Depuis la mise en application de la réforme orthographique annoncée par le gouvernement, des voix s’élèvent pour défendre l’accent circonflexe. Le succès du hashtag « #JeSuisCirconflexe » révèle la polémique que suscite cette réforme. Mais pourquoi utiliser un hashtag pour réagir ou se battre ? Sait-on exactement ce que cela engage ? En réalité, beaucoup de personnes utilisent le hashtag sans le comprendre. Alors #utile ou #insupportable ?
#Késako
Le hashtag est composé d’un signe typographique, le croisillon, accompagné d’un ou plusieurs mots-clés. Appelé mot-dièse ou mot-clic au Québec, il est un marqueur de métadonnées. Autrement dit, c’est une donnée qui permet d’en organiser une autre. En effet, cet outil a un rôle centralisateur sur les réseaux sociaux : il trie les publications en fonction de leur thème.
Dans le cas du #JeSuisCirconflexe, si un utilisateur le place dans un tweet, ce dernier sera reconnu comme faisant réaction à la nouvelle réforme. De cette manière, le hashtag permet de relier entre eux des tweets relatifs à un sujet donné pour former l’équivalent d’une conversation. Cela permet de transformer des évènements disparates en résumé des réactions. Il y a dans cet outil une volonté d’unification et de rassemblement. Grâce à son affiliation, ce tweet sera ensuite susceptible d’atteindre un public virtuellement infini.
A l’origine, le croisillon sert à référencer des conversations sur IRC (protocole de communication textuelle sur internet) qui sont de cette manière retrouvables. Suite à la suggestion de l’un de ses utilisateurs qui voulait améliorer le filtrage de contenu, twitter a intégré cette fonction en 2007.
Il aura fallu attendre 2009 pour que Twitter commence à renvoyer le croisillon en liens hypertextes qui mène à une liste exhaustive des messages contenant le même hashtag. Facebook a suivi en 2013 et a été ensuite rejoint par Google+ ou encore Instagram.
Dans sa documentation, Facebook donne la définition suivante : « Les hashtags permettent de transformer des sujets de discussion et des locutions en liens « cliquables » dans des publications sur votre journal personnel ou votre page. Ils permettent de trouver plus facilement des publications sur des sujets précis. ».
Le choix du symbole est intéressant parce qu’il fallait en trouver un qui puisse être produit par n’importe quel appareil : il ne restait plus qu’à choisir entre l’astérisque et le croisillon. L’usage s’étant rapidement répandu sur Twitter, un autre utilisateur propose de nommer ce signe hashtag ( que l’on pourrait traduire par “étiquette marquée par le signe dièse”).
#Pourquoi ?
Aujourd’hui, le hashtag est devenu banal mais il ne faut pas oublier que ce n’est pas un simple élément de décoration. La définition du Journal Officiel de la République Française insiste sur les fonctions de ce hashtag : « suite signifiante de caractères sans espace commençant par le signe #, qui signale un sujet d’intérêt et est insérée dans un message par son rédacteur afin d’en faciliter le repérage ».
C’est la fonction essentielle du hashtag. Suivant cette définition, il devient évident que ce hashtag est intéressant dès que l’on souhaite faire de la veille sur internet ou dialoguer autour d’un sujet important. Mais ce n’est pas son unique fonction. Chirpify en a par exemple fait un système d’achat : en récupérant les informations sur ses utilisateurs, la plateforme disposait d’une base de données pour envoyer des échantillons aux intéressés. Le hashtag peut donc s’avérer très utile mais un néophyte aura de grandes difficultés à le comprendre et à rentrer dans cette communauté d’intérêt.
De surcroît, il ne faut pas confondre le hashtag avec les détournements ironiques auxquels il est sujet. Un hashtag repose avant tout sur sa capacité d’indexation. Quand une personne utilise le croisillon pour désigner une humeur, une situation ou un contexte, on ne peut plus parler de hashtag : le symbole est utilisé de manière humoristique ou informative mais ne peut plus être désigné comme un hashtag car il perd sa fonction première. Autrement dit, on utilise le mot hashtag à n’importe quelle sauce comme l’illustre parfaitement cette vidéo de Jimmy Fallon & Justin Timberlake.
Toutefois, cela n’empêche pas de manier le hashtag suivant différents desseins. L’expression « hashtag activism », d’abord utilisée par The Guardian, désigne de façon péjorative l’utilisation militante de cet outil. Cette expression est née du décalage qui existe entre les réalités pour lesquelles se battent certains militants et l’a priori futilité de leurs actions virtuelles, ou plutôt, de leur utilisation prétendument utile du hashtag.
La manifestation n’est pas importante en soi, ce sont les rencontres humaines et réelles qu’elles provoquent qui le sont. Or, avec le « hashtag activism », il ne reste généralement que la manifestation. Dans d’autres cas, il n’est pas impossible que ce genre d’action mène à une médiation numérique. Il est trop facile d’accepter le raccourci habituel qui oppose « internet »/ « réalité » et « concret »/« virtuel ».
Pour ne citer que lui, le #BringBackOurGirls faisait écho à l’enlèvement de 200 écolières de Chibok au Nigeria par le mouvement insurrectionnel et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste, Boko Haram. Utilisé par 2 millions de twittos dont Michelle Obama, ce hashtag avait pour but d’attirer l’attention internationale et d’empêcher cette histoire de subir l’amnésie médiatique.
Mais une question subsiste. Est-ce le signifiant ou le signifié qui reste dans les mémoires ? Est-ce le #JeSuisCharlie qui reste dans les mémoires en tant qu’objet ou bien les idéaux qu’il est censé porter ?
#Métamorphoses
Auparavant, le croisillon était immédiatement associé au dièse en musique ou à d’autres utilisations comme aux échecs. Mais le hashtag a vite pris le pas sur les usages antérieurs du croisillon en se démocratisant sur internet. Par le passé, le symbole est donc passé du hors-ligne à l’online.
Aujourd’hui, force est de constater que le symbole rebrousse chemin. Avec sa nouvelle e-réputation, il revient sous une nouvelle forme dans le réel. Ainsi, le croisillon est souvent utilisé hors-ligne pour faire référence au symbole numérique même s’il perd sa fonction d’indexation. Il devient ainsi un symbole qui renvoie au monde d’internet et des réseaux sociaux. Il revient vers le réel avec une nouvelle forme : on le retrouve sur le packaging de certains produits et même sur la devanture de magasins.
Le hashtag n’est pas un seulement un mot-clé, il est aussi le nouveau symbole de la culture Internet remplaçant le arobase et montrant par là même la prépondérance des réseaux sociaux. Au demeurant, l’American Dialect Society (société étudiant la langue anglaise) a fait du mot « hashtag » le mot de l’année 2012.
Il est devenu un outil de langage propre à une culture sociale et médiatique. Par ailleurs certains hashtags, tout comme les expressions de la langue, ne sont pas éphémères. Par exemple, le #FAIL est utilisé pour indiquer une erreur tandis que le #NSFW indique que le message contient des liens inappropriés aux mineurs. Grâce à ce symbole, on peut aussi identifier des Trending Topics récurrents avec le #TT.
Mais le hashtag a aussi pris d’autres formes puisqu’il est passé d’internet à la télévision. Les émissions utilisent le hashtag pour permettre aux téléspectateurs d’entrer en interactivité avec leur programme et d’interagir entre eux. « Réagissez sur Twitter » est aujourd’hui un leitmotiv pour rappeler la dimension participative de la télévision. Le hashtag s’organise ici en objet médiatique. Il est une nouvelle fois privé de sa fonction première : le couple hashtag-hyperlien n’existe plus. La télévision utilise le même symbole pour renvoyer à un imaginaire participatif sur les réseaux sociaux.
De cette manière, la télévision crée un lien avec les smartphones, les tablettes et les ordinateurs. Cette stratégie cross-média permet d’attirer le téléspectateur-internaute : une part non négligeable de téléspectateurs regarde la télévision en restant connectée à internet. Cette stratégie permet donc d’inclure cette part dans le processus télévisuel.
Le téléspectateur peut donner son avis et même parfois participer directement à l’émission. En effet, cet outil permet de répertorier facilement les participations et les contributions des téléspectateurs qui deviennent de cette manière acteurs de ce qu’ils voient. Le téléspectateur vote mais peut aussi proposer des changements dans son émission favorite.
Il y a un autre intérêt au hashtag. Le spectateur internaute promeut de manière indirecte le programme en live sur les réseaux sociaux. De cette manière, les émissions trouvent une publicité gratuite sur internet et augmentent leur exposition. Dans son émission quotidienne, Cyril Hanouna promet aux spectateurs de gagner des cadeaux en s’inscrivant à des tirages au sort via un hashtag. Ainsi, les spectateurs ont l’impression de toucher de près l’émission puisqu’ils doivent twitter pour participer, c’est-à-dire réaliser un acte effectivement. Avec leur post, ils peuvent également amener de nouveaux spectateurs en live.
Finalement, le hashtag nous montre comment un objet peut prendre différentes formes, fonctions et détournements tout comme les parties de la langue. Pendant combien de temps coulera t-il des jours heureux sur nos réseaux sociaux ? Telle est la question.
Bouzid Ameziane
Linkedin
Sources :
« Savez-vous parler le hashtag ? Les 20 hashtags à connaître sur Twitter », Giiks, Franck Lassagne, 7 mai 2014
» Hashtag et militantisme, entre existence en ligne et hors-ligne « , (Dis)cursives [Carnet de recherche], Anne Charlotte Husson,22/06/2015, consulté le 10/02/2016
#JeSuisCirconflexe, le hashtag qui agite la toile », GQ, Chloé Fournier, Pop Culture / Actu Culture, 04/02/2016
» Le hashtag, un outil au service des stratégies social média », CultureCrossmedia, Kevin
» Intégrer le hashtag dans campagne de communication », Comingmag.Ch, Renee Bani, 18/11/2014
» Comment le hashtag est devenu le symbole d’Internet », Le Figaro, Florian Reynaud, 04/08/2014
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