Les Fast

En Inde, tu t’implanteras

 
Tant sur le plan économique que culturel, l’Inde n’a de cesse de s’imposer sur la scène internationale. Depuis une vingtaine d’années, en effet, elle connait un essor économique notable. Aussi attire-t-elle de plus en plus entreprises et capitaux étrangers. Le jeudi 19 décembre 2013, c’est au tour de Christie’s, la société britannique de ventes aux enchères fondée par la famille Pinault, d’investir les lieux. Cette première vente aux enchères sur le territoire indien a remporté un franc succès. A Bombay, ville qui dans laquelle réside près d’un milliardaire sur trois, les œuvres se sont arrachées notamment celles d’art moderne indien, qui est devenu une valeur refuge.

Loin d’être anecdotique, cet événement confirme une fois de plus la nécessité pour les entreprises de conquérir les marchés de ces pays émergents, qui constituent une manne économique et financière encore sous-exploitée. Grâce à son implantation récente en Chine et en Inde, Christie’s est désormais le nouveau leader mondial volant la vedette à Sotheby’s.
S’implanter dans un pays présente évidemment des avantages d’ordre économique mais aussi d’importantes retombées en termes d’image. Une entreprise de cette envergure se doit d’être associée à des pays attractifs, dynamiques, lieux clefs des derniers progrès et évolutions. Là où se créent les nouvelles richesses et où les leaders d’opinion cherchent à valoriser leurs réussites.
Miléna Sintic
Crédits photo :
AP Photo/Rafiq Maqbool

Campagne d'une actrice contre le viol des femmes
Com & Société

Souriez, vous êtes violées !

 
« It’s your fault » dure quatre minutes.
En Inde, un viol survient toutes les deux minutes.
Le calcul est superflu mais si l’on en croit les statistiques, deux femmes indiennes seront violées  au cours de ce visionnage. 

Des cris, des larmes, des manifestations en pagaille ; le viol collectif d’une étudiante de 23 ans dans un bus de New Dehli au cours de l’hiver dernier semble avoir joué un rôle de catalyseur dans la crise sécuritaire qui ébranle aujourd’hui l’ensemble de la nation. Un vent de panique souffle sur l’Inde et ni l’insistance des médias, ni les revendications de la population ne semblent en mesure d’ébranler les convictions jugées archaïques du gouvernement conservateur au pouvoir. Porte-parole d’une société encore profondément tournée vers le patriarcat, les responsables religieux et politiques du pays multiplient les déclarations sexistes et persistent à faire peser la responsabilité des crimes sexuels sur les victimes elles-mêmes. Excédé par l’incapacité de leurs dirigeants à conduire des mesures préventives, consterné par l’indifférence et la misogynie de leurs concitoyens, le collectif d’humoristes AIB (All India Backchod) fait valoir son droit de réponse dans une vidéo postée sur Youtube le 19 septembre dernier. En langue anglaise et volontairement subversive, cette satire de l’extrême entend lutter contre une forme de « surdité collective »  et s’adresse à  un public resté hermétique aux autres supports de sensibilisation.  Si l’usage de l’implicite dans l’écriture du script n’est pas novateur, le choix d’en confier la lecture à deux actrices connues du monde Bollywoodien est  on ne peut plus judicieux. Massivement partagée sur les réseaux sociaux indiens, « It’s your fault »  crée rapidement le buzz et attire l’attention des médias du monde entier.

Le sarcasme et l’ironie se mêlent au grotesque dans cette diatribe à l’humour sombre, très sombre, à la hauteur du sujet qu’elle traite.  Adeptes d’une violence toute en euphémismes, les membres d’AIB se livrent à un exercice périlleux : marier le viol à la plaisanterie. Le pari, bien qu’osé, est néanmoins relevé par ces féministes d’un nouveau genre  qui ne s’écartent jamais de leur intention communicationnelle initiale: on ne rit pas du viol, on se rit de l’absurdité des considérations qu’il suscite ;  l’alliance entre les deux antagonistes  fonctionne. Des propos du gourou Asharam invitant les victimes à fraterniser avec leur violeur aux revendications des détracteurs de l’industrie bollywoodienne, en passant par un retour sur les lois du pays, les stéréotypes prononcés par des hommes d’influence au cours des dix derniers mois sont successivement démantelés. Au fil des minutes, une logique de l’absurde s’instaure, en apparence imparable, le raisonnement sexiste joue sur l’évidence et s’appuie sur de prétendus arguments d’autorité. Les chiffres, manipulés, démontrent l’indémontrable et révèlent une culpabilisation  incohérente des victimes.
Perçu au travers du prisme de la caricature, le spectacle soumis au regard de l’internaute n’en est pas moins troublant. Attaquées face caméra, de plus en plus marquées par les coups à mesure que les secondes défilent, les actrices, qui ne se détachent  jamais de leur sourire forcé, intériorisent les propos de leurs bourreaux et  deviennent pareilles à des automates.
Les textes, sciemment provocateurs, sont déclamés sur un air enjoué si bien que le contraste établi entre la brutalité des images et la légèreté du ton confère une atmosphère malsaine à la séquence.  Quant aux derniers plans filmés, ils font office de révélation : l’hypocrisie s’envole, l’énonciation gagne en profondeur. Le rideau tombe, les comédiennes s’effacent et laissent place à des femmes pour qui il n’est plus question de jouer. Un renversement sémantique s’opère, prononcé par elles, « It’s my fault » se veut accusateur : « c’est votre faute à vous, les violeurs ».
En termes de visibilité, le succès de cette vidéo n’est plus à prouver. Avec plus de 2 300 000 vues à son actif, la parodie d’AIB suscite pourtant des réactions mitigées. Si la plupart des critiques reconnaissent la portée pédagogique du média (les fans du collectif ont entre 12 et 30 ans), elles sont nombreuses à lui reprocher une certaine forme d’élitisme. Cette problématique n’est pas sans rappeler les questions soulevées  par Jeremy Rifkin dans l’Âge de l’accès. En Inde, l’accès fixe à l’internet reste marginal et l’anglais n’est maîtrisé que par une minorité de la population. D’autant que le public branché, privilégié et instruit d’AIB ne semble pas répondre aux critères  de la « cible majoritaire » définie par les campagnes de sensibilisation au viol. Ce dernier argument est contestable mais il a le mérite de relancer le débat de l’universalité en termes de prévention. Considérer qu’il existe un « violeur type »  est en effet aussi dangereux que de dresser le portrait d’une « victime idéale ».  De plus, ces considérations apparaissent contraires à l’esprit de la vidéo qui présente des violeurs masqués et de toutes couleurs de peau.
Au-delà de l’originalité de la forme,  c’est bien l’universalité du thème choisi qui confère une résonance particulière au message du collectif. En Grande Bretagne, dix femmes sont violées chaque heure. Il y a un an, les propos du député américain Todd Aikin sur les « viols légitimes » déclenchaient une vive polémique aux Etats-Unis.
« STOP BLAIMING THE VICTIMS » ; à défaut de pouvoir changer la mentalité de ses dirigeants, la revendication du collectif AIB est parvenue aux oreilles du monde entier. Comment ? En résolvant une simple énigme. «Le point commun entre l’humour et le viol ? » Ils sont apatrides.
 
Marine Bryszkowski
Sources
HuffingtonPost
TheIndependant
ABC
Courrierinternational
IndianExpress
MSMagazine

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Agora, Com & Société

Quand y'en a marre, y'a Shalimar

 
Le 25 septembre, les spectateurs pouvaient découvrir la nouvelle campagne de publicité de Shalimar intitulée « La Légende de Shalimar ». Le film s’inspire de la vie de la princesse indienne Mumtaz Mahal pour qui l’époux fit construire le Taj Mahal. Ici, Natalia Vodianova l’égérie de Shalimar qui n’a rien d’une princesse indienne (ni elle, ni le prince, ni les paysages ne sont réellement indiens), reçoit à la fois le Taj Mahal et du parfum. Vous avez dit sexiste ? Si ce n’était que ça.
 « Shalimar m’a tuer ». Cordialement, le Cinéma.
Cette publicité marque l’acmé du mélange des genres. La publicité prend de plus en plus de place dans les salles, les bande-annonces se mêlent aux marques de boissons et de food. En plus de profiter de l’architecture de la salle de cinéma, de ses installations audio et vidéo et d’un univers imaginaire, la publicité emprunte au cinéma ses codes. Après Zorro, Bruce Lee, Cendrillon, voici « La Légende de Shalimar » : court-métrage voguant sur les talents nouvellement incroyables de Vodianova, révélée au cinéma par le flop « Belle du Seigneur ». La publicité possède même une affiche qui reprend les codes de l’œuvre cinématographique.

Pour ce faire, Shalimar a cassé sa tirelire : 4 millions d’euros, soit 11 000 euros la seconde, « ce qui signifie que si vous la voyez en ce moment avant ‘Miele’, ‘La Bataille de Solférino’ ou ‘Alabama Monroe’ , le film pour lequel vous avez payé votre place aura coûté beaucoup moins cher. » comme le montrent nos confrères de Rue 89. 4 millions d’euros sont nécessaires à cette prise d’otage du spectateur pendant presque 6 minutes, format inhabituel au cinéma.
 
Steven Clerima
Sources :
http://www.rue89.com/2013/09/26/pub-shalimar-guerlain-insupportable-interminable-246093

Com & Société

Si les femmes étaient des déesses

 
Le shockvertising contre la violence
Frapper une déesse est impensable, alors pourquoi frapper une femme ? Tel est le parallèle que dresse l’association Save the Children India avec la campagne « Abused Goddesses ». L’association, engagée principalement dans la lutte contre le trafic d’enfants, prend l’initiative à travers son projet Save Our Sisters (SOS), de s’attaquer au fléau des violences faites aux femmes.
Cette campagne de sensibilisation, lancée début septembre, prend pour champ de bataille un pays où 68% des femmes sont victimes de violences domestiques, 4e pays le plus dangereux pour les femmes d’après la fondation Thomson Reuters. Ce grand fléau de la société indienne n’est réellement visible que depuis peu en Occident, objet d’une réelle médiatisation principalement depuis décembre 2012, avec le viol collectif d’une étudiante à New Delhi, marquant le début d’une vraie prise de conscience de ce problème dans le pays.
Misant sur la stratégie du shockvertising, Save the Children a composé sa campagne de trois visuels détournant des représentations des principales déesses hindoues, Saraswati (déesse du pouvoir et des arts), Lakshmi (déesse de la fortune et de la beauté) et Durga (la grande déesse), le visage tuméfié. Le slogan « Save our sisters » est accompagné du texte suivant : « Priez pour que nous ne voyions jamais ce jour. Aujourd’hui, plus de 68 % des femmes en Inde sont victimes de violences domestiques. Demain, il est plus que probable qu’aucune femme ne sera épargnée. Même celles que nous prions ».
Mettre le sacré au service de la société
Dans une perspective réflective, la déesse et l’humaine sont placées au rang de sœurs. L’initiative est une première en Inde : l’usage d’une imagerie religieuse dans le cadre d’une campagne est d’autant plus osée qu’elle prend place dans un contexte culturel dans lequel le sacré est …sacré. En effet, en Inde, l’hindouisme, pratiqué par plus de 80% de la population, a un impact culturel indéniable, et l’utilisation de l’image de ses déesses est particulièrement délicate. Ce parallèle entre le spirituel et la réalité des violences faites aux femmes met le pays face à l’une de ses principales contradictions : la religion exalte la féminité en tant que divinités vénérées, tandis que la société ne fait que peu de cas de la situation de la femme au quotidien.
L’importance du contexte culturel
La campagne a reçu un accueil international plutôt positif. L’affichage de ces visages blessés semble capable de réveiller les consciences. Mais il n’en va pas de même en Inde où ces trois photos ont souvent été apparentées à du blasphème. Un premier argument souligne que cette campagne, trop occidentale, oubli le contexte culturel de l’Inde, qui se prête peu à ce genre de parallèles. Ainsi, pour la journaliste Praneta Jha, utiliser les images de la mythologie hindou constitue une violation des limites sociales indiennes posées par la religion, les castes et les classes sociales. Dans le Hindustan Times, elle souligne que « mettre les femmes sur un piédestal en les représentant sous les traits de divinités fait autant de mal que de les montrer comme objets sexuels. Les deux représentations déshumanisent les femmes. […] Les emprisonner dans des représentations d’idéaux supposés est l’une des plus vieilles stratégies patriarcales. (…) On pourrait dire que cette campagne utilise des stéréotypes pour marquer l’opinion publique. Mais, ce faisant, elle renforce aussi insidieusement ces stéréotypes. »
De la même manière, dans l’hebdomadaire Open, l’universitaire Brinda Bose explique qu’elle « aurait eu beaucoup plus de respect pour une campagne montrant une prostituée des faubourgs blessée par un client ». Et de conclure : « Plus de déesses, s’il vous plaît. Donnez-nous des salopes. »
En somme, la campagne gagnerait à sortir de l’abstraction pour entrer dans le réel.
Ces critiques rappellent l’importance de l’attachement de toute campagne de communication dans le contexte culturel dans lequel elle s’exécute. Elles ne peuvent fonctionner sans adaptation aux codes culturels de la société visée, sans tenir compte des hommes, de leurs perceptions, de leur culture, et de leur environnement. Car « il n’y a pas de communicabilité sans conscience de soi et des autres ».
 
Bénédicte Mano
Sources :
Le Courrier International
La Vie
Save The Children India.org