entreprise et se différencier (35%), viennent ensuite la volonté de participer à l’attractivité du territoire dans lequel leurs entreprises s’inscrivent (26%), puis le goût personnel du dirigeant ou l’histoire de l’entreprise (26%).
 
Trop beau pour être honnête ?
Face à cette vision pragmatique, des voix s’élèvent parfois contre ce qui apparait comme une récupération mercantile et cynique de l’art. On crie au mélange des genres, on met en garde contre le risque de brouiller les frontières entre culture et opération marketing. Bref, on craint que le front de la Mona Lisa ne se retrouve bientôt tatoué du nom d’un des grands groupes du CAC 40. Cependant le mécénat d’entreprise reste, pour le moment, assez loin des reproches qu’on lui fait. Bizarrement, les entreprises ne communiquent pas tant que cela sur leurs actions de mécénat. Leur visibilité se limite souvent à l’association de leurs nom et logo aux supports de communication du projet soutenu. Serait-ce par peur qu’on les accuse de vouloir uniquement redorer leur blason ? De plus, à ceux qui craignent une collusion des intérêts économiques et artistiques, on rappelle que la loi interdit d’exploiter les actions de mécénat en vue de retombées commerciales, sans quoi on parle de sponsoring ou de parrainage.
Autrefois, le mécène faisait vivre l’artiste en lui commandant des tableaux. La coercition n’était-elle pas plus importante à l’époque? Désormais l’artiste a la liberté de représenter ce qu’il souhaite, et l’influence du mécène ne se manifeste guère plus que par la présence discrète d’une plaque au nom de l’entreprise  dans un coin du musée. Nuance importante : la mise en valeur ne se fait plus par l’œuvre elle-même, mais autour de ce qu’elle représente.  Le donateur ne cherche plus à bénéficier directement  de la création artistique,  mais des valeurs positives qu’elle véhicule, de l’enthousiasme qu’elle suscite, et du public qu’elle attire.
 
Marine Siguier