Politique

L’immigration à l’ère Macron, droitiser pour mieux régner

C’est avec le projet de loi sur l’immigration, présenté jeudi 11 janvier 2018, qu’Edouard Philippe met en scène le durcissement de la politique migratoire française. Bien loin de la « grande société » rêvée par Alexis de Tocqueville, la justification de ce projet de loi semble attester d’une dynamique individualisante, et au demeurant égoïste. Réponse à un besoin sécuritaire, le gouvernement court-circuite ici les prétentions d’une droite en reconstruction avec une loi de circonstance.

Politique

Schengen : succès d'une rengaine

Le 19 décembre 2016, un attentat au camion-bélier fait douze morts et plus d’une cinquantaine de blessés au marché de Noël de Berlin. Trois jours plus tard, l’auteur présumé, Anis Amri, est intercepté et abattu à Milan lors d’un banal contrôle d’identité qui dégénère. La police italienne découvre un billet de train dans ses affaires, au départ de Chambéry. À mesure que se précise son passage par la France, la polémique enfle dans la sphère politique : la droite et l’extrême-droite ciblent immédiatement un coupable — l’espace Schengen. Un tollé devenu habituel pour le programme européen de libre circulation des personnes, lancé en 1995, et objet d’une foule d’opinions radicales et opposées. Les partis conservateurs et souverainistes pointent régulièrement du doigt le danger sécuritaire qu’il représenterait, comme en 2015 lors du grand afflux de réfugiés en Europe.
Il est devenu un totem central dans les débats sécuritaires, sans cesse menacé mais présent depuis maintenant plus de vingt ans. Conformément aux vœux originaux de l’Union Européenne, l’espace Schengen est effectivement un levier de développement économique auquel tiennent les gouvernements européens, ainsi qu’un acquis, en terme de liberté de déplacement pour les Européens. Retour sur un débat qui se répète à chaque crise migratoire, et qui gagnerait à être abordé plus rationnellement par les politiques et les médias.
« Europe passoire »
« Une catastrophe sécuritaire totale ». C’est en ces mots que Marine Le Pen décrit la situation, quelques heures après la mort du terroriste de Berlin. Florian Philippot, dénonçant « l’itinéraire d’un djihadiste gâté par Schengen », s’en prend également à François Fillon, défenseur contre vents et marées de « la liberté de circulation en Europe ». Comme dans tout débat, les thèses s’affrontent et pourtant dans les médias, le combat semble à sens unique : le camp anti-Schengen occupe le terrain. Il est porté d’abord par le Front National, devenu ces dernières années une bête médiatique imbattable quant aux thèmes sécuritaires. Comme sur beaucoup d’autres sujets alliant immigration et sécurité, les défenseurs de la mesure n’ont pas (ou peu) de voix. Moins sensationnels, moins vendeurs sans doute, alors qu’à l’heure postattentats l’opinion publique demande des comptes, et que les médias lui offrent des cibles.

Un espace problématique
Les accords de Schengen comportent deux volets : la suppression des frontières intérieures communes aux États signataires, permettant la circulation libre des ressortissants, et en retour, l’affermissement des frontières extérieures de l’espace. Depuis 2008, l’agence Frontex doit assurer les contrôles par des missions régionales, mais les fonds alloués sont limités par rapport à la pression migratoire (la preuve est que l’Union Européenne rallonge le budget de l’agence chaque année). De plus, chaque pays est en charge des frontières extérieures qui sont sur son territoire, et beaucoup n’ont pas les moyens d’assumer seuls cette responsabilité. L’Europe manque de budget, de gouvernance et de solidarité.
Parallèlement, en laissant toute personne transiter en son sein, Schengen crée une demande d’asile potentiellement commune à l’ensemble des pays membres. C’est une faille aux résultantes nombreuses et problématiques, parmi lesquelles la fameuse « jungle » de Calais (des milliers de migrants venus d’Afrique et du Proche Orient, circulant dans l’espace Schengen jusqu’aux portes du Royaume-Uni), ou les campements de Roms à travers l’Europe. Le cas du terroriste de Berlin, arrivé de Tunisie sur l’île de Lampedusa en 2011, ayant pu transiter entre plusieurs pays européens après l’attentat, se prête en l’occurrence à la double-critique d’un espace prétendument poreux et donc dangereux pour ses citoyens.
Nourrir les fantasmes
Depuis des années ces épisodes ont apporté leur lot de polémiques, et progressivement situé l’espace Schengen comme une cible médiatique de choix. En 2015, lors de l’afflux de réfugiés syriens, la critique a atteint son paroxysme dans les médias. Images des frontières grecques débordées, des milliers de migrants se déversant sur les routes… : les médias se concentrent sur le caractère exceptionnel de l’afflux de migrants pour en faire un événement sensationnel. Jouant sur la peur collective de l’invasion extérieure (un fantasme historique et culturel lointain), l’information attire le grand public. Cette promotion du sensationnel et des fantasmes transpose ainsi le débat sur l’espace Schengen vers des sphères irrationnelles. Force est de constater que le courant anti-Schengen en sort gagnant médiatiquement.

Une autre information nécessaire au débat
L’itinéraire du terroriste de Berlin relance à raison le débat sur les travers sécuritaires de l’espace Schengen. Comme évoqué précédemment, l’absence de gouvernance, de solidarité entre les pays et de moyens sur le contrôle des frontières extérieures pose des problèmes de sécurité collective et mérite d’être débattu. Le fait est que le traitement médiatique a polarisé le débat sur cette seule question, et le choix d’une sortie ou d’une réforme de l’espace Schengen doit aussi se faire sur d’autres critères, plus rationnels : par exemple le coût d’une sortie n’est presque jamais évoqué par ses partisans, alors que de l’autre côté de la balance le commerce intra-européen s’est grandement développé depuis la suppression des contrôles douaniers. De même, la liberté de circulation des citoyens européens promeut un partage culturel : Schengen permet chaque année à la jeunesse européenne de communiquer via le programme Erasmus. Autant de faits éludés, car moins propices aux fantasmes et aux formules fracassantes, et pourtant nécessaires afin que chacun puisse peser le pour et contre. Car au départ comme à l’arrivée, Schengen est d’abord l’affaire des citoyens.
Hubert Boët
Sources :
– Amandine Réaux, « Pourquoi les accords Schengen sont ils remis en cause ? », blog « les décodeurs », lemonde.fr, 16/06/2016 http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/16/pourquoi-les-accords-schengen-sontils-remis-en-cause_4655302_4355770.html
– Laure Equy et Laurent Bouchet-Petersen, « En Europe, Schengen à nouveau décrié », rubrique « polémique », liberation.fr, 23/12/2016 http://www.liberation.fr/planete/2016/12/23/en-europe-schengen-a-nouveau-decrie_1537272
Crédits photos :
– Une : capture bfmtv.com
– Carte Schengen : tremaa.be
– capture du figaro (lesjuristesmasquees.wordpress.com)
 

No way
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NO WAY

 
La campagne médiatique australienne anti-immigration «No Way» explose en 13 mois son budget de 15,7 millions d’euros prévu pour 4 ans. Des fonds titanesques au service d’une communication affolante.

Une politique anti-immigration solide
Le 7 septembre 2013, les élections fédérales australiennes sont remportées par la coalition libérale-nationale de Tony Abbot. L’argument majeur de la campagne est l’anti- immigration, le slogan : «Stop the boats». Le précédent gouvernement travailliste avait déjà négocié avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée le transfert de tous les demandeurs d’asile arrivant en Australie. Ce Regional Settlement Arangement, est réglé par une aide au développement. Se débarrasser des migrants moyennant finance publique ?
Une fois élu Premier ministre, Tony Abbot lance l’opération «Sovereign Borders», qui engage l’armée dans la lutte anti-immigration. 800 militaires, 12 bateaux spéciaux, 12 avions : un budget fédéral de 2,9 milliards de dollars australiens. L’opération développe également sa propre campagne médiatique intitulée «No way» : une chaîne Youtube, une bande dessinée, des messages dissuasifs transmis régulièrement à la radio et à la télévision, l’affiche «No way» publiée dans le pays et traduit dans plus de 17 langues. Dans un contexte d’opération militaire, le surcoût de la campagne médiatique semble dérisoire, mais le climat de terreur qu’elle génère ostensiblement est inquiétant.
Une esthétique de la terreur
L’agence publicitaire TBWA/TAL, qui a conçu la campagne «No Way» revendique une approche «disruptive» de la communication. Le produit est en rupture avec les habituelles représentations de l’Australie. L’image «No Way» ne propose pas un paysage australien confronté aux migrants, mais un espace au large, pris dans l’obscurité, sans rivage. Rien qui engagerait, aux premiers abords, le sentiment patriotique du citoyen. C’est bien le rapport traditionnel du pays à son océan qui est figuré : mais à contre-courant. Voilà l’Australie sous un autre visage ; celui qu’elle réserve aux embarcations illégales qui s’approchent de son territoire. L’affiche «No Way» peut se lire à deux niveaux. Le message anti-immigration est destiné aux pays émetteurs de migrants, mais également programmé pour alimenter les craintes et la rancoeur sur le sol australien. Comment le réalisme et le symbolisme sont mis au service de l’annonce d’un danger ou d’un appel à la haine ?
Les nuages noirs de la tempête et les ténèbres de l’océan encadrent l’image. L’horizon est couvert mais s’éclaircit au loin. C’est donc l’embarcation qui prend la direction des eaux troubles et les passeurs qui conduisent les migrants à la noyade. Maîtriser la géométrie classique et utiliser l’inconscient des destinataires pour se disculper de ses responsabilités ? L’affiche «No Way» est exportée et traduite dans les pays d’où proviennent ces bateaux. Le danger de la traversée au coeur de la tempête est un argument ambigu, mais prôné encore implicitement par le double-sens possible du slogan : c’est la noyade qui rendrait impossible la traversée ?

 
Le slogan imposant, aux couleurs rouges de l’interdiction, est là pour frapper le coeur de l’image. Considérons-le d’un point de vue australien : le but de la campagne s’affirme sans pudeur et ne dissimule pas sa lecture xénophobe : «No Way, vous ne ferez pas de l’Australie votre maison.» Le sigle du pays barré complète sans ironie le sens du message. Toute la violence de l’image s’inscrit dans une thématique ancienne : l’embarcation ne va pas seulement vers le danger, elle représente le danger. Les éléments qui se déchainent sont les prémices de l’arrivée indésirée des migrants ; comme si l’Australie, fille de l’océan indien et de l’océan pacifique, générait naturellement ses défenses contre ses ennemis. Un mur de tempête pour garder les «frontières souveraines», mais aussi et surtout, une tempête qui se lève à cause des migrants. Poésie guerrière : la dimension politique et militaire de l’image s’incarnent métaphoriquement dans les flots et les nuages menaçants. La solitude du bateau n’est pas anodine : il porte seul sa responsabilité d’embarcation maudite. Cette poétique insiste sur le naturel de l’opération. L’absence de rivage dans l’image, fini ici d’assurer qu’il n’y a pas d’autre issue à cette guerre du large que l’immigration zéro. L’encart le précise : ceux qui arrivent par la mer ne feront jamais partie de la nation australienne ; ni les migrants blessés, ni les enfants.

Les migrations de l’argent
En 2013, 20 000 réfugiés arrivés par la mer ont déposé une demande d’asile en Australie. Refusant catégoriquement de donner suite aux demandes, l’Australie cherche de nouveaux pays-partenaires pour évacuer les migrants et pour désengorger les anciens camps. Pour l’instant, seul le Cambodge a accepté, motivé par les 28 millions d’euros de compensation. Les organismes humanitaires s’alarment de ce transfert de personnes dans un pays pauvre et en proie à la corruption ; l’ONU y observant même en janvier 2014 des entraves aux libertés fondamentales. Pour 2014-2015, Canberra a voté l’une des plus hautes aides étrangères du Cambodge : 686 millions de dollars. Faut-il voir une pression financière, négociant, en dépit de tout, l’avenir des réfugiés ? Cette semaine, un président français s’est rendu pour la première fois sur le sol australien. La rencontre de François Hollande et du Premier Ministre australien Tony Abbott a misé sur une importante délégation d’entreprises françaises pour « renforcer les relations économiques ». Cette entente des gouvernements peut-elle conclure avec ironie les interrogations quant aux considérations humaines dans notre société ? Tony Abbot lancera à partir de juillet 2015 des permis de résidence permanents à tout individu pouvant investir plus de 15 millions de dollars australiens dans l’économie nationale. Finalement, il semblerait qu’il y ait un chemin.

 
Bettina Pittaluga
@PittalugaB
 
Sources :
 
courrierinternational.com
Youtube.com
australianimmigrationagency.com
Abc.net.au
Un.org
 
Crédits photos :
 
francetvinfo.fr
customs.gov.au
foreignpolicy.com

Alain Finkielkraut
Politique

Alain Finkielkraut : entre identité et modernité

 
Ce serait peu de dire que L’Identité malheureuse, le nouveau livre d’Alain Finkielkraut, suscite la polémique – conduisant même un individu à entarter le philosophe lors de son discours d’adieu à Polytechnique où il fut professeur.
 Si l’on en croit les médias dont le philosophe ne cesse de déchaîner les passions,  ce récent ouvrage n’est autre qu’un ramassis de propos racistes anti-immigration… Surprenant pour un membre de la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme).
 Dès lors, peut-être faut-il dépasser les discours médiatiques enflammés pour tenter de comprendre l’une des problématiques posées par Finkielkraut dans cet ouvrage. En tant que philosophe, ce dernier propose avant tout une réflexion sur les concepts d’identité et de diversité. À l’heure où la question de l’immigration semble de plus en plus importante,  Finkielkraut s’interroge sur la possibilité d’appartenir ou non à une nation, définie par une identité nationale. Or, cette problématique peut prendre sens lorsque l’auteur pose les questions de l’évolution technique et de la consommation au chapitre intitulé « Une chose belle, précieuse, fragile et périssable ».
 Pour Alain Finkielkraut, s’est perdu le contact avec le passé et avec ce qui faisait l’identité française, aujourd’hui attaquée par la technique et la consommation. En effet, comme pour ce dernier l’identité se définit par l’héritage, et que l’héritage est ruiné par le présentisme dans lequel nous vivons du fait même de l’interconnexion et de la technicisation, alors l’identité n’est plus. Malgré la polémique qu’un tel discours peut susciter, l’ouvrage a au moins un mérite : il permet de poser la questions du lien entre identité et médiatisation, héritage et technicisation.
 Ainsi, peut-on toujours parler d’identité nationale alors que les nouveaux médias sont vecteurs d’instantanéité et d’interactivité et ruinent par là-même le passé et l’héritage communs à la nation ? Jusqu’où y a-t-il un impact des médias et de la communication sur la question aussi bien philosophique que sociétale de l’identité et de l’appartenance à un groupe ? Enfin, comment accueillir lucidement les transformations du monde actuel ?

 
Juliette Courtillé